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Le Sénat

Motion tendant à demander au gouvernement d'accélérer la mise en œuvre des solutions numériques qui transforment l’expérience des Canadiens en matière de prestation des services publics--Ajournement du débat

28 septembre 2023


L’honorable Colin Deacon [ + ]

Conformément au préavis donné le 29 mars 2023, propose :

Que le Sénat demande au gouvernement du Canada de remplacer ses systèmes de prestation de programmes et de technologie de l’information désuets en accélérant, de toute urgence, la mise en œuvre de solutions numériques axées sur les usagers qui transforment l’expérience des Canadiens en matière de prestation des services publics et, en fin de compte, réduisent le coût de la prestation des programmes.

 — Honorables sénateurs, des études fiables indiquent que la plupart des gens préféreraient perdre leur portefeuille que leur téléphone. Oui, je parle bien de l’appareil avec lequel je suis en train de tenter de rivaliser pour attirer votre attention.

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi on appelle cet appareil un téléphone? Ne le faites pas maintenant, mais lorsque vous en aurez le temps, je vous invite à vérifier les paramètres de votre appareil mobile pour savoir combien de temps vous l’utilisez comme téléphone. Dans mon cas, je ne me sers de mon appareil comme téléphone que 2 % du temps. Cela signifie que je passe 98 % de mon temps sur mon appareil mobile à utiliser des fonctions que je n’aurais jamais pu imaginer il y a une génération.

Nous devenons impatients lorsque nous ne parvenons pas à accéder rapidement ou facilement aux diverses fonctions de nos téléphones. Lorsque le réseau de Rogers est tombé en panne le 8 juillet 2022, plus de 12 millions d’entreprises et de citoyens canadiens ont perdu accès à leurs services sans fil et Internet. Il leur était impossible d’appeler le 911, les entreprises n’étaient plus en mesure de traiter les paiements, et il était impossible d’accéder à des services sur lesquels nous comptons en tout temps.

Ces services sont toujours si facilement accessibles que nous les tenons pour acquis. Nous exigeons constamment des services plus performants et plus fiables dans toutes les sphères de notre vie, qu’il s’agisse de services bancaires électroniques, de rendez-vous médicaux en ligne, de collaboration sur des documents stockés dans le nuage, de réservations de vols, ou de commande de tout ce qui peut être livré directement chez nous. Ce sont donc les entreprises qui fournissent les services les plus efficaces, les plus fiables et les plus pratiques qui réussissent.

À l’opposé, accéder aux rares services gouvernementaux accessibles en ligne est souvent compliqué, déroutant et lourd. Il y a un écart considérable et grandissant entre les services gouvernementaux et les autres expériences que nous vivons en ligne au quotidien. Cet écart me préoccupe de plus en plus parce que, pour avoir confiance, les gens doivent croire en vos motivations et en vos capacités et respecter ce que vous arrivez à faire quand vous mettez en œuvre ces motivations et ces capacités.

Une expérience positive amène une utilisation répétée, du bouche-à-oreille positif et une meilleure réputation. À mon avis, pour assurer leur crédibilité et obtenir la confiance des citoyens, les gouvernements doivent répondre à ces derniers à l’aide des moyens de communication d’aujourd’hui, pas de ceux d’hier. La réalité d’aujourd’hui fait que les gouvernements doivent commencer à offrir la commodité et les services auxquels les citoyens et les entreprises sont habitués dans le monde de plus en plus numérique dans lequel nous vivons.

C’est ce qui m’a amené à présenter la motion no 107 : je veux faire comprendre au gouvernement l’urgence de la situation afin que les ministres et les fonctionnaires qui veulent désespérément apporter ces changements obtiennent un meilleur appui politique.

La Présidente vient de lire la motion no 107. Le dépôt de cette motion a entraîné une étude du directeur parlementaire du budget qui a été publiée il y a environ deux semaines, le 15 septembre. Au cours des prochaines minutes, je vais rapidement passer en revue la situation des services gouvernementaux en ligne au Canada puis je parlerai de certaines des conclusions du directeur parlementaire du budget et d’autres questions qu’il faut régler pour que le Canada fasse progresser la prestation des services gouvernementaux en ligne.

