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Projet de loi visant l'égalité réelle entre les langues officielles du Canada

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

18 mai 2023


L’honorable René Cormier [ + ]

Propose que le projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénatrices et sénateurs, je tiens d’abord à souligner que les terres sur lesquelles nous sommes rassemblés et à partir desquelles je vous parle aujourd’hui font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple anishinabe algonquin.

Chers collègues, nous vivons dans un Canada fier de sa diversité culturelle et riche de sa diversité linguistique, et c’est pour moi un réel privilège de prendre la parole aujourd’hui en tant que parrain du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

En 1988, la Cour suprême du Canada affirmait ce qui suit dans la décision Ford c. Québec :

Le langage n’est pas seulement un moyen ou un mode d’expression. Il colore le contenu et le sens de l’expression. […] C’est aussi le moyen par lequel on exprime son identité personnelle et son individualité.

C’est donc avec ces affirmations en tête que je prends la parole aujourd’hui au sujet de cet important projet de loi pour l’avenir des droits linguistiques dans notre pays.

Chers collègues, nous sommes saisis d’une mesure législative essentielle. Le projet de loi C-13 modernise le régime canadien des langues officielles. Étant moi-même membre d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire, je suis particulièrement honoré de parrainer ce projet de loi et de veiller aux dernières étapes de son étude et à son éventuelle adoption.

Force est de constater que la Loi sur les langues officielles a eu de nombreuses retombées positives dans nos vies, dans la vie de nos familles et de nos communautés francophones, francophiles et anglophones. Cette loi a participé à définir le Canada d’aujourd’hui et représente un pilier de notre démocratie parlementaire.

Ses effets positifs sont toujours ressentis d’un bout à l’autre du pays, que ce soit dans les familles acadiennes, franco-ontariennes, franco-manitobaines, fransaskoises, franco-albertaines, franco‑colombiennes, franco-ténoises, franco-yukonnaises, franco-nunavoises, ainsi que dans les familles québécoises d’expression anglaise et française.

En tant que minorités, les communautés de langues officielles canadiennes se sont façonnées sur des dynamiques de résilience, de résistance, d’alliance et d’inclusion. Nous sommes tous gagnants et gagnantes, chers collègues, lorsque nous avons accès de façon égale aux deux langues officielles. Le fait d’avoir les deux langues officielles du « vivre ensemble » au Canada favorise l’épanouissement de nos communautés et renforce les relations entre tous les Canadiens et Canadiennes. La Loi sur les langues officielles revêt ainsi un caractère important dans le paysage politique, social et constitutionnel canadien.

Nous sommes nombreuses et nombreux à avoir été témoins de l’évolution des droits en matière de langues officielles depuis l’adoption de la première loi, en 1969. Nos deux langues officielles font partie intégrante de l’histoire du Canada depuis sa fondation, mais elles ont été renforcées par l’adoption de la première Loi sur les langues officielles.

Rappelons-nous que cela débuta en 1963, alors que le gouvernement du Canada créait la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme. Cette commission entreprit un examen sur l’état du bilinguisme au pays afin de répondre aux préoccupations formulées par les francophones, notamment à l’endroit des inégalités vécues au sein du gouvernement fédéral.

C’est à la suite des recommandations de la Commission Laurendeau-Dunton que la première Loi sur les langues officielles a été adoptée en 1969, faisant du français et de l’anglais les deux langues officielles du Canada. Cela marquait un tournant dans l’histoire de notre pays. La dualité linguistique qui en a découlé allait désormais façonner des éléments importants de l’image et de la culture du pays, qui font partie intégrante de la façon dont la plupart des Canadiens se reconnaissent aujourd’hui.

Grâce à cette loi, le gouvernement libéral est maintenant tenu de mieux communiquer avec les Canadiens et de leur fournir des services dans les deux langues officielles. En outre, la loi a mis en place des obligations qui favorisent l’accès à la justice dans les deux langues officielles et a officialisé le recours aux deux langues officielles dans les délibérations parlementaires.

Depuis, le paysage linguistique n’a cessé d’évoluer au Canada. D’autant plus que les gouvernements provinciaux et territoriaux se sont inscrits dans l’évolution de ces droits linguistiques. C’est en 1969, par exemple, que le Nouveau-Brunswick se déclarait officiellement bilingue — province qui demeure d’ailleurs, à ce jour, la seule province qui porte fièrement ce statut, mais pas sans défis, je dois le reconnaître.

Dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, non seulement l’anglais et le français sont reconnus comme étant des langues officielles, mais les langues autochtones sont aussi reconnues comme telles.

En 1977, le gouvernement du Québec adoptait la Charte de la langue française. En 1985, le Manitoba prenait les mesures nécessaires pour respecter son obligation constitutionnelle quant au bilinguisme législatif, et en 1986, l’Ontario se dotait de la Loi sur les services en français, loi qui reconnaît le droit d’utiliser le français à l’Assemblée législative, qui oblige celle-ci à adopter ses lois dans les deux langues, et qui garantit le droit de recevoir les services provinciaux en français dans certaines de ses régions.

En effet, depuis l’adoption de la Loi sur les langues officielles, les trois territoires et toutes les provinces ont adopté des lois, des politiques et des programmes qui garantissent des services en français ou qui reconnaissent l’apport des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

L’adoption en 1982 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit notamment le droit à l’instruction dans la langue de la minorité, un droit essentiel à la vitalité et à l’épanouissement des communautés minoritaires anglophones et francophones, a également été déterminante.

En 1988, une loi modifiée sur les langues officielles a été adoptée. En plus de préserver les acquis de 1969, cette version garantit le droit de travailler dans la langue officielle de son choix dans les institutions fédérales sous certaines conditions. En outre, la loi contient désormais une nouvelle partie, la partie VII, qui présente un nouvel engagement du gouvernement du Canada à promouvoir le français et l’anglais dans la société canadienne.

La loi contient également un nouvel engagement à soutenir l’épanouissement des communautés minoritaires de langue officielle, c’est-à-dire les communautés francophones hors Québec et les communautés anglophones au Québec.

La Loi sur les langues officielles a été à nouveau modifiée en 2005, notamment sous l’impulsion du sénateur Jean-Robert Gauthier, dont je salue la mémoire. L’objectif était de renforcer la partie VII de la loi en y ajoutant l’obligation que les institutions fédérales prennent des mesures positives pour mettre en œuvre l’engagement gouvernemental, et de rendre la partie VII de la loi justiciable, si cet engagement de prises de mesures positives n’était pas respecté.

Cela dit, depuis 2005, la Loi sur les langues officielles n’a pas été revue ni modifiée. Les Canadiennes et les Canadiens s’entendent pour dire qu’une révision s’impose. De plus, au fil des ans, la jurisprudence en matière de droits linguistiques s’est précisée. Tous ces aspects législatifs représentent la fondation de notre régime linguistique.

