Le courage, la bravoure et le sacrifice d'Alexeï Navalny
Interpellation--Ajournement du débat
16 avril 2024
Ayant donné préavis le 27 février 2024 :
Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur le courage, la bravoure et le sacrifice d’Alexeï Navalny et des autres prisonniers politiques persécutés par la Russie de Poutine.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour attirer votre attention sur les contributions extraordinaires d’un homme extraordinaire à une époque extraordinaire. J’ai nommé Alexeï Navalny.
Sa mort est un coup dur pour tous les amoureux de la liberté dans le monde, et c’est un coup particulièrement dur pour les Russes qui aspirent aux libertés que nous considérons comme acquises : la liberté d’expression, la liberté d’association, la liberté d’organiser des élections équitables et la liberté, pour notre génération et les générations futures, de vivre dans la paix et la sécurité.
La force de Navalny était son courage. Il ne connaissait pas la peur et, même s’il la connaissait, il n’y cédait pas. L’œuvre de sa vie en témoigne. Il a débusqué et documenté la corruption de l’État et d’acteurs étatiques en Russie. Il a révélé la corruption au sein de la sphère politique russe, mettant en évidence des détournements de fonds publics et des transactions douteuses aux plus hauts échelons du gouvernement. Il a fondé la Fondation anticorruption et a commencé à documenter les malversations systémiques bien ancrées des dirigeants gouvernementaux influents en Russie. Il a eu le courage de fournir des noms et, grâce à ses commentaires tranchants, il a attiré beaucoup d’attention et s’est imposé comme une voix incontournable. Il a dénoncé les « escrocs et voleurs » du parti au pouvoir. Il a révélé au peuple russe l’existence du palais de Vladimir Poutine, avec des clôtures qui le rendent imprenable, un port, son propre système de sécurité, son église, son système de permis, une zone d’exclusion aérienne et même son propre poste frontalier. Il a dit aux Russes : « Il s’agit d’un État absolument distinct au sein de la Russie. » Pour cela, Navalny a été poursuivi sans relâche par l’État russe et emprisonné à maintes reprises.
D’une certaine façon, la poursuite incessante de Navalny par le système a fait passer son image de celle d’un leader en ligne à celle d’un vrai leader, en chair et en os. Malgré bon nombre d’arrestations et de simulacres de procès durant sa quête de transparence et de reddition de comptes, M. Navalny a continué de s’opposer au régime. Il est devenu encore davantage ciblé et a été victime d’un empoisonnement tout à fait bizarre en août 2020. Des agents secrets russes ont infecté ses sous-vêtements avec l’agent neurotoxique Novitchok.
Quand on lit cela, on se croirait dans un film de James Bond 007, mais non, c’était une attaque réelle et grave contre sa vie.
L’empoisonnement en question vient mettre en évidence les risques personnels encourus par M. Navalny dans sa quête de changement et provoque des demandes en faveur d’une enquête indépendante. Le fait de survivre à l’attaque consolide encore sa réputation de personnalité résiliente qui s’oppose à des adversaires puissants. En dépit de cette tentative d’assassinat, M. Navalny décide de retourner en Russie, sachant très bien qu’il sera arrêté à son arrivée.
Il est difficile de comprendre cette décision et son état d’esprit, mais il a déclaré :
Je ne veux renoncer ni à mon pays ni à mes convictions. Je ne peux trahir ni le premier ni les secondes. Si tes convictions valent quelque chose, tu dois être prêt à les défendre. Et, s’il le faut, à accepter des sacrifices.
Alexeï passe les années suivantes dans les pires conditions de détention, en isolement cellulaire et dans des conditions carcérales insupportables. Néanmoins, il n’hésite jamais à exprimer ses espoirs et ses aspirations pour une Russie libre et démocratique. Sa ténacité face à l’adversité est une source d’inspiration pour un grand nombre de personnes qui aspirent à créer une Russie plus juste et plus redevable, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières. Il a un plan d’avenir pour la Russie, un plan auquel, je pense, chacun d’entre nous, l’humanité toute entière, peut souscrire. Il a affirmé :
Je veux que la Russie soit aussi riche qu’elle peut l’être. Je veux que cette richesse soit répartie équitablement. Je veux que nous ayons des soins de santé normaux. Je veux voir les hommes…
Je suis sûr qu’il pensait aussi aux femmes. Il poursuit :
...vivre assez longtemps pour prendre leur retraite : de nos jours, la moitié d’entre eux n’y parviennent pas. Je veux que nous ayons un système d’éducation normal, et je veux que tout le monde reçoive une éducation.
Pour tout cela, nous savons qu’il a perdu la vie.
