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Projet de loi sur la stratégie nationale pour les enfants et les jeunes

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

21 mars 2024


Propose que le projet de loi S-282, Loi concernant une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes au Canada, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, si vous ne savez pas où vous allez, vous n’y arriverez jamais. Chers collègues, je pense que nous sommes tous d’accord sur le principe simple selon lequel la meilleure façon d’arriver à une destination est de planifier son voyage. Autrement dit, pour ne pas être condamné à échouer, il faut planifier.

Malheureusement, à cause de notre manque de vision, de direction et de volonté, nous sommes voués à laisser tomber nos enfants.

Les 8 millions d’enfants et de jeunes du Canada sont laissés pour compte par nos politiques publiques, y compris celles qui sont censées les servir. Pourquoi? C’est parce que nous concevons les politiques sans avoir à l’esprit des résultats clairs. Nous mettons en œuvre des programmes sans prévoir les ressources nécessaires pour apporter des changements concluants. Nous ne soutenons pas la collaboration intersectorielle et nous n’écoutons pas ceux qui ont le plus besoin d’aide.

Nous avons fini par accepter le fait que nous abandonnons des milliers d’enfants. Le Canada n’a pas de vision pour la santé et le bien-être des enfants et des jeunes. Par conséquent, ils doivent se contenter d’un ensemble disparate de programmes, de mesures d’aide et de prestations. Ce n’est pas suffisant.

C’est pour cette raison que je présente aujourd’hui le projet de loi S-282, Loi concernant une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes au Canada.

Le projet de loi est une réaction à des décennies d’approches infructueuses et de demi-mesures. Il demande au gouvernement d’élaborer une stratégie globale pour les enfants et les jeunes qui nous permette de remplir notre obligation de leur offrir une enfance saine, heureuse et pleine d’espoir.

Le projet de loi établit un cadre pour une stratégie qui détermine les domaines dans lesquels nous manquons à nos devoirs envers les enfants et ceux dans lesquels nous réalisons des progrès importants, en plus de proposer un plan d’action détaillé pour changer le statu quo une fois pour toutes et faire en sorte que chaque enfant soit en sécurité, heureux et en bonne santé.

Le projet de loi propose que la stratégie soit assortie d’objectifs définis et d’indicateurs quantifiables, parce que, si on veut faire bouger les choses pour les enfants du Canada, il nous faut de bonnes données pour nous guider.

Le projet de loi S-282 n’est pas une stratégie et il ne crée pas de stratégie, mais il établit un cadre pour la création d’une stratégie. Comme l’indique le projet de loi, une stratégie solide doit être élaborée en consultation avec les Canadiens. Il s’agirait d’une vision précise qui reflète les valeurs du pays au sujet des enfants.

Chers collègues, il ne s’agit pas d’une idée nouvelle. Plus de la moitié des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, sont déjà dotés de ce que l’OCDE appelle un « plan intégré en matière de politique pour le bien-être des enfants », que l’on définit comme « un document d’orientation qui définit l’approche du gouvernement pour promouvoir les résultats positifs chez les enfants dans plusieurs domaines du bien-être ». Ce genre de plan vise à intégrer les initiatives stratégiques existantes, qui se font parfois concurrence, en une stratégie globale pour les jeunes, et à officialiser la coopération entre les responsables de la mise en œuvre de ces politiques.

Prenons l’exemple de la Nouvelle-Zélande. La Nouvelle-Zélande a fixé des objectifs ambitieux pour éradiquer la pauvreté des enfants et a pris des mesures énergiques au moyen d’un plan d’action qui tient compte de la voix des enfants. Ce plan, adopté par voie législative à la fin de 2018, était la Stratégie pour le bien-être des enfants et des jeunes de la Nouvelle-Zélande. C’est un cadre législatif qui propose une vision ambitieuse de la vie des enfants néo-zélandais et un plan pour en faire une réalité, ce qui suppose une collaboration entre le gouvernement et la société civile plutôt qu’une multiplication du cloisonnement.

Le plan comprend des résultats clairs fondés sur les facteurs sociaux, économiques et environnementaux nécessaires à l’épanouissement des enfants. Chaque résultat est assorti de mesures clés et d’indicateurs de progrès. La Nouvelle-Zélande s’est également engagée à rendre des comptes en publiant des rapports annuels sur sa stratégie. En outre, le gouvernement doit rendre compte de l’incidence de chaque budget fédéral sur la réduction de la pauvreté des enfants.

Avec cette stratégie, la Nouvelle-Zélande a clarifié ses engagements envers les enfants et a donné au public les moyens de lui demander des comptes sur le respect de ses promesses. Il s’agit d’une approche globale au bien-être des enfants et des jeunes. Il nous faut certes une stratégie propre au Canada, mais cet exemple illustre ce qu’il est possible de faire.