De plus, c’est par l’intermédiaire de la mise en œuvre de mesures administratives, réglementaires et de programmes que le gouvernement du Canada assure le déploiement de sa vision nationale.

Chers collègues, en recensant l’évolution du régime linguistique canadien, reconnaissons aujourd’hui que les langues officielles du Canada sont au cœur de notre histoire, de notre culture, de nos valeurs, de notre identité et de notre contrat social, et que l’heure est venue de moderniser ce régime au bénéfice de tous les Canadiennes et Canadiens d’aujourd’hui et des générations à venir.

Pourquoi est-il si important de moderniser la Loi sur les langues officielles maintenant? Parce qu’il ne faut jamais perdre de vue que cette loi est l’une des raisons pour lesquelles les deux langues officielles sont employées et célébrées au Canada. Nous pouvons être fiers de nos langues officielles, du régime linguistique du Canada, qui inclut les langues autochtones, et de la résilience, de l’endurance et de la conviction dont les communautés linguistiques minoritaires au pays font preuve depuis des années.

La loi a littéralement transformé la société canadienne. Le taux de bilinguisme au Canada a augmenté de 50 % depuis l’adoption de la Loi sur les langues officielles d’origine.

Aujourd’hui, 30 ans après sa dernière mise à jour majeure, la Loi sur les langues officielles doit être modernisée afin de demeurer pertinente dans une société en évolution marquée par des réalités technologiques, sociales et démographiques qui n’existaient pas en 1988.

Ce projet de loi que nous avons devant nous est le reflet d’un processus de consultation étoffé. Le projet de loi déposé par la ministre des Langues officielles et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique s’inscrit donc dans une progression historique qui aura évolué au rythme des attentes des Canadiennes et des Canadiens.

Malgré les avancées réalisées depuis 1969 à l’échelle fédérale, provinciale et territoriale, il n’en demeure pas moins qu’il faut agir rondement en modernisant le régime de langues officielles du Canada, car le dernier recensement a créé un état d’urgence en faisant état du recul important de la proportion de Canadiennes et de Canadiens bilingues, qui sont en mesure de s’exprimer, de vivre et de travailler dans les deux langues officielles.

Le projet de loi est le résultat de consultations auprès d’intervenants de partout au pays, un processus qui a commencé en 2019. De nombreux intervenants ont participé à cette conversation nationale. Les comités parlementaires, le commissaire aux langues officielles, les organismes communautaires, les chercheurs, les associations professionnelles et les syndicats ont tous soumis des mémoires et des rapports de recherche. N’oublions pas les provinces et les territoires qui ont fait connaître leurs visions, leurs positions et leurs aspirations respectives lorsqu’ils ont été consultés.

Rappelons aussi que notre Comité sénatorial permanent des langues officielles avait déjà proposé des modifications à la loi en 2019 dans son rapport final intitulé La modernisation de la Loi sur les langues officielles : la perspective des institutions fédérales et les recommandations, et qu’il a fourni des conseils importants lors de son étude préliminaire du projet de loi C-13, qui ont été effectivement pris en compte dans la version dont nous sommes saisis. Chers collègues, nous devrions être fiers de l’importante contribution de notre comité et du Sénat à la conversation nationale.

Je reconnais et j’apprécie de tout cœur le travail essentiel de la Présidente du Sénat nouvellement nommée lors de nos études sur cette importante question.

Permettez-moi de sortir de mon texte, chers collègues, pour féliciter et remercier notre nouvelle Présidente, l’honorable Raymonde Gagné. Rigueur, engagement, collaboration, bienveillance et détermination sont les mots qui me viennent à l’esprit quand je pense à sa contribution à l’étude de ce projet de loi et à la question des langues officielles de façon générale. Merci, madame la Présidente. Merci, madame Raymonde Gagné, pour votre précieuse contribution. La communauté franco-manitobaine, la francophonie canadienne et le Canada tout entier peuvent être fiers de vous. Je vous remercie.

Personne ne peut nier que notre pays a subi une transformation considérable au cours des 30 dernières années, une transformation encore plus importante depuis l’adoption de la première Loi sur les langues officielles, il y a plus de 50 ans. La modernisation ne se contente donc pas de répondre aux défis en matière de langues officielles d’aujourd’hui, mais anticipe aussi ceux que nous rencontrerons demain.

Le projet de loi est l’expression de la vision énoncée dans le document de réforme qui a été rendu public par le gouvernement du Canada en février 2021. Cette vision était articulée autour de six principes directeurs, qu’il me semble important de bien présenter, car ils sont à la base de la nouvelle mouture du projet de loi C-13.

Le premier principe directeur est le suivant : la reconnaissance des dynamiques linguistiques dans les provinces et les territoires et des droits existants en matière de langues autochtones.

Ce principe directeur découle du fait qu’au Canada, les réalités linguistiques varient de manière importante d’un océan à l’autre. Cela est également vrai dans le cas des régimes linguistiques des provinces et des territoires. Toutes les provinces et les trois territoires ont adopté des lois, des politiques ou des programmes pour garantir qu’ils offrent des services en français ou pour reconnaître la contribution de leurs communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Il existe donc une diversité de régimes linguistiques provinciaux et territoriaux dont le gouvernement du Canada tient compte dans le cadre de l’appui qu’il accorde aux langues officielles. De plus, il y existe des domaines d’intervention clés où les pouvoirs sont exclusifs ou partagés entre les différents ordres de gouvernement. Pensons par exemple aux domaines de l’éducation, de la santé, de la culture, de l’immigration et de la justice.

Conformément à ce principe directeur, le gouvernement affirme sa volonté de travailler avec les peuples autochtones et de veiller à la protection, à la promotion et à la revalorisation de leurs langues. Ce projet de loi en fait état et contient une précision indiquant que la Loi sur les langues officielles n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou au maintien et à la valorisation des autres langues, et ce, en y mentionnant explicitement les langues autochtones et leur réappropriation, leur revitalisation et leur renforcement.

Le deuxième principe directeur de la réforme de la Loi sur les langues officielles demande d’offrir des occasions d’apprendre les deux langues officielles.

Les Canadiens ont une opinion positive du bilinguisme, et la plupart d’entre eux en reconnaissent les avantages. Cependant, malgré les efforts et les expressions d’intérêt des familles qui veulent inscrire leurs enfants dans des programmes d’immersion, le recensement de 2021 a sonné l’alarme : le taux de bilinguisme chez les locuteurs anglais à l’extérieur du Québec stagne.

Le gouvernement actuel soutient l’apprentissage de la langue seconde depuis de nombreuses années au moyen d’ententes avec les provinces et les territoires. Cela dit, il veut aller plus loin. Dans le projet de loi C-13, il reconnaît explicitement son engagement à favoriser l’accès à l’apprentissage des langues officielles.