Son épouse, Ioulia Navalnaïa, et ses nombreux partisans se sont engagés à suivre ses traces et à perpétuer sa vision de la Russie. Mme Navalnaïa a déclaré :
Je vais poursuivre le travail d’Alexeï Navalny [...] Je vous appelle à vous tenir à mes côtés [...] Nous devons saisir toutes les occasions qui se présentent pour lutter contre la guerre, contre la corruption et contre l’injustice; pour lutter pour des élections équitables et la liberté d’expression. Nous devons nous battre pour récupérer notre pays.
Malheureusement, chers collègues, le cas d’Alexeï Navalny n’est pas isolé. Des milliers d’autres personnes croupissent dans ces prisons sibériennes aux conditions insoutenables et hostiles. Vladimir Kara-Mourza, un citoyen canadien honoraire, est l’un d’entre eux. Vous vous souviendrez que, l’année dernière, le Sénat ainsi que l’autre endroit lui ont conféré la citoyenneté canadienne honoraire. Je crois que la citoyenneté canadienne honoraire n’avait été accordée qu’à sept autres personnes auparavant.
Pourquoi avons-nous fait cela? Tout d’abord, parce que cet homme le méritait, mais aussi parce que nous voulions lui offrir une protection, et que la citoyenneté honoraire offre une protection.
Nous pouvons aller plus loin. Nous pouvons lui conférer la citoyenneté à la Chambre des communes, comme nous l’avons fait pour Malala Yousafzai et d’autres. Même si nous savons que la Russie ne l’autorisera jamais à venir accepter la citoyenneté, son épouse, Evgenia Kara-Murza, qui a été reconnue dans cette enceinte alors qu’elle y était présente, représenterait l’œuvre de sa vie et soulignerait, une fois de plus, le fait que le Canada croit en sa liberté et en sa protection en agissant de la sorte.
Nous disposons également d’autres outils pour demander des comptes à la Russie. Nous pouvons l’obliger à rendre des comptes là où ça fait mal, c’est-à-dire dans son portefeuille. La Russie possède près de 400 milliards de dollars d’actifs dissimulés dans les systèmes financiers occidentaux. Il est temps de nous coordonner et de travailler avec nos partenaires du G7, de saisir ces actifs et de les utiliser pour compenser les crimes que la Russie commet contre les Ukrainiens. Notre gouvernement devrait agir de toute urgence sur ce front et, comble de l’ironie, baptiser cette démarche la loi de Navalny.
Pour conclure, je reviens à la qualité principale de M. Navalny : son intrépidité. Il n’a pas eu peur de Vladimir Poutine, et nous ne devrions pas en avoir peur non plus. Comme M. Navalny, nous devons faire preuve de courage et d’intrépidité face à un dictateur qui agit en toute impunité, qui déclare la guerre à une nation souveraine et qui peut gagner de l’argent, le garder et le cacher pendant que des milliers de personnes souffrent.
Honorables sénateurs, céder à la peur déshonorerait la mémoire de M. Navalny. J’exhorte le Sénat à se tenir debout et à manifester le courage et l’intrépidité dont il a fait preuve.
Merci.
Chers collègues, le 16 février dernier, le décès à l’âge de 47 ans de l’avocat et activiste politique russe Alexeï Navalny dans une colonie pénitentiaire de l’Arctique russe a provoqué une onde de choc mondiale.
Après les assassinats très publics d’Anna Politkovskaïa, journaliste et militante des droits de la personne, dans l’ascenseur de son immeuble en plein cœur de Moscou, et de Boris Nemtsov, ancien vice-premier ministre russe, en pleine rue, tout près de la place Rouge, le régime dictatorial du président Poutine a choisi cette fois-ci d’éliminer un opposant devenu trop célèbre dans le secret d’une prison très éloignée de Moscou.
Quel que soit le moyen choisi — assassinat, chute malheureuse du haut d’un édifice, écrasement d’avion, empoisonnement ou mort en prison —, le message du régime Poutine est toujours le même à ceux qui voudraient le contester : « Jouez avec nous ou mourez. »
La citation qu’on attribue à Staline semble de plus en plus convenir au président Poutine : « La mort résout tous les problèmes. Pas d’hommes, pas de problèmes. »
La lutte de Navalny pour la démocratie a commencé avec des manifestations à l’hiver de 2011-2012, quand il a créé la Fondation anticorruption, ce qui lui a valu ses premières peines de prison.
En juillet 2013, le système judiciaire russe le condamne à cinq ans de camp pour détournement d’argent allégué, peine pour laquelle il obtient un sursis en appel, même de la part de juges qui sont enclins à faire ce que le régime demande.
En 2018, alors qu’il tente de devenir candidat à l’élection présidentielle, la commission électorale le déclare inadmissible en raison de ses précédentes condamnations criminelles. En effet, pour le système russe, il était un criminel jugé et condamné.
