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Le Sénat

Motion tendant à demander au gouvernement de reconnaître l’effacement des femmes et filles afghanes de la vie publique comme étant un apartheid basé sur le genre--Suite du débat

21 mai 2024


L’honorable Julie Miville-Dechêne

Chers collègues, je prends la parole à cette heure tardive pour appuyer avec conviction la motion présentée par la sénatrice Salma Ataullahjan, qui se lit comme suit :

Que le Sénat demande au gouvernement du Canada de reconnaître l’effacement des femmes et filles afghanes de la vie publique comme étant un apartheid basé sur le genre.

L’adoption de cette motion, bien que non contraignante, enverrait un signal fort aux talibans qui, en effet, veulent carrément effacer les femmes de l’espace public afghan. Nul doute que l’Afghanistan est le pire endroit où vivre quand on est une femme, et ce n’est pas peu dire.

Depuis le départ précipité du Canada de l’Afghanistan en 2021, les femmes sont les premières victimes des changements brutaux imposés par les religieux. À la séparation des sexes s’ajoute l’exclusion des femmes de l’espace public. Les filles sont bannies de l’école secondaire, de l’université et de la plupart des secteurs d’emplois. Le port de la burqa en public est obligatoire. Les parcs et les salles de sport leur sont interdits. De plus, leurs derniers refuges, les 12 000 salons de beauté qui employaient 60 000 femmes, ont été fermés par le régime.

« Fermer mon salon, cela veut dire affamer des familles entières », raconte une esthéticienne afghane déprimée qui dit qu’elle devient folle. D’ailleurs, le taux de suicide des femmes aurait explosé, selon des sources sur place. Dans ces circonstances, il est impossible de ne pas considérer les Afghanes comme des prisonnières, au sens propre comme au sens figuré, d’un régime totalitaire qui ne leur accorde aucun droit.

À première vue, il peut sembler contre-intuitif de vouloir utiliser l’expression « apartheid basé sur le genre » pour décrire ce qui se passe en Afghanistan. L’effacement des femmes n’est pas, à première vue, l’équivalent de l’apartheid, un terme lourd et codifié dans le droit international, qui renvoie automatiquement à l’apartheid racial qui a régné en Afrique du Sud — un racisme systémique, qui a été combattu par la communauté internationale et finalement aboli.

Regardons de plus près les similitudes qui existent entre les deux situations.

Le terme « apartheid », en langue afrikaans, signifie « séparation » ou « mise à part », selon la chercheuse Karima Bennoune, citée par le quotidien Le Devoir. La professeure américaine ajoute que, tout comme l’Afrique du Sud, l’Afghanistan a enchâssé la discrimination intentionnelle, systémique et omniprésente à l’encontre des femmes dans les lois du pays. Cette oppression est donc au cœur de l’idéologie politique des talibans, tout comme l’apartheid a été l’idéologie des gouvernements sud‑africains de 1948 à 1990.

Précisons d’emblée que le concept d’apartheid basé sur le genre n’est pas reconnu en droit international. C’est ce qui doit changer, selon des juristes expertes, car le droit international actuel n’est pas adapté pour sanctionner assez sévèrement la répression systémique contre les femmes qui sévit en Afghanistan. Par contre, la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, entrée en vigueur en 1976, criminalise l’apartheid. Vingt ans plus tard, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale ajoutait que le crime d’apartheid était un crime contre l’humanité, ce qui le place parmi les crimes les plus graves en droit international. Malheureusement, l’apartheid basé sur le genre ne fait pas partie de cette liste.

Selon la chercheuse Karima Bennoune, dont un article approfondi a été publié en 2023 dans la Columbia Human Rights Law Review :

Analogue à l’apartheid racial, l’apartheid de genre est un système de gouvernance basé sur des lois et/ou des politiques qui imposent une ségrégation systématique entre les femmes et les hommes et peuvent également exclure systématiquement les femmes des espaces et des sphères publics. Il codifie la subordination des femmes en violation des « principes fondamentaux reconnus par le droit international », tels que le Comité des Nations unies pour les droits économiques, sociaux et culturels caractérise le droit égal des hommes et des femmes au bénéfice de tous les droits de l’être humain.

