Le décès du très honorable Brian Mulroney, c.p., C.C., G.O.Q.
Interpellation--Ajournement du débat
10 avril 2024
conformément au préavis donné par la sénatrice LaBoucane-Benson le 19 mars 2024 :
Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur la vie de feu le très honorable Brian Mulroney, c.p.
— Honorables sénateurs, je sais que je suis très en retard, mais je tiens tout de même à rendre hommage brièvement à mon tour au regretté Brian Mulroney, un premier ministre marquant. Je l’ai couvert comme correspondante parlementaire pendant ses dernières années au pouvoir, de 1989 à 1993; ces années n’ont pas été faciles. Avant tout, je lui suis encore très reconnaissante de sa persistance dans sa tentative de convaincre les provinces anglophones que le Québec était et devait être reconnu comme une société distincte. Rien n’y fit. Il a payé cher en popularité son entêtement, qui était admirable à mes yeux. Je veux le répéter en sa mémoire. Le Québec est et demeurera une société distincte.
Avec le recul, l’héritage de Brian Mulroney est indéniable, mais à cette époque, j’avais l’insolence et le front d’une jeune journaliste de 30 ans. J’ai déplu à Brian Mulroney avec un reportage un peu tendancieux où je montrais le champagne coulant à flots dans un événement conservateur, ce qui contrastait avec les sans-abri filmés dehors. À Kennebunkport, j’avais aussi profondément irrité le premier ministre, qui aimait le décorum, en lançant un début de question en français alors que le président Bush n’avait pas tout à fait fini sa réponse. Oh là là! Toutefois, ce premier ministre voulait aussi être aimé et charmer son entourage jusqu’à la fin.
En juin 1993, quand il est arrivé à Rideau Hall au volant de sa Jeep pour officialiser sa démission, je lui avais demandé s’il avait un permis de conduire en règle, puisqu’il avait eu un chauffeur à son service pendant neuf ans. En riant, il me l’a montré en disant qu’il l’avait apporté juste pour moi.
Je ne suis pas la seule dans ma famille à avoir côtoyé et admiré M. Mulroney. Mon conjoint, Marc Gilbert, a produit le documentaire pour TVA qui accompagnait la publication de ses mémoires en 2007. Le tournage à Baie-Comeau fut mémorable. Visiblement heureux de se retrouver là, Brian Mulroney s’installa en plein milieu du boulevard la Salle pour une première entrevue, mais il était constamment interrompu par des piétons ou des automobilistes qui voulaient saluer l’ex-premier ministre et député.
Ce qui était frappant, c’est que celui que l’on surnommait ici le « p’tit gars de Baie-Comeau » se souvenait des noms de tous les gens qui le saluaient. Il s’empressait de leur serrer la main et de prendre des nouvelles d’eux ou des membres de leur famille. Il avait fréquenté les grands de ce monde, mais il était heureux chez lui, dans cette petite ville où il avait grandi entre francophones et anglophones, entre catholiques et protestants.
Il raconta, par exemple, que lorsqu’il était petit garçon, sa mère l’envoyait chaque vendredi à la papetière pour aller chercher la paie de son père. À l’époque, les femmes n’avaient pas le droit d’entrer dans l’usine et les paies étaient versées en argent comptant. Une fois l’argent remis à sa mère, celle-ci pouvait aller faire ses courses à l’épicerie. D’ailleurs, selon son fils Brian, le vendredi soir était le seul soir où il était certain de manger de la viande.
J’ai une dernière anecdote : à la fin de son adolescence, il passa tout un été à charger des sacs de grain dans les bateaux de la compagnie Cargill, qui utilisait le port en eaux profondes de Baie‑Comeau pour transférer le blé de l’Ouest canadien vers l’Europe. C’était un travail éreintant, puisque les poches de blé pesaient 100 livres et qu’il devait les porter sur son dos. C’est de là, disait M. Mulroney, que lui venait son respect pour les travailleurs manuels, pour ceux et celles qui n’avaient pas le choix d’un métier et qui gagnaient leur vie à la force de leur travail.
M. Mulroney, je le sais, a beaucoup parlé de ses humbles origines, mais il est essentiel de les connaître pour comprendre l’homme politique qu’il est devenu et qui a marqué notre histoire.
Que son âme repose en paix.