En 2020, il est victime d’un empoisonnement qui l’a plongé dans le coma, l’obligeant à des mois de traitement et de rééducation en Allemagne.
Il savait, lorsqu’il est retourné en Russie le 17 janvier 2021, après sa longue convalescence, qu’il risquait de nouveau la prison. C’est ce qui s’est passé. Il a été arrêté dès sa descente de l’avion. Le 2 février 2021, le système judiciaire russe transforme une peine précédente de sursis en peine de prison ferme. Il est alors envoyé dans une colonie pénitentiaire pour deux ans et demi. Sa fondation est dissoute pour extrémisme, puis Navalny est inscrit sur la liste des terroristes et extrémistes par le régime. Le système n’y va pas de main morte avec les dissidents.
En mars 2022, il est condamné à neuf ans de prison pour escroquerie et outrage à magistrat.
Enfin, en août 2023, il est de nouveau jugé coupable pour extrémisme et écope cette fois d’une peine de 19 ans de prison. Il est ensuite transféré depuis sa prison de l’est de Moscou vers une colonie pénitentiaire de Sibérie. Autrement dit, on le met aux oubliettes. Cela ne l’empêche pas d’être vu en Russie et dans le monde comme un combattant pour la démocratie qui tient toujours tête au président Poutine.
Le 16 février 2024, à quelques semaines des élections présidentielles russes, les autorités pénitentiaires annoncent son décès. Même si deux mois ont passé depuis sa mort, les circonstances de son décès demeurent toujours floues et inconnues. Pour sa veuve, Ioulia Navalnaïa, il s’agit d’un assassinat ordonné par Poutine pour faire disparaître son plus grand opposant et critique. Elle a déclaré ce qui suit devant le Parlement européen le 28 février dernier :
Poutine a tué mon mari. Sur ses ordres, Alexeï a été torturé pendant trois ans. Il a été affamé dans une cellule de pierre minuscule, il a été coupé du monde extérieur […]
Elle a ajouté : « Puis ils l’ont tué. Même après cela, ils ont malmené sa dépouille et traité sa mère sans ménagements. »
Par le biais des médias officiels, le gouvernement russe a menacé d’emprisonner son épouse, qui est maintenant sa veuve, à son arrivée.
Les funérailles de M. Navalny ont dû être organisées par sa mère, Lioudmila Navalnaïa. Les autorités russes ont tenté de la contraindre à organiser des funérailles privées et secrètes, menaçant même de laisser le corps de Navalny se décomposer si elle refusait. Son corps a finalement été rendu à sa mère le 24 février, huit jours après sa mort. Sa mère et les personnes qui lui prêtaient main-forte ont eu de la difficulté à trouver un endroit pour tenir les funérailles. En effet, il n’y avait pas de salon funéraire ou d’église disponible, même pour des funérailles privées, car les gens craignaient des représailles de la part des autorités.
Le 27 février, Vasily Dubkov, l’avocat de Navalny, a été brièvement détenu à Moscou pour « violation de l’ordre public », dans le cadre des mesures de répression prises par les autorités russes contre l’équipe juridique de Navalny et de la Fondation anticorruption.
Finalement, la cérémonie d’adieu de M. Navalny a eu lieu le 1er mars dans le quartier de Maryino, d’où il était originaire, en banlieue de Moscou.
Des milliers de personnes y ont assisté malgré une forte présence policière et la crainte des représailles auxquelles beaucoup risquent désormais d’être exposés.
Comme nous le savons tous, les dernières élections présidentielles en Russie ont eu lieu du 15 au 17 mars. Il est important de signaler qu’il était obligatoire de voter et que le scrutin s’est déroulé en grande partie par voie électronique. Au sujet des élections russes, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a déclaré :
L’élection présidentielle en Russie a été un processus non démocratique qui n’est pas conforme aux normes internationales. Les irrégularités comprennent une procédure de nomination partiale et excluante, l’abus de ressources publiques en faveur de la candidature de Vladimir Poutine, une couverture médiatique extrêmement déséquilibrée, l’absence de débat public sur les questions politiques et l’absence de garanties de secret dans le vote électronique. Le système a été conçu de manière à avantager le candidat choisi et à priver les électeurs d’un choix réel bien avant le début du scrutin.
Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a déclaré :
La récente élection présidentielle russe s’est déroulée dans un contexte de répression intense des opinions indépendantes et d’emprisonnement, de mort ou d’exil de la quasi-totalité de l’opposition politique réelle. Le Kremlin a systématiquement marginalisé les groupes qui défendent les processus démocratiques et l’État de droit, y compris les observateurs électoraux. En outre, les autorités russes ont refusé l’inscription à l’élection présidentielle de candidats antiguerre sous des prétextes techniques fallacieux, et elles n’ont pas invité le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, ni aucune autre organisation internationale crédible, à observer le déroulement du scrutin. Ces mesures montrent à quel point le Kremlin a privé ses citoyens d’un processus démocratique transparent et significatif. Dans un tel contexte, cette élection ne peut être qualifiée que d’antidémocratique.
Malgré tout cela, Vladimir Poutine n’a récolté que 88 % des votes. Autrement dit, en dépit de la peur que le régime a instaurée au fil des ans, de l’absence de véritables candidats adversaires et de la fiabilité douteuse du vote électronique, au moins 12 % des Russes ont osé voté contre lui.
Que devons-nous faire au Canada?
Permettez-moi de citer encore une fois la veuve de M. Navalny. Dans un discours prononcé devant le Parlement européen, elle a déclaré :
Vous n’arriverez pas à vaincre Poutine en adoptant une nouvelle résolution ou en imposant un nouveau régime de sanctions en tout point semblables aux précédents. Vous n’arriverez pas à le vaincre si vous le considérez comme un homme de principes qui a un sens moral et qui respecte les règles. Il n’est pas ce genre d’homme, et Alexeï l’avait compris depuis longtemps. Vous n’avez pas affaire à un politicien, mais à un mafieux qui a du sang sur les mains [...]
Elle a ajouté :
Vous, comme nous tous, devez combattre ce gang criminel. L’innovation politique consisterait à délaisser les règles de l’arène politique pour plutôt employer des méthodes de lutte contre le crime organisé. Il faut non pas des notes diplomatiques, mais des enquêtes sur les montages financiers. Il faut non pas des exposés des faits, mais des recherches pour débusquer les collaborateurs de cette mafia qui se trouvent dans vos pays respectifs, ainsi que les avocats et les financiers qui, dans l’ombre, aident Poutine et ses amis à dissimuler de l’argent.
C’est un message similaire à celui lancé par notre collègue la sénatrice Omidvar, qui demande le renforcement de la loi de Magnitski afin de permettre la confiscation des actifs de Poutine et de ses alliés qui ont été saisis au Canada. Nous devrions agir en ce sens.
L’honorable Irwin Cotler, Bill Browder — l’homme à l’origine des lois de Magnitski partout dans le monde — et leur collègue Brandon Silver, qui travaille pour le Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne, à Montréal, ont affirmé ceci dans un article commun publié le 13 mars :
Le Canada devrait encourager ses alliés à confisquer les réserves gelées de la banque centrale russe et à appliquer des sanctions contre les architectes des emprisonnements politiques de Poutine. Le produit de telles sanctions devrait être versé à des organisations qui appuient les dissidents et leurs familles, comme la 30 October Foundation de Vladimir Kara-Murza, ainsi qu’aux victimes de la guerre d’agression de la Russie en Ukraine.
En terminant, je veux rendre hommage à Navalny, mais aussi à tous les autres opposants, célèbres ou anonymes, qui continuent de résister à la tyrannie en Russie.
Je songe bien sûr à Vladimir Kara-Murza, à qui notre Parlement a accordé, comme le mentionnait la sénatrice Omidvar, la citoyenneté canadienne honoraire, qui purge une peine de 25 ans de prison. Je songe aussi aux autres prisonniers politiques, qui seraient environ un millier, selon l’ONG OVD-Info, une organisation russe de surveillance des droits de la personne. À toutes ces personnes qui bravent le régime de Poutine et qui s’exposent à la mort et à la détention, je dis ceci : nous vous suivrons des yeux. Nous sommes là. Nous savons ce que vous faites. Ne lâchez pas. Nous ne vous oublierons pas. Vous n’êtes pas aux oubliettes. Vous êtes dans un combat pour la démocratie.
Chers collègues, merci de votre attention.
Honorables sénateurs, plaignons les habitants de la Russie, qui, comme l’a dit Alexeï Navalny, sont gouvernés par des escrocs et des voleurs. Nous savons aussi maintenant qu’ils sont gouvernés par des tueurs. J’ajoute ma voix à celles qui condamnent l’assassinat d’Alexeï Navalny.
Malheureusement, la mort soudaine d’un tenant de l’équité et de la justice a depuis longtemps cessé d’être choquante; c’est aujourd’hui monnaie courante dans la Russie de Poutine.
Peu importe ce qui est écrit sur l’acte de décès d’Alexeï Navalny, le monde entier sait que la véritable cause de sa mort, c’est un assassinat qui a été perpétré parce qu’Alexeï Navalny avait essayé de rendre le gouvernement russe transparent et de le faire répondre de ses agissements. En outre, il s’était opposé de manière très efficace aux escrocs du Kremlin qui volent l’argent du peuple pour acheter des superyachts et des manoirs dans des pays occidentaux, alors que de nombreux citoyens russes n’ont pas l’eau courante chez eux.
Alexeï Navalny n’était pas une voix dans le désert, même après son emprisonnement là-bas. Sa voix était largement entendue et elle dénonçait les mensonges officiels et les fantasmes du gouvernement russe. Les Russes l’entendaient et ils savaient qu’il existait une opposition, une solution de rechange, même si elle était réprimée et menacée par les gens au pouvoir.
Pourquoi prenons-nous la parole aujourd’hui? Quelle incidence quelques discours prononcés au Sénat canadien peuvent-ils avoir sur la Russie? Si nous prenons la parole, c’est pour ne jamais oublier les efforts des nombreux Russes courageux qui ont tenu tête à Poutine et à ses acolytes, qui ont été décrits comme une organisation criminelle se faisant passer pour un gouvernement.
Les sénateurs se souviendront de la loi de Magnitski. Tout comme nous le faisons aujourd’hui, à l’époque, nous parlions de Sergueï Magnitski, qui est devenu un martyr à cause de ses prises de position, et du prix qu’il a payé pour ces dernières. Sergueï Magnitski était un avocat-fiscaliste qui enquêtait sur le vol de sceaux sociaux et de documents connexes au sein de la société pour laquelle il travaillait. Ce vol impliquait des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur de la Russie et il a conduit à la découverte d’une fraude fiscale de 230 millions de dollars. Au cours de l’enquête, M. Magnitski a conclu que la société, loin d’être à l’origine de la fraude, était plutôt la victime d’actes répréhensibles commis par des dirigeants corrompus. Malheureusement pour M. Magnitski, ces dirigeants l’ont ensuite accusé du crime, puis ils l’ont envoyé en prison, où son état de santé s’est détérioré parce qu’il était victime de mauvais traitements et privé de soins médicaux vitaux.
Il est mort en prison, mais le gouvernement russe l’a accusé et condamné pour fraude fiscale cinq ans plus tard.
Comme Alexeï Navalny, Sergueï Magnitski a payé de sa vie, mais il ne faut pas oublier que si les fonctionnaires pensaient résoudre leurs problèmes en laissant M. Magnitski mourir en prison, ils se sont trompés. Depuis sa mort, des pays du monde entier, dont le Canada, ont adopté ce qu’on appelle la loi de Magnitski, qui impose des sanctions aux personnes qui ont commis des violations des droits de la personne ou qui ont été impliquées dans une affaire de corruption.
La mort d’Alexeï Navalny, tout comme celle de Sergueï Magnitski, ne met pas fin aux problèmes qu’il pose aux personnes au pouvoir en Russie. Après tout, si sa critique du régime actuel n’avait pas suscité l’intérêt des Russes ordinaires, il aurait pu être ignoré en toute sécurité, plutôt que d’être harcelé, emprisonné et finalement tué. Les critiques ne disparaîtront pas. Le désir de reddition de comptes est toujours présent. Son rêve se perpétuera dans le cœur de ceux qui espèrent une Russie libre.
Ce meurtre, tout comme celui de Sergueï Magnitski, ne tombera pas dans l’oubli. Les responsables en paieront le prix. Voilà pourquoi les pays occidentaux doivent faire front commun. Nous devons nous faire entendre, et non nous taire.
Chers collègues, je terminerai en citant une formule russe courante, attribuée à de nombreuses personnes, au sujet de leur gouvernement : « Nous savons qu’ils mentent; ils savent qu’ils mentent; ils savent que nous savons qu’ils mentent; nous savons qu’ils savent que nous savons qu’ils mentent; et pourtant, ils continuent de mentir. »
Je veux d’abord à mon tour remercier la sénatrice Omidvar d’avoir lancé cette interpellation dans la foulée de la mort du prisonnier politique Alexeï Navalny, qui a consacré sa vie à la lutte contre la corruption et pour la démocratie en Russie. Je tiens à mettre en lumière le courage d’Alexeï Navalny, victime d’un régime répressif. Ce courage est une leçon pour nous, qui vivons dans une démocratie.
En décembre dernier, Alexeï Navalny a été transféré dans une colonie pénitentiaire de Sibérie, réputée comme l’une des plus dures au pays. Étant donné les conditions de vie extrêmement difficiles, les défenseurs du prisonnier avaient exprimé haut et fort leurs craintes qu’il y laisse sa peau. Leurs craintes se sont concrétisées le 16 février dernier. Les autorités russes prétendent que Navalny a succombé au syndrome de la mort subite lors d’une promenade, alors que, une journée avant son décès, Navalny était apparu en bonne santé devant un tribunal. Plusieurs pays occidentaux, dont l’Union européenne, les États-Unis et la France, ont accusé le président russe, Vladimir Poutine, d’être responsable de sa mort, réclamant en vain une enquête internationale indépendante et transparente sur cette mort suspecte.