Commençons par ce qui se passe aujourd’hui. Le Canada est en retard sur les autres pays dans la course à la transformation numérique. Bien qu’il dispose d’une capacité exceptionnelle grâce à des programmes de recherche, des universités et des entreprises de premier plan, le Canada n’est pas un chef de file en matière de compétitivité numérique. Dans l’enquête des Nations unies sur l’administration en ligne de 2022, le Canada s’est classé au 32e rang, alors qu’il était au 3e rang il y a une dizaine d’années. Le classement par niveau des administrations en ligne du Boston Consulting Group semble indiquer que le Canada a les pires services gouvernementaux numériques parmi 40 pays.

Sans surprise, ServiceNow a constaté que huit Canadiens sur dix pensent que les entreprises de produits de consommation offrent un meilleur service à la clientèle que le gouvernement, et que huit Canadiens sur dix pensent que la navigation dans les services gouvernementaux serait plus simple avec davantage d’outils numériques. Les Canadiens ont également indiqué que les processus longs et déroutants figuraient au haut de leur liste de plaintes.

Bref, les Canadiens veulent de meilleurs services gouvernementaux numériques, et nos gouvernements ne suivent pas le rythme du reste du monde, qui accélère. Cependant, l’accès pratique à des services gouvernementaux est loin d’être le seul défi. Les investissements technologiques limités augmentent les risques en matière de cybersécurité et les coûts incalculables associés à ceux-ci.

Dans son rapport annuel de novembre dernier, la vérificatrice générale Karen Hogan a fait part de ses préoccupations concernant les contrôles de cybersécurité du gouvernement canadien, mettant en évidence des pratiques incohérentes qui exposent des renseignements sensibles et des infrastructures numériques à des risques de cyberattaques. Elle a également souligné que les fonctionnaires canadiens hésitent davantage à adopter les nouvelles technologies que leurs homologues étrangers.

Ce dernier point a été confirmé par Accenture, qui a rapporté que seulement 28 % des fonctionnaires canadiens avaient reçu une formation en cybersécurité et en sécurité des données, et ce malgré plus de 100 cours de classe mondiale sur le domaine numérique et les données qui sont offerts par l’École de la fonction publique du Canada avec le soutien de chefs de file mondiaux dans la technologie. Les hauts fonctionnaires ne sont pas assez nombreux à insister pour qu’eux-mêmes et leurs équipes accordent la priorité à ce perfectionnement essentiel.

Les services numériques pratiques et sécurisés deviennent monnaie courante dans d’autres pays, même dans les pays en guerre. Vous m’avez souvent entendu parler de l’application ukrainienne Diia. Peu importe où qu’ils se trouvent dans le monde, les citoyens ukrainiens utilisent leurs appareils mobiles pour accéder à leurs documents d’identité les plus importants, comme les permis de conduire et les passeports, ainsi qu’à tous les services gouvernementaux les plus importants. À l’heure actuelle, plus de 90 % des adultes ukrainiens interagissent avec leur gouvernement par voie numérique; ils ne le font pas parce qu’ils sont obligés, mais parce qu’ils en apprécient la commodité et la facilité. Ce succès est dû au fait que le président Zelenski a fait du ministère de la Transformation numérique de l’Ukraine une priorité politique et qu’il a recruté des techniciens de talent et des experts chevronnés en matière de politique et de réglementation. Ces deux types de compétences sont essentiels pour assurer le progrès.

Comme il faut trouver une solution, regardons un peu les constatations du directeur parlementaire du budget. Celui-ci a indiqué qu’une transparence accrue était nécessaire. Dans le budget de 2021, on alloue 1 milliard de dollars sur sept ans à la transformation numérique. Il est toutefois difficile de trouver des réponses claires et réfléchies à propos d’éléments comme la façon de déterminer l’ordre de priorité des projets, la façon d’allouer les fonds, ainsi que les résultats et les avantages découlant de la transformation.

J’ai trouvé préoccupant de lire cette observation du directeur parlementaire du budget :

Il se peut qu’une partie de ces fonds serve à maintenir des systèmes existants, au lieu d’étendre la numérisation des services gouvernementaux.