Elle poursuit :

En fin de compte, comme l’apartheid racial l’a été pour les Sud-Africains noirs, l’apartheid de genre est un effacement de l’humanité des femmes. Tous les aspects de l’existence féminine sont contrôlés et passés au crible. L’apartheid de genre imprègne toutes les institutions et tous les espaces, publics et privés. Il n’y a pas moyen d’y échapper. Le départ de la moitié de la population du pays ne doit pourtant pas être la seule solution.

Il faut ici retenir trois choses. Pour élargir le concept d’apartheid basé sur le genre, il faudrait modifier les textes onusiens faisant référence à l’apartheid racial, et une grande mobilisation des États représentés à l’ONU serait donc nécessaire. Ce serait, disons-le, une transformation féministe marquante du droit international. Or, il n’y a pas de consensus sur un tel changement, d’où l’importance de la motion dont nous débattons au Sénat comme premier jalon.

Ce qui se passe en Afghanistan est à un tout autre niveau que la discrimination entre les femmes et les hommes qui existe dans beaucoup de pays. Par exemple, au Sénégal, la loi interdit la violence contre les femmes. Pendant que j’y étais en mission en 2017 en tant que diplomate pour le Québec, il y avait très peu, sinon aucun refuge local pour les femmes victimes de violence conjugale.

Troisièmement, certains avancent encore que la discrimination fondée sur le sexe est un enjeu religieux ou culturel, contrairement au racisme. Pourtant, on le voit bien en Afghanistan, la répression des femmes est une question politique avant tout. Les talibans interprètent et instrumentalisent la religion musulmane pour justifier ces violations des droits de toutes les femmes.

Ce qui est intéressant, quand on fouille dans le passé, c’est de se rendre compte que, lors du premier régime taliban, au milieu des années 1990, il y avait déjà une campagne internationale lancée par des féministes américaines et afghanes pour qualifier d’apartheid basé sur le genre ce qui se passait en Afghanistan, notamment les séances publiques de fouettage de femmes et les punitions pour les Afghanes victimes de viols. Cela fait donc 30 ans que le débat est lancé, sans avoir abouti.

En 1998, le service de la Commission européenne à la protection civile et aux opérations d’aide humanitaire a établi un parallèle avec l’Afrique du Sud pour lancer la campagne :

Nous sommes confrontés à une question de principe comparable à celle de l’apartheid en Afrique du Sud avant les réformes. Il s’agit d’un apartheid fondé sur le genre, qui prive les femmes afghanes de leur droit de choisir leur mode de vie. Il se peut que certaines femmes choisissent de vivre selon le code de conduite ultra-fondamentaliste imposé par les talibans. À l’heure actuelle, toutes sont contraintes de le faire.

Revenons à aujourd’hui. De plus en plus de voix s’élèvent pour renommer la tragédie vécue par les Afghanes. Le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan a récemment déclaré ce qui suit :

[...] l’effet cumulatif de la discrimination systématique des talibans envers les femmes et les filles soulève des inquiétudes sur la perpétration de crimes contre l’humanité.

[...] l’effet cumulatif des restrictions imposées aux femmes et aux filles [...] équivaut à « un apartheid sexiste ».

Shaharzad Akbar, ancienne présidente de la Commission afghane indépendante des droits humains, est plus directe :

Si un gouvernement refuse de reconnaître la moitié de la population, nous devrions refuser de reconnaître ce gouvernement. Si on appliquait les mêmes restrictions aux hommes, ou en fonction de la race, que ferait-on?

Récemment, un groupe de sénatrices a aussi entendu le témoignage d’Afghanes réfugiées, à l’invitation de la sénatrice McPhedran. Elles nous ont implorés de ne pas les oublier et de soulever publiquement la question. On constate les mêmes pressions à la Chambre des communes, où des militantes de l’Afghanistan et de l’Iran exhortent le gouvernement du Canada à jouer un rôle central afin d’accroître la sensibilisation à l’échelle mondiale et d’obtenir du soutien d’autres pays pour éradiquer cette forme d’apartheid fondé sur le genre.

Si le Canada décide de donner suite à notre motion et de reconnaître l’existence de l’apartheid basé sur le genre en Afghanistan, il s’agira d’un puissant outil de mobilisation. Il pourrait convaincre d’autres pays de s’engager dans la même voie. Nous ne pouvons et ne devons pas oublier les femmes afghanes. Par conséquent, je vous encourage tous à soutenir cette motion parce que les droits des femmes sont des droits de la personne. Merci.

