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Projet de loi sur l’assurance médicaments

Troisième lecture--Ajournement du débat

8 octobre 2024


L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler [ - ]

Honorables sénateurs, à l’épisode précédent du discours de la sénatrice Osler sur le projet de loi C-64, j’ai mentionné que je donnerais un bref historique de l’assurance-médicaments, que j’exprimerais mes préoccupations concernant le projet de loi et que je présenterais mes espoirs pour l’avenir de l’assurance-médicaments.

Le projet de loi C-64 est considéré comme le texte législatif le plus important en matière de politique de santé depuis la loi canadienne sur la santé de 1984, qui a inscrit dans la loi les principes fondamentaux du système de santé publique du Canada, à savoir qu’il doit être administré par l’État, complet, universel, transférable et accessible à tous.

Le Canada reste le seul pays au monde à offrir des soins de santé universels sans assurance-médicaments. Le projet de loi C-64 vise à apporter la pièce manquante, à savoir la couverture universelle des médicaments sur ordonnance, et propose les principes fondamentaux de la première phase de l’assurance-médicaments universelle au Canada.

Il décrit l’intention du gouvernement du Canada de collaborer avec les provinces et les territoires afin de fournir une couverture universelle à payeur unique pour certains médicaments contre le diabète et certains moyens de contraception.

Le ministre Holland a reconnu que le gouvernement abordait l’assurance-médicaments par étapes et qu’il n’y avait « pas de consensus universel sur l’orientation à donner à un programme national d’assurance-médicaments ».

Malgré ces intentions, le projet de loi C-64 a suscité des inquiétudes. Dans l’édition du 12 août 2024 du Journal de l’Association médicale canadienne, Steven Morgan, principal expert canadien des systèmes d’assurance-médicaments, a écrit :

Cette loi vise à offrir une couverture immédiate pour des médicaments sur ordonnance et des produits connexes destinés à la contraception ou au traitement du diabète, mais n’en assure pas une couverture publique et universelle. Tel qu’il est libellé, le projet de loi C-64 ne fera que colmater les brèches d’une mosaïque qui regroupe actuellement plus de 100 régimes d’assurance médicaments publics et des milliers de régimes privés au Canada, en légiférant sur un modèle d’assurance médicaments national rejeté en 2019 par le Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance médicaments par le gouvernement, et par 4 sondages nationaux antérieurs. Un tel régime d’assurance médicaments bricolé à la pièce ne donnera pas au Canada la capacité institutionnelle requise pour fournir un accès universel, juste et efficient à des médicaments adéquatement prescrits, à prix abordable et financés équitablement en tenant compte des puissants acteurs au dossier et des enjeux croissants concernant l’adéquation et la transparence de la tarification des produits pharmaceutiques.

Il conclut l’article avec ce qui suit :

Sans amendements, le projet de loi C-64 créera un système qui fonctionnera à la pièce, alourdi et ralenti par une complexité indue, un pouvoir d’achat fragmenté, un financement inéquitable et des prises de décision potentiellement contradictoires en matière de couverture.

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a entrepris son étude du projet de loi C-67 le 18 septembre 2024 et il a reçu le ministre Holland. Lorsque la sénatrice Moodie lui a demandé pourquoi le Sénat ne devrait pas amender le projet de loi, le ministre Holland a répondu ceci :

Je respecte infiniment votre chambre, et vous avez un rôle très important à jouer dans l’examen des projets de loi et la proposition d’amendements. C’est un peu différent avec ce texte, car son équilibre est millimétré. Il s’agit, de loin — et j’ai pris part à quantité de tâches complexes — de la tâche la plus difficile à laquelle j’ai jamais participé. Chaque syllabe et chaque mot de ce projet de loi ont été débattus et discutés. C’est le résultat d’une très importante collaboration. Ce n’est pas un parti, mais deux, aux points de vue très différents, qui ont réussi à trouver un terrain d’entente.

Je reconnais volontiers que le texte est imparfait, mais en l’occurrence, nous devons faire très attention à ne pas laisser le mieux être l’ennemi du bien. Nous n’avons pas beaucoup de temps. En réalité, ses détracteurs reprocheront au projet de loi de n’être qu’élucubrations. Par conséquent, si nous passons beaucoup de temps à reformuler pour essayer d’arriver à un texte parfait, les Canadiens auront l’impression que le reproche selon lequel ce ne sont qu’élucubrations est fondé parce qu’ils n’obtiendront pas de médicaments et ne verront pas d’amélioration à leur vie.

Selon le dictionnaire, « reformuler » signifie formuler de nouveau, autrement. Chers collègues, certains mots et termes utilisés dans le projet de loi C-64 ne sont pas définis, ce qui a suscité des inquiétudes quant à leur ambiguïté de la part de nombreux intervenants, notamment des personnes atteintes de diabète, des défenseurs de l’assurance-médicaments, des universitaires, des assureurs, des groupes d’affaires et des employeurs. Par exemple, plusieurs termes comme « payeur unique » et « premier dollar » figurent partout dans le projet de loi, mais ils ne sont pas définis.

Médecins canadiens pour le régime public est une organisation nationale, non partisane et fondée sur des données probantes, dont les membres se consacrent au renforcement et à la préservation du système de santé public du Canada. Dans le mémoire qu’ils ont présenté au Comité des affaires sociales, ils ont exprimé les préoccupations suivantes :

Premièrement, « [le] projet de loi C-64 ne s’engage pas explicitement à mettre en place le régime d’assurance-médicaments universel, public et à payeur unique recommandé dans le [...] » rapport Hoskins.

Deuxièmement, il y a un manque d’exhaustivité :

[L]e projet de loi C-64 n’engage pas le gouvernement fédéral à étendre la couverture au-delà des produits pour le diabète et la contraception. Il se contente de poursuivre la mise en œuvre d’un formulaire national et d’un régime national universel d’assurance-médicaments.

Troisièmement, le projet de loi ne définit pas le terme « universel », même si on peut supposer que l’intention est d’« imiter le critère de la Loi canadienne sur la santé ».

Quatrièmement, les membres de Médecins canadiens pour le régime public ont des préoccupations au sujet du financement public et de l’administration :

[L]e projet de loi C-64 ne s’engage pas explicitement à mettre en place un régime d’assurance-médicaments élargi qui est entièrement financé par l’État, avec une couverture au premier dollar, et qui est universel pour tous les médicaments essentiels.

Cinquièmement, il y a un manque de reddition de comptes :

[L]e projet de loi C-64 n’engage le ministre qu’à « prendre en compte » la Loi canadienne sur la santé, et non à respecter les cinq principes qui y sont inscrits.

Enfin, il y a un risque de conflit d’intérêts :

[L]e projet de loi C-64 n’interdit pas aux personnes ayant des conflits d’intérêts financiers d’être nommées au comité d’experts qui formulera des recommandations sur les options de fonctionnement et de financement de l’assurance-médicaments.

Malgré leurs préoccupations au sujet du projet de loi C-64, les membres de Médecins canadiens pour le régime public ont exhorté le Sénat à adopter le projet de loi, car ils souhaitent ardemment qu’un régime national d’assurance-médicaments soit enfin mis en place.

Passons maintenant aux préoccupations concernant l’Agence des médicaments du Canada.

Le 18 décembre 2023, le gouvernement du Canada a annoncé que l’Agence des médicaments du Canada serait créée à partir de l’actuelle Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé, en collaboration avec les provinces et les territoires.

Le gouvernement a annoncé un investissement de 89,5 millions de dollars sur cinq ans pour mettre en place l’Agence des médicaments du Canada. Le travail de cette agence consistera à améliorer la prescription et l’utilisation appropriées des médicaments, à accroître la collecte de données pancanadiennes, à élargir l’accès aux données sur les médicaments et les traitements, et à réduire les dédoublements et le manque de coordination qui entraînent des inefficacités et des pressions coûteuses dans les régimes de médicaments.

