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Projet de loi sur l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

12 décembre 2023


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que porte-parole du projet de loi S-265, Loi édictant la Loi sur l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, modifiant la Charte canadienne des droits des victimes et établissant un cadre de mise en œuvre des droits des victimes d’actes criminels.

D’entrée de jeu, par souci de transparence, je précise que je m’exprimerai en tant que porte-parole favorable à cette mesure législative, car après l’avoir examinée, j’estime qu’elle est véritablement susceptible d’améliorer le sort des victimes au Canada et qu’elle doit donc faire l’objet d’un examen approfondi au comité.

J’aimerais également remercier mon cher collègue et le parrain de ce projet de loi, le sénateur Boisvenu, pour tous les efforts qu’il a déployés et sa détermination à chercher des solutions pour améliorer le sort des victimes d’actes criminels au Canada.

Dans mon intervention, je ferai tout d’abord un résumé des quatre parties principales du projet de loi. Dans un deuxième temps, je ferai une analyse afin de mettre en lumière certains éléments qui devront faire l’objet d’une étude plus approfondie du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Je crois que nous pouvons tous appuyer les objectifs du projet de loi du sénateur Boisvenu, qui vise à prendre des mesures pour améliorer le sort des victimes d’actes criminels au Canada. Près d’une décennie après l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits des victimes, il s’agit d’une initiative louable et qui arrive à point nommé.

Bien que les victimes soient directement touchées par le crime, notre système judiciaire les confine souvent à un rôle d’observateur. Le ministre de la Justice admet par ailleurs que les victimes se sentent souvent victimisées de nouveau et appuie la nécessité de changements majeurs pour mieux défendre leurs droits.

Les personnes victimes d’actes criminels ont toujours été marginalisées et négligées par notre système de justice pénale.

Pourtant, les actes criminels font payer un lourd tribut aux victimes et à la société dans son ensemble. Les gouvernements doivent fournir des solutions adaptées et apporter un soutien personnalisé aux victimes, en les traitant avec compassion, respect et dignité.

Les gouvernements font parfois preuve de laxisme lorsque les compétences sont partagées. On peut supposer que cela a entravé les progrès dans le domaine des droits des victimes tout au long de l’histoire du droit pénal au Canada.

Il ne fait aucun doute que la justice pénale est une responsabilité partagée entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Par conséquent, dans des limites bien définies, le gouvernement fédéral a le pouvoir de mettre en œuvre des mesures visant à protéger et à aider les victimes d’actes criminels.

L’étude du comité doit évaluer la constitutionnalité du projet de loi, en veillant à ce qu’il soit conforme aux domaines de compétence définis dans la Loi constitutionnelle de 1867 et à la jurisprudence pertinente.

Concrètement, quel est l’objectif du projet de loi S-265? Il vise à améliorer les droits et le soutien des victimes d’actes criminels au Canada en créant une entité indépendante, l’ombudsman, et en élargissant et en renforçant les droits des victimes.

Plus spécifiquement, la première partie du projet de loi édicte la Loi sur l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels. Cette loi crée le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels et définit les pouvoirs, attributions et restrictions de cette nouvelle entité. Elle précise également les missions, notamment le soutien aux victimes, l’évaluation des plaintes et les recommandations.

La deuxième partie du projet de loi modifie la Charte canadienne des droits des victimes afin de renforcer les droits des victimes d’actes criminels, notamment en ce qui concerne l’accès à l’information, aux enquêtes et aux procédures, ainsi que les droits aux renseignements concernant le délinquant ou l’accusé. Les modifications à la Charte canadienne des droits des victimes élargissent également la portée du droit à une indemnisation et à un soutien offert en matière d’exécution des ordonnances de réparation.