L’Union européenne a aussi fait des progrès à cet égard. En 2019, la présidente de la Commission de l’Union européenne a annoncé la création de la Garantie européenne pour l’enfance. Ce programme se voulait une solution à l’exclusion sociale et à la pauvreté, qui touchent 25 millions d’enfants dans les pays de l’Union européenne. La Garantie européenne pour l’enfance a pour objectif de garantir aux enfants l’accès à un ensemble de services de base. Le programme demande aux États de garantir l’accès à des services de garde et d’éducation préscolaire gratuits, à des soins de santé gratuits, à une saine alimentation et à un logement adéquat. Ce sont là des éléments essentiels pour que les enfants soient en sécurité et en santé et pour leur donner de l’espoir.

En 2023, un projet pilote mené dans le cadre de ce programme, en partenariat avec l’UNICEF, a donné des résultats prometteurs. Plus de 30 000 enfants et jeunes adultes de quatre pays — la Bulgarie, la Croatie, la Grèce, et l’Italie — ont bénéficié de services et d’interventions axés sur l’engagement de l’Union européenne à mettre en œuvre une vision axée sur la prospérité et la santé des enfants.

Ces progrès à l’étranger nous montrent que l’idée de présenter, dans un pays donné, une vision axée sur le bien-être des enfants ainsi qu’un plan pour la mettre en œuvre fait son chemin dans le monde entier. Confrontés à des preuves montrant qu’ils ne veillent pas adéquatement au bien-être des plus jeunes de leurs concitoyens, des pays du monde entier choisissent d’intervenir au lieu de se contenter du statu quo. Au Canada, nous devons choisir d’intervenir au lieu d’accepter le statu quo.

Chers collègues, je ne peux pas supposer que vous connaissez tous les problèmes éprouvés par nos enfants, mais je pense que vous êtes au courant de bon nombre d’entre eux. Vous les voyez dans vos collectivités. Vous lisez des articles à leur sujet dans les médias. Vous les avez peut-être même observés dans votre entourage. Nous devons évaluer les domaines où nous sommes à la hauteur de nos aspirations pour nos enfants et ceux où nous ne le sommes pas.

En effet, nous ne sommes pas à la hauteur, chers collègues. Nous ne soutenons pas adéquatement les enfants et les jeunes de notre pays dans plusieurs domaines. Trop d’enfants passent à travers les mailles du filet de notre système disparate de politiques et de programmes. Je vais vous parler de quelques-uns des domaines où l’approche actuelle donne des résultats insatisfaisants, et où une stratégie pourrait s’avérer utile.

Nous sommes en train de perdre la guerre contre la pauvreté chez les enfants. En effet, même si la pauvreté chez les enfants a atteint son niveau le plus bas en 2020, en grande partie grâce à la Prestation canadienne d’urgence, plus de 1 million d’enfants vivent encore dans la pauvreté aujourd’hui au Canada. D’ailleurs, nous savons que les taux de pauvreté sont en train de remonter à cause de la stagnation des mesures de soutien du revenu et de l’augmentation du coût de la vie. Dans son récent rapport sur la pauvreté chez les enfants, la coalition Campagne 2000 indique que le taux de pauvreté chez les enfants est passé de 13,5 % en 2020 à 15,6 % un an plus tard, ce qui signifie que plus de 160 000 enfants supplémentaires sont plongés dans la pauvreté.

Les familles aux prises avec la pauvreté peinent à répondre aux besoins fondamentaux de leurs enfants, qu’il s’agisse d’un logement stable, de l’accès à l’éducation ou de la sécurité alimentaire. En d’autres termes, la pauvreté a un effet désastreux sur le bien-être de l’enfant et peut avoir des conséquences à long terme dévastatrices sur sa capacité d’apprentissage et d’acquisition de compétences, ce qui entrave ensuite sa capacité à trouver un emploi et à éviter la pauvreté à l’âge adulte. Plus un enfant vit longtemps dans la pauvreté, plus il risque de connaître la pauvreté à l’âge adulte.

En 1989, la Chambre des communes a décidé de mettre fin à la pauvreté des enfants au Canada avant l’an 2000. Pourtant, près d’un quart de décennie après cette échéance, plus d’un million d’enfants vivent toujours dans la pauvreté au pays. S’il suffisait de fixer un objectif, nous aurions résolu ce problème depuis longtemps.

Chers collègues, s’il nous faut une stratégie, c’est parce que les objectifs sans plan précis sont inutiles en l’absence d’une évaluation, d’une planification et d’un suivi très détaillés. Une stratégie ne se contenterait pas de fixer un objectif; elle nous donnerait aussi un plan d’action concret assorti d’une série d’indicateurs permettant d’évaluer en permanence l’efficacité des mesures que nous prenons. Les enfants vivant dans la pauvreté et leur famille méritent plus que des paroles en l’air. Ils comptent sur nous pour créer un plan solide qui fonctionne.