L’appui aux institutions des communautés de langue officielle en situation minoritaire agit en fonction du troisième principe directeur de la réforme.

En l’absence d’institutions et de services dans la langue de la minorité, il n’y a pas d’espace public, chers collègues, au sein duquel la minorité peut vivre dans sa langue et réaliser son plein potentiel. Le gouvernement du Canada propose que la loi modernisée favorise le développement du plein potentiel de ces communautés en appuyant la vitalité des institutions dans des secteurs clés.

Le gouvernement doit également offrir des outils essentiels à la défense des droits linguistiques, notamment en protégeant l’accès au Programme de contestation judiciaire, en reconnaissant dans la loi les programmes destinés à la petite enfance qui font partie intégrante du continuum en éducation et en établissant une politique en matière d’immigration renforcée, venant contribuer à l’atteinte des objectifs en matière de langue officielle.

Le quatrième principe directeur consiste en la protection et la promotion du français partout au Canada, y compris au Québec.

Ce projet de loi reconnaît l’usage prédominant de la langue anglaise au Canada et en Amérique du Nord et reconnaît que, dans ce contexte, il est devenu impératif de protéger et de promouvoir la langue française. L’objet de la loi proposé dans cette version est donc clair : favoriser la progression vers l’égalité réelle de statut et d’usage du français et de l’anglais et protéger les communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Rappelons que, en matière de droits linguistiques, les tribunaux confirment que l’égalité réelle, par opposition à l’égalité formelle, est la norme applicable en droit canadien. Cette norme signifie essentiellement que l’on doit tenir compte des besoins de la communauté minoritaire pour assurer un accès égal à des services de qualité égale pour les membres des deux collectivités de langue officielle. Sous la plume d’un ancien juge de la Cour suprême du Canada, Me Michel Bastarache, l’éminente décision R. c. Beaulac précisait d’ailleurs que l’objet de la loi, et je cite :

[...] confirme l’égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné.

Le projet de loi C-13 vient énoncer, de manière explicite, que l’égalité réelle est la norme qui doit guider l’interprétation de la loi.

Le projet de loi C-13 inscrit aussi dans la loi que les droits linguistiques doivent être interprétés d’une façon large et libérale en fonction de leur objet et de leur « caractère réparateur ». À titre d’exemple, l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés détient un caractère réparateur, car il vise, selon les tribunaux, et je cite :

[...] à remédier, à l’échelle nationale, à l’érosion progressive des minorités parlant l’une ou l’autre langue officielle, à appliquer la notion de « partenaires égaux » des deux groupes linguistiques officiels dans le domaine de l’éducation [...]

Ce principe guidera l’interprétation de la loi afin d’assurer une plus grande protection aux communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Le projet de loi reconnaît aussi que le secteur privé a un rôle à jouer dans la promotion et la protection du français. Avec la modernisation de la Loi sur les langues officielles, le projet de loi C-13 s’assure que les entreprises privées sous compétence fédérale fassent leur part pour protéger et promouvoir le français au Québec et dans les régions à forte présence francophone partout au pays. À cet effet, il prévoit des droits et des obligations assurant la possibilité, pour les consommateurs, de communiquer en français avec certaines entreprises privées de compétence fédérale et des droits en matière de langue de travail, permettant notamment aux employés de faire leur travail et d’être supervisés en français.

Le cinquième principe directeur de la réforme demande au gouvernement du Canada de donner l’exemple en renforçant la conformité au sein des institutions fédérales. En effet, le gouvernement du Canada et ses institutions doivent mettre la loi en œuvre de manière exemplaire. Ce projet de loi comporte des mesures concrètes pour assurer l’accès au système de justice dans la langue officielle de son choix.

Il compte également des mesures pour renforcer le rôle du Conseil du Trésor dans la surveillance de la conformité des institutions fédérales aux obligations en matière de langues officielles et dans la reddition de comptes sans pour autant mettre de côté le rôle du ministre du Patrimoine canadien et l’expertise de ce dernier pour cerner les besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Le projet de loi prévoit également de nouveaux pouvoirs pour le commissaire aux langues officielles — qui joue présentement un rôle d’ombudsman — pour l’application de la loi. Le commissaire ne serait plus limité à la formulation de recommandations et disposerait d’une gamme de pouvoirs contraignants, comme le pouvoir de rendre des ordonnances.

Enfin, le sixième principe directeur de la réforme du régime des langues officielles est de veiller à ce que nous regardions au-delà des besoins immédiats en matière de langues officielles.

De toute évidence, le paysage linguistique évolue et la société canadienne change tout aussi rapidement. Ce projet de loi contient une toute nouvelle mesure qui assurera la pertinence de la loi en continu au fil des générations à venir. En effet, le projet de loi prévoit une nouvelle obligation de procéder à un examen périodique des dispositions et de l’application de la loi.

Il est le reflet d’une volonté de mener à terme une réforme qui se veut ambitieuse.

Pour être bien clair, le projet de loi prévoit de nouveaux domaines d’intervention, comme l’enseignement postsecondaire en contexte minoritaire, l’immigration francophone, le bilinguisme des juges de la Cour suprême, les droits de travailler et d’être servis en français dans les entreprises privées de compétence fédérale, ainsi qu’un nouveau cadre de gouvernance pour la mise en œuvre.

Le projet de loi C-13 présente donc des avancées importantes afin d’assurer la pérennité de nos deux langues officielles et l’épanouissement de nos communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au pays.

Permettez-moi maintenant de mettre l’accent sur certaines des dispositions phares qui sont prévues dans ce projet de loi.

Le projet de loi prévoit des mises au point importantes, dont des mesures visant à renforcer la surveillance de la Loi par le Secrétariat du Conseil du Trésor qui a, pour sa part, le mandat de surveiller les institutions fédérales et de faire rapport à leur sujet. Un amendement adopté par l’autre endroit confie au président du Conseil du Trésor le rôle ministériel de coordonner l’application de la Loi sur les langues officielles.

Le ministre du Patrimoine canadien continuera à jouer un rôle de coordination à l’échelle du gouvernement en ce qui concerne la conception et la mise en œuvre des stratégies quinquennales du gouvernement, également connues sous le nom de « plans d’action ».

Le projet de loi vise à équilibrer les différents rôles et responsabilités tout en veillant à ce que le gouvernement fédéral demeure irréprochable et au-delà de tout soupçon de conflit d’intérêts. Cette question a été soulevée par Graham Fraser, ancien commissaire aux langues officielles, dans son rapport de 2008, dans lequel il a déclaré ce qui suit :

Les organismes centraux doivent également éviter d’évaluer leurs propres propositions et, par conséquent, d’assumer les responsabilités d’un programme.

