Aller au contenu

Le Sénat

Adoption de la motion tendant à exhorter le gouvernement à imposer des sanctions contre les autorités chinoises relativement aux abus des droits de la personne et à la persécution systématique des musulmans ouïgours en Chine

3 juin 2021


L’honorable Julie Miville-Dechêne

Chers collègues, je salue d’abord les sénatrices Jaffer et McPhedran, qui ont pris position plus tôt cette semaine en faveur de la motion no 4 du sénateur Housakos, qui demande au gouvernement canadien d’imposer des sanctions contre le régime chinois en raison du traitement inhumain de sa minorité musulmane ouïghoure. Je veux ajouter ma voix à celles de mes deux collègues en parlant d’un autre aspect honteux des pratiques chinoises.

Je ne peux rester silencieuse face aux violations des droits de la personne subies par les Ouïghours, car, depuis plus d’un an, je pilote le projet de loi S-216, qui vise à combattre l’esclavage moderne, et plus particulièrement le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement. Or, le travail forcé imposé aux Ouïghours dans des manufactures à l’intérieur et à l’extérieur de la région autonome du Xinjiang a été la face la plus visible et la plus médiatisée de ce fléau pendant la pandémie, malgré le fait que cette pratique est bien présente ailleurs dans le monde. Ce travail forcé vient donc s’ajouter à la torture, aux violences sexuelles contre les femmes dans les camps de rééducation, aux témoignages relatifs aux stérilisations et aux techniques d’assimilation décrites par mes collègues. Le portrait est révoltant. Il a été long et difficile à documenter, car le régime autoritaire chinois contrôle les allées et venues des journalistes et des autres travailleurs humanitaires.

Il est impossible de croire à des cas isolés. Dans leur rapport publié en mars 2021, intitulé Le Génocide ouïghour : un examen des violations de la Convention sur le génocide de 1948 par la Chine, le Newlines Institute et le Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne rapportait que, selon les rapports chinois de propagande, le travail forcé est nécessaire pour transformer la pensée paresseuse très ancrée chez les paysans et pour les sortir de leur supposée arriération et culture primitive.

On estime qu’un million d’Ouïghours et d’autres minorités ethniques ont été détenus dans des camps, qu’on devrait plutôt appeler des prisons, dans la région du Xinjiang, située dans le nord-ouest de la Chine. Les détenus sont systématiquement transférés dans des champs de coton ou dans des usines. Ces programmes de travail forcé sont liés aux camps, car des images satellites ont permis d’identifier de grands groupes de personnes portant les mêmes uniformes et qui sont transférés entre les sites. Il y a au moins 135 de ces usines de travail forcé, et on estime qu’un demi-million de personnes auraient été affectées à la récolte du coton.

Des milliers de travailleurs ouïghours sont transférés dans d’autres installations de travail forcé à l’extérieur de leur région, où ils fabriquent des produits qui sont vendus partout dans le monde. Grâce à des témoignages crédibles, aux images satellites, aux recoupements et aux nombreux indices, on peut conclure que le régime autoritaire chinois facilite ces transferts de masse de citoyens ouïghours. Pourquoi parle-t-on de travail forcé? Un rapport de l’Institut australien de politique stratégique a révélé en 2020 que, dans ces manufactures loin de chez eux, les Ouïghours sont l’objet d’une surveillance constante. Ils ont peu de liberté de mouvement, ils vivent dans des dortoirs séparés des autres travailleurs, ils ne peuvent pas pratiquer ouvertement leur religion et ils sont soumis à une rééducation idéologique et à des cours de mandarin, en plus de leurs heures de travail. Il y a donc une notion de contrainte qui correspond à la définition du travail forcé de l’Organisation internationale du travail. L’institut a admis qu’il ne peut pas confirmer que tous les Ouïghours qui travaillent à l’extérieur du Xinjiang sont forcés de le faire, mais il y a suffisamment de preuves pour sonner l’alarme.

C’est là que ces exactions se rapprochent de nous, les Canadiens, qui consommons sans le savoir des produits issus du travail forcé de cette minorité chinoise qu’on cherche à briser. Prenez un magasin comme Brick, qui, selon une enquête du Toronto Star, a fait venir en novembre dernier 31 conteneurs remplis de réfrigérateurs fabriqués par Changhong Meiling, une compagnie chinoise figurant sur la liste noire des Américains en raison d’allégations de travail forcé de citoyens ouïghours. L’enquête a également repéré 405 cargaisons à destination du Canada pour des compagnies de marques de vêtements, dont les chaînes d’approvisionnement se rendent jusqu’à un producteur de coton soupçonné, lui aussi, d’avoir recours au travail forcé. On parle ici de filiales canadiennes de géants comme Gap, Tommy Hilfiger et Calvin Klein.

Au total, selon l’Institut australien de politique stratégique, 83 marques connues mondialement dans les secteurs de la technologie, du vêtement et de l’automobile sont soupçonnées d’avoir eu recours au travail forcé de membres de la minorité ouïghoure par l’intermédiaire de sous-traitants. Parmi les compagnies identifiées, on retrouve Apple, BMW, Gap, Huawei, Nike, Samsung, Sony et Volkswagen.

La production mondiale de panneaux solaires ferait également appel au travail forcé des Ouïghours dans la région chinoise du Xinjiang, selon un rapport de l’Université de Sheffield Hallam, en Angleterre. De plus, une compagnie canadienne est soupçonnée d’importer ces produits.

Pour l’instant, ce que fait le gouvernement canadien me semble bien insuffisant. Affaires mondiales Canada exige que les entreprises canadiennes qui font des affaires au Xinjiang signent une déclaration d’intégrité si elles veulent recevoir des services et du soutien du Service des délégués commerciaux du Canada.

Toutefois, le Canada est encore loin d’avoir d’une liste noire de produits interdits d’entrée au pays. Apparemment, il n’y a toujours pas de saisies aux frontières canadiennes de produits susceptibles de provenir du travail forcé ouïghour ou d’une autre provenance, d’ailleurs, comme cela se fait chez nos voisins américains.

Le Sénat n’a pas le pouvoir de forcer le gouvernement canadien à imposer des sanctions contre la Chine, mais nous pouvons nous joindre à la Chambre des communes pour dénoncer haut et fort ces violations persistantes des droits de la personne dans ce pays. Merci.

Son Honneur le Président [ + ]

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur le Président [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence.)

Haut de page