La pauvreté n’est toutefois qu’un problème parmi d’autres. Aux quatre coins du Canada, de nombreux jeunes enfants subissent des retards longs et coûteux dans l’obtention de services de santé essentiels.

De plus en plus d’éléments soulignent l’effet de décennies de sous-investissement dans la santé des enfants. Selon des données de 2018, seulement 35 % des interventions chirurgicales non urgentes dans les hôpitaux pédiatriques canadiens ont été réalisées dans les délais cliniques sécuritaires recommandés. La pandémie a bien sûr aggravé la situation. En ce qui concerne les services de santé mentale, la situation n’est guère mieux. Dans ma province, l’Ontario, environ 28 000 enfants et jeunes ayant des besoins en matière de santé mentale auraient été inscrits sur des listes d’attente pour un traitement en 2020, et certains ont attendu jusqu’à deux ans et demi pour obtenir un traitement intensif.

De plus, selon les estimations, en Ontario, 200 000 enfants aux prises avec des problèmes de santé mentale n’ont reçu aucun service de santé mentale parce qu’ils vivent dans des collectivités rurales, éloignées ou nordiques, où les programmes de traitement sont rares.

Dans cette situation, distribuer plus d’argent n’est pas la solution. À elle seule, cette approche ne suffit pas. Ce qu’il faut, c’est un plan qui vise à offrir un accès équitable à ces services essentiels afin que tous les enfants reçoivent des soins quand ils en ont besoin. L’augmentation du financement doit s’accompagner d’un engagement à surveiller les résultats en matière de santé infantile et l’efficacité des dépenses partout au Canada, ainsi qu’à évaluer l’efficacité non seulement des fonds engagés, mais aussi des interventions mises en œuvre. C’est pourquoi nous avons besoin d’une stratégie.

Parallèlement aux problèmes de longue date, d’autres problèmes prennent rapidement de l’ampleur et évoluent en temps réel. C’est le cas des changements climatiques et de la sécurité des enfants, par exemple.

Les changements climatiques sont un gros problème mondial aux ramifications multiples qui a déjà des répercussions économiques et sociales considérables dans tous les aspects de notre vie. Selon la Société canadienne de pédiatrie, les changements climatiques constituent la plus grave menace mondiale pour la santé au XXIe siècle. L’augmentation des blessures et des décès causés par les phénomènes météorologiques extrêmes, la détérioration du rendement de la production alimentaire qui amène l’insécurité alimentaire, le risque de déplacement causé par l’élévation du niveau de la mer, les effets sanitaires négatifs associés à l’augmentation de la pollution ne sont que quelques-unes des conséquences que les enfants devront supporter et supportent déjà, et je m’en tiens aux répercussions en matière de santé infantile.

Quels sont les autres impacts? Des turbulences économiques dues au stress de l’économie mondiale ou des perturbations de l’enseignement dues à des catastrophes naturelles exacerbées par les changements climatiques? En faisons-nous assez et nous préparons-nous de manière adéquate pour aider les enfants à faire face aux conséquences d’un changement climatique rapide?

Alors que nous prenons des mesures pour faire face à la crise climatique, nous devons être prêts à évaluer et à gérer les impacts sur les enfants au fur et à mesure qu’ils se présentent. Il nous faut pour cela une stratégie. Face à des problèmes en constante évolution, nous concentrer sur les résultats souhaités nous aidera à cibler ce qui est le plus important et à déterminer les interventions qui seront les plus efficaces.

Par exemple, supposons que l’un des résultats souhaités de la stratégie est que les enfants du Canada soient en sécurité et en bonne santé. Si les progrès dans ce domaine ralentissent ou s’arrêtent en raison des effets du changement climatique, les indicateurs surveillés par la stratégie nous avertiront de ce changement — de cette nouvelle tendance — et nous pousseront à modifier ou à ajuster rapidement nos politiques et nos programmes. Une stratégie nous permettrait d’être plus réactifs et plus efficaces dans les mesures que nous devons prendre pour le bien-être de nos enfants.

Le monde est dangereux pour les enfants, que ce soit en ligne ou hors ligne. Nos enfants grandissent à l’ère du numérique où l’utilisation généralisée d’Internet est devenue la norme. Cette exposition numérique accrue entraîne des problèmes, notamment la difficulté à se concentrer, le manque de sommeil, la diminution de l’activité physique, la prise de poids et, surtout, le risque accru de cybervictimisation. La cybervictimisation se définit par le fait d’être ciblé, harcelé ou tyrannisé sur des canaux de communication en ligne.