Donald Savoie, professeur et membre émérite à l’Institut Macdonald-Laurier, a fait écho à cette préoccupation dans son allocution au sommet de clôture des Consultations pancanadiennes sur les langues officielles de 2022, en déclarant que « [...] les organismes centraux ne peuvent évaluer leurs propres efforts ».

Le projet de loi prévoit donc une combinaison de responsabilités qui s’appuie sur les forces respectives de ces deux institutions, une formule qui présente l’avantage de faire collaborer plusieurs ministres à la sensibilisation aux questions relatives aux langues officielles et à la recherche de solutions.

Le projet de loi C-13 prévoit aussi des mesures qui viennent considérablement renforcer la partie VII de la loi, qui veille à la promotion du français et de l’anglais. En consolidant cette partie de façon substantielle et en précisant la nature et la portée des mesures positives que doivent prendre toutes les institutions fédérales pour favoriser le développement de nos minorités francophones et anglophones et promouvoir le français et l’anglais dans la société canadienne, ce projet de loi prend acte des revendications clairement exprimées lors des consultations. Le projet de loi C-13 précise que les mesures positives doivent être concrètes et prises avec l’intention d’avoir un effet favorable sur la mise en œuvre de certains engagements du gouvernement, notamment celui de protéger et de promouvoir le français.

En fait, le projet de loi C-13 ajoutera à la loi une liste d’exemples concrets de mesures positives au bénéfice des institutions fédérales. Grâce au projet de loi, le Conseil du Trésor sera également mieux équipé pour vérifier si les institutions fédérales se conforment à leur devoir d’adopter des mesures positives.

De manière plus concrète, le projet de loi permettra au Conseil du Trésor de créer, en collaboration avec Patrimoine canadien, de nouvelles politiques et règles destinées à aider les institutions fédérales à prendre des mesures positives, tout en les tenant responsables de respecter leurs obligations. Il est important de noter qu’un amendement apporté à l’autre endroit permettra également de veiller à ce que le gouvernement envisage l’ajout de dispositions linguistiques dans ses ententes bilatérales avec les provinces et les territoires. C’était une demande importante que de nombreux sénateurs ont entendue, je crois, de la part des communautés.

Ainsi, les institutions fédérales devront consulter « effectivement » les communautés dans la prise de mesures positives de la manière suivante, et je cite :

a) recueillir l’information pertinente;

b) obtenir l’opinion des minorités francophones et anglophones et d’autres intervenants concernant les mesures positives faisant l’objet des consultations;

c) fournir aux participants l’information pertinente sur laquelle reposent ces mesures positives;

d) considérer leur opinion avec ouverture et sérieux;

e) être disposées à modifier ces mesures positives.

La progression vers l’égalité réelle du français et de l’anglais au Canada est un principe important énoncé dans la Charte canadienne des droits et libertés et consacré par la Loi sur les langues officielles.

L’une de nos deux langues officielles est confrontée à une réalité implacable — je fais ici référence au français, bien sûr, une langue minoritaire et, j’ajouterais, très vulnérable. Il y a longtemps que la réalité démographique de l’Amérique du Nord pose un défi considérable à la défense du français au Canada. Depuis un certain nombre d’années, le français connaît un déclin considérable dans notre pays. Malgré les efforts déployés depuis quelques décennies, les données du dernier recensement confirment que le poids démographique des francophones continue de s’amenuiser. Nous devons donc veiller à ce que toute modernisation de la loi tienne compte de la réalité fragile du français au Canada et prévoie des étapes concrètes pour combattre son déclin.

Le projet de loi contient des mesures concrètes qui visent à protéger et à promouvoir le français, notamment l’exigence d’adopter, pour guider les gestes du gouvernement, une politique en matière d’immigration francophone qui comprend des objectifs, des cibles et des indicateurs.

Le projet de loi soutient également des secteurs essentiels à la vitalité des minorités francophones et anglophones, en plus de protéger et de promouvoir la présence d’institutions fortes qui desservent ces minorités.

Le gouvernement du Canada a également reconnu que le secteur privé a un rôle à jouer dans la protection du français et, pour cette raison, le projet de loi édicte la création d’une nouvelle loi, la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, qui vise la création d’un nouveau régime à l’endroit des entreprises privées de compétence fédérale.

Je tiens à souligner d’emblée que le texte législatif contient des amendements adoptés à l’unanimité à l’autre endroit. Ces amendements reflètent une entente de principe avec le Québec et attestent, de manière importante, du fédéralisme coopératif, afin d’harmoniser nos régimes linguistiques pour favoriser la protection et le développement de la langue française, et ce, tout en préservant pleinement les droits des communautés québécoises d’expression anglaise.

Toutes ces propositions visent à rendre les communautés de langue officielle en situation minoritaire des endroits où les personnes peuvent vivre pleinement dans la langue officielle de choix.

Il est prévu que ce nouveau régime offrira une protection accrue du français au profit des francophones du pays et aura pour effet de promouvoir l’épanouissement des communautés minoritaires de langue officielle du pays.

Chers collègues, la société canadienne change rapidement. Pourtant, la Loi sur les langues officielles n’a pas été revue en profondeur depuis la fin des années 1980. Le projet de loi prévoit donc un mécanisme menant à une révision décennale de la loi, pour s’assurer qu’elle demeure actuelle et qu’elle ait des retombées positives de génération en génération.

Le projet de loi C-13 ne représente qu’une partie de la réforme du régime des langues officielles. En effet, le projet de loi contient uniquement les mesures législatives qui ont été partagées par la ministre des Langues officielles en février 2021 lors du dévoilement du document public de réforme, qui prévoyait également des mesures réglementaires et administratives.

Selon les informations que j’ai reçues, le processus de prise de règlements pourrait être lancé dès que le projet de loi aura reçu la sanction royale. Ces règlements sont primordiaux pour le déploiement de la vision qui a inspiré ce projet de loi et de la mise en œuvre de certaines mesures phares.

Concrètement, la réforme débute avec la sanction royale, mais elle ne prendra forme dans son entièreté qu’à la suite de la prise de règlements et de la mise en œuvre subséquente de certaines mesures et de nouveaux régimes par l’intermédiaire de décrets.

Trois règlements seront produits : un règlement viendra clarifier les modalités d’application de la prise de mesures positives par les institutions fédérales, des règlements viendront encadrer le nouveau régime à l’endroit des entreprises privées de compétence fédérale et un autre règlement est prévu pour baliser le nouveau champ d’application relatif aux sanctions administratives pécuniaires. Il s’agit de l’un des nouveaux pouvoirs mis à la disposition du commissaire aux langues officielles.

