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Projet de loi de Jane Goodall
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
17 mai 2022
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui sur le projet de loi S-241, le projet de loi de Jane Goodall, qui a été présenté par mon collègue le sénateur Marty Klyne.
D’emblée, je crois qu’il est nécessaire de renforcer la protection des animaux sauvages en captivité, et même carrément d’interdire l’achat ou la reproduction d’éléphants, de grands singes et de cétacés. Dans un monde qui se préoccupe de plus en plus du bien-être animal, emprisonner des animaux sauvages pour le plaisir des êtres humains est de moins en moins acceptable.
Un exemple honteux de cette situation s’est produit en plein cœur du Québec et a bien montré qu’il était nécessaire d’agir. En mai 2018, la plus importante saisie d’animaux victimes de négligence et de cruauté a eu lieu au Canada, au Zoo de Saint-Édouard, dans la Mauricie. Il s’agissait dans ce cas-ci de 200 animaux exotiques, notamment des lions, des tigres, des ours et des kangourous, qui avaient été privés de soins vétérinaires et qui ont été retirés d’installations inadéquates et insalubres. La bougie d’allumage a été le signalement de maltraitance qui a été fait par une visiteuse du zoo.
Ce scandale a soulevé bien des questions sur les bonnes pratiques des zoos. En effet, le Zoo de Saint-Édouard avait été condamné à plusieurs reprises, mais il avait toujours réussi à conserver son permis.
Comment empêcher que de telles dérives se produisent? Certains voudraient mettre la clé dans la porte de tous les zoos et des aquariums. Toutefois, ce n’est pas ce que vise le projet de loi du sénateur Klyne.
Il propose plutôt de faire une réforme approfondie et complexe en matière d’espèces interdites et de permis nécessaires. La législation imposerait des règles nationales beaucoup plus strictes pour la possession de certaines espèces de félins, de primates et de canidés.
Le projet de loi permet aux zoos et aux aquariums de conserver les animaux sauvages qu’ils possèdent déjà, mais il resserre les conditions de leur captivité pour l’avenir.
Le projet de loi S-241 interdirait à presque tous les zoos de garder en captivité plus de 800 espèces d’animaux sauvages, y compris les grands félins, les ours, les loups, les phoques, les otaries et certains reptiles, comme les crocodiles et les serpents venimeux. Ces animaux ont été choisis parce qu’ils sont plutôt dangereux, d’autres parce qu’ils ont besoin d’un plus grand espace ou d’un climat différent du nôtre.
Pour outrepasser l’interdiction, les quelque 100 jardins zoologiques devront demander des licences du gouvernement fédéral ou provincial et respecter des conditions strictes concernant la recherche scientifique et les intérêts des animaux.
Les établissements seront aussi en mesure d’obtenir la désignation d’organisme animalier admissible si elles respectent une série de conditions, y compris l’observation des normes les plus élevées en conservation d’animaux, le respect des pratiques exemplaires et l’établissement d’un mécanisme de protection des dénonciateurs qui travaillent dans les zoos.
Certains croient que l’obtention des licences sera compliquée. Le propriétaire du Parc Safari, à Hemmingford, au Québec, croit aussi que le projet de loi S-241 est la première étape vers l’interdiction des jardins zoologiques, étant donné les restrictions sur l’importation et l’exportation d’animaux.
Je n’ai rien contre l’idée d’adopter des normes plus rigoureuses et d’imposer des restrictions supplémentaires afin de mieux protéger les animaux. Cependant, je m’inquiète des traitements différents que ce projet de loi réserve aux zoos et aux aquariums du pays. D’une part, presque tous les zoos et aquariums devront tenter d’obtenir une autorisation de l’administration fédérale une fois que la loi entrera en vigueur, mais, d’autre part, le projet de loi accorde des exemptions à sept zoos et aquarium au Canada parce qu’ils sont membres d’un organisme privé des États-Unis, soit l’Association of Zoos and Aquariums, ou AZA. Ces sept organismes sont le Zoo de Granby, le zoo de Calgary, le Biodôme de Montréal, le zoo de Toronto, l’aquarium Ripley du Canada, le parc zoologique Assiniboine de Winnipeg et l’aquarium de Vancouver. Ce sont essentiellement de grands établissements qui ont plus de ressources. Pour obtenir une accréditation de l’AZA, il faut payer environ 12 000 dollars américains, mais il faut surtout un personnel dévoué et des mois de préparation, voire des années.
Selon le sénateur Marty Klyne et les groupes qu’il a consultés, le traitement accordé à ces sept établissements est justifié, puisque l’AZA impose des critères très rigoureux avant d’accorder son approbation. L’AZA, qui est basée au Maryland, accorde principalement son accréditation à des attractions des États-Unis, mais aussi d’une dizaine d’autres pays. À certains égards, ses normes sont plus rigoureuses que celles de son homologue canadien, l’Association des zoos et aquariums du Canada, ou AZAC.
Je répète que lorsqu’il s’agit du bien-être des animaux, il est très important d’appliquer les normes les plus élevées, comme le fait le projet de loi S-241. Là n’est pas la question et c’est la raison pour laquelle j’appuie ce projet de loi. Cependant, il me paraît injuste de favoriser certains établissements plutôt que d’autres. À mon avis, tous les zoos et les aquariums devraient avoir les mêmes procédures administratives. Ou bien ils suivent tous le même processus pour obtenir un permis, ou bien tous ceux qui répondent aux critères sont exemptés, peu importe l’accréditation de l’AZA.
Le système à deux vitesses que propose le projet de loi accorde à ces sept zoos et aquariums un avantage majeur, étant donné que si certains d’entre eux ne respectent pas leurs obligations à l’avenir, il pourrait s’avérer nécessaire de modifier la loi, ce qui ne se fait pas toujours rapidement.
À vrai dire, c’est cet aspect du projet de loi qui a été jugé plutôt injuste par certains zoos qui ont moins de moyens, mais qui font des efforts pour améliorer le sort de leurs animaux. Le Zoo sauvage de Saint-Félicien fait partie du lot. Je remercie d’ailleurs le bureau du sénateur Klyne d’avoir pris le temps de rencontrer Lauraine Gagnon, directrice de ce zoo. Cette dernière, qui s’inquiétait que ce projet de loi compromette l’avenir de son zoo, s’était d’abord adressée à son député, Alexis Brunelle-Duceppe, qui ne comprenait pas lui non plus le traitement différencié prévu dans le projet de loi S-241. Le dialogue est donc entamé.
Le Zoo de Saint-Félicien est une attraction touristique importante au Saguenay-Lac-St-Jean, qui attirait plus de 200 000 visiteurs par an avant la pandémie. C’est une organisation à but non lucratif qui traite ses animaux de manière exemplaire. Tous les animaux sont dans la zone boréale et ils ont énormément d’espace. En fait, au Zoo de Saint-Félicien, ce sont les visiteurs qui sont en cage, dans un train, et les animaux qui sont en semi-liberté, dans un parc de 324 hectares. Les animaux qui sont gardés dans des enclos bénéficient d’espaces qui dépassent largement les exigences. Le Zoo de Saint-Félicien participe à des activités scientifiques de recherche et collabore à un programme étranger réputé sur les espèces menacées.
Le projet de loi S-241 vise 10 des 75 espèces présentes au Zoo de Saint-Félicien, d’où l’inquiétude de la directrice, qui a rappelé que son zoo était un organisme à but non lucratif et que l’obtention des licences prendra du temps et des ressources. Elle aimerait pouvoir bénéficier du même traitement que les sept zoos et aquariums qui ont été exemptés de démarches administratives. Elle ne comprend pas pourquoi des organisations qui satisfont aux normes prévues dans le projet de loi S-241 sont désavantagées, uniquement parce qu’elles ne sont pas membres de l’AZA.
Le Zoo de Saint-Félicien n’est qu’un exemple, bien sûr, et je ne prétends pas connaître les conditions de vie des animaux dans la centaine d’autres zoos et aquariums du Canada. Toutefois, il me semble qu’il y aurait lieu d’examiner le processus d’octroi des licences pour s’assurer que toutes les organisations qui satisfont aux normes sont traitées équitablement, sans avantage administratif injustifié.
Selon le professeur de droit de l’Université d’Ottawa Benoît Pelletier, ce traitement différencié sur la base d’une adhésion à un organisme privé étranger pourrait être contesté sous l’angle des principes de justice naturelle propres à notre droit administratif.
La mise en œuvre de la loi pourrait aussi s’avérer complexe. Le gouvernement fédéral partage avec les provinces la compétence en matière d’animaux sauvages en captivité. Comment réagiront les provinces si le gouvernement fédéral refuse ou tarde à accorder une désignation d’organisme animalier à une attraction qui contribue au développement régional? Le ministère de l’Environnement aura-t-il les moyens d’inspecter régulièrement les zoos, ou comptera-t-il seulement sur les lanceurs d’alerte, les visiteurs ou les organismes de défense des animaux? Les zoos qui devront se conformer aux nouvelles règles auront un certain temps pour effectuer la transition. Ils pourront garder les animaux visés par des interdictions jusqu’à leur mort. La tendance au renforcement des normes est toutefois inéluctable. Le public est de plus en plus sensible au bien-être animal, et les Autochtones l’ont été bien avant les autres.
La professeure Valéry Giroux, de l’Université de Montréal, spécialiste en éthique animale, s’est prononcée sur les ondes de Radio-Canada à ce sujet. Elle a dit ceci :
Les parents qui amènent leurs enfants au zoo sont souvent motivés par d’excellentes raisons. Ils veulent stimuler chez leurs enfants un intérêt pour la nature, un respect envers les animaux. Le problème, c’est que les animaux qui se trouvent dans les zoos sont aliénés, et représentent donc très mal leurs cousins qui vivent de leur milieu naturel. Visiter le zoo, ce n’est pas comme visiter un bout de nature, mais c’est plutôt comme visiter une prison ou un hôpital psychiatrique. Ce qu’on apprend aux enfants en les amenant au zoo, ce n’est pas à développer de la compassion envers les animaux ou à respecter la biodiversité; on leur apprend plutôt que les animaux sauvages sont faits pour être gardés captifs et pour nous divertir. On leur apprend qu’il est correct de capturer des animaux, de les priver de leur liberté, d’interférer dans leurs liens sociaux, tout ça pour notre bon plaisir.
C’est une vision du bien-être animal qui contraste fortement avec celle de notre enfance et celle que plusieurs d’entre nous ont transmise à leur progéniture.
Je remercie le sénateur Klyne de cet effort ambitieux. Une étude en profondeur menée par un comité permettra d’évaluer si des amendements sont nécessaires pour rendre le projet de loi plus équitable et pour s’assurer que sa mise en œuvre soit aussi efficace et harmonieuse que possible.
Merci.
Sénateur Klyne, avez-vous une question?
Oui, j’ai une question, si la sénatrice accepte d’y répondre.
Oui.
Je vous remercie de vos observations, pour lesquelles je vous suis très reconnaissant.
J’ai deux questions à poser. Voici la plus simple : êtes-vous au courant que le zoo de Toronto se trouve en plein processus de renouvellement de son accréditation de l’Association of Zoos and Aquariums, ou AZA?
Non.
Merci.
En conséquence, il pourrait ne pas se voir accorder une licence. Aucune exemption ne s’applique simplement parce que l’organisme est membre de l’AZA. Cette association établit des normes très élevées. Si l’organisme respecte les normes de l’AZA, on lui octroie une licence, et non pas une exemption.
Tous ces zoos doivent renouveler leur certification. Idéalement, la plupart d’entre eux l’obtiendront. Certains pourraient avoir des difficultés; il y aura alors une suspension qui pourrait pousser le ministre responsable à remettre en question le maintien de la licence, si le projet de loi est adopté.
Il n’y a pas de système à deux vitesses. Il n’est pas obligatoire d’être membre de l’AZA. En fait...
Avez-vous une question, monsieur le sénateur?
Oui, j’en venais à ma question.
Je me demande simplement si vous comprenez qu’il n’y a pas de système à deux vitesses. Tous les zoos peuvent demander une licence, et le ministre s’en occupera.
Je souligne donc le fait qu’il n’y a pas de système à deux vitesses et je veux savoir si vous êtes au courant que tous les zoos ont le droit de demander une licence.
Oui, il y a un système à deux vitesses puisque les seuls zoos qui sont nommés dans le projet de loi sont ceux qui ont obtenu une certification de l’AZA. Vous les nommez dans le projet de loi. Ce faisant, vous leur donnez une protection supplémentaire parce que, bien qu’ils puissent à un moment donné perdre leur certification, ils apparaîtront toujours dans le projet de loi comme étant désignés, alors que les 100 autres zoos doivent passer par un programme de certification. Je comprends que vous avez adapté les normes à respecter, mais vous avez aussi donné un privilège et un passe-droit à ces sept zoos dont le nom est inscrit dans le projet de loi. Cela peut poser problème, selon moi. Cependant, je pense qu’on peut effectivement continuer d’y réfléchir.
Le temps de parole de la sénatrice est écoulé.