En 2019, Statistique Canada a rapporté que 25 % des jeunes âgés de 12 à 17 ans avaient été victimes de cyberintimidation, notamment de messages textes agressifs ou de contenu sexuel non désiré sur diverses plateformes en ligne. Internet évolue et change et nous devons faire de même, au risque de laisser nos enfants et nos jeunes pour compte.

Et le monde hors ligne n’est pas nécessairement plus sûr. Une étude alarmante publiée en 2018 par Statistique Canada révèle qu’environ 72 % des Canadiens ont été impliqués, avant l’âge de 15 ans, dans au moins un incident de maltraitance d’enfant, défini comme une situation d’abus physique ou sexuel, un comportement parental sévère ou une situation de violence, notamment en tant que témoins. Des cas très médiatisés de maltraitance dans les sports d’équipe et les organisations communautaires ont montré que la maltraitance des enfants dans les écoles, les sports et d’autres cadres communautaires demeure une menace omniprésente au Canada. Nous devons en faire davantage pour assurer la sécurité des jeunes, en ligne et hors ligne.

La sécurité des enfants est un enjeu à multiples facettes qui fait intervenir tous les ordres de gouvernement et l’ensemble de nos communautés. C’est un problème qui ne saurait être réglé uniquement par les organismes d’aide à l’enfance ou par la police. Une stratégie nationale nous aiderait à saisir collectivement la véritable ampleur du problème, à en cibler les causes et à voir quelles sont les lacunes du système actuel. Qu’est-ce qui fonctionne, et qu’est-ce qui ne fonctionne pas? Une stratégie nationale nous aiderait à établir un plan concret pour que chaque enfant au Canada puisse grandir en sécurité.

Le dénominateur commun de tous ces problèmes est le bien-être des enfants. Le bien-être, ce n’est pas seulement être bien dans son corps; c’est aussi être bien dans sa tête, dans son cœur et en société. Cela renvoie à un état de santé et de bonheur généralisé. Une personne qui a un sentiment de bien-être a tendance à avoir des relations plus positives, à être satisfaite de sa vie et à mieux supporter le stress et les contrariétés. Le bien-être est un sentiment d’équilibre et de contentement et une capacité de profiter pleinement de la vie. Les Canadiens s’attendent de leur gouvernement qu’il jette les bases du bien-être. La barre n’est pas bien haute, mais, malheureusement, nous n’arrivons pas à la franchir.

Lorsque les enfants attendent des mois pour recevoir des soins médicaux nécessaires ou qu’ils ne peuvent pas obtenir de soutien pour leur santé mentale, ils ne vont pas bien. Lorsque les enfants ne mangent pas à leur faim ou qu’ils sont maltraités par des adultes qui sont censés les protéger, ils ne vont pas bien. Lorsque nous laissons des enfants tomber dans les oubliettes de notre système disparate, ils ne vont pas bien. Nous pouvons et nous devons faire mieux.

Heureusement, nous avons quelque chose sur quoi nous appuyer. Il y a de bonnes nouvelles. Les programmes existants destinés aux enfants jouent indubitablement un rôle essentiel pour aider les enfants partout au pays. Cependant, même si ces programmes permettent de réaliser des progrès considérables, ils ne sont souvent pas à la hauteur du type de réflexion stratégique et holistique que nous devons avoir pour les enfants.

Pensez à l’Allocation canadienne pour enfants, une prestation non imposable versée mensuellement pour aider les familles admissibles à assumer le coût de l’éducation de leurs enfants. Pour de nombreuses familles, cette allocation représente une aide de plusieurs centaines de dollars par mois. L’Allocation canadienne pour enfants constitue un effort louable pour diminuer la pauvreté chez les enfants et elle a effectivement eu une incidence significative en sortant environ 250 000 enfants de la pauvreté. Néanmoins, l’augmentation récente du taux de pauvreté chez les enfants met en évidence la fragilité des progrès réalisés. Il est évident qu’il est nécessaire de déployer des efforts plus intenses et plus soutenus.

C’est un exemple de domaine dans lequel nous ne sommes pas allés assez loin. Nous avons la possibilité de faire le choix politique d’éradiquer la pauvreté chez les enfants, et pourtant, plus de 1 million d’enfants au Canada continuent de vivre dans la pauvreté aujourd’hui. Quels sont nos objectifs et comment mesurons-nous nos progrès? Sortir un quart de million d’enfants de la pauvreté est remarquable, mais est-ce suffisant? Une stratégie nous permettrait de répondre à ces questions et de définir la meilleure voie à suivre pour aller de l’avant.