Cependant, le projet de loi C-64 ne codifie pas l’Agence des médicaments du Canada dans la loi et ne définit pas ses pouvoirs, ses fonctions, ni ses structures de gouvernance. Tout cela pourrait la rendre vulnérable à l’ingérence, diminuer ses pouvoirs et la rendre potentiellement révocable.

Je cite encore une fois M. Steve Morgan :

Le projet de loi C-64 fait référence à l’Agence des médicaments du Canada [...] dont la création avait été recommandée par le Conseil consultatif du gouvernement comme agence indépendante capable de créer et de maintenir la liste des médicaments couverts par le régime d’assurance médicaments national, y compris les négociations tarifaires avec les fabricants et les contrats d’approvisionnement pour les médicaments couverts. Le projet de loi stipule que le ministre fédéral de la Santé consultera l’Agence au sujet de plusieurs aspects de la couverture des médicaments, de leur prescription appropriée et de l’« achat en vrac » (autre terme non défini). Toutefois, le projet de loi C-64 n’inscrit pas dans la loi le rôle de l’Agence et ne décrit ni ses pouvoirs, ni son rôle, ni ses structures de gouvernance, ce qui représente une occasion manquée de dépolitiser la mise en œuvre et la gestion d’un régime d’assurance médicaments national. Sans cela, lorsque le projet de loi C-64 sera promulgué par le Parlement, le cas échéant, l’étendue des pouvoirs et l’existence même de l’Agence pourraient facilement être modifiées ou neutralisées par un gouvernement sans une réforme de la loi. Comme l’expérience récente l’a démontré, au Canada, même un organisme établi par la loi — comme le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés — n’est pas à l’abri d’une ingérence de la part du gouvernement et d’autres parties prenantes. Il est donc impératif que l’on veille à ce que les pouvoirs de l’Agence soient clairement inscrits dans la loi, que les modes de communication et de consultation avec les gouvernements et les autres parties prenantes soient définis et que l’inamovibilité soit accordée à la direction de l’Agence pour que celle-ci soit en mesure de rendre des comptes à la population et qu’elle soit protégée de toute ingérence indue.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-64 n’inscrit pas l’Agence des médicaments du Canada dans la loi. Des préoccupations ont aussi été exprimées au sujet du comité d’experts qui serait constitué en vertu du projet de loi C-64.

Selon le projet de loi, le ministre fédéral de la Santé doit constituer un comité d’experts et en prévoir la composition, ce comité étant « chargé de formuler des recommandations sur les options de fonctionnement et de financement d’un régime d’assurance médicaments national et universel à payeur unique ».

Au Comité des affaires sociales, quand la sénatrice Cordy a posé une question à propos de la composition du comité d’experts, le ministre Holland a répondu ceci :

En ce qui concerne le comité d’experts, ses membres seront, comme vous le savez, nommés conjointement par deux partis politiques — qui proposeront tous deux des noms. Ils devront aussi s’entendre sur le choix du président. J’entends bien faire en sorte qu’il n’y ait pas l’ombre de conflits d’intérêts au comité d’experts. Il est essentiel que nos concitoyens le voient comme un groupe d’experts dont la seule et unique préoccupation est de faire en sorte que nous ayons des médicaments pour la population de la manière la plus efficace qui soit et dans l’intérêt des Canadiens.

Nous avons eu de très bonnes conversations à ce sujet avec le NPD, qui, dans ce cas, sera le parti avec lequel nous sélectionnerons les membres de ce comité. Par conséquent, je ne pense pas qu’il y ait de problème de conflit d’intérêts. Ce n’est pas ce que nous cherchons.

Pourtant, dans son mémoire, le Congrès du travail du Canada :

[...] demande au gouvernement de faire preuve de diligence raisonnable lorsqu’il choisit les membres du comité d’experts, en veillant à ce qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêts susceptible d’influencer ou d’orienter son travail quand vient le temps de formuler des recommandations d’intérêt public concernant les options pour l’exploitation et le financement d’un régime national d’assurance-médicaments universel à payeur unique. Les travaux du comité d’experts sont trop importants. La pratique courante consistant à signer des formulaires de divulgation des conflits ne constitue pas une garantie suffisante.

Maintenant, avant de passer aux préoccupations concernant la gestion du régime national d’assurance-médicaments, je décrirai brièvement la mise en place récente d’un autre régime d’assurance financé par le gouvernement fédéral.

Comme vous le savez, les provinces et les territoires administrent et fournissent la plupart des services de santé au Canada, dans le cadre de ce qui est communément appelé « l’assurance-maladie ». L’assurance-maladie ne couvre pas les médicaments sur ordonnance. De même, l’assurance-maladie ne couvre pas les soins dentaires, à l’exception des interventions chirurgicales dentaires nécessaires sur le plan médical ou dentaire qui sont effectuées par un dentiste dans un hôpital.

Le nouveau Régime canadien de soins dentaires est un programme d’assurance dentaire progressif financé par le gouvernement fédéral pour fournir des services de dentisterie aux Canadiens non assurés qui répondent à certains critères. L’admissibilité des personnes est évaluée par Service Canada, et le régime de soins dentaires est administré par la Financière Sun Life en vertu d’un contrat de 747 millions de dollars qu’elle a signé avec le gouvernement fédéral en décembre 2023.

Dans ce contexte, revenons au régime national d’assurance-médicaments. Au comité, on a demandé directement au ministre Holland si le régime national d’assurance-médicaments serait administré par l’État. Le ministre a répondu : « Je dois dire que je suis assez ambivalent. »

Par la suite, dans une lettre datée du 27 septembre 2024, le ministre a clarifié ses intentions concernant l’assurance-médicaments, en précisant que :

[...] le coût de ces médicaments sera pris en charge et administré par le régime public, plutôt que par une combinaison de payeurs publics et privés.

L’administration publique du régime national d’assurance-médicaments permettrait de réaliser des économies et favoriserait la viabilité à long terme du programme.

Chers collègues, je sais que vous êtes conscients des appels à adopter le projet de loi C-64 sans amendement, tout comme je sais que nous sommes conscients de notre devoir, en tant que sénateurs, d’examiner attentivement les lois proposées par la Chambre des communes afin d’éviter que le Parlement n’adopte des mesures législatives précipitées ou irréfléchies, pour paraphraser Sir John A. Macdonald.

Lors de la réunion du Comité des affaires sociales consacrée à l’étude article par article, j’ai proposé un amendement qui, en fin de compte, a été rejeté. L’amendement consistait à ajouter les mots « administré par l’État » au paragraphe 6(1). J’ai proposé cet amendement parce que le projet de loi C-64 est ambigu quant à la façon dont le programme national d’assurance-médicaments sera administré. L’intention était d’inscrire dans la loi les mots que le ministre a employés dans sa lettre de clarification, à savoir que le régime national d’assurance-médicaments sera administré par l’État.

J’aimerais souligner que, dans la Loi canadienne sur la santé, le terme « gestion publique » suppose que « le régime provincial d’assurance-santé soit géré sans but lucratif par une autorité publique » responsable devant le gouvernement provincial.