Alexeï Navalny a souvent affirmé qu’il avait la profonde conviction que, pour combattre un régime comme la Russie, il fallait être prêt à mourir, et il l’a prouvé en retournant en Russie en 2021, malgré son dernier empoisonnement hautement médiatisé au Novitchok, un poison répandu dans l’ex-URSS et aujourd’hui en Russie. Dans une de ses vidéos sur YouTube, il a même réussi à piéger l’un de ses empoisonneurs en se faisant passer pour l’un de ses supérieurs à qui il devait faire rapport. C’est aussi cela, la force Navalny : une dérision totale du pouvoir corrompu de la Russie, dénoncé au grand jour et accessible à tous.
Selon un article paru dans iPolitics, et je cite :
[...] sans l’opposant Navalny, la Russie terminera sa transition vers une invulnérabilité politique totale avec à sa tête Vladimir Poutine [...] La mort de ce personnage hors du commun marque la fin d’une époque de l’histoire postsoviétique et marque un tournant définitif dans l’éphémère expérience démocratique de la Russie.
Même en prison, Navalny restait une figure emblématique de la nouvelle Russie contre Poutine. Il était l’opposant au régime le plus connu et le plus vocal en Russie et à l’étranger, toujours direct et cinglant. Déjà en 2011, voici ce qu’il disait, et je cite : « La corruption est le fondement de la Russie contemporaine, c’est le fondement du pouvoir politique de M. Poutine. »
À l’annonce de sa mort, sa femme, Ioulia Navalnaïa, a promis de poursuivre la lutte et a réclamé l’isolement diplomatique de la Russie pour une principale raison :
[...] que personne dans le monde ne reconnaisse Poutine comme un président légitime [pour] que personne ne s’assoie avec lui à la table des négociations.
En effet, plus Navalny devenait populaire, plus le gouvernement utilisait des méthodes autoritaires pour le faire taire. Il a notamment été exclu des médias d’État, il a séjourné plusieurs fois en prison, il a survécu à des tentatives d’empoisonnement, mais Navalny a toujours fait preuve d’une capacité inébranlable de résistance.
Alexeï Navalny a commencé son combat contre la corruption en Russie sur son blogue, puis sur sa chaîne YouTube dès le milieu des années 2000. Une de ses vidéos les plus populaires porte sur la construction du palais de Vladimir Poutine, sur les côtes de la mer Noire, une résidence d’une valeur d’un milliard de dollars américains. En parallèle, il a concentré ses efforts anticorruption en dénonçant des personnalités éminentes de l’élite, attirant l’attention de plusieurs pays à l’étranger grâce aux efforts de sa fondation. Cependant, les tribunaux ont jugé que son organisation était extrémiste et a mis la clé dans la porte.
Comme il ne pouvait pas se présenter aux élections de 2024 depuis sa prison, son équipe et lui ont continué d’influencer la politique afin de contrecarrer les campagnes des candidats pro‑Kremlin. Des manifestations généralisées contre la détention de Navalny ont suivi à Moscou et dans plus de 100 autres villes. Elles ont été accueillies par une répression policière qui a mené à plus de 5 000 arrestations.
La mort d’Alexeï Navalny a mis de nouveau en lumière les conditions des prisonniers politiques en Russie. D’ailleurs, la rapporteuse spéciale des Nations unies pour les droits de l’homme a évoqué en 2023, et je cite, « [...] la politique actuelle de l’État qui consiste à criminaliser toute dissidence réelle ou perçue [...] ».
Elle a dit également ce qui suit :
Les autorités russes ont ainsi fermé l’espace civique, réduisant au silence la dissidence publique et les médias indépendants [...]
Parce que c’est aussi cela, l’héritage d’Alexeï Navalny; un combat toujours d’actualité pour la démocratie et contre la corruption des élites. Il y a encore tellement d’opposants qui se battent pour une Russie démocratique sans Poutine et qui subissent de graves conséquences à cause de cette lutte.
Pas plus tard que le 12 mars dernier, l’opposant russe en exil Leonid Volkov, l’ex-bras droit de Navalny, a subi une attaque au gaz lacrymogène et au marteau devant chez lui, en Lituanie.
Le Sénat a accordé la citoyenneté honoraire à un valeureux dissident, Vladimir Kara-Murza, emprisonné après qu’il s’est prononcé contre la guerre en Ukraine. En fait, parler contre le gouvernement en Russie, c’est prendre le risque d’être réduit au silence soit par l’emprisonnement, soit par le meurtre.
Que devons-nous faire? Je vous laisse sur ces mots puissants d’Alexeï Navalny, et je cite : « S’ils décident de me tuer, vous n’avez pas le droit d’abandonner. »
Je vous remercie.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation présentée par notre collègue la sénatrice Omidvar concernant la vie et les sacrifices d’Alexeï Navalny. Je tiens à remercier la sénatrice Omidvar d’avoir lancé cette interpellation et de permettre aux sénateurs d’ajouter leurs observations en souvenir d’un militant anticorruption, d’un symbole des droits démocratiques et d’un défenseur de la liberté de parole.
L’enfance et l’éducation de M. Navalny ont été banales à bien des égards. Il était le fils d’un officier de l’Armée rouge, et ses parents dirigeaient une usine de paniers. Il a obtenu un diplôme de droit, puis a entrepris des études en finances et en valeurs mobilières et a obtenu une bourse du programme des chercheurs du monde de l’Université Yale. Il a travaillé comme avocat spécialisé en immobilier et rédigé un blogue financier destiné aux investisseurs. C’est par l’intermédiaire de ce blogue que M. Navalny en est venu à dévoiler les vols et les abus au sein des entreprises d’État.
Au-delà de son blogue et de son militantisme politique, M. Navalny est passé maître dans l’utilisation des médias sociaux dans le but de promouvoir et de mettre en lumière les préoccupations et les points de vue de nombreux Russes afin que leur voix soit entendue. Son blogue financier a été critique à l’égard du président Poutine, qui, à défaut de les condamner, tolérait certainement les abus financiers au sein des entreprises d’État.
En raison de ces protestations et du fait que les Russes avaient maintenant le courage de s’exprimer, M. Navalny est devenu un des leaders d’une opposition saine et vigoureuse. Chers collègues, nous savons tous ce qui est arrivé à partir de ce moment.
Il a fait des séjours en prison le reste de sa vie. Il a été en état d’arrestation pendant des années, puis jugé pour de fausses accusations de détournement de fonds — pour ensuite être condamné avec sursis —, et même de terrorisme et d’extrémisme, ce qui aurait pu lui valoir une peine de 30 ans d’emprisonnement.
Alexeï Navalny est devenu presque aveugle en 2017 lorsqu’on lui a jeté au visage de la teinture verte mélangée à de l’acide. Par la suite, on lui a interdit de se présenter à toute élection démocratique.
Il a survécu à plusieurs tentatives d’empoisonnement, dont la première lorsqu’il a passé du temps en prison pour avoir encouragé des manifestations non autorisées. La seconde a eu lieu alors qu’il se trouvait dans un avion au-dessus de la Sibérie. Il a finalement été transporté par avion en Allemagne, où il a été confirmé qu’il avait été empoisonné avec un agent chimique de guerre neurotoxique.
Comme vous l’avez déjà entendu et, comme nous le savons tous, contre l’avis d’un grand nombre de personnes, il est retourné en Russie après son rétablissement en janvier 2021 et il a immédiatement été mis en détention et emprisonné. Il ne retrouvera plus jamais sa liberté. Ses partisans ont organisé des manifestations de masse dans plusieurs régions de la Russie, et des milliers d’entre eux ont été arrêtés et détenus pour leur participation à des rassemblements non autorisés.
Honorables sénateurs, il est impossible de ne pas reconnaître l’influence d’Alexeï Navalny et la source d’inspiration qu’il est. D’innombrables gens le considèrent comme un héros parce qu’il a levé le voile sur la corruption en Russie, donnant ainsi aux Russes le courage d’exprimer leur mécontentement envers le régime. En effet, quelques heures après l’annonce de sa mort, les hommages se sont multipliés partout dans le monde. Toutefois, dans son pays d’origine, plus de 400 Russes ont été arrêtés parce qu’ils avaient déposé des fleurs rouges sur des monuments commémoratifs de fortune.
Au cours de l’une de ses nombreuses comparutions devant les tribunaux, M. Navalny avait placé une note manuscrite contre la paroi de verre du banc des accusés. On pouvait y lire ceci : « Je n’ai pas peur, et vous ne devriez pas avoir peur. »
Au nom du gouvernement du Canada, j’offre mes sincères condoléances à Lioudmila, sa mère, à Ioulia, son épouse, à Dasha, sa fille et à Zakhar, son fils ainsi qu’à tous ses amis et aux membres de sa famille, y compris sa famille élargie que forment les millions de personnes pour qui il s’est battu et a perdu tragiquement la vie. Qu’il repose en paix.
Le 16 février dernier, dans une colonie pénitentiaire de l’Arctique russe, l’un des opposants les plus redoutables de Poutine est mort à l’âge de 47 ans. Alexeï Navalny, un homme politique prêt à tout risquer pour dénoncer la corruption du régime de Poutine, a été assassiné par le gouvernement russe 24 heures avant de faire l’objet d’un échange de prisonniers.
Alexeï Navalny n’était pas simplement un homme politique. Il était un symbole d’espoir pour des millions de Russes qui aspirent à un avenir meilleur, libéré des chaînes de la corruption et de l’oppression. Son incessante quête de vérité et de transparence a fait de lui une source constante d’irritation pour le Kremlin, puisqu’il menaçait de dévoiler la dépravation au cœur du régime de Poutine. C’est pourquoi il a payé le prix ultime.
Il est important de reconnaître que le début de la carrière politique de Navalny a été caractérisé par des positions et des déclarations qui cadrent avec des opinions extrémistes, y compris l’antisémitisme. Ses associations antérieures et ses commentaires passés avaient soulevé des préoccupations et des critiques légitimes, et il est essentiel d’y faire face et de les aborder avec honnêteté. Toutefois, il est également important de reconnaître que les gens peuvent évoluer, apprendre et changer de point de vue au fil du temps.
Au cours des dernières années, Navalny avait publiquement renoncé à ses opinions et à ses idéologies extrêmes. Il avait démontré son engagement en faveur des principes démocratiques, des droits de la personne et de la primauté du droit. Il a courageusement lutté contre la corruption et l’autoritarisme en Russie, risquant sa vie pour dénoncer les injustices systémiques qui rongent son pays. Cette nouvelle position lui a valu de puissants ennemis dans la Russie de Poutine, ce qui a fini par lui coûter la vie.
Chers collègues, nous ne pouvons pas permettre que le sacrifice de Navalny soit vain. En tant que sénateurs engagés dans la défense des droits de la personne et la promotion de la démocratie dans le monde, nous avons l’obligation morale de défendre ceux qui ne peuvent pas parler pour eux-mêmes. Nous devons user de notre voix et de notre influence pour que les tyrans et les oppresseurs répondent de leurs crimes. Nous devons travailler sans relâche pour soutenir et renforcer ceux qui luttent pour la liberté et la justice face à la tyrannie.
À cet égard, je m’en voudrais de ne pas mentionner Sergueï Magnitski, dont le nom est devenu synonyme de lutte contre la corruption et l’impunité. Quand Magnitski, qui n’était qu’un modeste avocat, a découvert un énorme système de fraude fiscale mené par des fonctionnaires corrompus, il a été arrêté, torturé et tué en détention. Son héritage est perpétué par la loi de Sergueï Magnitski adoptée grâce à une ancienne collègue estimée, la sénatrice Raynell Andreychuk.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas ignorer le rôle que joue la Russie dans le conflit actuel en Ukraine. L’invasion de la Crimée et l’agression en cours dans l’Est de l’Ukraine constituent des violations flagrantes du droit international et de la souveraineté d’un État voisin. Le soutien que le gouvernement russe accorde aux milices séparatistes et sa présence militaire continue dans la région sont sources de souffrances indicibles pour le peuple ukrainien et déstabilisent toute la région.
En tant que membres de la communauté internationale, nous avons la responsabilité de demander des comptes à la Russie pour ses actions et d’être solidaires du peuple ukrainien. Nous devons continuer à soutenir les efforts diplomatiques qui visent une résolution pacifique du conflit et à aider les personnes qui ont été déplacées ou touchées par la violence.
Nous devons aussi reconnaître que le meurtre de Navalny n’est pas un incident isolé: il s’inscrit plutôt dans un schéma plus large de violations des droits de la personne et de répression en Russie et dans d’autres régimes aux vues similaires, comme ceux de l’Iran, de la Turquie et de la Chine.
Des journalistes, des militants et des opposants politiques sont couramment harcelés, intimidés, voire tués pour s’être exprimés contre ces régimes. Je pense en ce moment à Jimmy Lai, à Hong Kong.
Cette culture de la peur et de l’impunité doit cesser si la Russie ou l’une de ces autres nations veut un jour réaliser son potentiel en tant que société démocratique et libre.
En conclusion, honorons la mémoire d’Alexeï Navalny en redoublant d’efforts pour soutenir la cause de la démocratie et des droits de la personne en Russie et dans le monde.
Soutenons le peuple ukrainien dans sa lutte pour la paix et la liberté et envoyons un message clair et sans équivoque au gouvernement russe : le monde entier regarde, et nous ne tolérerons pas la répression de la dissidence et la violation du droit international.
Merci, chers collègues.