Le discours du Trône
Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Débat
17 mars 2021
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en réponse au discours du Trône et en reconnaissance du Mois de l’histoire des Noirs. Certes, le mois de février est derrière nous, mais il convient toujours de célébrer les réalisations des Canadiens noirs et d’envisager des manières de faire fond sur cette réussite.
Je veux remercier mes collègues, les sénatrices Bernard, Jaffer, Mégie et le sénateur Ravalia des efforts infatigables qu’ils déploient pour les Afro-Canadiens, y compris dans cette enceinte.
Les discours du Trône sont importants. Ils sont l’occasion de réfléchir à l’histoire du pays alors que nous considérons la voie à emprunter. Aujourd’hui, je veux contribuer à cette réflexion.
Comme tous les sénateurs, je suis fière de ma collectivité. Je suis une fière Torontoise et, en l’honneur de la ville que j’adore et des gens qui la rendent unique, je veux me concentrer sur l’histoire, les réussites et l’excellence des Canadiens noirs de ma ville.
Les Canadiens noirs de Toronto ont une histoire vibrante et des racines profondes. Les premiers arrivants ont été des membres de la communauté fiers et productifs. En 1978, à l’occasion d’une conférence sur l’histoire des Noirs tenue à l’Université de Toronto, le sociologiste Daniel G. Hill a prononcé un discours sur l’histoire des Noirs aux débuts de Toronto.
Il a parlé des premières personnes à s’établir à Toronto et des 50 premières familles de réfugiés qui s’y sont établies en 1837. Il a parlé des migrations subséquentes de gens venus des États du Sud qui ont fait croître cette population de temps en temps, jusqu’en 1850. À ce moment-là, on comptait des gens venus de tous les États du Sud, majoritairement de la Virginie.
M. Hill nous a dit que ces gens venus s’établir à Toronto pouvaient compter sur des compétences et des expériences acquises dans le cadre des métiers qu’ils avaient exercés précédemment :
Nombre d’entre eux étaient venus avec suffisamment de ressources pour acheter des maisons. Ils ont construit des églises et fondé des organismes de bienfaisance et des sociétés fraternelles [...] [Ils ont] pu non seulement acheter leurs propres maisons, mais aussi faire instruire leurs enfants, et par leur droiture morale et leur loyauté envers leur pays d’adoption, ils ont gagné le respect et l’estime de leurs concitoyens [...]
Par ailleurs, du milieu des années 1830 jusqu’aux années 1860, Toronto était l’une des nombreuses destinations du chemin de fer clandestin au nord de la frontière. La plupart des événements racontés par Daniel Hill se sont produits pendant cette période. Des Torontois noirs, dont un grand nombre d’anciens esclaves, ont exploité des entreprises comme des épiceries, des boutiques, des magasins, des pharmacies, des écuries et même la première entreprise de taxi de Toronto.
La région du Grand Toronto est restée un centre d’excellence pour les Noirs dans de nombreux domaines de la vie et de la société. Beaucoup de leaders noirs, vedettes dans les domaines du droit, de la politique et de la défense des droits, venaient de la région. Je pense notamment à Mary Ann Shadd, abolitionniste, enseignante, journaliste et avocate, qui devient en 1853 la première femme éditrice en Amérique du Nord. Elle naît de parents libres dans l’État esclavagiste du Delaware en 1823. À l’automne 1851, elle assiste à la première North American Convention of Colored Freemen, à Toronto. Elle accepte ensuite un poste d’enseignante près de Windsor et ouvre une école intégrée pour les réfugiés noirs. En 1853, elle commence à publier le Provincial Freeman, journal qui, par ses articles sur la réussite de Noirs vivant en liberté, encourage l’immigration au Canada.
Avançons de 100 ans jusqu’à un autre grand leader et un autre grand Canadien : Lincoln Alexander, le premier Noir à avoir été député, ministre et lieutenant-gouverneur dans l’histoire du Canada. Il est né à Toronto, et comme beaucoup de Torontois noirs, moi y compris, ses parents étaient des immigrants caribéens. En dépit d’une enfance difficile, M. Alexander allait atteindre des sommets. Il a travaillé dans les manufactures durant la Deuxième Guerre mondiale, puis il a étudié à l’Université McMaster, où il a obtenu un baccalauréat en 1949. Il a ensuite fréquenté l’école de droit Osgoode Hall en 1953. On dit que, alors qu’il étudiait à Osgoode Hall et qu’il assistait à une conférence du doyen de l’école, M. Alexander s’est levé pour confronter le doyen parce qu’il utilisait des termes dérogatoires envers les personnes noires. Il aurait alors réclamé au doyen qu’en sa qualité de personne en position d’autorité, il choisisse un langage plus respectueux.