La troisième partie exige que le ministre de la Justice crée un cadre de mise en œuvre précisant la manière dont les droits des victimes d’actes criminels garantis par la Charte canadienne des droits des victimes seront mis en œuvre et respectés. Le cadre de mise en œuvre couvre divers aspects, comme l’évaluation de l’accès aux services, les recours en cas de non-respect des droits, les normes minimales de services d’aide, l’établissement d’une campagne de sensibilisation publique et l’adoption de mécanismes visant à renforcer la participation des victimes dans le système de justice pénale. Le cadre exige également que le ministre de la Justice consulte les représentants des gouvernements provinciaux responsables de l’administration de la justice dans leurs provinces respectives, ainsi que d’autres parties prenantes concernées.

Enfin, la quatrième partie précise que l’entrée en vigueur de la loi se fait par décret. Les articles 1 à 8, qui concernent notamment la création du Bureau de l’ombudsman fédéral, dépendent d’une recommandation du gouverneur général concernant l’affectation de fonds pour l’application de la Loi sur l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, et, d’autre part, de l’affectation de fonds par le Parlement.

Permettez-moi de faire quelques observations sur le poste d’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels.

Actuellement, l’ombudsman est nommé par le gouverneur en conseil pour un mandat renouvelable de trois ans. Il relève du ministère de la Justice. L’ombudsman est également tenu de rendre compte de ses activités dans le cadre d’un rapport annuel déposé devant le Parlement.

La proposition du sénateur Boisvenu a pour objectif de conférer au Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels le statut d’entité légale indépendante, directement responsable devant le Parlement canadien, plutôt que de le maintenir comme un programme ministériel sous l’autorité du ministère de la Justice du Canada.

Comme l’a souligné le sénateur Boisvenu dans son discours, cette approche présente plusieurs avantages.

Un organisme indépendant peut jouer un rôle crucial dans la protection des droits des victimes en fournissant un mécanisme impartial pour traiter les plaintes et recommander des améliorations. En tant qu’entité indépendante, un mandataire du Parlement jouit d’une autonomie par rapport aux ministères et aux agences gouvernementales, ce qui renforce son impartialité et favorise une plus grande transparence.

De même, les notions d’indépendance et d’impartialité renforcent la légitimité en tant qu’agent de changement dans le système de justice pénale.

La présentation d’un rapport annuel par cette entité pourrait également contribuer à sensibiliser le public et les décideurs politiques aux enjeux spécifiques auxquels les victimes peuvent être confrontées dans le système de justice pénale, et la formulation de recommandations pourrait éclairer les réformes nécessaires dans ce secteur.

Dans le rapport de 2022 intitulé Améliorer le soutien aux victimes d’actes criminels du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, le comité évoquait le témoignage d’Heidi Illingworth, ancienne ombudsman du Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels. Mme Illingworth soulignait notamment que les ressources financières limitées et le nombre restreint d’employés à temps plein au sein de son bureau avaient considérablement entravé sa capacité à mener efficacement ses missions.

Mme Illingworth précise en outre que ces contraintes se manifestent principalement par la réduction du nombre d’enquêtes systémiques que le bureau peut entreprendre et de sa capacité à s’occuper des nouvelles questions. De plus, de nombreux témoins ont souligné la nécessité d’assurer un financement adéquat pour le bureau de l’ombudsman afin qu’il puisse remplir pleinement son mandat.

La création d’un bureau distinct et indépendant entraînera-t-elle réellement l’amélioration de la situation des victimes d’actes criminels, ou les lacunes de la mise en œuvre de la Charte canadienne des droits des victimes sont-elles uniquement attribuables à un manque de ressources et de financement?

Il sera essentiel que l’étude du comité examine attentivement cette question afin de mieux comprendre les besoins de financement de l’entité proposée par rapport à un service interne du ministère de la Justice. Cette enquête vise précisément à cerner la source des problèmes en question.

Bien que la disposition d’entrée en vigueur exige l’affectation de fonds par le Parlement pour la création de cette entité, il reste à savoir si l’indépendance de cette dernière fera une réelle différence dans un contexte de ressources inadéquates.

Je vais maintenant aborder les modifications à la Charte canadienne des droits des victimes.