Le 1er octobre 2024, le comité a reçu une lettre des professeurs Matthew Herder, Sheila Wildeman, Constance MacIntosh et Jocelyn Downie, qui sont membres du de l’Institut de la justice en matière de santé, de la Faculté de droit Schulich, à l’Université Dalhousie. Ces professeurs de droit ont examiné l’effet éventuel de la lettre du ministre sur l’interprétation du projet de loi C-64. Voici un extrait de leur lettre :

En théorie, la lettre du ministre Holland pourrait être acceptée, lorsqu’elle est associée à l’historique législatif complet du projet de loi C-64, comme preuve de l’intention du Parlement de garantir que l’assurance-médicaments soit administrée par le secteur public. Cependant, on n’arriverait à ce point que si une province ou une partie ayant qualité pour agir décidait d’investir de l’argent et du temps dans un litige portant sur une interprétation contraire, et si la lettre était présentée comme élément de preuve. Le point fondamental est qu’il est préférable d’amender le projet de loi C-64 pour inclure un engagement explicite selon lequel l’assurance-médicaments doit être administrée par le secteur public que de le laisser ouvert à l’interprétation et certainement de permettre l’adoption et la promotion d’une interprétation contraire aux intentions du ministre, à moins et jusqu’à ce que l’affaire soit portée devant un tribunal.

En amendant le projet de loi, le Sénat jouerait aussi son rôle légitime de protection des intérêts des Canadiens. Il veillerait à ce que la position présentée par le ministre Holland soit respectée, plutôt que de faire peser ce fardeau sur le dos des Canadiens.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-64 ne contient aucun engagement explicite en matière d’administration publique.

En terminant, permettez-moi de vous faire part de mes espoirs pour l’avenir. J’espère surtout que, une fois que le projet de loi C-64 sera adopté, tous les Canadiens, en particulier les personnes et les populations les plus vulnérables, recevront les médicaments sur ordonnance dont ils ont besoin sans se heurter à des obstacles ou des difficultés inutiles. Par exemple, dans son mémoire, l’Association nationale autochtone du diabète a souligné ce qui suit :

L’accès à plusieurs médicaments contre le diabète et [aux] contraceptifs est urgent pour certains peuples autochtones les plus vulnérables, notamment les Premières Nations non-inscrites et les Métis, qui sont actuellement exclus du programme des [Services de santé non assurés].

Enfin, je conclurai avec un extrait du rapport Hoskins de 2019 :

[...] au cœur de toute décision concernant le régime d’assurance-médicaments, il y a des gens, des résidents de ce pays, qui méritent d’être traités équitablement et d’avoir un accès égal aux meilleurs soins que nous pouvons offrir.

J’appuie sans réserve cette déclaration. Chers collègues, merci de votre attention. Meegwetch.

L’honorable Rosemary Moodie [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole pour formuler quelques dernières réflexions sur le projet de loi C-64. Je tiens à remercier mes collègues des observations qu’ils ont formulées jusqu’à maintenant ainsi que la marraine du projet de loi, la sénatrice Pate, de son travail consciencieux et dévoué pour piloter cette mesure législative complexe au Sénat.

Je remercie également mes collègues du Comité des affaires sociales de l’excellente étude qu’ils ont faite du projet de loi. Je salue les nombreux témoins qui ont comparu devant le comité et les nombreux Canadiens qui ont exprimé leurs réflexions et leurs préoccupations par d’autres moyens.

J’appuierai le projet de loi et je vous exhorte tous à faire de même.

Ce projet de loi a reçu beaucoup d’attention parce qu’il commence à répondre à un besoin urgent et qu’il suscite un sentiment d’espoir chez de nombreux Canadiens. Ils imaginent un monde où ils auraient accès aux médicaments vitaux dont ils ont besoin de la même manière qu’ils ont accès à d’autres services médicaux qui sauvent des vies, et ils sont impatients que cet espoir devienne réalité.

Je ressens la même impatience. Après tout, le Canada est le seul pays de l’OCDE doté d’un système de santé universel qui n’offre pas de couverture universelle pour les médicaments sur ordonnance. Je crois fermement que nous devons aspirer à un régime universel, public et à payeur unique, souvent appelé le modèle Hoskins. Dans ce modèle, le gouvernement couvre le coût des médicaments sur ordonnance dès le premier dollar dépensé pour tous les Canadiens, sans que ces derniers aient à débourser un sou, à payer de franchise ou à se demander s’ils sont couverts ou non.

Conformément aux valeurs de notre régime public d’assurance-maladie, ce système offrirait l’accès à des traitements complets fondés sur des données probantes à tous les Canadiens, peu importe leur identité, leur lieu de résidence, leur revenu ou leur situation d’emploi.

Avec un tel régime d’assurance-médicaments, les Canadiens n’auraient pas à choisir entre payer leur loyer, faire l’épicerie ou se procurer les médicaments dont ils ont besoin. Des parents n’auraient pas à se priver de manger pour que leurs enfants puissent prendre des médicaments essentiels. Des femmes ne seraient pas obligées de rester avec un conjoint violent pour conserver un régime d’assurance pour elles-mêmes ou pour leurs enfants.

Le projet de loi C-64 crée-t-il un tel système? En bref, la réponse est non. Il ne correspond pas à tout ce que moi et de nombreux Canadiens souhaitons qu’il soit. Cependant, je crois fermement qu’il s’agit d’une première étape cruciale. Permettez-moi d’expliquer pourquoi.

Le régime universel d’assurance-médicaments aurait dû advenir il y a bien longtemps et il est d’une nécessité vitale. Par conséquent, toute étape vers la prestation d’un programme d’assurance-médicaments est une étape importante. Le statu quo abandonne trop de Canadiens à leur sort, ce qui les oblige à prendre des décisions difficiles qui mettent leur santé et leur vie en péril. Aujourd’hui, des millions de Canadiens ont une assurance qui ne couvre pas adéquatement les médicaments sur ordonnance ou n’ont pas d’assurance-médicaments du tout. Pour les personnes atteintes d’affections chroniques, comme le diabète, le prix de l’insuline et d’autres traitements vitaux peut contraindre à faire des choix terribles.

Lors des témoignages au comité, nous avons entendu plusieurs témoins parler de Canadiens qui étaient contraints de choisir entre payer leurs médicaments et subvenir à leurs besoins fondamentaux. Le Congrès du travail du Canada nous a dit que 1 million de Canadiens souscrivent des emprunts pour payer leurs médicaments. Le projet de loi C-64 vise les médicaments destinés au traitement du diabète ou à la contraception ainsi que les produits connexes. Il ne fait aucun doute que de nombreuses personnes souhaiteraient que sa portée soit plus large. Moi-même, je le souhaiterais. Cependant, en prévoyant la couverture de ces deux catégories de médicaments, nous changeons considérablement la donne au quotidien pour des millions de Canadiens et leur famille.

Pour le diabète, le coût physique de la non-observance du traitement médicamenteux prescrit est lourd. Au comité, des experts ont signalé que 40 % des crises cardiaques au Canada viennent du diabète, tout comme 30 % des AVC, les accidents vasculaires cérébraux. Ces chiffres sont choquants. Les experts ont parlé du risque de cécité, d’insuffisance rénale ou d’amputation, des complications qui pourraient être considérablement réduites ou évitées grâce à un établi aux médicaments indiqués à un stade précoce de la maladie.

En ce qui concerne la contraception, des témoins ont fait remarquer que, chaque année, 40 % des grossesses sont non planifiées. On nous a dit que les personnes qui vivent dans la pauvreté, qui n’ont pas d’emploi à plein temps ou qui dépendent de l’aide sociale sont davantage susceptibles de ne pas avoir accès à des moyens de contraception ou à d’autres outils de planification des naissances, et que leurs enfants risquent davantage de vivre dans la pauvreté et d’avoir des problèmes de développement.

Chers collègues, le statu quo ne fonctionne pas. Ce changement se fait attendre depuis longtemps. Voilà pourquoi j’ai accepté une approche étape par étape: parce qu’avancer ne serait-ce que d’un pas dans la bonne direction vaut mieux que faire du surplace tandis que les Canadiens souffrent.