Par la suite, il a ouvert son propre cabinet d’avocats et il s’est lancé en politique en 1965 avec le Parti progressiste-conservateur, avec lequel il a perdu les élections. Il a ensuite gagné en 1968 et il est resté au service des Canadiens pendant 12 ans.
Durant une période des questions en 1971, avec John Lundrigan de Terre-Neuve, il est réputé avoir provoqué le premier ministre Trudeau de l’époque lors de l’incident qu’on a appelé le « fuddle duddle ».
Honorables collègues, il est difficile de trouver les mots pour exprimer ce que ressent un Noir faisant face au racisme tous les jours. C’est pire que la simple perte de perspectives. Ce sont des rencontres désagréables et même dangereuses. Le racisme vise à porter atteinte à l’humanité d’une personne. Il remet en question son identité et cherche à la priver de son estime de soi. C’est épuisant, exaspérant et peut affaiblir complètement même les gens les plus forts.
En pensant à ces géants de l’histoire, il faut absolument se rappeler qu’ils n’étaient pas à l’abri du racisme. Leur intelligence, leur charisme, leur esprit, leur détermination et leur réussite ultime étaient toujours secondaires par rapport à la couleur de leur peau.
Les réalisations de Mary Ann Shadd, Lincoln Alexander, Oscar Peterson, Zanana Akande, William Peyton Hubbard, Jean Augustine et Willie O’Ree, ainsi que de nombreux autres Canadiens noirs, sont plus que des simples réussites professionnelles. Ces gens ont dû se battre quotidiennement pour préserver leur dignité et défendre leur valeur.
Même si des particuliers et des systèmes ont cherché à les démolir, ils ont gardé la tête haute. Ils ont laissé un héritage. Ils ont servi de mentors à bon nombre de personnes et encouragé beaucoup de gens à suivre leurs traces et à reprendre le flambeau. Ce sont tous des héros.
En effet, les Torontois noirs ont fracassé bien des plafonds de verre, et nous ne nous arrêterons pas en si bon chemin. Que ce soit à titre de juge de la Cour supérieure, de gagnant du Trophée James Norris, de chef du Parti vert ou de tête d’affiche du spectacle de la mi-temps du Super Bowl, les Torontois noirs se joignent aux Canadiens noirs de Terre-Neuve, de Preston, de Montréal, de la Colombie-Britannique et des quatre coins du pays pour marquer l’histoire, et ils continueront de le faire durant des générations.
Chers collègues, ces personnes ont laissé leur marque, mais leur parcours a été semé d’embûches. Leurs expériences sont de vibrants plaidoyers sur la nécessité de faire une place à la diversité et à l’inclusion au sein de toutes nos institutions.
Les notions de diversité et d’inclusion ne renvoient pas seulement à l’aspiration de bâtir une société meilleure. Il s’agit également de tirer des leçons de notre passé et des innombrables exemples où des personnes de divers horizons ont rendu notre monde — le Canada — meilleur.
Que se passerait-il si, au lieu de devoir lutter contre les obstacles, les gens d’origines diverses étaient invités à contribuer? Que se passerait-il si on leur offrait une place au lieu de les obliger à se battre pour en avoir une? Que se passerait-il si les institutions canadiennes croyaient sincèrement à l’intelligence et à l’originalité des Canadiens noirs — en fait, chez tous les Canadiens de diverses origines? Que se passerait-il si ces institutions cherchaient activement cette intelligence et cette originalité? Imaginons comment nous pourrions, en tant que pays, en tant que société, tous progresser ensemble.
Nous devons entamer ces changements ici même au Sénat, dans notre propre institution. Alors que nous réfléchissions à notre situation actuelle, nous devons reconnaître qu’il y a du travail à faire pour que notre institution devienne un milieu de travail plus diversifié et inclusif et un chef de file au Canada dans ce domaine.
Qu’il s’agisse des témoins que nous invitons aux comités, des greffiers et des employés que nous embauchons, des artistes dont nous exposons les œuvres d’art et des Canadiens que nous saluons et honorons, nous devons miser sur la réelle inclusion des Canadiens, quelles que soient leurs origines.
Cela signifie changer les systèmes et les politiques et élever nos attentes...
Je suis désolé, madame la sénatrice, mais je dois vous interrompre. Comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et à l’ordre adopté le 27 octobre 2020, je suis obligé de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures.