Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
1 décembre 2021
Propose que le projet de loi S-206, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, c’est avec fierté que je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-206, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés), que j’ai déposé au Sénat la semaine dernière.
Ce projet de loi qui me tient à cœur, tout comme le projet de loi S-212, que j’avais déposé lors de la précédente législature, vise à mettre de l’avant une importante recommandation formulée dans un rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes.
Ce rapport, qui a été rendu public en mai 2018 et s’intitule Mieux soutenir les jurés au Canada, a formulé plusieurs recommandations, dont la quatrième, qui porte sur l’assouplissement de la règle du secret des délibérations. Cette recommandation dit ce qui suit, et je cite :
Que le gouvernement du Canada modifie l’article 649 du Code criminel afin que les jurés soient autorisés à discuter des délibérations avec des professionnels de la santé mentale désignés une fois que le procès est terminé.
Cette recommandation, faut-il le rappeler, a été appuyée par tous les membres du comité lors de la 42e législature, et ce, peu importe leur allégeance politique. Le rapport a été produit à la suite d’une étude de huit jours sur cette question.
Le 29 octobre 2018, le député de St. Albert—Edmonton, Michael Cooper, a déposé le projet de loi C-417 à l’autre endroit. Ce projet de loi a été adopté à l’unanimité, puis a été renvoyé au Sénat, mais il est mort au Feuilleton lors de la dissolution du Parlement, en septembre 2019.
Le projet de loi S-206 reprend intégralement les éléments contenus dans le projet de loi C-417 du député Cooper. Je tiens à vous rappeler que ce projet de loi modifie le Code criminel afin de prévoir :
[...] que l’interdiction de divulgation de tout renseignement relatif aux délibérations d’un jury ne s’applique pas, dans certaines circonstances, à la divulgation de renseignements par des membres d’un jury à des professionnels de la santé.
Malheureusement, on constate, presque quatre ans plus tard et pour une quatrième fois, qu’un projet de loi est déposé afin d’éviter que d’honnêtes citoyennes et citoyens, qui investissent leur temps et mettent souvent leur santé en péril pour remplir un rôle majeur dans notre système de justice, deviennent des victimes de ce système de justice qui les empêche d’aller chercher de l’aide, et qui les accuserait même au criminel s’ils le faisaient. Voilà une drôle de façon, me direz-vous, de remercier des personnes qui ne font que remplir un devoir exigé par notre pays.
En effet, l’article 649 du Code criminel prescrit que tout juré qui divulgue, pendant sa vie, tout renseignement relatif aux délibérations du jury, même à un professionnel de la santé mentale, commet une infraction criminelle.
Cet article doit absolument être assoupli pour protéger la santé des hommes et des femmes qui sortent de cette expérience souvent traumatisés par ce qu’ils ont lu, entendu ou vu.
Nous le savons toutes et tous, vouloir protéger la santé mentale des jurés est un dossier qui transcende les allégeances politiques. Ce projet de loi contribuera à rendre notre système de justice plus humain, et il est de notre devoir de le faire progresser afin de limiter la souffrance de ces hommes et de ces femmes qui ne font qu’accomplir leur devoir de citoyens.
Je vous demande, chers collègues, d’accepter de renvoyer le projet de loi S-206 au Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles immédiatement après le discours de la sénatrice Moncion, afin que nous puissions l’étudier dans les plus brefs délais et le renvoyer rapidement à la Chambre des communes pour qu’il soit adopté.
Ce projet de loi porte sur un enjeu important, non partisan, et il a déjà été étudié en profondeur à l’autre endroit. Il n’est pas nécessaire de perdre davantage de temps avant de l’adopter.
Comme le disait M. Mark Farrant, président de la Commission canadienne des jurés, un ancien juré qui milite pour les droits des jurés au Canada :
Le devoir de juré est la pierre angulaire de notre système de justice. Les jurés sont souvent exposés à des preuves troublantes et graphiques. Il est juste de dire que le devoir de juré n’a pas suivi le rythme des exigences croissantes de notre monde moderne et ma mission est de demander des changements. Ce projet de loi, qui est un simple amendement au Code criminel, fera une énorme différence pour les jurés qui cherchent de l’aide après la fin de leur procès.
Alors que plusieurs anciens jurés sont devenus ce que j’appellerais des « victimes » de notre système de justice, je trouve inacceptable que ce même système de justice les condamne à la prison du silence en raison de souffrances liées à la santé mentale. C’est tout à fait immoral.