Les militants et les Canadiens réclament l’adoption de ce projet de loi sous sa forme actuelle et sans plus tarder. Nous avons entendu l’opinion des syndicats, des groupes de revendication et des Canadiens ordinaires, non seulement dans les témoignages devant le comité, mais également par la voie de lettres et de courriels. D’ailleurs, je suis convaincue que beaucoup d’entre vous ont reçu de telles communications.

Il ne s’agit pas simplement d’un débat sur une politique abstraite. Ce projet de loi est une réponse aux réalités que vivent les millions de Canadiens qui comptent sur nous pour intervenir. Cela ne veut pas dire que l’adoption du projet de loi C-64 marque l’étape finale. Nous ne devons pas nous arrêter là. Nous avons encore du pain sur la planche. Nous devons poursuivre nos efforts en vue d’atteindre l’objectif ultime, soit un régime public et universel à payeur unique, mais la route sera longue pour y parvenir.

Fait crucial, le projet de loi prend les devants sur quelques-unes des étapes suivantes. Il demande à l’Agence des médicaments du Canada d’élaborer, au plus tard un an après la sanction royale, une liste de médicaments sur ordonnance et de produits connexes essentiels. Ce sera une étape vitale de la création de la liste nationale de médicaments, une liste exhaustive, établie à partir de données probantes, des médicaments sur ordonnance et des produits connexes auxquels les Canadiens auront accès par l’intermédiaire d’un régime national universel d’assurance-médicaments.

Chers collègues, il faudra une implication importante des provinces, des territoires, des communautés autochtones, des fabricants de médicaments et des patients.

Le projet de loi C-64 demande également à l’Agence des médicaments du Canada d’élaborer une stratégie nationale d’achat en gros de médicaments sur ordonnance et de produits connexes. Une stratégie d’achat en gros efficace pourrait engendrer d’importantes économies lorsqu’il s’agit de donner accès aux médicaments au Canada.

Au comité, nous avons reçu le Dr Steve Morgan, qui a souligné qu’un payeur unique possède un pouvoir d’achat considérable. Il a donné en exemple une comparaison des prix au Canada et en Nouvelle-Zélande, où il y a un régime d’assurance-médicaments à payeur unique. Il a découvert que si nous payions le prix que paient les Néo-Zélandais pour les 32 médicaments génériques les plus vendus au Canada, nous économiserions déjà 770 millions de dollars par année.

Ce premier pas vers un régime d’assurance-médicaments est important, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire et plusieurs défis à relever. L’un de ces défis consistera à contrer quiconque cherche à nous faire prendre un autre chemin. Dans l’espoir de protéger leurs propres intérêts financiers, des gens ont affirmé à tort que l’assurance-médicaments contrecarrerait l’accès aux nouveaux médicaments au Canada. Toutefois, chers collègues, selon un rapport du Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, 79 % des médicaments lancés entre 2013 et 2022 n’apportaient que peu ou pas d’amélioration par rapport aux médicaments existants, mais ils représentaient plus de 60 % de la part des recettes.

Cela met en évidence le fait que ce ne sont pas tous les médicaments qui offrent un bon rapport qualité-prix ou qui devraient être inclus dans la liste des médicaments couverts par un régime d’assurance-médicaments. Au contraire, grâce à l’assurance-médicaments, nous serons plus susceptibles d’acheter les médicaments qui nous en donnent le plus pour notre argent.

Il convient de noter que la liste des médicaments et des produits connexes couverts ne figure pas vraiment dans le projet de loi, ce qui permettra de modifier le tout à l’avenir sans modification législative.

Dans le même ordre d’idées, certaines personnes nous ont dit qu’elles craignent que le projet de loi n’ait des effets négatifs sur l’assurance privée. C’est vrai. Des gens ont laissé entendre que les assureurs réduiront leur couverture ou que les employeurs choisiront de supprimer la couverture des produits visés par le projet de loi C-64. D’autres ont réclamé des restrictions pour empêcher les compagnies d’assurance de supprimer la couverture des contraceptifs et des médicaments contre le diabète.

Chers collègues, il est important de noter que la réglementation de la conduite des sociétés d’assurances sur le marché est une responsabilité provinciale et non fédérale. Chaque province a une loi provinciale qui régit la réglementation des assurances sur son territoire.

Je dirais que des négociations doivent se tenir au niveau des provinces et que des discussions doivent avoir lieu entre les employeurs et leurs employés, ainsi qu’entre les syndicats et leurs membres. Ce projet de loi est une occasion de faire l’un et l’autre.

Nous avons entendu des représentants syndicaux dire que ce projet de loi est l’occasion de négocier une meilleure protection. Si les employeurs font des économies parce que le gouvernement couvre les médicaments et les produits sélectionnés, cela leur donnera la liberté d’élargir la couverture dans d’autres domaines, ce qui augmentera les avantages dont bénéficient leurs employés.

Soyons clairs : l’assurance privée n’est pas la solution au manque d’accès aux médicaments auquel sont confrontés de nombreux Canadiens; c’est l’assurance-médicaments universelle qui l’est.

Ce projet de loi est un début, pas une fin. Il s’agit d’un plancher et non d’un plafond. Les provinces peuvent l’améliorer et y inclure d’autres médicaments. Même si ce n’est pas tout ce que nous espérions dans l’immédiat, c’est une base sur laquelle nous pouvons bâtir quelque chose. C’est le premier pas vers un Canada où personne n’aura à se demander s’il peut payer les médicaments qui le maintiennent en bonne santé.

En tant que médecin ayant vu un trop grand nombre de mes patients et de leur famille lutter pour répondre à leurs besoins en matière de santé en raison du coût élevé des médicaments, et en tant que femme ayant vu l’incidence que l’accès au choix en matière de planification familiale peut avoir sur la vie des femmes, je suis fière de voir le Canada franchir cette étape importante.

Voilà pourquoi, chers collègues, je vous exhorte à vous joindre à moi pour appuyer le projet de loi C-64. Merci. Meegwetch.

La sénatrice Batters [ - ]

Certains sénateurs de la Saskatchewan ont reçu une lettre de la Chambre de commerce de la Saskatchewan au sujet de cette question, du projet de loi C-64 et de leurs préoccupations à cet égard. Selon les statistiques fournies dans la lettre, à l’heure actuelle, environ 90 % des moyennes et grandes entreprises et environ 70 % des petites entreprises offrent des régimes d’assurance-médicaments pour attirer et retenir des employés. Dans la lettre, la chambre de commerce indique également que, selon les estimations récentes à leur disposition, le nombre de personnes non assurées représente environ 2,8 % de la population canadienne.

En gardant à l’esprit les chiffres fournis par la Chambre de commerce de la Saskatchewan, je m’interroge sur la partie de votre discours où vous avez parlé des régimes privés d’assurance-médicaments et du fait qu’il s’agirait essentiellement d’une question à négocier avec les provinces, etc. Il arrive que des personnes à faible revenu bénéficient du régime d’assurance-médicaments offert par leur employeur et que le principal avantage qu’elles en retirent soit la couverture des médicaments sur ordonnance visés par le projet de loi C-64. Étant donné que le gouvernement fédéral paierait ces médicaments dans le cadre d’un régime à payeur unique, avez-vous entendu parler d’une éventuelle réduction des primes liées à ce genre de régimes d’assurance-médicaments offert par l’employeur?

La sénatrice Moodie [ - ]

Merci, sénatrice Batters.

En fait, les petites entreprises n’étaient pas vraiment représentées au comité. Nous avons entendu des représentants de chambres de commerce, mais ils ont surtout parlé, à mon avis, de leurs clients qui sont des compagnies d’assurance.