L’honorable Paula Simons [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet de la motion no 139 afin d’ajouter ma voix à celles de mes collègues, dirigés par l’honorable sénatrice Salma Ataullahjan, qui demandent au gouvernement du Canada de reconnaître que l’effacement des femmes et des filles afghanes de la vie publique en Afghanistan est une forme d’apartheid fondé sur le genre.

Ottawa, comme nous le savons, est une ville de monuments commémoratifs remarquables, comme il sied à notre capitale nationale. Selon moi, l’un des plus poignants et des plus puissants d’entre eux ne se trouve pas dans le district parlementaire. Il s’agit de la salle commémorative de l’Afghanistan, à 30 minutes de route d’ici, au quartier général de la Défense nationale.

Si vous n’avez pas encore eu l’occasion de visiter ce site, permettez-moi de vous en parler un peu. Niché au centre du vaste campus de Carling, le pavillon commémoratif est un bâtiment frappant : bas, aux arêtes vives. Ses murs avant sont constitués de dalles de marbre noir bien polies, à tel point qu’elles reflètent le ciel. Les mots « Nous nous souviendrons d’eux » y sont gravés. À l’intérieur, le pavillon est baigné de lumière. Des fenêtres allant du sol au plafond donnent sur une forêt sauvage, blanche en hiver, verdoyante, comme aujourd’hui, lorsque l’été arrive enfin. Le pavillon est un hommage aux Canadiens qui ont perdu la vie en Afghanistan : 158 militaires et sept civils. Elle rend également hommage aux militaires américains qui sont morts sous le commandement du Canada.

Au centre du mémorial, il y a un gros bloc rugueux, un rocher. Les combattants talibans ont utilisé ce même rocher comme barrage routier pour forcer un véhicule militaire canadien à quitter la route. L’attaque a fonctionné et a été fatale. Les soldats canadiens ont décidé que ce rocher ne serait plus jamais utilisé pour tuer un autre Canadien. Ils l’ont trimballé jusqu’à leur base de Kandahar, où il est devenu la base d’un monument commémoratif de fortune. Un cénotaphe terrible que les soldats ont construit pour eux-mêmes, pour les leurs. Le cénotaphe officiel est constitué de marbre blanc afghan et on y présente le nom et la photo, la date et le lieu de naissance, ainsi que la date et le lieu de décès des disparus.

J’ai eu le souffle coupé en traversant le hall lors de ma première visite, il y a cinq étés. Je reconnaissais et je me souvenais d’un grand nombre de noms et de visages datant de l’époque où j’écrivais pour l’Edmonton Journal.

Les premiers Canadiens morts : le sergent Marc Léger, le caporal Ainsworth Dyer, le soldat Richard Green et le soldat Nathan Smith. Tous les quatre étaient membres de la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, établie à la base des Forces canadiennes d’Edmonton. Ils ont été tués par des Américains, et non par des Afghans, lors d’un incident de tir fratricide le 17 avril 2002. J’ai couvert l’immense service commémoratif public qui a eu lieu dans l’aréna qui hébergeait alors les Oilers d’Edmonton. Des milliers de résidants d’Edmonton et de l’Alberta se sont rassemblés en cette belle journée d’avril, choqués et frappés par l’horreur d’une perte accidentelle aussi inutile. Toutefois, ces quatre décès n’étaient que les premiers d’une longue série.

Au fil des ans, d’autres cas ont été rapportés dans les médias, mais les grandes commémorations publiques ont progressivement cessé. La mort de Canadiens en Afghanistan n’est peut-être pas devenue tout à fait routinière, mais elle a cessé de nous surprendre. À Kandahar, toutefois, ce mémorial communautaire a continué de prendre de l’ampleur.

En passant devant le cénotaphe, j’ai vu la plaque commémorative de la caporale Nichola Goddard, une jeune femme de Calgary qui était officière du Royal Canadian Horse Artillery et est décédée le 17 mai 2006. J’ai vu la plaque de Michelle Lang, ma collègue du Calgary Herald, qui a été tuée par un engin explosif improvisé taliban alors qu’elle était en mission à Kandahar en 2009. Ces deux Albertaines courageuses se sont sacrifiées pour servir non seulement le peuple canadien, mais aussi le peuple, et peut-être surtout les femmes d’Afghanistan.