Il est intéressant de noter que le sénateur Boisvenu avait parrainé le projet de loi C-32, qui instaurait la Charte canadienne des droits des victimes. Il a donc les connaissances et la légitimité requises pour proposer des améliorations à cet outil juridique. Le projet de loi a reçu la sanction royale le 23 avril 2015 et il représentait à l’époque une avancée considérable pour les victimes au Canada.

Sur le plan des modifications à la Charte canadienne des droits des victimes, le projet de loi S-265 propose de remplacer le « droit au dédommagement » par le « droit à la réparation », renforçant ainsi le concept d’indemnité octroyée aux victimes. Cette proposition me semble intéressante et appropriée, mais l’impact de cet amendement devra évidemment être étudié en comité.

Le projet de loi prévoit également une nouvelle disposition afin que les victimes reçoivent du soutien en cas de non-respect d’une ordonnance de dédommagement. Il a été suggéré dans le cadre de l’étude au comité de l’autre endroit qu’il faudrait, et je cite :

[...] examiner les pratiques exemplaires mises en œuvre dans d’autres provinces en ce qui concerne le soutien aux victimes pour le dédommagement, afin de reproduire ces initiatives ailleurs.

Heidi Illingworth a souligné que certaines provinces, comme la Saskatchewan, la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique, ont déjà mis en place des programmes efficaces pour aider les victimes à faire exécuter les ordonnances de dédommagement. Le comité responsable d’étudier le projet de loi S-265 devrait faire une analyse comparative afin d’identifier les meilleures pratiques en matière d’exécution des ordonnances dans les différentes provinces et territoires. Cette approche concorde par ailleurs avec la recommandation no 13 du rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, qui demandait ce qui suit :

Que le ministère de la Justice travaille avec les provinces et les territoires pour convenir de moyens efficaces afin d’aider les victimes à faire respecter les ordonnances de dédommagement.

En ce qui a trait au cadre de mise en œuvre des droits des victimes, comme l’a fait valoir le sénateur Boisvenu dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, reprenant ainsi les propos d’Heidi Illingworth, la mise en œuvre de la Charte canadienne des droits des victimes, depuis son adoption, a été sporadique et incohérente.

Dans son rapport d’étape publié en novembre 2020, l’ancienne ombudsman notait que « l’adoption d’une loi “en théorie” est différente de sa mise en œuvre “en pratique” ».

Dans ce rapport, elle soulignait notamment les limites de la formation des fonctionnaires du système de justice pénale et l’absence d’initiatives visant à informer les citoyens de leurs droits.

La création d’un cadre de mise en œuvre vise à remédier à ce problème, en donnant un sens concret aux textes législatifs. Encore une fois, les consultations avec les gouvernements provinciaux et d’autres parties prenantes, telles qu’elles sont proposées dans le projet de loi, renforcent l’approche collaborative nécessaire pour apporter un changement significatif.

Je félicite le sénateur Boisvenu pour le travail qu’il a accompli dans l’élaboration de ce projet de loi. Comme vous pourrez le constater tout au long de mon discours, ses propositions s’appuient sur les recommandations formulées par le Comité de la justice de l’autre endroit dans son rapport intitulé Améliorer le soutien aux victimes d’actes criminels, ainsi que sur la recommandation de Mme Heidi Illingworth, qui possède une connaissance approfondie du régime juridique régissant les droits des victimes au Canada.

Je note cependant que le projet de loi est muet sur la question des preuves nécessaires à l’évaluation des besoins. Dans son rapport de 2020, Heidi Illingworth recommande explicitement la collecte de telles données afin de mieux comprendre les besoins et les lacunes en matière de soutien aux victimes d’actes criminels. Elle y fait la recommandation suivante :

Recueillir de façon uniforme à l’échelle nationale des données sur le traitement des victimes dans le système de justice pénale et mettre à la disposition du public un rapport sur la question. Il faut aligner les indicateurs de données sur les droits énumérés dans la Charte canadienne des droits des victimes afin qu’on puisse suivre et mesurer cette information en vue d’évaluer la façon dont on assure le maintien des droits dans toutes les administrations. Le ministère de la Justice devrait envisager la création d’un groupe de travail sur les données relatives aux victimes qui réunirait des représentants du Ministère et les procureurs généraux des provinces et des territoires, des universitaires et Statistique Canada dans le cadre d’un effort national de collaboration pour atteindre cet objectif.

Elle s’inquiète également du manque de données uniformes et utilisables sur la façon dont le système de justice pénale traite les victimes. Elle écrit ceci :

[...] Bien que la Charte canadienne des droits des victimes délimite clairement les droits légaux des victimes, on n’a pas pris de dispositions adéquates pour exiger que tous les représentants mesurent ou consignent de l’information sur la manière dont ils informent les victimes de leurs droits et le moment où ils le font, ni sur les droits exercés par les victimes et le moment où elles l’exercent. Sans cette information, il est difficile d’évaluer l’efficacité des systèmes. En outre, il nous faut des données permettant de cerner les aspects des systèmes qu’il faudrait améliorer, pas seulement des données administratives ou internes qui ne sont jamais passées en revue. Cette question préoccupe le Bureau depuis le dépôt du projet de loi.

J’espère que le comité envisagera sérieusement d’inclure une disposition sur la collecte de données dans le projet de loi, car il est essentiel d’évaluer le traitement différencié des victimes et ses répercussions plus vastes sur des groupes précis et sur notre société. Je tiens à souligner l’importance d’examiner la façon dont le projet de loi pourrait régler plus efficacement des problèmes précis, y compris ceux liés aux femmes autochtones disparues ou assassinées, ainsi que d’autres préoccupations liées à des aspects structurels de la discrimination systémique.

Je vous encourage, chers collègues, à renvoyer rapidement ce projet de loi au Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles. Il devrait être étudié avec diligence et en prenant dûment en considération la compassion, le respect envers les victimes d’actes criminels au Canada et leur dignité.

J’aimerais conclure mon discours en soulignant les contributions exceptionnelles du sénateur Boisvenu à la législation canadienne et au système de justice pénale. Le sénateur Boisvenu a consacré sa carrière au Sénat à titre de porte-parole d’un groupe sous‑représenté : les victimes d’actes criminels. Il a embrassé cette mission avec dévouement, passion et compassion. Le sénateur Boisvenu a transformé une tragédie personnelle qui a marqué sa vie en une force positive, saisissant chaque occasion pour transformer l’adversité en progrès pour la société canadienne.

Les contributions remarquables du sénateur Boisvenu continueront de guider les réformes à venir en faveur d’un système de justice pénale plus équitable et plus attentif aux besoins des victimes.

Le sénateur n’est pas ici, mais je lui adresse tout de même cette petite phrase : cher collègue, merci pour votre dévouement sans fin et félicitations pour votre impressionnante carrière. Je vous souhaite le meilleur pour la suite. Je vous remercie, chers collègues, de m’avoir écoutée.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénatrice Bellemare, avez-vous une question à poser?

L’honorable Diane Bellemare [ - ]

Est-ce que la sénatrice Moncion accepterait de répondre à une question?

Avec plaisir.

La sénatrice Bellemare [ - ]

Je vous ai entendue dire qu’il devrait peut-être y avoir des crédits alloués à ce projet de loi.

J’aimerais vous entendre un peu plus en détail sur notre capacité à proposer des projets de loi qui prévoient des allocations de crédit.

Ne faut-il pas une recommandation royale ou quelque chose de ce genre?

Merci de votre question. Vous avez effectivement raison. C’est pour cela que, dans le travail que nous devons faire, il faut examiner cet aspect, parce que, pour que le Bureau de l’ombudsman puisse fonctionner de façon indépendante, il faut que le gouvernement adopte des mesures qui lui permettront d’exister.

C’est l’un des aspects qui doit aussi être examiné par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

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