En fait, certaines des questions que je leur ai posées les ont mis au défi de dire quelle était, en fait, leur position au sujet des petites entreprises. Beaucoup d’entre nous — et peut-être vous — avons entendu de la part de petites entreprises qu’il y a différentes façons d’aborder la question. Elles pourraient profiter de nouveaux débouchés.

Aucune donnée importante n’a été fournie. Pour répondre à votre question — et à ma déception —, les témoins des chambres de commerce ne nous ont pas donné un point de vue différent de celui qui consiste à protéger les compagnies d’assurance.

L’honorable Clément Gignac [ - ]

Honorables sénateurs et sénatrices, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture pour exprimer mes préoccupations sur le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments.

Comme vous avez pu le constater depuis mon arrivée au Sénat il y a près de trois ans, il n’est pas habituel pour moi de m’opposer à un projet de loi gouvernemental. Aujourd’hui, je le fais à la fois en tant qu’économiste, mais aussi comme ex-ministre du gouvernement du Québec. Il est vrai que je n’ai pas pu participer aux travaux du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie en raison du conflit d’horaire avec les comités auxquels je siège. Néanmoins, sachez que j’ai suivi en différé toutes les séances du comité portant sur l’analyse de ce projet de loi.

La première raison de mon inconfort a trait à ma vision du fédéralisme, qui a été influencée par mon passage en politique provinciale aux côtés de l’ex-premier ministre libéral Jean Charest. Il était un vrai progressiste au sens noble du terme, mais aussi un ardent fédéraliste et défenseur d’un fédéralisme décentralisé et asymétrique. Je crois moi aussi en un fédéralisme asymétrique, où les priorités économiques et sociales d’une province peuvent varier par rapport à une autre.

Je n’éprouve aucun malaise sur le fait que le régime d’assurance médicaments au Québec prévoie une couverture différente de celle du Manitoba, ou que les Québécois doivent payer une franchise annuelle différente de celle de leurs homologues ontariens. Je n’éprouve aucun malaise à ce que l’âge minimal pour consommer de l’alcool dans un bar au Québec ou obtenir un permis de conduire puisse être différent de ce qui est en vigueur en Ontario ou en Alberta.

Vous l’aurez compris, je ne peux me résoudre à ce nouvel envahissement du gouvernement fédéral dans la façon d’offrir les soins de santé partout au Canada.

En raison de leur proximité avec les citoyens, je suis d’avis que les provinces et les territoires sont nettement mieux placés qu’Ottawa pour subvenir aux besoins de nos concitoyens pour l’éducation et les soins de santé, y compris au moyen de leur régime respectif d’assurance médicaments. D’ailleurs, l’Assemblée nationale du Québec a condamné à l’unanimité le projet de loi C-64 et exige ce que l’on appelle « retrait inconditionnel avec pleine compensation financière ».

Au Québec, il faut savoir que c’est plus de 8 000 médicaments actuellement, y compris différentes teneurs et formes posologiques, qui sont déjà couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec.

Le Québec est reconnu comme ayant été un précurseur au pays, car il a mis en place sa couverture d’assurance médicaments dès 1997. Au fil du temps, le régime a été bonifié pour faire en sorte que tout le monde soit couvert, moyennant une franchise annuelle maximale qui atteint 1 200 $ en 2024. Toutefois, il importe de souligner que les médicaments prescrits sont gratuits au Québec pour les clientèles vulnérables, notamment les personnes bénéficiaires de l’aide sociale ou encore les aînés qui reçoivent le montant maximum du Supplément de revenu garanti.

Honorables collègues, je ne dis pas cela pour ignorer les milliers de Canadiens à l’extérieur du Québec qui sont exclus de ce régime provincial d’assurance-médicaments. Je comprends certainement pourquoi plusieurs d’entre vous voient d’un bon œil le projet de loi C-64. Je ne suis pas ici pour vous juger. Je comprends.

Je vous invite cependant à vous poser certaines questions : jusqu’où ce fédéralisme paternaliste va-t-il nous conduire? Est-ce que la prochaine étape sera d’instaurer un nouveau régime fédéral prenant en charge tous les sans-abri du pays pour leur offrir à chacun un logement sous prétexte que nos villes et nos provinces sont incapables de s’occuper d’eux ou ne le souhaitent pas?

En tant que sénateur progressiste, je suis totalement d’accord pour aider les personnes dans le besoin, mais je ne suis pas d’accord avec l’approche du gouvernement actuel, dont la gouvernance reflète la vision d’un fédéralisme centralisateur du NPD.

Les membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie ont probablement remarqué que le NPD a une influence démesurée dans la rédaction du projet de loi C-64. Lors de son témoignage, le ministre Holland n’avait pratiquement aucune marge de manœuvre pour accepter des amendements, au risque de perdre l’appui du NPD à l’autre endroit.

En passant, on peut s’attendre à voir la même pression amicale du gouvernement lors du débat sur le projet de loi C-282 sur la gestion de l’offre, car un rejet ou une adoption avec des amendements par le Sénat risquerait aussi de faire tomber le gouvernement.

Honorables sénateurs et sénatrices, je ne nie pas qu’Ottawa a certainement son mot à dire dans le domaine de la santé. C’est ce que le gouvernement fédéral a fait, après la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’il a adopté une formule à frais partagés moitié-moitié pour les transferts en matière de santé et les programmes sociaux, jusqu’au milieu des années 1970.

Par la suite, les règles du jeu ont commencé à changer progressivement avec l’adoption, en 1977, de ce qu’on a appelé le Financement des programmes établis, un programme fédéral qui abandonnait la formule à frais partagés moitié-moitié pour le versement aux provinces d’un montant annuel fixe par habitant par année. Cela a été suivi, en 1984, par l’adoption de la Loi canadienne sur la santé et ses cinq critères d’admissibilité.

Je m’en souviens très bien. Pourquoi? Parce qu’au début de ma carrière, j’ai été fonctionnaire au ministère des Finances du Québec, à la Division des transferts fédéraux et des arrangements fiscaux. On peut donc en parler.

Plus précisément, la contribution fédérale au financement des dépenses publiques en matière de santé au Canada est passée d’une formule moitié-moitié de partage des coûts jusqu’au milieu des années 1970 à une contribution fixe par habitant, qui atteint maintenant un creux de 22 % des dépenses publiques en santé au Canada qui sont assumées par le gouvernement fédéral. Cependant, avec la récente renégociation qui a eu lieu en 2023, ces dépenses s’élèvent plutôt à environ 25 %. Donc, nous sommes loin de la formule à frais partagés moitié-moitié du début des années 1970.

À mon humble avis, lorsque le gouvernement fédéral assume uniquement 25 % de la facture des dépenses en santé, à Ottawa on devrait se montrer moins critique et se garder une petite gêne avant d’empiéter sur le champ de compétence des provinces avec de nouvelles initiatives. Aussi longtemps qu’elle représentera moins de 50 % de contribution aux dépenses en matière de santé au Canada, l’implication du gouvernement fédéral dans l’assurance médicaments devrait se limiter à son rôle actuel d’approbation, comme le fait le Secrétariat américain aux produits alimentaires et pharmaceutiques, au sud de la frontière.

Outre mon opposition au dédoublement des responsabilités avec les provinces, ma seconde préoccupation — je porte maintenant mon chapeau d’économiste — est de nature financière et elle concerne les coûts réels liés à la mise en œuvre d’un régime public universel d’assurance médicaments.