Exercer le rôle de juré lors de procès criminels peut devenir une expérience des plus stressantes dans une vie. J’ai rencontré Mme Tina Daenzer, une ancienne jurée qui a siégé au procès du meurtrier Paul Bernardo. Elle m’a raconté toute la souffrance post-traumatique qui envahit ceux et celles qui ont voulu servir la justice en assumant les responsabilités de juré.
Pensez à ces femmes et à ces hommes qui doivent examiner la preuve lors de procès criminels relatifs à des crimes très violents contre des femmes ou contre des enfants, des meurtres sordides survenus lors de drames familiaux, des agressions sexuelles violentes, des règlements de comptes dans le milieu du crime organisé, et j’en passe.
Il n’existe pas de formation pour préparer adéquatement ces femmes et ces hommes à devenir membres d’un jury. Il n’y a que le hasard qui peut vous appeler à remplir ce devoir très exigeant, un hasard qui fait de vous une victime du système de justice.
Ces expériences troublantes et dévastatrices sont vécues sans accompagnement psychologique, et pire encore, avec l’obligation de garder le silence et de subir ces traumatismes sans avoir le droit de demander de l’aide. Le silence est la prison des victimes.
Les jurés sont livrés à eux-mêmes, plongés sans préavis dans un univers criminogène et macabre au moment d’un procès; ils sont séquestrés et doivent délibérer pendant des jours, puis sont renvoyés chez eux sans soutien ni accompagnement pour reprendre le cours normal de leur vie, comme si rien ne s’était passé.
Voilà précisément ce que le projet de loi vise à modifier en établissant une exception limitée à la règle du secret afin que les anciens jurés qui souffrent de problèmes de santé mentale découlant de leurs fonctions de juré puissent parler de tous les aspects de ces responsabilités à un professionnel de la santé en toute quiétude.
L’intégrité de la règle du secret sera protégée parce que, encore une fois, la divulgation se fera dans un contexte strictement confidentiel, après le procès et auprès d’un professionnel de la santé qui est, lui aussi, lié par le secret professionnel. Cette exception permettra donc aux anciens jurés d’aborder des sujets essentiels avec leur professionnel de la santé afin d’obtenir le soutien dont ils ont besoin et auquel ils devraient avoir droit. Je ne vois pas pourquoi cette modification au Code criminel ne pourrait faire l’unanimité auprès de vous tous, chers collègues.
Je suis convaincu qu’il le fera et que notre accord unanime quant à cet amendement proposé dans le projet de loi permettra enfin aux personnes qui pourront s’en prévaloir de prendre soin d’elles adéquatement et en toute légalité.
J’aimerais également souligner que la criminalité est en constante augmentation au Canada et que le système de justice doit faire appel à de plus en plus de jurés. Si l’on consulte le rapport de Statistique Canada sur les homicides, on constate qu’au Canada, en 2020, il y a eu 743 homicides, soit 56 de plus que l’année précédente, et que le nombre de tentatives de meurtre s’élève à 864. Les procès pour meurtres et tentatives de meurtre ne sont pas les seuls crimes qui nécessitent la constitution d’un jury. Toute personne accusée d’une infraction criminelle au Canada peut subir un procès avec un jury.
Par conséquent, en raison de l’augmentation du nombre de procès au pays, nous devons tout faire pour que le projet de loi progresse rapidement au Sénat. Il s’agit d’une urgence nationale pour toutes les personnes qui feront leur devoir de citoyen et les anciens jurés qui nous regardent en ce moment et attendent avec impatience que le Sénat du Canada fasse ses devoirs en adoptant ce projet de loi, pour le renvoyer rapidement à l’autre endroit.
Je tiens à remercier de nouveau la sénatrice Moncion pour son soutien indéfectible et surtout pour sa contribution à cette importante cause qui la touche personnellement, en raison de son expérience comme membre d’un jury. Même si 30 ans se sont écoulés depuis cette difficile expérience, elle continue d’avoir des effets dans sa vie. Nous sommes privilégiés de pouvoir adopter un tel projet de loi qui est appuyé par une des nôtres; c’est la preuve que ce projet de loi a sa raison d’être. Je cite la sénatrice Moncion :
Lors de la dernière législature, tant les juristes, les professionnels de la santé mentale et les députés des deux côtés de la Chambre des communes ont appuyé ce projet de loi, dont le bien-fondé transcende la partisanerie. Considérant l’intérêt que suscite le changement proposé, il m’apparaît essentiel que cette législation chemine au Sénat dans un esprit de collaboration.
Je tiens à remercier la sénatrice Moncion d’avoir humblement partagé son expérience avec nous pour mieux nous sensibiliser à l’importance et à l’urgence d’agir.
Chers collègues, c’est donc avec cette même sensibilité et ce même sens de l’urgence que je vous demande de procéder à l’adoption de ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, afin qu’il puisse être étudié rapidement en comité.
Merci beaucoup.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que porte-parole du projet de loi S-206, la Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés).
Comme vous le savez, j’ai déjà prononcé deux discours à ce sujet lors de sessions précédentes.
La modification législative proposée par le sénateur Boisvenu bénéficie d’un fort appui qui transcende les allégeances politiques et partisanes. L’amendement proposé à l’article 649 du Code criminel a déjà fait l’objet d’une étude complète au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, et le projet de loi C-417, qui est à l’origine du projet de loi S-206, a également été étudié par ce comité. Cela me permet de militer avec confiance pour l’adoption rapide de cette loi au Sénat.
En 2018, à la lumière de nombreux témoignages d’anciens jurés, de juristes et de professionnels de la santé, le Comité de la justice avait recommandé de créer une exception à la règle du secret du délibéré, la Secrecy Rule.
La règle interdit indéfiniment à un juré de divulguer tout renseignement relatif aux délibérations du jury à quiconque. Cette règle a une portée très large, puisqu’elle inclut tout renseignement qu’un juré pourrait divulguer, ce qui comprend les émotions, les sentiments de frustration, d’impuissance, de peur, de colère et de désarroi, et les pensées négatives qui sont associés aux interactions difficiles avec les autres membres du jury. Le projet de loi aurait pour effet de mettre fin à la souffrance et au silence en permettant aux jurés de divulguer des informations relatives aux délibérations à un professionnel de la santé mentale.
Je vais maintenant aborder l’objet principal du projet de loi : le bien-être des jurés. D’un point de vue juridique, les jurés forment une catégorie spéciale de gens à qui l’ont refuse des soins complets en matière de santé. Ce projet de loi vise à améliorer la santé mentale des anciens jurés, car la santé mentale de chacun est importante.
Les jurés peuvent être exposés à des éléments de preuve dérangeants. Ils peuvent vivre des situations stressantes lorsqu’ils croisent l’accusé au palais de justice ou dans leurs interactions avec les autres jurés, avec qui ils ne s’entendent pas nécessairement bien ou qui ne partagent peut-être pas leur opinion. Ils peuvent se sentir coupables de ne pas pouvoir en arriver au verdict souhaité par la victime ou sa famille ou devenir eux-mêmes victimes de l’acharnement des médias si, selon l’opinion du public, le verdict rendu ne faisait pas en sorte que la personne lésée ait obtenu justice.
En outre, les jurés peuvent être séquestrés pendant de longues périodes, parfois pendant des semaines. Ils perdent ainsi l’accès à leurs réseaux de soutien et, souvent, se sentent coupables d’avoir à quitter leur conjoint et leurs enfants pendant plusieurs semaines.
Selon M. Patrick Baillie, qui a témoigné devant le Comité de la justice, les recherches montrent que le processus de délibération peut être la partie la plus difficile et stressante du travail de juré et peut causer de l’anxiété, un trouble de stress post-traumatique et la dépression.
Mark Farrant, PDG de la Commission canadienne des jurys et ancien juré, a également témoigné devant le comité. Selon lui, les jurés accomplissent leur devoir de citoyen, mais ne devraient pas avoir à souffrir psychologiquement en retour.
Les personnes qui exercent la fonction de juré peuvent développer des troubles d’anxiété, de stress post-traumatique, de dépression ou encore des problèmes dans leurs relations interpersonnelles. Pourtant, l’expérience comme juré omet toutes les considérations qui ont trait au bien-être et à la santé mentale.
J’aimerais vous faire part des résultats d’une étude qui a été effectuée par la Commission canadienne des jurys auprès de groupes de consultation d’anciens jurés qui ont siégé à des procès pour cause de meurtre. Sans être exhaustives, ces quelques informations vous permettront de mieux comprendre ce que leur expérience de juré leur a laissé en héritage, et je cite:
La plupart des jurés ont affirmé que le juge les avait congédiés sans ménagement.