Tous ces noms et ces visages albertains nous rappellent avec force que cette guerre, qui se déroulait dans une contrée lointaine, a profondément touché et marqué ma province et ma ville. Edmonton et l’Alberta ont pris la guerre en Afghanistan à cœur. De nombreux Albertains ont servi à Kandahar, en particulier. Bon nombre de mes collègues de la salle de rédaction de l’Edmonton Journal se sont rendus à Kaboul et à Kandahar pour témoigner des événements et pour rapporter non seulement les récits d’horreur et de mort, mais aussi les récits de courage, de compassion et d’espoir.

Le hall commémoratif d’Afghanistan est noir, blanc et gris. Au lendemain du 11 septembre, les problèmes nous semblaient noirs et blancs; ils nous semblaient toutefois davantage gris quand le Canada a quitté l’Afghanistan en 2011.

Par un étrange concours de circonstances, je suis devenue chroniqueuse à l’Edmonton Journal, plutôt que simple journaliste, le 10 septembre 2021. Le lendemain, les tours jumelles se sont effondrées et le monde que nous pensions connaître s’est écroulé. Soudain, on attendait de moi que j’aie beaucoup d’opinions sur des sujets dont je ne savais franchement pas grand-chose, notamment sur la nécessité pour le Canada de participer aux combats en Afghanistan.

Il me semblait relativement clair, même dans le brouillard de la guerre, que les efforts de guerre américains et britanniques en Irak n’étaient pas soutenables. Cependant, la situation en Afghanistan semblait très différente. Je n’ai jamais cru qu’il était logique que le Canada engage des milliers de soldats dans la mission afghane simplement pour punir les talibans de leur soutien à Oussama ben Laden. Par contre, en tant que jeune féministe, j’avais passé des années à lire sur l’oppression monstrueuse que les talibans avaient fait subir aux femmes et aux jeunes filles d’Afghanistan. Ces histoires étaient horribles et j’étais impressionnée par le courage des journalistes, souvent des femmes, qui les avaient révélées au monde entier.

Malgré le coût humain de la guerre et les dangers physiques et moraux d’une intervention dans les affaires d’un pays qui a défié et détruit les forces d’occupation de la Grande-Bretagne, de l’Union soviétique et des États-Unis au fil des ans, j’ai appuyé la mission du Canada en Afghanistan, non pas tant pour lutter contre le terrorisme international, mettre fin au commerce de la drogue ou même stabiliser la région, mais pour libérer les femmes et les filles afghanes de l’oppression des talibans.

C’était peut-être naïf. Mon optimisme quant au potentiel de la participation du Canada était peut-être empreint d’une bonne dose de complexe de sauveur blanc néocolonial; toutefois, pendant un certain temps, les efforts déployés par le monde pour libérer les femmes afghanes de la tyrannie misogyne ont semblé porter des fruits. Les filles afghanes pouvaient à nouveau aller à l’école. Les femmes afghanes pouvaient se promener dans les rues sans surveillance masculine et sans code vestimentaire imposé. Non seulement il était permis aux femmes de travailler, mais il leur était aussi permis de jouer un rôle de premier plan en tant qu’enseignantes, médecins, journalistes, juges, politiciennes, artistes et avocates. La vie en Afghanistan sans les talibans n’était certainement pas facile, mais les femmes avaient été libérées du semi-esclavage engendré par la peur et la haine toxiques des talibans à l’égard du sexe féminin. La dictature des « incels » semblait terminée.

Puis, en février 2020, le gouvernement américain de Donald Trump a signé un accord de paix avec les talibans — un accord conclu sans le consentement ni la considération du gouvernement afghan. Quiconque avait imaginé qu’un accord entre Trump et les talibans apporterait la paix où que ce soit s’était royalement trompé. En août 2021, Kaboul est tombée aux mains des talibans, et toute illusion que quelqu’un aurait pu entretenir sur le fait que les talibans 2.0 étaient, en quelque sorte, une version plus modérée que le modèle original a rapidement été anéantie, les femmes et les filles afghanes étant dépouillées de leurs droits et libertés et retournant à un statut de citoyennes de deuxième classe. En fait, le terme « deuxième classe » ne suffit pas pour décrire avec exactitude le fait que les Afghanes sont considérées comme des « sous-personnes ».