S’il est vrai que le Bureau du directeur parlementaire du budget indiquait dans son rapport le chiffre de 1,9 milliard sur cinq ans pour le coût du Régime d’assurance médicaments qui couvre uniquement le diabète et les contraceptifs, M. Giroux a bien précisé devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie que cela ne présumait aucun effet de substitution des médicaments et que les gens conserveraient leur couverture actuelle avec les compagnies d’assurance.

Permettez-moi d’en douter. Pour avoir travaillé dans le domaine des assurances, à mon avis, ce n’est pas ce qui va se produire. Au minimum, nous pouvons nous attendre à ce que le coût du nouveau régime s’élève à 4,3 milliards de dollars sur cinq ans, plutôt qu’à 1,9 milliard de dollars. La facture augmentera au fur et à mesure qu’on augmentera le nombre de médicaments qui sont couverts.

Certains témoins ont évoqué des économies éventuelles sur le prix des médicaments par la mise sur pied de ce régime canadien universel, ainsi qu’un meilleur rapport de force avec les compagnies pharmaceutiques. J’éprouve là aussi un certain scepticisme puisque, depuis 2010, il existe un mécanisme de négociation pancanadien créé par les premiers ministres provinciaux et territoriaux, appelé l’Alliance pharmaceutique pancanadienne, qui a pour objectif de faire en sorte qu’avec les programmes publics d’assurance médicaments, les patients en obtiennent plus pour leur argent et que ce soit le même prix fixe d’une province à l’autre pour un médicament donné.

Comme l’a expliqué Dominic Tan, chef de la direction adjoint de l’Alliance pharmaceutique pancanadienne, l’Alliance négocie des prix qui s’appliquent partout. Il a mentionné ce qui suit :

Notre mandat consiste à négocier les prix des médicaments pour le compte des régimes publics d’assurance médicaments pour l’ensemble du pays. Cela signifie que notre mandat nous est également conféré par nos membres. Cela dit, il est certain que nous sommes impatients d’en savoir plus sur ce que représente l’achat en gros, car nous sommes certainement heureux de collaborer avec nos partenaires.

Nous ne connaissons pas encore tous les détails des achats en gros tels qu’ils sont décrits dans le projet de loi actuel. C’est ce que nous devons mieux comprendre et ce sur quoi nous devons collaborer avec les partenaires [...]

En d’autres termes, le verdict n’est pas encore tombé. De plus, quelle sera l’incidence sur la gestion du régime d’assurance médicaments actuel par la Régie de l’assurance maladie du Québec et les pharmaciens au Québec si dans trois ans le gouvernement fédéral couvre des dizaines, voire des centaines d’autres médicaments? Cela représentera très certainement un défi.

Il me semble que les priorités actuelles du gouvernement devraient être ailleurs. Le dernier rapport de l’Institut Fraser, publié vendredi dernier, montre que le salaire médian des 10 provinces canadiennes est désormais inférieur à celui de tous les États américains, y compris la Louisiane et l’Alabama. Pouvez-vous le croire? C’est difficile à croire.

Je suggère humblement au gouvernement de se concentrer davantage sur la création de la richesse; sinon, nous pourrions facilement — dans 10, 15 ou 20 ans — suivre le même chemin et connaître le même sort que l’Argentine et la Grèce.

Honorables sénateurs et sénatrices, en conclusion, je réitère mon inconfort par rapport à ce projet de loi rempli, certes, de bonnes intentions. Je comprends très bien que la perception est totalement différente selon que vous vivez au Québec ou dans une autre province. Cependant, cela ne correspond pas à ma vision d’un fédéralisme décentralisé, efficace, soucieux d’éviter les chevauchements et les duplications avec les provinces.

Pour toutes les raisons évoquées précédemment, j’ai l’intention de voter contre le projet de loi. Merci de votre compréhension. Meegwetch.

L’honorable Julie Miville-Dechêne

J’aimerais poser une question à mon cher voisin, le sénateur Gignac.

Un peu comme vous, je suis déchirée par ces questions de sphère de compétence et je crois qu’il n’est pas simple de se prononcer sur ce projet de loi.

Par ailleurs, je trouve que votre vision du régime québécois d’assurance médicaments est légèrement idéalisée. Cela m’a frappée lorsque j’ai discuté avec différentes sources, notamment Marc-André Gagnon, un expert de l’Université Carleton.

Au Québec, non seulement nous payons environ 1 200 $ par année pour faire partie de ce régime, mais que sur chaque médicament, il y a aussi une franchise à payer. Par exemple, pour les moyens de contraception, le coût de la franchise représente environ la moitié de la valeur du médicament. En plus, le professeur Gagnon affirme que les Québécois qui participent au régime ne bénéficient même pas des rabais confidentiels que les compagnies pharmaceutiques donnent pour la vente d’une grande quantité de médicaments. Donc, on exige une franchise qui est trop élevée.

Ce qui veut dire qu’au Québec, les gens qui ne sont pas assez pauvres pour recevoir de l’aide sociale, mais pas assez riches pour détenir une assurance plus généreuse se retrouvent un peu coincés. Que faut-il faire?

Je comprends que vous dites que c’est de compétence provinciale. Il est vrai que cela va coûter cher parce que des assureurs privés vont effectivement transmettre la facture au gouvernement fédéral, mais que dire des jeunes femmes qui ont besoin de contraception et qui sont prises dans un système où, malheureusement, ce n’est pas toujours abordable?

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénateur Gignac, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps pour répondre à la question?

Le sénateur Gignac [ - ]

Oui.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Le sénateur Gignac [ - ]

C’est une très bonne question, sénatrice. Sans vouloir manquer d’empathie par rapport à ce dossier, je me demande si c’est bien ici, à Ottawa, à la Chambre des communes et au Sénat, qu’il faut mener la bataille. Si nous sommes mécontents et que nous voulons que la franchise soit moins élevée ou même que ce soit gratuit, faisons en sorte que le débat se tienne dans les assemblées législatives provinciales. C’est seulement que j’ignore jusqu’où l’on ira. J’ai donné l’exemple des plus démunis ou des sans-abris et ce sera la même logique : on risque d’en arriver là.

À mon avis, au lieu de débattre de la question ici, j’aurais tendance à dire que c’est à l’échelle des provinces que la pression doit s’exercer.

L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole très brièvement pour aborder le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments.

Je tiens à remercier la marraine du projet de loi, la sénatrice Pate, la critique du projet de loi, la sénatrice Seidman, les membres du comité et les nombreux témoins qui ont partagé leur sagesse et leurs points de vue avec nous lors des travaux du comité.

Comme beaucoup d’autres mesures législatives, ce projet de loi n’est pas parfait. Il contient d’ailleurs plus que sa part d’imperfections. Il y a trop d’ambiguïtés, trop de termes qui ne sont pas définis, des problèmes d’évaluation des coûts et des incertitudes quant à la forme que prendront les accords avec les provinces. Le projet de loi suscite des débats où certains pensent qu’il retirera des avantages aux Canadiens au lieu de les garantir.

Pourtant, chers collègues, je soutiens pleinement ce projet de loi parce que je vois ce qu’il fera pour la vie des pauvres, des familles qui n’ont pas de couverture d’assurance ou des familles et des personnes dont l’employeur offre une assurance, mais qui ne peuvent pas payer les primes requises ou leur quote-part du prix des médicaments qui leur sont prescrits.

Les statistiques sont considérables. Le Conference Board du Canada nous dit que 3,7 % des Canadiens n’ont aucune couverture pour leurs médicaments, quelle qu’en soit la sorte. Le seul temps où ils obtiennent des médicaments sans frais, c’est lorsqu’ils sont hospitalisés. En outre, 7 % des Canadiens n’ont pas d’assurance parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer la cotisation du régime d’assurance-médicaments offert par leur employeur. Cela représente donc près de 10 % de la population. Ce n’est pas négligeable, chers collègues. Il s’agit d’une mesure extrêmement importante pour le parent d’un enfant diabétique qui doit faire le choix difficile, voire impossible, entre acheter les médicaments dont son enfant a besoin ou payer le loyer.