Presque tous les jurés ont dit qu’il avait été difficile de retourner à la vie normale.
Certains n’arrivent pas à retourner au travail avant des mois ou des années; d’autres quittent leur emploi.
Dans certains cas, il faut des mois, voire une année, avant que les amis et la famille d’un juré aient l’impression que ce dernier a retrouvé un semblant de normalité.
Certains jurés continuent d’être tourmentés et de rejouer le fil de leur participation au procès longtemps après que tout soit terminé.
Nombreux sont ceux qui se sentent isolés et abandonnés et, dans bien des cas, ce sentiment perdure pendant des années.
Il a aussi été question :
[...] d’un manque d’empathie, de sympathie, de compréhension et de considération de la part des collègues de travail, de l’employeur, des amis et de la famille, qui ne peuvent tout simplement pas comprendre l’ampleur de l’expérience vécue.
Dans bien des cas, les jurés croient que cette expérience les aura marqués à jamais et qu’ils ne pourront jamais être comme avant et avoir le sentiment d’être « revenus à la normale ».
Comme l’a affirmé un juré ontarien :
J’étais une épave. Je pleurais. Je pensais que je serais enfin heureux, parce que tout cela était terminé, mais j’étais une épave. C’est comme si tout cela nous rattrapait par après. Ce n’est pas du tout l’expérience à laquelle on s’attend. Je pensais être soulagé, mais je me suis retrouvé avec des émotions qui ont subsisté et avec lesquelles je devais maintenant composer, ce à quoi je ne m’attendais pas. Quant au tribunal [...] vous avez fait votre boulot, allez-vous-en.
La règle du secret du délibéré peut carrément empêcher l’obtention de services d’un professionnel de la santé. Mark Farrant, ancien juré et PDG de la Commission canadienne des jurys, souffre d’un stress post-traumatique causé par son expérience comme juré. Avant d’être en mesure de recevoir de l’aide, il s’est fait refuser à maintes reprises les services d’un professionnel de la santé mentale. Mark souffrait en silence et on lui refusait de l’aide systématiquement. Cette situation est profondément injuste et préoccupante.
Avec raison, les professionnels de la santé craignent d’offrir leurs services à d’anciens jurés, sachant que leur client risque d’enfreindre la règle du secret du délibéré et d’écoper d’une peine de six mois de prison ou d’une amende de 5 000 $, ou les deux.
Cette expérience, qui est partagée par nombre d’anciens jurés s’étant fait refuser les services de professionnels de la santé, illustre les failles importantes associées à la portée de la règle. Le fait que le Code criminel crée un régime de négation de droit à des services de santé essentiels est grandement problématique.
Comment les jurés peuvent-ils gérer leur santé mentale adéquatement lorsque la dernière instruction donnée par le juge consiste à leur rappeler qu’ils ne peuvent parler des délibérations à personne?
Nos tribunaux créent des victimes, les jurés, en plus de les dépouiller des moyens qui leur permettraient de remédier aux préjudices qu’ils ont subis dans le cadre d’une obligation civique. Les principaux acteurs du système de justice, comme les enquêteurs, les juges, les avocats ou les greffiers, ont, pour leur part, accès à des programmes d’aide psychologique. Pourtant, rien n’est offert aux jurés.
La nature de la règle elle-même restreint l’étude de ses conséquences sur la santé mentale de l’individu. L’immensité du fardeau de la cause des jurés repose donc presque exclusivement sur les épaules des principaux concernés. Les juristes s’entendent pour dire que la règle du secret du délibéré peut être modifiée pour prévoir une exception bien précise, sans que son essence ou sa fonctionnalité soient compromises pour autant.
Le juge Lamer, dans le rapport de la commission d’enquête publié en 2006, avait identifié les principes suivants : la promotion de discussions franches entre les jurés, la protection des jurés contre le harcèlement, la censure et les représailles des personnes condamnées ou de leurs proches et le caractère définitif du verdict.
En ne s’appliquant qu’après les délibérations, l’exception à la règle proposée dans cette législation est conforme aux principes identifiés par le juge Lamer dans son rapport. Le projet de loi S-206 offre ce juste équilibre tant recherché.
La professeure Vanessa MacDonnell, membre de la Criminal Lawyers’ Association, qui a témoigné devant le comité, soutient elle aussi que l’introduction d’une exemption bien circonscrite ne viendrait miner d’aucune manière les principes sous-jacents à la règle du secret du délibéré.