Une série de mesures administratives est également prévue conformément au déploiement de la vision de ce projet de loi. Celles-ci s’inscriront dans la stratégie horizontale pancanadienne en matière de langues officielles pour les années 2023-2028, mieux connue sous le nom de Plan d’action pour les langues officielles.

Bien que cette stratégie phare en matière de langues officielles soit autonome et autosuffisante, elle est implicitement liée au projet de loi C-13, en ce sens qu’elle est l’un des principaux véhicules de mise en œuvre des mesures administratives et législatives de la réforme.

Chers collègues, je crois pouvoir affirmer que le Parlement du Canada, tout comme un grand nombre de Canadiennes et de Canadiens fiers de leurs langues officielles, a à cœur le projet de modernisation de la Loi sur les langues officielles.

Je me réjouis que nous puissions enfin étudier le projet de loi. Comme vous, j’ai hâte de voir une loi modernisée qui protégera la langue française et ralentira son déclin au Canada, qui favorisera l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire et qui fera progresser l’égalité réelle du français et de l’anglais au Canada. La protection des minorités est un principe fondamental de la Constitution et notre Chambre sert de forum à nos groupes linguistiques.

Je tiens aussi à souligner le travail inestimable réalisé par les parlementaires de l’autre endroit et les membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, qui étudient les enjeux associés à la modernisation de cette loi quasi constitutionnelle depuis 2017. Grâce à votre engagement indéfectible, nous sommes maintenant en mesure de procéder à l’étude de cet important projet de loi pour le Canada.

En terminant, chers collègues, et sur une note plus personnelle, permettez-moi d’affirmer que nos langues officielles, nos langues autochtones et toutes les autres langues parlées dans ce vaste territoire qu’est le Canada méritent qu’on les chérisse, qu’on les parle, qu’on les protège, qu’on les célèbre et qu’on assure leur vitalité. Le maintien, l’utilisation, la promotion et l’épanouissement de nos deux langues officielles doivent se faire avec la conscience aiguë de l’importance d’assurer la survie et l’épanouissement des langues autochtones au Canada.

Comme toutes les langues, nos deux langues officielles bougent et se laissent imprégner d’autres langues. Les mots qui les composent se teintent d’une variété de tonalités; c’est ce qui fait leur force et leur richesse. Comme l’a écrit une écrivaine acadienne d’origine française, la Terre-Neuvienne Françoise Enguehard :

Une langue [...] ça se fête toute l’année, ça se polit, ça s’apprend et s’approfondit, ça se défend quand il le faut, ça se fête quand on peut, et ça s’utilise en priorité.

Je vous remercie de m’avoir écouté. Merci. Meegwetch.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe, à l’occasion de la deuxième lecture du projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada. En m’exprimant sur ce projet de loi, je dois avant tout reconnaître que les langues officielles sont aussi un symbole de colonialisme pour les peuples autochtones du Canada. Outre la question du territoire, l’utilisation prédominante de l’anglais et du français s’est faite au détriment des langues autochtones et de bien d’autres choses encore.

Ayant grandi dans une communauté minoritaire en tant que francophone, je comprends parfaitement le rôle de la langue dans la construction de l’identité et dans la compréhension et la préservation de la mémoire collective d’un peuple. Il est important de rappeler que les langues autochtones font également partie de la riche tapisserie linguistique, culturelle et identitaire de notre beau et grand pays. Nous devons reconnaître cette facette de notre histoire et nous intéresser aux deux langues et à leur vitalité.

Bien évidemment, la domination de l’anglais s’est aussi faite au détriment de la francophonie au Canada. Soyons francs, la réforme de la Loi sur les langues officielles est nécessaire et urgente. Depuis des décennies, on observe des baisses constantes du poids démographique de la minorité francophone, tant selon le critère de la langue maternelle, de la langue d’usage à la maison que de la première langue officielle parlée. Nous devons agir maintenant afin de renverser cette tendance qui menace l’épanouissement et le développement de nos communautés.

D’entrée de jeu, sachez que j’appuie le projet de loi C-13 et que je souhaite qu’il soit adopté dans les meilleurs délais. Cependant, je crois qu’il est important de vous faire part des éléments qui sont manquants dans ce projet de loi. Mon discours portera un regard assez critique sur cette proposition législative, compte tenu de l’importance des droits linguistiques des francophones en situation minoritaire et du fait qu’on a attendu pendant plus de 50 ans une réforme substantielle de la Loi sur les langues officielles.

C’est d’abord au moment de la Confédération, en 1867, que la Loi constitutionnelle reconnaît l’usage de l’anglais et du français au Parlement, ainsi que devant les tribunaux fédéraux. En 1969, la première Loi sur les langues officielles fédérales voit le jour. L’avancée à l’époque était l’article 9 de la loi, qui exigeait des ministères, départements et organismes du gouvernement fédéral de veiller à ce que le « public puisse communiquer avec eux et obtenir leurs services dans les deux langues officielles ».

Les droits linguistiques des Canadiennes et Canadiens ont été encore plus renforcés lors de l’enchâssement de la Charte canadienne des droits et libertés dans la Constitution de 1982. La Loi sur les langues officielles a ensuite été révisée en 1988, en déclarant l’engagement du gouvernement à favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire et à appuyer leur développement. Cela nous amène à aujourd’hui, en mai 2023, avec l’arrivée du projet de loi C-13 au Sénat.

Comme le disait le poète et philosophe italien Giacomo Leopardi : « La patience est la plus héroïque des vertus, précisément parce qu’elle n’a pas la moindre apparence d’héroïsme. »

Si près de la ligne d’arrivée, cette citation met en lumière les héros qui travaillent dans l’ombre sur cette réforme depuis plusieurs années afin de présenter au gouvernement du Canada un projet de refonte réfléchi et réparateur. Je songe notamment à toutes les personnes et à tous les organismes qui défendent les francophones en situation minoritaire, qui travaillent d’arrache-pied sur ce dossier depuis près de 10 ans et qui ont été les catalyseurs de la modernisation de la loi.

Il convient aussi de souligner la patience des Canadiens qui aspirent à devenir bilingues ou qui souhaitent que leurs enfants le soient. En tant que pays officiellement bilingue, le Canada devrait établir un cadre législatif qui permet une égalité réelle pour les titulaires de droits, mais qui prévoit aussi l’égalité d’accès à l’immersion linguistique et à l’apprentissage de l’autre langue officielle. Le Canada doit se donner les moyens de réaliser ses ambitions.

Malgré toutes ces avancées législatives et les développements devant les tribunaux — je pense notamment à l’affaire Société des Acadiens et Acadiennes et à l’affaire Beaulac  —, le poids démographique des francophones a diminué au fil des ans, tout comme l’usage du français au Canada. La proportion de personnes hors Québec dont la première langue parlée est le français est passée de 6,6 % en 1971 à 3,9 % en 2011.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-13 est le résultat du travail assidu des communautés francophones minoritaires et il pourrait renverser cette tendance. Cependant, le projet de loi a aussi d’importantes lacunes.

À la lumière de l’étude préalable du Comité sénatorial permanent des langues officielles et de plusieurs témoignages, j’ai recensé les éléments qui m’apparaissent comme les plus importants, parmi ceux qui ne se retrouvent pas dans la version du projet de loi C-13 que nous venons de recevoir de l’autre endroit. En passant, je félicite le sénateur Cormier de l’excellente présentation qu’il a faite du projet de loi C-13.

Si vous avez déjà pris part aux discussions portant sur la réforme de la Loi sur les langues officielles, vous avez sûrement entendu la demande principale des parties prenantes, qui était que le Conseil du Trésor ait la responsabilité de coordonner et d’assurer la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. C’était d’ailleurs l’une des recommandations du Comité sénatorial permanent des langues officielles, dans son rapport intitulé La modernisation de la Loi sur les langues officielles : la perspective des institutions fédérales et les recommandations.

Dans le livre blanc de la ministre Joly, qui est à l’origine du projet de loi C-13, on explique qu’en matière de langues officielles, et je cite :

La reddition de comptes est fragmentée en de multiples processus et rapports et elle n’est pas toujours faite en temps opportun.

On nous dit aussi, et je cite :

Le Conseil du Trésor jouit déjà de pouvoirs […] importants […] mais le recours à ces pouvoirs a diminué au fil du temps […]

Le gouvernement s’engage ensuite à, et je cite :

Renforcer et élargir les pouvoirs conférés au Conseil du Trésor, notamment celui de surveiller le respect de la partie VII de la Loi […]

Le gouvernement s’engage également à « confier le rôle stratégique de la coordination horizontale à un seul ministre […] ».

La responsabilité de mise en œuvre confiée au Conseil du Trésor ne s’applique pas toute à la Loi sur les langues officielles, mais seulement aux parties IV, V et VI et à certains paragraphes de la partie VII, soit au paragraphe 41(5), qui traite des mesures positives et à l’alinéa 41(7)a.1), qui traite des accords bilatéraux.

De toute évidence, le projet de loi C-13 présente une incongruité, puisqu’il oblige le Conseil du Trésor à exercer ce rôle pour certaines sections seulement de la partie VII, contrairement à l’intention exprimée par le gouvernement dans le livre blanc. J’aimerais voir, lorsque viendra le temps de réviser la loi, s’il conviendrait plutôt d’étendre ces obligations à l’ensemble de la partie VII.

Il me semble incohérent que le gouvernement, la Chambre des communes et les comités des langues officielles des deux endroits s’entendent sur ce point, mais que le projet de loi C-13 restreigne de cette manière l’étendue des pouvoirs du Conseil du Trésor.

Malgré tout, le projet de loi et les amendements qui concernent l’agence centrale répondent en partie aux doléances des organismes représentant les intérêts des communautés de langue officielle en situation minoritaire en élargissant les pouvoirs du Conseil du Trésor et en remplaçant ses pouvoirs discrétionnaires par des obligations.

Après des années de mise en œuvre aléatoire et partielle, ceci permettra de renforcer la surveillance et la responsabilisation en matière de langues officielles dans l’ensemble du gouvernement du Canada.

D’autre part, une autre incohérence était présente dans le projet de loi C-13, car l’on conférait un rôle de premier plan dans sa mise en œuvre à Patrimoine canadien. Le Comité des langues officielles de l’autre endroit a corrigé le tir en accordant au Conseil du Trésor la responsabilité d’assumer ce rôle de premier plan au sein du gouvernement fédéral quant à la mise en œuvre de la loi. Je me réjouis de cette correction apportée par l’autre endroit.

Bien que le comité des Communes ait adopté un amendement visant à favoriser l’inclusion de clauses linguistiques dans les accords avec les provinces et territoires, les dispositions sur les accords bilatéraux ne sont pas contraignantes et on n’a pas défini le contenu minimal des clauses linguistiques.

Le langage employé est à ce point faible que je me demande réellement si l’intégration de cette disposition mènera à un quelconque résultat.

Pourtant, les obligations juridiques en matière de langues officielles du gouvernement fédéral ne s’arrêtent pas au moment des transferts aux provinces et aux territoires. Trop souvent, les minorités de langue officielle en situation minoritaire n’ont pas accès aux fonds auxquels ils ont droit pour s’épanouir et se développer. Ce problème systémique est observé à tous les niveaux dans nos communautés, de la petite enfance au postsecondaire, en passant par le communautaire.

En l’absence de dispositions dans le projet de loi C-13 qui rendent les clauses linguistiques exécutoires, nous devrons exercer une surveillance et une vigilance en ce qui a trait à la mise en œuvre de ces dispositions en tant que Chambre de second examen objectif. Le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral doit se faire dans le respect de ses obligations en matière de langues officielles. Il s’agit même parfois de droits constitutionnels, lorsqu’il est question des ayants droit, conformément à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Ceci fait le pont vers mon troisième point.

L’accès à des données complètes sur la fréquentation des écoles primaires et secondaires est indispensable, puisque cet accès est assujetti à un critère numérique. « Là où le nombre le justifie » signifie que les parents et les conseils scolaires doivent parvenir à justifier leurs demandes pour des établissements scolaires réservés à la minorité en démontrant aux provinces et territoires qu’un nombre suffisant d’enfants y a droit en vertu de l’article 23 de la Charte.

Les dispositions du projet de loi C-13 concernant le dénombrement des ayants droit ne sont pas assez vastes ni contraignantes. La Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF) demande notamment que le projet de loi prévoie que le gouvernement fédéral s’engage à faire dénombrer périodiquement les enfants en vertu de l’article 23 de la Charte.

Un amendement a été présenté au comité de l’autre endroit afin d’obliger le dénombrement, par opposition à l’estimation du nombre d’enfants d’ayants droit prévu au paragraphe 41(4) de la Loi sur les langues officielles. Toutefois, un sous-amendement a modifié le texte de la façon suivante : « Le gouvernement fédéral estime périodiquement à l’aide des outils nécessaires, le nombre d’enfants. » Cela amoindrit grandement la force de l’amendement proposé.

La fonctionnaire qui comparaissait devant le comité a expliqué les alternatives de la manière suivante :

Bref, dénombrer veut dire compter. Si on veut vraiment compter les ayants droit, il faut pouvoir utiliser d’autres outils qui relèvent des provinces et des territoires. [...]

S’il s’agit de faire une estimation, alors le fédéral à lui seul peut le faire. C’est un portrait instantané. Si on choisit le terme « dénombrer », alors il faut vraiment passer par les provinces pour confirmer les chiffres exacts de manière ponctuelle [...]

J’ai du mal à comprendre comment le partage des compétences fait obstacle à la création d’une obligation de dénombrer des enfants qui ont droit à une éducation dans la langue officielle de la minorité. La promotion et le respect des droits des minorités de langue officielle sont une responsabilité du gouvernement fédéral. Le gouvernement se doit notamment de favoriser la progression vers l’égalité de statut et d’usage des langues officielles en vertu du paragraphe 16(3) de la Charte. J’espère que nous étudierons avec vigueur la question du dénombrement au Comité des langues officielles du Sénat.

La Fédération nationale des conseils scolaires francophones demande aussi que la Loi sur langues officielles oblige les institutions fédérales à tenir compte des besoins du réseau scolaire des ayants droit dans le cadre du processus d’aliénation des biens immobiliers fédéraux.

Un amendement adopté par la Chambre des communes prévoit que les ministères et institutions fédérales devront consulter les communautés minoritaires et tenir compte de leurs besoins et priorités dans le cadre d’une stratégie d’aliénation.

Nous devrons étudier la teneur de cet amendement au Comité sénatorial permanent des langues officielles.

La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, a déclaré que les ayants droit doivent bénéficier d’une expérience éducative réellement équivalente à celle qui est offerte dans les écoles avoisinantes de la majorité.

L’intégration de dispositions dans le projet de loi C-13 au sujet de l’aliénation des biens-fonds fédéraux pourrait prévenir les cas semblables, dans le but d’atteindre l’égalité réelle entre les communautés majoritaires et minoritaires d’une province ou d’un territoire donné.

Cette histoire se répète trop souvent dans nos communautés.

Je me dois aussi de souligner les bons coups du projet de loi C-13.

L’immigration francophone est l’un des facteurs déterminants du poids démographique des francophones au Canada. L’immigration est aussi l’un des domaines de compétence où le gouvernement fédéral peut agir et exercer une influence notable quant à la composition des nouveaux arrivants.

Malgré l’existence d’une cible de 4,4 % en immigration francophone depuis près 20 ans, celle-ci est désuète, puisqu’elle ne permet pas d’assurer le maintien du poids démographique des francophones au Canada. Le gouvernement a récemment atteint cette cible, mais il s’agissait d’une première.

Force est de constater que nous avons besoin de bien plus qu’une simple politique en immigration francophone. Les élus de l’autre endroit ont bien compris cet enjeu et son importance pour la vitalité de nos communautés et du fait français au Canada.

Comme premier pas dans la bonne direction, le projet de loi énonce l’obligation pour le Canada de se doter d’une politique en immigration francophone qui contiendra des objectifs, des cibles et des indicateurs en vue d’augmenter l’immigration dans les communautés francophones en situation minoritaire.

Afin d’améliorer cette disposition, le Comité des langues officielles de l’autre endroit a adopté à l’unanimité un amendement qui prévoit que le gouvernement fédéral reconnaît l’importance de l’immigration francophone en « assurant » le rétablissement et l’accroissement du poids démographique des minorités francophones, suggérant ainsi une obligation de résultat.

En matière d’immigration francophone, le mandat accordé à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) dans le projet de loi C-13 est finalement clair, précis et contraignant. La fonction publique doit opérationnaliser un changement de culture qui s’annonce prometteur pour l’avenir de nos communautés.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Madame la sénatrice, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus? Honorables sénateurs, consentez-vous à accorder cinq minutes de plus?

Merci, chers collègues.

Le projet de loi C-13 est très important pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire parce que la Loi sur les langues officielles sert en quelque sorte de contrepoids à un système fédéral décentralisé pour la mise en application des droits linguistiques dans un contexte minoritaire. En tant que fière Franco‑Ontarienne ayant grandi dans une province qui a longtemps et souvent piétiné les droits linguistiques de sa minorité francophone, du Règlement 17 à la menace d’abolir l’Université de l’Ontario français et l’Hôpital Montfort, pour ne citer que quelques crises linguistiques, je suis consciente de l’importance du régime fédéral des droits linguistiques dans la représentation des intérêts des personnes issues d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire au Canada.

Dans la plupart des provinces et territoires autres que le Québec, le français ne bénéficie d’aucune protection juridique. Le Nouveau‑Brunswick fait exception, étant la seule province officiellement bilingue, ainsi que, d’une certaine manière, la province de l’Ontario, avec sa loi sur les services en français. Par conséquent, le bilinguisme officiel fédéral a longtemps été le garant des droits des minorités francophones au Canada. La mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles a une incidence directe sur le respect des droits linguistiques des francophones en situation minoritaire.

Parmi les avancées notables proposées dans le projet de loi C-13, il y a notamment la reconnaissance du français comme langue minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais, l’élargissement et le renforcement des pouvoirs du Conseil du Trésor comme agence centrale responsable de mettre en œuvre une bonne partie de la loi, la clarification des mesures positives et l’obligation d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada d’adopter une politique en matière d’immigration francophone.

Plusieurs des amendements adoptés au Comité permanent des langues officielles de l’autre endroit renforcent le cadre législatif proposé.

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles est l’auteur d’un rapport portant sur la modernisation de la loi, qui a inspiré les différents projets de réforme de la Loi sur les langues officielles. Afin que nous puissions entamer notre travail de révision dès que possible, je vous prie, chers collègues, de renvoyer le projet de loi C-13 au Comité sénatorial permanent des langues officielles dans les plus brefs délais.

Je vous remercie de votre attention.

L’honorable Percy E. Downe [ + ]

Honorables sénateurs, nous sommes saisis du projet de loi C-13, qui vise à apporter le premier changement majeur à la Loi sur les langues officielles depuis 1988, et qui s’appuie sur une série de recommandations sur la modernisation de la loi. La Loi sur les langues officielles a été proposée en 1968 et promulguée en 1969, il y a près de 55 ans. Il y a 54 ans, il s’agissait d’une loi importante et révolutionnaire, et elle a bien servi notre pays au fil des années. Honorables collègues, les temps ont changé, et le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui est une occasion manquée d’inclure les langues autochtones dans la Loi sur les langues officielles.

Lorsque la Loi sur les langues officielles a été promulguée, il y a 54 ans, c’était la bonne chose à faire en 1969. Aujourd’hui, en 2023, nous avons de nouveau l’occasion de prendre la bonne décision en accordant aux langues autochtones un statut égal et les mêmes protections juridiques que les deux langues officielles, les langues fondatrices.

Honorables collègues, nous devons prendre du recul et nous demander si les politiques concernant nos deux langues fondatrices — le français et l’anglais — sont un héritage de notre passé colonial. Avant l’arrivée des francophones et des anglophones dans cette partie de l’Amérique du Nord, de nombreuses langues autochtones étaient déjà parlées ici. Ce sont les vraies langues fondatrices du territoire où nous vivons aujourd’hui.