Il ne s’agit pas de quelques cas isolés. C’est la dure réalité pour de nombreuses personnes. Près de 60 % des Canadiens diabétiques disent avoir de la difficulté à respecter les traitements qui leur sont prescrits parce que les médicaments et les fournitures médicales coûtent trop cher. Le comité a entendu que, la plupart du temps, le prix des médicaments est si élevé qu’il est prohibitif, même avec une couverture d’assurance.

Je vous donne un exemple. Une infirmière de la Saskatchewan qui n’est certainement pas pauvre a deux enfants diabétiques adultes qui vivent chez elle. Elle bénéficie d’une couverture d’assurance par l’entremise de son employeur, mais les médicaments sont si dispendieux que les frais de coassurance dépassent ses moyens. Par conséquent, sa fille ne peut pas fréquenter l’université, et son fils ne peut pas garder un emploi parce que ces médicaments leur sont inaccessibles.

Ce n’est qu’une anecdote, mais il faut se rappeler ce chiffre : 60 % des Canadiens atteints de diabète se heurtent à des problèmes d’abordabilité. Les conséquences sont terribles. La non-observance du plan de traitement entraîne de graves complications qui ont une incidence sur la santé individuelle et qui exercent des pressions énormes sur le système de santé. Pensons aux coûts plus élevés, pour la personne et pour le système, des visites aux urgences et des hospitalisations. Pensons aux conséquences pour la santé mentale du stress financier qui pèse sur les personnes et leur famille, et qui a une incidence non seulement sur la santé physique, mais aussi sur la résilience mentale.

En outre, des témoins sont venus nous dire que la situation est particulièrement inquiétante pour les groupes déjà marginalisés. Mme Laura Syron, présidente et directrice générale de Diabète Canada, a dit que le statut socioéconomique et les facteurs socioéconomiques jouent un grand rôle dans les taux élevés de diabète au sein des groupes marginalisés, mais que c’est aussi le cas des facteurs environnementaux et génétiques. Elle a déclaré que, de plus en plus, nous constatons que les répercussions du diabète sur la santé mentale sont un fardeau qui pèse plus lourd pour certains groupes que pour d’autres. Je pense que nous savons tous de quels groupes elle parle : les personnes racisées, les communautés autochtones et d’autres.

Permettez-moi d’aborder brièvement la question des coûts. Le directeur parlementaire du budget a indiqué que le projet de loi C-64 entraînerait une augmentation des dépenses de 1,9 milliard de dollars. Le sénateur Gignac a mentionné que ce montant pourrait atteindre 4 milliards de dollars, mais je crois que la vérité se trouve quelque part entre les deux. Je conviens qu’il y aura un coût initial élevé pour le trésor public, mais il y aura aussi des économies grâce à la réduction du nombre de visites dans les hôpitaux et d’admissions aux urgences, en plus des économies liées à l’amélioration de l’accès aux médicaments pour traiter le diabète et aux contraceptifs.

Personne n’a vraiment établi de bilan des coûts et des économies, mais les avantages ne se chiffrent pas seulement en argent. Des gens verront leur qualité de vie améliorée, des familles recevront de l’aide, et des perspectives seront embellies.

Que les contraceptifs ne soient pas couverts par une assurance universelle a également de graves conséquences. Près de la moitié des grossesses au Canada ne sont pas intentionnelles. Même si des femmes accueillent la grossesse inattendue avec joie, il faut l’admettre, d’autres en ressentent une forte pression psychologique et financière. Les femmes et les jeunes filles se heurtent à des choix difficiles : se faire avorter, confier son enfant en adoption ou l’élever sans soutien adéquat.

L’effet domino du manque d’accès aux contraceptifs va très loin. Il peut être ressenti jusque dans la génération suivante, qui aura probablement besoin d’accéder aux services sociaux.

Le Canada est une exception si nous le comparons à d’autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques qui partagent les mêmes idées; il a beaucoup de retard à rattraper.

Je reconnais donc que ce projet de loi présente des lacunes, surtout en ce qui concerne les définitions, la clarté et les compétences provinciales, mais je me réjouis que ce soit la première d’une longue série de mesures à prendre. Je crois aux améliorations graduelles. Le Sénat n’a jamais eu à étudier un projet de loi parfait. Il est important pour le Canada de faire le premier pas en avant, car c’est toujours le plus difficile à faire.

Je vous invite à faire ce premier pas et à appuyer ce projet de loi. Je pense même que nous avons le devoir de l’adopter dans l’intérêt des personnes les plus démunies au Canada. Merci.

L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler [ - ]

La sénatrice Omidvar accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar [ - ]

Oui, merci.

La sénatrice Osler [ - ]

Merci, madame la sénatrice. Ma question porte sur une statistique que vous avez mentionnée dans votre discours.

Je crois que vous avez dit que 2,8 % des Canadiens n’ont aucune assurance pour couvrir le coût des médicaments sur ordonnance. C’est une statistique qui a été fournie au Comité des affaires sociales et qui provient d’un rapport du Conference Board du Canada selon lequel 97,2 % des Canadiens bénéficient d’une assurance couvrant les médicaments sur ordonnance. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé, dans mon discours, d’un rapport publié par Statistique Canada en 2022, selon lequel 21 % des Canadiens ont déclaré n’avoir aucune assurance alors qu’ils seraient seulement 2,8 % selon le Conference Board du Canada.

Ma question est la suivante : saviez-vous que le financement du rapport du Conference Board du Canada provenait de l’association nationale qui représente l’industrie pharmaceutique novatrice du Canada?

La sénatrice Omidvar [ - ]

Nous avons des chiffres différents. Selon le Conference Board du Canada, le taux est de 3,7 %. Nous avons vérifié. Je ne savais pas que le financement pour ce rapport provenait de Médicaments novateurs Canada. Ils ont témoigné devant notre comité.

La sénatrice Osler [ - ]

Je ne pense pas que nous abordions la question sous des angles différents. Ce que je voulais dire, c’est que ce rapport, qu’on a beaucoup utilisé, a été publié par le Conference Board du Canada, mais la source de financement n’était pas la même. Je me demandais si vous saviez que le financement venait de cet organisme. C’est pour cette raison que, dans mon discours, j’ai choisi d’utiliser les données de Statistique Canada. On dirait que vous êtes au courant.

La sénatrice Omidvar [ - ]

Ce n’est pas une question, mais je suis d’accord.

L’honorable Jim Quinn [ - ]

La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Omidvar [ - ]

Oui.

Le sénateur Quinn [ - ]

Merci pour votre discours, sénatrice Omidvar, en particulier pour ce que vous avez dit sur l’importance de faire ce premier pas pour aider les Canadiens n’ayant pas les moyens actuellement de se payer des médicaments. Je crois qu’il s’agit là d’un enjeu crucial.

Durant toutes les audiences de votre comité sur la mesure législative, avez-vous déterminé si son adoption créerait des failles qui pourraient toucher les gens actuellement couverts par des régimes d’assurance? Serait-il possible qu’en nous occupant d’un segment de la population — un segment très important —, nous créions une faille dans un autre secteur, même s’il s’agit d’une faille temporaire durant le processus de négociation? Croyez-vous que des failles pourraient être créées, même de manière temporaire?

La sénatrice Omidvar [ - ]

À propos des failles, je ne suis pas certaine. Nous avons entendu parler de failles, sénateur Quinn, surtout au cours de la mise en place initiale, mais je n’ai pas la certitude d’avoir connaissance d’une faille en particulier. Nous avons entendu que, au moment de la mise en place de la liste des médicaments assurés, il est possible que certaines personnes qui sont couvertes par un régime d’assurance privé cessent de l’être pour ces médicaments ou soient couvertes par le gouvernement. Je pense qu’il y aura des problèmes au début. J’en suis consciente.

L’honorable Marie-Françoise Mégie [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin d’appuyer le projet de loi C-64, Loi concernant l’assurance médicaments. Je remercie la sénatrice Pate pour le travail formidable effectué dans le parrainage de ce projet de loi.

Ce projet de loi constitue une étape importante vers la mise en place d’un régime d’assurance médicaments universel, qui permettra de sauver des vies en améliorant la santé de la population canadienne tout en réduisant le coût de notre système de santé.

Selon le rapport final de 2019 du Conseil consultatif sur la mise en œuvre d’un régime national d’assurance-médicaments, une personne sur cinq, soit 7,5 millions de Canadiens, n’a pas d’assurance médicaments ou bénéficie d’une couverture insuffisante pour assumer adéquatement le coût de ses médicaments.

Honorables sénateurs, c’est notre responsabilité constitutionnelle. Nous devons défendre les groupes vulnérables qui sont les moins susceptibles d’avoir accès à un régime d’assurance médicaments, notamment les Autochtones, les immigrants et les personnes racisées. Par conséquent, il semble opportun que le gouvernement prenne des mesures pour remédier à cette importante lacune. Pour atteindre cet objectif, le projet de loi C-64 s’articule autour de quatre principes directeurs énoncés à l’article 4 : accessibilité, abordabilité, universalité et utilisation appropriée.

Chers collègues, saviez-vous que, selon un sondage réalisé cette année par Cœur+AVC et la Société canadienne du cancer, plus d’une personne sur quatre au Canada a de la difficulté à payer le coût de ses ordonnances? Près d’un quart des Canadiennes et Canadiens ont déclaré fractionner des comprimés, sauter des doses ou décider de ne pas remplir ou renouveler une ordonnance en raison du coût; plus d’une personne sur quatre a dû faire des choix difficiles pour se payer des médicaments d’ordonnance, comme réduire son épicerie, retarder le paiement de son loyer, de son hypothèque ou de ses factures de services publics et s’endetter.

Ces chiffres révélateurs démontrent des lacunes dans notre système de santé qu’il est nécessaire de combler avec le projet de loi C-64.

Comme l’a mentionné le ministre de la Santé, M. Mark Holland, dans son témoignage au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, le projet de loi C-64 nous permettrait de « […] bénéficier d’un accès gratuit, sans co‑paiement ni franchise, à une gamme de médicaments contraceptifs et contre le diabète. »

Le caractère abordable et l’accessibilité sont indissociables. En effet, pour qu’un produit ou un service soit véritablement accessible, il doit également être financièrement abordable. Si les médicaments ou les soins de santé sont disponibles, mais hors de portée financière pour une partie de la population, leur accessibilité devient limitée ou même inexistante. Par exemple, en 2015, un Canadien sur quatre atteint de diabète a indiqué que son adhésion au traitement dépendait du coût.

L’accès aux médicaments d’ordonnance doit être basé sur un besoin médical, et non sur la capacité de payer. Ce sont mes 35 ans d’expérience en médecine familiale et mon expertise particulière en pied diabétique qui me permettent de vous affirmer qu’un diabète mal contrôlé entraîne souvent des complications graves, qui vont de l’infarctus à l’amputation en passant par la cécité. Ces situations accentuent les inégalités systémiques. Comme on l’a mentionné précédemment, ce sont les plus démunis qui subissent les conséquences les plus importantes. D’ailleurs, selon le Conference Board du Canada, 5 à 8 % des patients amputés d’une jambe sont des sans-abris. Si ce projet de loi n’est pas adopté, les inégalités en matière de santé demeureront. Ce serait une épée de Damoclès pour près d’un million de diabétiques qui, selon l’Institut canadien d’information sur la santé, risquent de souffrir d’une complication grave.

Jusqu’ici, nous parlons du coût des médicaments. Je n’ai pas souvent entendu parler des coûts humains et sociaux. On parle d’une personne sur le marché du travail qui a fait un AVC, a subi une amputation ou devient aveugle. Qu’arrivera-t-il de sa vie? De plus, nos urgences débordent, car on ne fait pas suffisamment de prévention. Ces patients n’ont pas eu leur médicament comme il se doit. Selon un rapport de l’Institut canadien d’information sur la santé, plus de 30 000 hospitalisations chaque année sont directement liées aux complications du diabète affectant les membres inférieurs. Ces hospitalisations ont coûté plus de 750 millions de dollars par an. Je vous parle du diabète, parce que cela concerne le projet de loi C-64, mais en réalité, toute maladie chronique mal soignée, faute de médicaments ou autres, aboutit à moyen ou à long terme à des complications variables en sévérité.

Chers collègues, je n’ai pas encore parlé du fardeau émotionnel et financier qui pèse sur les proches aidants. Dans bien des cas, ils sont eux-mêmes sur le marché du travail et se voient contraints de le quitter pour s’occuper de leur proche malade. J’ai eu l’occasion d’accompagner des patients et leurs proches aidants durant ma pratique médicale en soins à domicile. J’ai pu constater leur souffrance, leur sentiment de culpabilité et leur détresse.

L’accès aux soins de santé au Canada doit demeurer un droit universel et fondamental dans une société juste et équitable.

Comme l’a mentionné le ministre de la Santé, ce projet de loi est une première étape réalisée par le gouvernement du Canada pour arriver à une couverture plus étendue. Son prochain défi, puisque l’administration de la santé est de compétence provinciale, est de travailler en étroite collaboration avec les provinces et les territoires pour conclure des accords bilatéraux. Cela garantirait que les politiques de santé publique répondent aux besoins réels des populations, tout en tenant compte des particularités provinciales et territoriales, comme nous l’avons entendu au Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Il n’est pas de notre ressort de dicter les termes de ces accords entre les gouvernements. Je félicite la Colombie-Britannique, qui a conclu un protocole d’entente avec le gouvernement fédéral le 12 septembre 2024.

J’aimerais aussi souligner un exemple lié au projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada. Lors de son adoption, le Québec, qui disposait déjà d’un réseau public de services de garde éducatifs de qualité et d’un programme de places à contribution réduite, a vu ses besoins particuliers pris en compte dans l’accord de 2021-2026 conclu avec le gouvernement fédéral. À cet égard, l’article 5 de cet accord stipule ce qui suit :

[…] le Québec entend utiliser une portion significative des contributions versées en vertu de cet accord pour financer d’autres améliorations à son système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants [...]

En tant que fière Québécoise et après avoir vu la mise en œuvre du régime public d’assurance médicaments en 1997, je peux attester de son efficacité, même s’il reste encore bien des défis à relever dans notre système.

Ce fleuron québécois a montré qu’il est possible d’assurer une couverture de médicaments pour l’ensemble de la population, tout en garantissant un accès équitable aux soins et aux médicaments.

En ce qui concerne les critiques qui ont évoqué le coût plus élevé de ce régime, vous devez comprendre que celui-ci couvre plus de 8 000 médicaments. Il permet cependant de réduire les inégalités et d’améliorer la qualité de vie de la population québécoise depuis plus de 25 ans.

En conclusion, nous avons aujourd’hui l’occasion d’établir une assurance médicaments pancanadienne. Profitons de cette lancée pour adopter le projet de loi C-64 sans amendements, afin de ne pas laisser 7,5 millions de Canadiens et de Canadiennes sans assurance médicaments. C’est une question d’équité!

Je vous remercie.

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