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La réticence face aux vaccins

Interpellation--Suite du débat

15 mai 2019


Honorables sénateurs, les vaccins sont l’une des interventions en santé publique les plus efficaces. Grâce aux campagnes de vaccinations massives, nous avons éliminé de nombreuses maladies qui étaient autrefois courantes au Canada. Jusqu’à récemment, nous aurions pu affirmer avec certitude que la menace des maladies infectieuses est désormais minime pour les enfants canadiens. Malheureusement, il est possible qu’on ne puisse plus donner de telles assurances.

En 2003, les sous-ministres des ministères de la Santé fédéral, provinciaux et territoriaux ont lancé une stratégie nationale d’immunisation à cinq volets, qui sont les suivants : buts nationaux en matière de vaccination, planification des programmes, innocuité des vaccins, achat des vaccins et réseau de registres d’immunisation. Honorables sénateurs, plus de 15 ans se sont écoulés et les progrès sont insuffisants.

Aucun des buts nationaux n’a été atteint. Nous n’avons pas réussi à créer et à mettre en œuvre un calendrier national uniforme pour les vaccins. Nous n’avons pas été capables de surmonter les questions de chevauchement de compétences et d’établir un réseau national de registres d’immunisation.

Nous avons réussi à rendre les vaccins sûrs et accessibles, mais beaucoup de Canadiens ne sont pas convaincus de leurs bienfaits. De nos jours, les parents hésitent et craignent les risques liés aux vaccins donnés aux enfants, même si les vaccins sont sûrs et faciles d’accès.

Honorables sénateurs, j’aimerais parler de la réticence face aux vaccins. Cette réticence est davantage causée par une vague de désinformation que par un manque de connaissances, ce qui complique la tâche des Canadiens qui souhaitent obtenir des réponses sur l’immunisation qui sont fondées sur des faits.

Il n’y a pas de solution simple au problème de la réticence face aux vaccins. Nombreux sont ceux qui dénigrent les parents hésitant à faire vacciner leurs enfants en disant qu’ils sont illogiques, ignorants ou mal informés, mais ce n’est pas si simple. Il ne faut pas oublier les effets néfastes de la désinformation qui découle de notre propre communauté médicale.

L’article qu’a écrit Andrew Wakefield, qui établit un lien entre l’autisme et le vaccin combiné rougeole-oreillons-rubéole, a été publié dans The Lancet en 1998. Même si la revue s’est rétractée concernant cette étude, on ne peut pas sous-estimer l’effet durable d’une conclusion aussi largement diffusée sur l’opinion publique.

Aujourd’hui, les arguments contre la vaccination ont de multiples facettes. Souvent, ils sont conçus pour que la démarcation entre la vérité et la fiction soit très mince, et ils emploient une terminologie qui entretient la peur qu’éprouvent les parents, tout en créant des obstacles à l’argumentation logique des médecins.

Parmi les arguments que l’on entend souvent, il y a celui selon lequel les vaccins contiendraient des produits chimiques dangereux ou toxiques qui, selon des données probantes, sont liés à des problèmes de santé chroniques. Ou bien on entend que les maladies infectieuses disparaissent toutes seules grâce à l’amélioration des mesures hygiéniques et sanitaires.

Ces arguments contiennent des brins de vérité qui donnent l’impression qu’ils sont légitimes. Effectivement, les vaccins contiennent des produits chimiques en petite quantité sans danger, comme l’aluminium. Ces produits chimiques stimulent la réponse immunitaire pour que le corps produise plus d’anticorps. Certains soutiennent qu’une bonne hygiène a des effets préventifs. Mais même si nous sommes tous conscients du rôle crucial que joue l’hygiène dans la santé publique et même si nous faisons les efforts les plus minutieux qui soient pour toujours avoir les mains propres, le vaccin de la rougeole est un adversaire redoutable, car il peut survivre dans l’air pendant deux heures.

Sénateurs, ces arguments n’ont absolument rien de simple et ils ne sont pas inoffensifs. Il n’est décidément pas facile pour les parents canadiens de les rejeter, surtout quand ils sont présentés dans un site Web moderne et accrocheur, comme c’est souvent le cas.

De nombreuses solutions ont été proposées. Des défenseurs des droits des patients et des associations de médecins demandent au gouvernement de mieux soutenir les médecins et les autres cliniciens. Certains experts réclament même que la vaccination soit confiée au secteur de la santé publique plutôt qu’aux cabinets de médecins, comme c’est le cas actuellement. Les arguments proposés laissent entendre que parents et cliniciens doivent avoir plus de temps pour dialoguer, ce qui permettra de corriger les faux renseignements et d’amener les gens à changer d’avis.

Nous savons que lorsqu’on améliore la formation et les outils, les interventions et les résultats s’améliorent aussi. Dans ce contexte, il est essentiel que les professionnels de la santé obtiennent un meilleur soutien public, mais il faudra du temps pour venir à bout de la désinformation qui sous-tend la réticence à la vaccination. Dans l’intervalle, je crois que le gouvernement fédéral pourrait poser des gestes significatifs pour atténuer la réticence à la vaccination et les craintes pour la santé sur lesquelles elle repose. Il pourrait notamment réformer la multitude de calendriers de vaccination disparates, ce méli-mélo n’étant qu’une « parodie de politique publique » selon André Picard, journaliste réputé spécialisé en santé.

Contrairement à d’autres pays développés, tels que l’Australie, où un unique calendrier d’immunisation harmonisé s’applique à tout le pays, chaque province et chaque territoire au Canada définit son propre calendrier de vaccination, ce qui fait que les Canadiens sont vaccinés à différents moments de leur vie selon l’endroit où ils habitent.

Prenons l’exemple du vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche acellulaire. Au Nunavut, on le reçoit en 6e année. Au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et dans les Territoires du Nord-Ouest, c’est en 7e année. En Saskatchewan, c’est en 8e année. La Colombie-Britannique, l’Alberta, le Québec, l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve-et-Labrador et le Yukon, dans toute leur sagesse, l’administrent en 9e année. Au Manitoba les jeunes le reçoivent probablement entre 13 et 15 ans. En Ontario, on le reçoit entre 14 et 16 ans.

C’est un problème.

En 2015-2016, 277 000 Canadiens ont migré d’une province à une autre. Lorsque chaque province adopte une approche distincte à l’égard de la vaccination, un enfant qui déménage risque, selon son âge, de passer entre les mailles du filet ou de recevoir le même vaccin deux fois.

En 2011, la Société canadienne de pédiatrie a réclamé la création d’un calendrier harmonisé afin d’améliorer la santé et la sécurité des enfants et des adolescents canadiens. Elle a déclaré :

La poursuite de voies discordantes ne fait qu’accroître les coûts et fait courir un risque inutile à de nombreux enfants et adolescents.

Comme si ce n’était pas suffisant, certaines provinces ont même des positions contradictoires à l’égard de la vaccination.

En effet, jusqu’à tout récemment, en Ontario, seules les femmes recevaient le vaccin contre le papillomavirus alors que, dans d’autres provinces, on administrait ce vaccin tant aux hommes qu’aux femmes. De telles différences ont amené certains à s’interroger sur les fondements scientifiques des politiques de vaccination. Elles donnent prise aux arguments des personnes qui soutiennent que ces politiques sont élaborées de manière arbitraire.

Vous pouvez sûrement imaginer les questions que les gens se posent. Pourquoi est-ce différent là-bas? Est-ce dangereux pour mon enfant? Quelle province a adopté la bonne approche? Ils se demandent s’ils ne devraient pas attendre que les données scientifiques soient plus claires. C’est cela, la réticence face aux vaccins. En l’occurrence, elle découle d’une décision politique. Pour contrer cette réticence, nous devons élaborer des politiques de vaccination qui inspirent la confiance.

Si nous pouvions suivre les conseils de M. Picard et simplement enfermer dans une pièce tous les ministres de la Santé en refusant de les laisser sortir tant qu’ils n’auraient pas mis en place un unique calendrier de vaccination, nous résoudrions ce problème, pour le plus grand bien de la santé publique au Canada.

Même si je ne recommande pas cette approche, je prône l’établissement d’un dialogue qui pourrait nous aider à trouver une solution préférable.

Un autre grand problème qui se pose, c’est que les provinces et les territoires peuvent tous avoir leur propre système de surveillance de la couverture vaccinale. Par conséquent, les données, les méthodes et même les renseignements jugés pertinents varient en fonction des provinces et des territoires.

Bien que beaucoup de provinces et de territoires aient adopté les registres électroniques, certains utilisent encore des registres sur papier et d’autres une combinaison des deux. En théorie, les bases de données électroniques devraient offrir une couverture pancanadienne. Cependant, en raison du manque de collaboration entre les compétences, l’information recueillie dans chaque province n’est pas vraiment accessible à l’extérieur de la province d’origine. Chers collègues, il s’agit, pour les autorités sanitaires, d’un problème important qui les empêche de dresser un tableau national.

Par conséquent, notre information sur les taux de vaccination est tirée, croyez-le ou non, d’une enquête nationale. En l’absence de données à jour et fiables, les organismes de santé publique — sur lesquels nous comptons tous pour protéger notre santé et celle de nos familles et de nos amis — sont laissés essentiellement dans l’ignorance.

Son Honneur le Président [ + ]

Je suis désolé, sénatrice Moodie, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Son Honneur le Président [ + ]

Le consentement est-il accordé?

Nous savons maintenant que de plus en plus de Canadiens hésitent à avoir recours aux vaccins. Alors qu’il est difficile de changer la culture entourant la vaccination, il est beaucoup plus facile de modifier nos pratiques pour mieux nous protéger. Si les organismes de santé provinciaux et fédéraux avaient accès à des données sur les taux de vaccination, ils seraient mieux outillés pour déterminer les endroits problématiques, cibler le soutien et la formation, informer les travailleurs de la santé et les préparer en vue d’une possible épidémie.

Sans registre national, il est difficile de savoir quelle ville du Canada risque de vivre une situation semblable à celle du comté de Rockland, dans l’État de New York — un endroit au faible taux de vaccination, propice à l’éclosion d’une épidémie.

Les recherches se poursuivent actuellement dans d’autres régions comme le Nunavik. Nous avons déjà une bonne idée des lacunes là-bas. Nous savons que les nourrissons vivant dans l’Arctique canadien présentent le taux le plus élevé d’infection au virus respiratoire syncytial, qui est potentiellement mortel. Ce problème est aggravé par la présence d’obstacles géographiques, systémiques et culturels.

Si ces données sont accessibles, nous pouvons améliorer les résultats en matière de santé, la mobilisation, les campagnes d’information et les taux d’inoculation préventive.

Un registre national des vaccins, avec le soutien et la participation de toutes les provinces, permettrait d’identifier les populations à risque et de prendre les mesures appropriées. Il faut du temps pour informer et convaincre les gens qui ne doutent pas de leurs croyances. Cependant, nous devons nous efforcer de supprimer les sources de désinformation qui sèment la confusion chez les Canadiens et qui mènent les parents à craindre les vaccins plus que les maladies.

Les Canadiens et nos organismes de santé bénéficieraient grandement d’une amélioration dans deux domaines clés : un calendrier de vaccination uniforme dans toutes les provinces et une base de données nationale qui permettrait de recueillir, d’enregistrer et de surveiller les taux de vaccination.

Nous savons qu’il faudra du temps pour vaincre la réticence face aux vaccins; il faudra tenter de trouver des solutions à cet enjeu complexe. Mais les préparatifs en vue de la prochaine épidémie devraient commencer dès aujourd’hui. Je vous remercie de votre attention.

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