En tant que personne d’origine juive et allemande, je ne fais pas de parallèles avec les nazis à la légère, mais c’est l’analogie la plus pertinente à laquelle je peux penser. Les nazis ont utilisé l’expression untermenschen ou « sous-hommes » pour désigner les Juifs, les homosexuels, les Roms et les Slaves — toute personne qu’ils considéraient comme sous-humaine. En privant ces gens leur humanité, ils ont été en mesure de rationaliser leur oppression mortelle.

Cependant, si on regarde l’ensemble de l’histoire de l’humanité, dans toute son étendue, je dirais que les femmes ont été les premières untermenschen. Nous nous battons depuis des milliers d’années, partout dans le monde, pour faire reconnaître notre humanité et notre égalité. La misogynie est l’une des plus anciennes formes de haine. Elle est quasi universelle, car aucune culture ni aucune religion dans le monde n’y a échappé depuis des temps immémoriaux.

Depuis des siècles — voire des millénaires — on enseigne explicitement aux hommes que les femmes sont non seulement inférieures, mais aussi dangereuses. Notre sexualité a été diabolisée, tout comme notre intelligence. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que les femmes en Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest ont été en mesure de gagner un quelconque pouvoir juridique et politique. Par ailleurs, ce n’est qu’en 1929 que les femmes au Canada ont été reconnues comme des personnes juridiques, en tant que personnes tout court. En effet, ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que nous avons obtenu un tant soit peu d’égalité politique ou juridique.

En outre, plus nous en sommes venues à être reconnues comme des êtres humains à part entière, plus odieuse est devenue la contre‑attaque des sphères politiques et culturelles.

La forme particulière de misogynie militarisée des talibans, née d’une combinaison mortelle de peur et de haine, est particulièrement dangereuse en ce moment pour les femmes d’Afghanistan, mais c’est aussi une toxine infectieuse et une menace pour les femmes partout dans le monde, y compris au Canada, parce qu’elle modélise et normalise l’effacement des femmes de la vie publique et des libertés civiles. Il suffit de regarder au Sud, aux États-Unis, pour voir ce qui se passe lorsqu’une Cour suprême imprégnée de misogynie chrétienne fondamentaliste rejette des décennies de droit établi pour statuer que les femmes n’ont pas le droit de disposer de leur propre corps et qu’elles n’ont pas le droit de recevoir des soins médicaux qui leur sauveraient la vie. Tant pis pour la séparation de l’Église et de l’État, pour l’égalité devant la loi et pour les droits que nous pensions sûrs et sacro-saints.

J’ai envie de rager et de pleurer quand je songe aux promesses que nous, au Canada, avons faites aux femmes afghanes. J’ai envie de rager et de pleurer une fois de plus quand je pense à tous les Canadiens qui ont combattu et qui sont morts ou ont été blessés, physiquement et mentalement, au nom de la paix, de la stabilité et de la liberté en Afghanistan et des femmes de ce pays.

Alors que le monde ferme les yeux sur la campagne d’horreur menée contre les femmes et les filles de ce pays, nous nous moquons du sacrifice que tant de Canadiens ont consenti pour les espoirs futurs de ce pays.

Et qu’en est-il du reste d’entre nous? Dans un monde où le journalisme de qualité disparaît, où les correspondants canadiens à l’étranger deviennent presque des personnages mythiques et où le cycle de l’infodivertissement tourne aussi vite qu’un manège, nous nous sommes intéressés à l’Afghanistan pendant quelques semaines après la chute de Kaboul. Puis la crise a été reléguée au second plan par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, par l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, par les représailles d’Israël à Gaza, par Stormy Daniels et Donald Trump et par la foire qu’est la politique électorale américaine.

Et pendant que nous détournons le regard ou que nous regardons nos téléphones, les femmes et les filles d’Afghanistan, à qui nous avons tant promis, souffrent.

Alors, oui, appelons cela l’apartheid des sexes.

Mais nommer le mal n’est qu’un début. Ce qui importe plus que le nom que nous lui donnons, c’est ce que nous allons faire pour le combattre et pour lutter contre la terreur politique misogyne — en Afghanistan et dans le monde entier.

Merci, hiy hiy.

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