L’État de Victoria, en Australie, pionnière en la matière, a inscrit une telle exception dans sa législation. Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne s’est inspiré du cas de Victoria lorsqu’il a mis de l’avant cette recommandation. Le rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de l’autre endroit a reconnu d’emblée que la réglementation des jurys est un domaine de compétence que l’on attribue a priori aux provinces et aux territoires en matière d’administration de la justice.
Pour faire une réelle différence, le projet de loi proposé devrait être accompagné d’autres mesures visant à venir en aide aux jurés au Canada. Une approche concertée, qui prône la collaboration entre les différents ordres de gouvernement et les organismes compétents, est de mise.
Nous devons nous efforcer de mettre en œuvre toutes les recommandations du rapport Mieux soutenir les jurés au Canada. Ce rapport dresse le tableau d’une réforme intégrale des jurys au pays. Je vous invite, chers collègues, à y jeter un coup d’œil.
Je pense notamment à la troisième recommandation du rapport de l’autre endroit, qui évoque l’organisation de séances de débreffage après les délibérations. Le gouvernement fédéral pourrait, de sa propre initiative, offrir du financement au moyen de son pouvoir de dépenser afin de soutenir l’administration de programmes provinciaux et territoriaux dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations du rapport.
Le gouvernement fédéral pourrait également octroyer des fonds à des organismes qui ont pour mission de veiller à la santé mentale des jurés, afin qu’ils aient les moyens de mettre en œuvre ces recommandations. Ce rapport mérite l’attention du gouvernement et des parlementaires, car on en a encore fait trop peu à ce sujet.
La pandémie a exercé et continue d’exercer une pression psychologique inédite sur les différents acteurs clés du système de justice, y compris les jurés. Malgré cette pression, les droits inhérents à l’administration de la justice continuent d’exister. Le droit des accusés d’être jugés dans un délai raisonnable en vertu de l’alinéa 11b) de la Charte demeure, et le fait d’arriver à un verdict dans un délai raisonnable est crucial pour les victimes d’actes criminels et pour la sécurité publique.
L’arrêt Jordan, un jugement rendu par la Cour suprême dans l’affaire R c. Jordan, fixe le délai dans lequel il faut tenir un procès. En raison de la pandémie de COVID-19, de nombreux cas ont dépassé les délais de 18 et 30 mois qui sont prévus dans l’arrêt Jordan, car les tribunaux ont estimé que le retard était justifié par l’exception prévue pour des « circonstances exceptionnelles ».
Étant donné que nous sortons de la pandémie pour entrer dans ce que beaucoup de gens qualifient de crise de santé mentale où de nombreuses personnes sont également confrontées à des difficultés socioéconomiques en raison des taux d’inflation qui font en sorte qu’il est difficile de joindre les deux bouts, nous pouvons prédire que le devoir de juré ne sera pas une priorité pour les Canadiens. L’opinion publique et le manque possible de volonté d’exercer les fonctions de juré finiront par nuire au fonctionnement du système judiciaire si des questions comme le bien-être des jurés ne sont pas abordées en temps opportun.
Une jeune propriétaire d’entreprise a informé mon mari qu’elle avait été convoquée comme jurée. J’ai avisé mon mari de lui dire de trouver un moyen de s’en sortir. Elle est propriétaire d’une entreprise et elle ne peut pas se permettre de faire partie d’un jury pendant une longue période.
Selon un sondage mené par la Commission canadienne des jurys, les Canadiens ont accordé une cote moins élevée à la fonction de juré qu’au don de sang ou au bénévolat au sein de la collectivité sur le plan de l’importance civique. Ces opinions sont le résultat de décennies de sous-investissement dans les fonctions de juré partout au pays et d’un régime législatif inadéquat qui ne veille pas au bien-être psychologique des jurés pendant et après un procès criminel.
Les parlementaires ont le devoir, envers les personnes accusées et les victimes d’actes criminels, mais aussi envers le public pour assurer sa sécurité, de fournir le soutien nécessaire aux tribunaux. Ce devoir commence par le fait de porter une attention particulière au bien-être des jurés.
Force est de constater que le projet de loi S-206 s’attaque à un problème qui dépasse la partisanerie, c’est-à-dire la santé mentale des jurés au Canada. Outre le fait qu’il s’agit d’un devoir civique essentiel à l’exercice des droits fondamentaux de l’accusé et au bien-être des victimes, la formation d’un jury constitue une façon d’apporter la perspective des membres du public dans l’engrenage du système judiciaire.
Actuellement, les jurés deviennent des victimes collatérales du système de justice et le Code criminel perpétue leurs souffrances. L’exercice de la fonction de juré ne devrait toutefois pas se faire au détriment de la santé mentale des citoyens qui y sont convoqués. À cause de mon expérience, je peux vous assurer que ce projet de loi est absolument nécessaire et essentiel pour les anciens jurés qui souffrent en silence. Comme l’a mentionné le sénateur Boisvenu, en 1989, alors que j’étais mère de deux jeunes enfants et que j’étais sur le marché du travail, j’ai été convoquée pour exercer la fonction de juré lors d’un procès pour meurtre au premier degré. J’ai passé presque deux mois à la cour. Le procès s’est terminé un samedi. Le lundi suivant, j’ai pris l’avion pour me rendre à Val Gagné, dans le Nord de l’Ontario, pour faire la conversion informatique d’un système bancaire. Je reprenais ma vie, là où je l’avais laissée deux mois plus tôt. Je n’étais plus la même.
À la suite de ce procès, j’ai souffert du syndrome de stress post-traumatique, une condition qui a eu des conséquences dans toutes les sphères de ma vie, y compris au sein de ma famille.
La santé mentale était auparavant stigmatisée et constitue une réalité nouvelle dans l’arène politique. Maintenant, nous ne connaissons que trop bien les séquelles psychologiques dont souffrent les jurés lorsqu’ils font leur devoir, et nous ne pouvons pas y rester insensibles.
Je tiens à vous avertir, honorables sénateurs, que la prochaine partie de mon discours contient des détails choquants.
Songez un instant à votre réaction si on vous montrait des images explicites d’un enfant de 6 ans attaché à une chaise avec du ruban à conduits, ce même ruban lui couvrant le visage et le nez, et que vous appreniez ensuite que cet enfant sous-alimenté est mort d’asphyxie? Comment réagiriez-vous au sujet de cette fillette de 8 ans, violée puis assassinée à coups de marteau? Que diriez-vous après avoir regardé des vidéos de deux filles de 14 et 16 ans se faisant violer à répétition, puis vu des photos de leur corps abandonné dans un fossé?
Maintenant, essayez de rationaliser tout cela et de vous demander pourquoi de telles choses se sont produites. Qui fait de telles choses? Comment quiconque peut-il être assez maléfique pour même songer à faire cela à une autre personne?
En entrant dans le tribunal, vous êtes une bonne personne. On vous confronte à des atrocités. Vous savez quoi? Cela ne vous quitte plus. Chaque fois que vous entendez parler d’un meurtre, vous serrez les dents. Vous vous souvenez. Je pourrais continuer, mais je suis persuadée que vous avez saisi.
La loi du silence ne tient plus et il faut modifier la règle du secret.
Chers collègues, le projet de loi S-206 n’est pas un projet de loi du gouvernement. C’est un projet de loi d’intérêt public du Sénat qui a fait l’objet d’un examen approfondi à la Chambre des communes et qui bénéficie d’un vaste appui parmi les députés, les versions antérieures de cette mesure ayant été adoptées à l’unanimité.
Il faut maintenant renvoyer ce projet de loi au comité sénatorial afin qu’il y soit étudié, renvoyé ici et adopté, puis renvoyé à l’autre endroit le plus rapidement possible.
Puisque ce projet de loi a été déposé au Sénat pour la quatrième fois, j’espère sincèrement que cette fois-ci est la bonne et qu’il sera adopté au Sénat et à la Chambre des communes dans les meilleurs délais.
Madame la Présidente, chers collègues, appuyer le projet de loi S-206 nous permettra d’aider les Canadiennes et les Canadiens appelés à exercer leur fonction de juré à mieux vivre et survivre à ce devoir civique. Discutons de la question dès maintenant et renvoyons ce projet de loi au comité pour qu’il soit étudié. Je vous remercie de votre attention.
Honorables sénateurs, je voudrais participer au débat pendant quelques secondes pour souligner que le sujet dont nous discutons ici est très important. Je voudrais également féliciter le sénateur Boisvenu, le parrain de ce projet de loi, ainsi que la sénatrice Moncion, qui a décrit l’expérience qu’elle a vécue comme membre d’un jury. J’aimerais ajouter quelques commentaires et je vais donc ajourner le débat pour le reste de mon temps de parole.