Les garderies constituent un autre domaine où nous avons réalisé des progrès important grâce aux ententes pancanadiennes sur l’éducation préscolaire et les garderies. Toutefois, ce programme en est encore à ses débuts. Les infrastructures et le soutien aux travailleurs en garderie demeurent des sujets de préoccupation. Il y a deux semaines, j’ai parcouru l’Ontario et j’ai rencontré un certain nombre d’exploitants de garderies. Ils m’ont dit qu’à l’heure actuelle, le programme ne prévoit pas suffisamment d’argent pour bien rémunérer le personnel ou maintenir la qualité des services au niveau où ils étaient auparavant.

Chers collègues, viser l’abordabilité est un premier pas dans la bonne direction, mais la réduction des coûts ne peut pas être le seul objectif de nos efforts. Nous avons besoin d’une approche stratégique axée sur le bien-être des enfants, qui utilise l’éducation préscolaire comme l’un des nombreux outils et programmes qui permettront à nos enfants et à nos jeunes de réaliser leur plein potentiel.

Le principe de Jordan et l’initiative Les enfants inuits d’abord sont des programmes importants qui répondent aux besoins uniques des enfants des Premières Nations et inuits, mais qui sont difficiles à mettre en œuvre. Le principe de Jordan est le principe de l’enfant d’abord, qui assure un accès rapide aux produits, aux services et au soutien pour tous les enfants des Premières Nations au Canada, dans les réserves et à l’extérieur de celles-ci. Le financement peut aider à répondre à un large éventail de besoins en matière de santé, de services sociaux et d’éducation. De même, l’initiative Les enfants inuits d’abord veille à ce que tous les enfants inuits du Canada aient accès, en temps opportun, aux produits, aux services et au soutien essentiels en matière de santé, de services sociaux et d’éducation financés par le gouvernement dont ils ont besoin. Ce sont là quelques-unes des bonnes choses.

Toutefois, les retards dans le traitement des demandes, comme l’a montré le principe de Jordan, et les demandes au point mort relatives à l’initiative Les enfants inuits d’abord sont la preuve qu’il existe des problèmes systémiques pour avoir un accès rapide à ces services. Autre fait qui soulève des préoccupations, le gouvernement semble appliquer le principe de Jordan de façon trop étroite. La récente entente s’élevant à 23 milliards de dollars pour remédier au sous-financement chronique des services d’aide à l’enfance dans les réserves montre clairement que nous avons encore du travail à faire pour soutenir adéquatement les enfants autochtones au Canada.

Soyons clairs : ces programmes sont bons et ils apportent une contribution importante. Toutefois, si nous n’avons pas de plan, si nous ne savons pas concrètement quels sont les résultats recherchés et si nous n’avons pas de données pour mesurer les progrès réalisés, nous allons assurément échouer.

Certains programmes aident les enfants à certains moments. Ils sont conçus en vase clos; leur fonctionnement n’est pas prévu pour agir de manière à soutenir le bien-être holistique des enfants. Plus important encore, il n’y a pas d’objectifs clairs pour savoir comment ces programmes aident les enfants ni si les ressources sont suffisantes pour répondre aux besoins à l’heure actuelle. Par conséquent, de nombreux enfants passent entre les mailles du filet de ce méli-mélo de programmes inefficaces.

Je pourrais citer beaucoup d’autres enjeux et d’autres programmes. Ce qu’il faut retenir, c’est que les défis auxquels sont confrontés les enfants et les jeunes sont à la fois variés et complexes, et souvent interreliés. Ce serait une erreur de traiter ces enjeux comme des défis séparés et cloisonnés. De simples interventions ponctuelles ne suffiront pas, dans ce contexte. Qu’il s’agisse de soins de santé, de pauvreté, de sécurité ou d’autres enjeux, les problèmes auxquels sont confrontés les jeunes sont interconnectés et nécessitent une approche systématique et une coordination entre les différents ordres de gouvernement et la société civile.

Chers collègues, il est clair pour moi que nous manquons à nos obligations envers les enfants parce que nous appliquons un petit pansement pour contrer le problème du jour au lieu d’opter pour des solutions complètes et interconnectées qui mettent les enfants sur la voie d’un avenir meilleur. Je sais que nous pouvons faire mieux. Cela commence par l’élaboration d’un plan global qui met en évidence les domaines dans lesquels nous devons nous améliorer et qui trace la voie à suivre pour obtenir de meilleurs résultats.

En fait, cette idée n’est pas entièrement nouvelle dans le contexte canadien. En 2004, sous la direction de l’honorable Landon Pearson, le plan « Un Canada digne des enfants » définissait les résultats que nous souhaitions pour les enfants et les mesures que nous devions prendre. Fruit d’un travail de collaboration, ce plan s’adressait à tous ceux qui s’occupent d’enfants ou d’adolescents. Il a surtout été élaboré avec la participation de nombreux Canadiens, y compris des enfants et des adolescents, et a identifié des moyens de promouvoir et de protéger les droits des enfants.

Nous devons donner suite à ce travail et à d’autres travaux importants réalisés par des Canadiens afin de créer un pays digne des enfants. Nous devons mettre de côté le ramassis de bonnes intentions et d’objectifs non atteints. Nous devons tracer une voie à suivre pour les enfants, leurs familles et ceux qui s’occupent d’eux. Nous avons besoin d’un plan stratégique avec des objectifs détaillés, des indicateurs clairement définis qui témoignent des progrès accomplis et qui nous aident à expliquer d’une manière rationnelle ce que nous faisons et la manière dont nous le faisons, ainsi que des mesures spécifiques à adopter pour atteindre ces objectifs.

Nous avons besoin de politiques réfléchies et adéquates qui mettent non seulement fin aux préjudices, mais qui favorisent pleinement le bien-être des enfants. Voilà pourquoi ce projet de loi est si important. On a besoin d’un changement transformateur. Nous devons cerner clairement ce que nous voulons pour les enfants. Il suffit de nous retrousser les manches.

Vous avez peut-être lu mon récent rapport sur la création d’une stratégie nationale, intitulé D’une vision à la réalité. Sinon, je vous encourage à le faire. Ce rapport collaboratif est le résultat d’une série de tables rondes et de rencontres avec des jeunes et des parties prenantes d’un peu partout au Canada. Ces discussions ont permis de confirmer la nécessité d’une stratégie nationale et d’en définir les contours. Ce rapport et les parties prenantes qu’il représente ont façonné le projet de loi S-282. Aussi, j’aimerais présenter les détails du projet de loi dans l’optique de ce rapport.

Tous les participants nous ont dit que le Canada avait besoin d’une stratégie nationale. Ils ont déclaré que l’infrastructure gouvernementale actuelle pour les enfants et les jeunes ne répond pas aux attentes des jeunes Canadiens et que les budgets fédéraux ne sont pas suffisamment axés sur les enfants et les jeunes. L’accent est plutôt mis sur les programmes destinés à servir le public en général et, le plus souvent, leur impact sur les enfants est une considération secondaire. Ils ont clairement indiqué que l’absence de stratégie globale crée un système de soutien disparate, obligeant les provinces à élaborer des politiques décousues pour tenter de combler les lacunes. À l’heure actuelle, cet assemblage hétéroclite fait en sorte que de nombreux enfants sont abandonnés à leur sort, y compris les enfants les plus vulnérables dont nous devrions tous nous occuper.

Mais que doit comprendre une stratégie? Certes, le gouvernement devra procéder à une consultation exhaustive à l’échelle du pays, mais les participants à nos tables rondes avaient plusieurs lignes directrices à nous communiquer. Ils ont clairement indiqué que la stratégie devait adopter une approche fondée sur les droits, en s’inspirant de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Ils ont réclamé une stratégie tenant compte de l’effet croisé des facteurs d’identité qui respecte le principe voulant qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte et qui fait progresser l’égalité réelle. Il est important de noter qu’ils ont précisé que la stratégie devait avoir pour objectif de sensibiliser les enfants et les jeunes à leurs droits et de les aider à prendre confiance en eux en tant que citoyens actifs. Dans l’ensemble, ils ont appelé à l’élaboration d’une grande feuille de route pour le respect des droits de l’enfant et la mise en œuvre de politiques qui garantissent leur santé et leur bien-être.

L’alinéa 4(2)a) du projet de loi, qui décrit les lignes directrices obligatoires, reflète bon nombre de ces commentaires. Il précise que les objectifs de la stratégie doivent inclure un niveau de vie élevé et uniforme pour les enfants et les jeunes dans l’ensemble du Canada ainsi que l’éradication complète de la pauvreté infantile.

Soulignant l’importance de nos engagements internationaux et la nécessité d’adopter une approche fondée sur les droits, il demande également que les objectifs du gouvernement incluent l’entière conformité avec la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et les protocoles facultatifs que nous avons signés, ainsi que les dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones concernant les enfants et les jeunes.

Je pense que nous sommes tous d’accord, chers collègues, sur l’importance de ces mesures.

La nécessité de définir des objectifs et des résultats clairs faisait également consensus. Comme l’a dit un participant :

[...] toute stratégie élaborée pour la mise en œuvre des droits de l’enfant doit aller au-delà des déclarations de politique et de principe, et fixer des objectifs réels et réalisables en ce qui concerne l’ensemble des droits économiques, socioculturels, civiques et politiques de tous les enfants.

Cela devrait inclure des résultats précis, mesurables et ambitieux pour les enfants et les jeunes. Ils ont également précisé que la stratégie devrait permettre de recueillir et d’analyser des données pour assurer la reddition de comptes, et qu’il fallait notamment des données désagrégées. Il devrait y avoir un plan pour communiquer ces données en plus de l’information sur les progrès réalisés dans le cadre de la stratégie.

Ces observations ont eu une incidence sur le reste du paragraphe 4(2), qui demande au gouvernement d’énumérer une série de résultats attendus et d’indicateurs quantifiables qui sont alignés sur des normes internationalement reconnues dont l’atteinte démontrerait que les objectifs du gouvernement du Canada sont atteints, de prévoir une évaluation fondée sur des données probantes visant à déterminer si les objectifs du gouvernement du Canada sont atteints, d’énoncer un plan détaillé relativement aux objectifs non atteints, qui comprend notamment les mesures immédiates ou préventives pouvant être prises, et d’énumérer les ressources nécessaires à la mise en œuvre d’une stratégie.

En outre, le projet de loi demande au gouvernement de proposer des mécanismes de surveillance et de reddition de comptes comprenant une surveillance publique de la mise en œuvre de la stratégie, la consultation en continu d’une foule d’intervenants en ce qui a trait à la mise en œuvre de la stratégie, le maintien à jour de la stratégie pour répondre à l’émergence de nouveaux besoins, l’examen de plaintes d’enfants ou de jeunes relativement à la mise en œuvre de la stratégie, et finalement, une surveillance de la mise en œuvre de la stratégie par le Parlement.

Quand on a demandé qui devrait participer à l’élaboration de la stratégie, un participant à la table ronde a déclaré ce qui suit :

Les jeunes ont du mal à amener les personnes en position d’autorité à les écouter, à respecter leur point de vue et à tenir compte des expériences qu’ils ont vécues.

Les enfants et les jeunes ont souvent du mal à se faire entendre sur les questions qui les concernent. Il est évident que le processus d’élaboration d’une stratégie nationale doit s’attacher à inclure les voix des jeunes Canadiens de tous horizons.

On le constate au paragraphe 4(3) du projet de loi, qui place les enfants et les jeunes en tête de la liste des personnes à consulter sur la stratégie.

On a indiqué clairement que le processus de consultation devait inclure des représentants de la totalité des provinces, des territoires, des administrations municipales et des établissements d’enseignement, ainsi que de la société civile. Le consensus qui s’est dégagé des tables rondes, c’est que l’action unilatérale du gouvernement fédéral serait tout à fait insuffisante. L’adhésion et la participation des provinces seront importantes pour la création et la mise en œuvre d’une stratégie nationale. D’ailleurs, une stratégie véritablement nationale devrait comprendre un mécanisme de coordination entre les divers ordres de gouvernement.

Voilà pourquoi le paragraphe 4(3) indique également que le ministre responsable de la stratégie doit consulter les représentants des gouvernements provinciaux et des administrations municipales, ainsi que ceux des corps dirigeants autochtones et des organisations qui servent et représentent les enfants et les jeunes des Premières Nations et des communautés inuites et métisses. Il demande également l’inclusion des intervenants concernés, y compris les représentants des organisations qui servent et défendent les enfants et les jeunes.

À cette fin, le gouvernement doit délibérément chercher les voix qui reflètent la diversité de tous les enfants et les jeunes au Canada et leurs expériences, et mettre en place un processus qui reconnaît et relève les défis liés à l’obtention du point de vue de toutes les communautés. Cette liste de personnes à consulter n’est pas exhaustive, et le projet de loi invite le ministre à consulter toute autre personne qu’il juge appropriée.

La reddition de comptes était l’un des principaux sujets de préoccupation abordés aux tables rondes. Quant à la nécessité de rapports publics, nous avons entendu ceci :

La stratégie et les rapports peuvent être diffusés à tous les niveaux, mais en particulier au public, car l’outil public est vraiment utile pour rendre des comptes.

Pour répondre aux préoccupations soulevées, le projet de loi prévoit plusieurs mesures de reddition de comptes. Premièrement, il exige que, dans les six mois suivant la date de sanction de la présente loi, et tous les six mois par la suite jusqu’à ce que la stratégie nationale soit déposée, le ministre fasse déposer devant chaque Chambre du Parlement un rapport sur l’état d’avancement de la stratégie et la liste des personnes consultées dont le consentement a été obtenu. Cela permettra au public de se faire une idée de l’avancement de l’élaboration de la stratégie et donnera aux jeunes, aux parties prenantes et aux autres parties le temps de se joindre aux consultations avant qu’elles ne prennent fin s’ils estiment que certains points de vue essentiels n’ont pas été pris en compte.