Il est très troublant de penser que la somme de 1 milliard de dollars allouée par le gouvernement pourrait ne pas servir du tout à la transformation numérique et être plutôt utilisée pour couvrir les coûts d’entretien et de réparation toujours croissants des systèmes existants. Autrement dit, le gouvernement doit apprendre comment instaurer des solutions fiables et pratiques pour remplacer ses systèmes désuets et compliqués avant qu’ils ne s’écroulent. La transparence est un élément crucial pour assurer le suivi des progrès et mettre en place des incitatifs efficaces.

En outre, il faudrait accorder la priorité à la mise en place d’un mode d’ouverture de session unique et hautement sécurisé, ce qui serait plus pratique et sécuritaire. À l’heure actuelle, il existe plus de 270 points d’accès différents aux services numériques du gouvernement fédéral. Cette situation est non seulement peu pratique, mais elle multiplie par 270 le risque d’accès non autorisé.

J’estime que l’amélioration de la qualité et de la commodité de la prestation des services aux Canadiens devraient être le moteur de la numérisation des services gouvernementaux. Pourtant, le directeur parlementaire du budget n’a trouvé aucun indicateur de rendement clé pour orienter les améliorations au fil du temps. De plus, il n’existe aucune analyse des économies de coût prévues par rapport aux économies réelles. Étant donné que les ministères ne font pas le suivi de ces données, ils sont incapables de les fournir.

Un autre thème récurrent, c’est que les anciennes pratiques bloquent l’adoption de pratiques exemplaires. Pour être juste, il faut dire que ce problème ne se limite pas au gouvernement. Ce problème existe dans toute organisation de grande taille ou établie depuis longtemps. Il arrive trop souvent qu’une culture réfractaire au changement fasse obstacle à la transformation nécessaire et renforce le statu quo — ce qui est le cas au Sénat. Les coûts continuent d’augmenter, mais les tentatives d’apporter des changements pour améliorer l’efficience sont repoussées.

Amanda Clarke, professeure associée d’administration publique à l’Université Carleton, et une référence dans le cadre de nos travaux, a parlé de ce problème lors de son témoignage devant le Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, le 17 novembre 2022. Je la cite :

[...] peu de mesures sont prises pour embaucher et former des fonctionnaires qui aideraient le gouvernement à prendre des décisions sensées, responsables et stratégiques sur les technologies.

Elle a poursuivi en disant :

[...] les gouvernements aux premières loges de l’ère numérique [...] se sont mis à recruter activement des technologues. Ils nomment de hauts dirigeants [...] qui ont une compréhension approfondie des technologies et de leur rôle dans le processus d’élaboration des politiques.

Il existe également des obstacles structurels à la transformation. À ce propos, le directeur parlementaire du budget signale ceci : « À l’étranger, d’autres gouvernements ont repéré les lois en vigueur qui pourraient entraver la prestation de services en ligne. »

Le cloisonnement des ministères est inscrit dans le cadre législatif canadien, ce qui réduit l’interopérabilité des programmes gouvernementaux. C’est frustrant pour les citoyens et inefficace pour le gouvernement. Pour contourner le problème, au cours des dernières décennies, plus d’un millier d’accords de communication des données très pointus ont été créés entre les programmes, les organismes, les ministères et les provinces. Si l’on veut que le gouvernement priorise l’intérêt des citoyens, il faut permettre aux ministères d’aménager une architecture logicielle commune capable d’assurer la prestation des services de manière beaucoup plus pratique pour les citoyens qui choisissent d’interagir avec le gouvernement par la voie numérique.

Selon le directeur parlementaire du budget, une clarification de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de la Loi sur la gestion des finances publiques et de la Loi sur l’accès à l’information s’impose si l’on veut conférer aux citoyens le droit de contrôler l’utilisation de leurs renseignements personnels au sein des ministères et des organismes ainsi qu’entre les divers ordres de gouvernement.

Je dirais qu’Ottawa se heurte encore à un autre obstacle lorsqu’il s’agit de transformation numérique, à savoir le fantôme de la débâcle du système de paie Phénix. Dès les premiers travaux de planification en 2007, ceux qui ont structuré le projet Phénix ont ignoré les pratiques de développement agile et itératif de l’industrie du logiciel. Le rapport de 2018 du Comité sénatorial des finances nationales a bien documenté la question, mais je souligne que les avantages connus de cet investissement étaient minuscules par rapport aux risques.

Lorsqu’il a été conclu en 2011, le contrat de 310 millions de dollars visant à créer un système de rémunération fédéral centralisé devait permettre d’économiser environ 70 millions de dollars par an. En soi, cela semble être un rendement raisonnable, mais cet énorme projet était voué à l’échec si l’on tient compte de sa complexité et des risques qu’il comportait. À l’époque, le Canada comptait 290 000 fonctionnaires fédéraux régis par 105 conventions collectives et plus de 80 000 règles salariales différentes, pour une masse salariale totale de 22 milliards de dollars par an. Selon les experts, les problèmes auraient pu être évités si le projet Phénix avait été divisé en plusieurs éléments, chacun ayant été testé de manière rigoureuse et mis à l’échelle de manière systématique.

Je pense qu’on a tiré des leçons du projet Phénix. Il suffit de penser à la rapidité remarquable avec laquelle la Prestation canadienne d’urgence a été conçue, mise en œuvre et systématiquement versée aux Canadiens en avril 2020, à un moment où le pays traversait une énorme crise. Ce n’était pas parfait, mais cela montre qu’il existe au sein de la fonction publique des dirigeants qui connaissent des pratiques pour éviter les erreurs du passé et concevoir de nouvelles plates-formes.

Dans les dernières années, la responsabilité de la transformation numérique est passée entre les mains de divers ministères, comme si on évitait de s’en occuper. Pour faire des progrès, il est essentiel d’établir clairement qui est responsable et qui a les pouvoirs et les ressources nécessaires pour assurer la prestation de services gouvernementaux numériques aux citoyens.

En résumé, honorables collègues, nous devons avoir comme priorité d’intégrer les technologies numériques à l’ensemble des services afin de rendre la prestation de services gouvernementaux plus pratique et économique par rapport à la prestation de services moins rapide et plus coûteuse qui repose sur les technologies analogiques, le papier et la main-d’œuvre.

Pour y parvenir, il faut accroître la transparence en ce qui a trait non seulement aux coûts, mais aussi aux économies et aux améliorations quantifiées au chapitre de la prestation des services. Il faut également privilégier les pratiques exemplaires plutôt que les anciennes pratiques en apportant des changements législatifs, réglementaires et stratégiques afin d’axer la prestation de services gouvernementaux sur le citoyen. Il faut en outre être disposé à faire le point sur les progrès réalisés et à tirer des leçons à la fois des réussites et des erreurs. Enfin, il faut donner les moyens nécessaires aux ministres et aux fonctionnaires qui sont déterminés à transformer l’expérience du citoyen.

J’aimerais finir mon intervention comme je l’ai commencée en disant que, pour être crédible et digne de confiance, un gouvernement doit répondre aux besoins des citoyens en adoptant les pratiques actuelles au lieu de s’en tenir aux méthodes du passé. Pour ce faire, les gouvernements doivent offrir les services commodes et de qualité qui satisfont aux attentes des citoyens et des entreprises dans un monde de plus en plus numérique.

Honorables collègues, je vous invite à intervenir dans le débat sur cette motion et je vous demande d’appuyer cette motion lorsque viendra le temps de voter. J’espère que nous pourrons ainsi aider les talentueux et loyaux fonctionnaires qui cherchent désespérément à opérer ce changement en leur accordant le soutien politique dont ils ont besoin.

Merci, honorables collègues.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénatrice Miville-Dechêne, il ne reste que 35 secondes. Vouliez-vous poser une question?

L’honorable Julie Miville-Dechêne

Sénateur Deacon, accepteriez-vous de répondre à une question?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénateur Deacon, demandez-vous cinq minutes de plus pour répondre la question?

Le sénateur C. Deacon [ + ]

Oui, s’il vous plaît.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Le consentement est‑il accordé, honorables sénateurs?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

La permission n’est pas accordée.

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