Chers collègues, n’est-il pas préférable de réfléchir à la véritable histoire du Canada et de reconnaître que de nombreuses langues autochtones peuvent être des langues fondatrices? Le Sénat peut-il jouer un rôle majeur et saisir cette occasion historique pour renvoyer le projet de loi C-13 à la Chambre des communes et lui dire de faire mieux? Demandons-lui d’inclure la protection des langues autochtones dans ce projet de loi. Demandons-lui d’accorder aux langues autochtones la même protection juridique que celle que nous accordons à l’anglais et au français au pays. Chers collègues, embrassons le nouveau Canada. Soyons ouverts à l’avenir au lieu de résister au changement et de nous battre pour le statu quo.

Le projet de loi C-13 qui nous est présenté trouve son origine dans la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme de 1963, qui a donné l’impulsion nécessaire pour élaborer la loi qui a suivi. En 1968, le premier ministre Pierre Trudeau a déclaré à la Chambre des communes qu’il soutenait la Loi sur les langues officielles :

Dans toutes les parties du pays, au sein des deux groupes linguistiques, il y a ceux qui réclament l’uniformité. Ce sera plus simple et moins cher, disent-ils. Dans le cas de la minorité française, l’isolement est prescrit comme étant nécessaire à la survivance. Nous ne devons jamais sous-estimer la force ou la durabilité de ces appels aux sentiments humains profonds.

Il est certain que ces arguments se fondent sur la peur, sur une conception étroite de la nature humaine, et sur une évaluation défaitiste de notre habileté à modifier notre société et ses institutions pour répondre aux demandes de ses citoyens. Ceux qui défendent la séparation, sous quelque forme que ce soit, sont prisonniers des injustices passées, aveugles aux possibilités de l’avenir.

Nous avons rejeté cette façon de voir notre pays.

C’était la conclusion du premier ministre Pierre Trudeau. Ces mots percutants prononcés en 1968 s’appliquent également au Canada aujourd’hui lorsque nous discutons des langues autochtones. Toutefois, ils ont été prononcés il y a plus d’un demi-siècle, avant que nous ayons une compréhension plus complète de la culture autochtone du Canada.

Cela dit, ne nous méprenons pas : dès 1963, la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme était explicite quant à l’importance de la langue pour la culture. Elle a déclaré :

La langue est en outre la clef du progrès culturel. Certes, langue et culture ne sont pas synonymes, mais le dynamisme de la première est indispensable à la préservation intégrale de la seconde.

Vu notre sensibilisation accrue à la culture et à l’histoire autochtones, ce même argument peut aujourd’hui s’étendre aux langues autochtones.

Plus récemment, dans son rapport final publié en juin 2015, la Commission de vérité et réconciliation a demandé au gouvernement fédéral « [...] de reconnaître que les droits des Autochtones comprennent les droits linguistiques autochtones ».

Chers collègues, à ce jour, les gouvernements du Nunavut, des Territoires du Nord-Ouest et de la Colombie-Britannique sont les seuls au Canada à avoir adopté une loi visant à protéger et à promouvoir les langues autochtones. Lorsque la Commission de vérité et réconciliation a publié son rapport, le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau s’est engagé à mettre en œuvre toutes ses recommandations. De plus, le Canada appuie la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, dans laquelle les droits en matière de culture et de langue sont au cœur de 17 des 46 articles de la déclaration ainsi que de la protection et de la promotion de la culture autochtone.

Par exemple, l’article 13 de la déclaration des Nations unies stipule ce qui suit :

Les peuples autochtones ont le droit de revivifier, d’utiliser, de développer et de transmettre aux générations futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philosophie, leur système d’écriture et leur littérature, ainsi que de choisir et de conserver leurs propres noms pour les communautés, les lieux et les personnes.

L’article 8 précise ce qui suit :

Les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture.

À cette fin et en réponse aux recommandations de la Commission de vérité et réconciliation, le gouvernement du Canada a présenté le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, qui a reçu la sanction royale le 21 juin 2019.

Malheureusement, la Loi sur les langues autochtones ne prévoit pas de protections législatives pour les langues autochtones, contrairement à la Loi pour les langues officielles pour le français et l’anglais. La Loi sur les langues autochtones vise à promouvoir les langues autochtones au moyen de mesures positives, mais le commissaire aux langues autochtones n’a pas les mêmes pouvoirs en matière d’application de la loi que ceux qui sont conférés au commissaire aux langues officielles, des pouvoirs que le projet de loi C-13 renforce. Ce qu’il est encore plus important de souligner, c’est que les Autochtones qui considèrent que leurs droits linguistiques ont été lésés n’ont aucun recours devant les tribunaux pour dénoncer les infractions perçues à la loi, contrairement à la partie X de la Loi sur les langues officielles, qui prévoit un recours judiciaire pour les plaignants devant la Cour fédérale.

Pourquoi n’y a-t-il pas de tels recours judiciaires dans le projet de loi C-91, la Loi sur les langues autochtones? Chers collègues, nous avons devant nous une mesure législative remplie de bonnes intentions, qui offre des mots de réconfort et une petite tape sur l’épaule dans un élan de paternalisme, mais elle n’offre aucun pouvoir en vue de son application.

Dans le passé, le Sénat a fait preuve de leadership dans les dossiers relatifs aux langues. Le projet de loi S-3, qui a été présenté en 2005 par feu le sénateur Jean-Robert Gauthier, avait pour but de donner du mordant à la Loi sur les langues officielles en soulignant le caractère exécutoire de l’engagement énoncé à la partie VII de cette loi. Deuxièmement, il a imposé des obligations aux institutions fédérales concernant la mise en œuvre de cet engagement.

Troisièmement, le projet de loi incluait un pouvoir réparateur permettant aux tribunaux de surveiller la mise en œuvre de la loi par les gouvernements. Le projet de loi a été adopté par les deux Chambres et a reçu la sanction royale en novembre 2005.

Chers collègues, nous devons à la communauté autochtone d’embrasser le nouveau Canada que nous bâtissons ensemble. La vieille façon de penser canadienne dont témoigne le projet de loi C-13 est en partie le résultat de l’histoire déformée que nous avons tous apprise à l’école, et des grandes failles dans nos connaissances des peuples autochtones, de leurs coutumes et de leur société.

Cette méconnaissance de l’histoire des Autochtones dans la société canadienne s’estompe tranquillement, et le projet de loi devrait offrir une protection juridique aux droits linguistiques des Autochtones, ce qui nous permettra de dépasser l’idée archaïque que le Canada aurait seulement deux langues officielles.

Encore une fois, chers collègues, s’il en a la volonté — comme cela a été le cas dans le passé —, le Sénat peut améliorer la loi linguistique et changer le statu quo.

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