Le projet de loi donne au gouvernement deux ans après la sanction royale pour élaborer la stratégie nationale pour les enfants et les jeunes, ainsi qu’un rapport décrivant la stratégie qui doit être déposé devant les deux Chambres du Parlement dans ce délai. Ce rapport doit également être publié sur le site Web du gouvernement dans les 10 jours suivant son dépôt.

De nombreux participants ont demandé que la stratégie fasse l’objet de révisions régulières afin qu’elle reste pertinente face à l’évolution des défis auxquels sont confrontés les enfants et les jeunes. C’est pourquoi le projet de loi prévoit un examen tous les cinq ans sous la forme d’un rapport qui rend compte de l’état de mise en œuvre de la stratégie nationale pour les enfants et les jeunes, indique si les objectifs énoncés dans la stratégie ont été atteints ou non et présente toute autre conclusion ou recommandation relative à la stratégie.

En conclusion, chers collègues, je serai franche : le Canada a besoin de cette stratégie. Les enfants du Canada en ont besoin. Il faut mettre fin au rapiéçage et aux demi-mesures qui caractérisent notre approche à l’égard de nos enfants. Ils ont besoin de dirigeants qui parlent aux enfants, aux parents, aux enseignants, aux fournisseurs de soins, à la société civile et aux défenseurs des droits des enfants et qui les écoutent afin que personne ne soit laissé pour compte.

Nous devons mettre fin à la pauvreté chez les enfants et aux problèmes d’accès au système de santé, pour le bien des enfants. Ils ont besoin de notre protection en ligne et hors ligne, et nous devons les protéger des méfaits des changements climatiques. Nous devons protéger et défendre les droits des enfants.

Ils ont besoin d’une vision pour un avenir où chaque enfant peut s’épanouir et d’une volonté de notre part de faire le travail. Les enfants et les jeunes du Canada ont besoin que nous nous mobilisions.

L’une des prémisses non dites de ce projet de loi est que, malgré l’histoire de notre pays et les défis que nous avons connus pour ce qui est d’agir dans l’intérêt de nos enfants, je crois que les parlementaires de toutes les allégeances se soucient des enfants, que nous voulons construire un pays digne de nos enfants et que nous sommes collectivement prêts à faire un pas en avant. C’est pourquoi je vous invite à soutenir le projet de loi S-282.

Je suis impatiente d’entendre mes collègues débattre de ce projet de loi et de le renvoyer au comité pour un examen plus approfondi.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Marilou McPhedran [ + ]

J’aimerais poser une question à la sénatrice Moodie, si elle le veut bien.

Sénatrice Moodie, vous avez prononcé un discours très complet, ce qui témoigne de tout le travail que votre équipe et vous avez fait. Je vous en remercie très sincèrement.

Je veux me concentrer sur la pauvreté chez les enfants. Pouvez‑vous nous en dire un peu plus sur la façon dont le projet de loi et la stratégie accéléreraient, encourageraient et inspireraient la prise de mesures bien plus concrètes pour éliminer la pauvreté chez les enfants au Canada?

Votre question est très importante, car elle concerne l’ensemble de la stratégie. Comment la stratégie fera‑t-elle ce qu’elle prétend vouloir faire?

Tout d’abord, elle nous permet de décider, en tant que pays, ce à quoi nous tenons et ce que nous voulons pour chaque enfant, de mettre ce principe par écrit et d’en faire notre objectif — le résultat souhaité — que nous poursuivrons avec les informations que, franchement, nous possédons déjà.

Nous disposons de beaucoup de ces informations. Bien des acteurs de la société civile peuvent nous fournir des tonnes de données qui nous indiquent où se situent les lacunes, où les choses fonctionnent bien et quelles interventions sont le plus efficaces. Si nous pouvons utiliser un processus d’évaluation qui donne suite à la déclaration initiale selon laquelle nous voulons éradiquer la pauvreté des enfants, nous pouvons alors revoir et réévaluer nos mesures d’un mois et d’une année à l’autre afin de comprendre si elles fonctionnent. Qu’est-ce qui fonctionne? Comment pouvons-nous réaffecter les investissements qui n’ont pas d’effets vers les types d’interventions dont nous savons qu’elles fonctionnent? Nous pourrons alors accélérer les choses, préparer le terrain et faire avancer les choses à l’aide de véritables investissements.

Beaucoup de gens demanderont combien tout cela coûtera. Je propose de faire des économies en identifiant les initiatives où les investissements sont fructueux et en éliminant le financement de celles qui sont sans résultat.

Nous devons comprendre cela et nous devons mettre en place de nouvelles politiques cohérentes afin de construire, de perfectionner et de faire avancer les choses de façon constante et plus efficace — de manière à diffuser et à reproduire ce qui fonctionne dans les petites localités, mais aussi dans les collectivités en général, partout au pays, et à permettre aux enfants de profiter de cette approche bien organisée et réfléchie.

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