La Loi sur le casier judiciaire
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
3 novembre 2020
Propose que le projet de loi S-208, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, nous devons laisser tomber nos œillères et faire face aux répercussions du racisme systémique sur l’ensemble de la population. Les Noirs et les Autochtones et les autres personnes de couleur sont surreprésentés dans le système de justice pénale en raison du colonialisme, des innombrables années de politiques d’assimilation, de la séparation forcée des enfants de leurs parents et des facteurs systémiques d’inégalité, notamment le racisme, le sexisme, la discrimination fondée sur la capacité physique, la pauvreté et les traumatismes.
Lorsque les gens ont terminé de purger leur peine, ils doivent toujours subir les conséquences de leur casier judiciaire. Les consultations publiques, les travaux des comités parlementaires et les décisions rendues par la Commission des libérations conditionnelles ont tous permis de constater l’effet discriminatoire des casiers judiciaires et la réalité voulant qu’ils nuisent à l’éducation, à l’emploi, au bénévolat, au logement et même à l’accès aux soins de longue durée.
Les casiers judiciaires ne font que renforcer et exacerber le racisme systémique pour les Autochtones, les Canadiens noirs et les autres personnes de couleur, qui représentent maintenant plus de la moitié des femmes dans les prisons fédérales.
Les casiers judiciaires ont pour effet de marginaliser les personnes qui en ont un et leur famille. Ils emprisonnent les gens dans des cercles vicieux de pauvreté dont il est impossible de s’échapper. Lorsque les ex-détenus ne sont pas en mesure de se défaire des effets de leur casier judiciaire, ils en subissent les conséquences indéfiniment. Malgré l’article 11 de la Charte, qui interdise de punir les personnes après qu’elles ont fini de purger leur peine, le casier judiciaire fait qu’elles continuent d’être marginalisées et stigmatisées. Cela porte atteinte à la sécurité publique et perpétue le racisme systémique en minant la capacité de ces personnes à se refaire une vie et à s’intégrer dans la société.
En 2018, le comité de la sécurité publique de la Chambre a publié un rapport multipartite reconnaissant que le programme de suspension du casier, programme dont se sert le Canada à l’heure actuelle pour délivrer des ex-détenus des effets du casier judiciaire, a une incidence de plus en plus néfaste sur les gens. En raison des changements qui ont été apportés au programme au cours des dernières années, les gens doivent maintenant attendre plus longtemps, payer plus cher et surmonter plus d’obstacles liés à leur casier. Des membres libéraux, conservateurs et néo-démocrates du comité ont tous convenu qu’il était temps que le gouvernement « envisage de se doter d’un mécanisme permettant de rendre automatique la suspension du casier », du moins dans certains cas.
Le projet de loi S-208 vise à ce que ceux qui ont été tenus responsables, qui ont purgé leur peine et qui travaillent fort pour tourner la page puissent se libérer plus rapidement du fardeau que représente un casier judiciaire. Il prévoit un système simplifié d’expiration du casier judiciaire, qu’on appelle parfois l’effacement du casier judiciaire, après deux ou cinq ans sans nouvelle condamnation ni accusation en instance. Pour avoir accès à l’expiration du casier judiciaire, il ne serait pas nécessaire de présenter une demande ou de payer des frais. Le projet de loi part du principe que l’accès à l’effacement du casier judiciaire, l’égalité et la sécurité publique vont de pair.
Le projet de loi S-208 prévoit une dérogation à la suppression simplifiée des casiers judiciaires et préserverait, dans les secteurs vulnérables, le mécanisme permettant de détecter les casiers expirés lorsqu’une personne postule un emploi auprès d’enfants ou d’autres personnes vulnérables.
Ces dernières années, les obstacles à l’effacement du casier judiciaire se sont multipliés, tout comme le recours à la vérification du casier judiciaire comme une fonction de contrôle. Cette tendance empêche des gens de travailler, de faire du bénévolat, de s’instruire, de se trouver un logement, voire, comme je l’ai mentionné tout à l’heure, de recevoir des soins de longue durée.
Les recherches montrent cependant qu’une condamnation antérieure n’a aucun lien avec la probabilité de commettre une infraction dans le futur. Elles montrent également que l’un des moyens les plus sûrs d’empêcher les gens de commettre des actes criminels est de s’assurer qu’ils ont la possibilité de se trouver un emploi et de contribuer véritablement à la collectivité.
Les restrictions actuelles relatives à la suspension du casier judiciaire n’assurent en fait la sécurité de personne. Ce qu’elles font, c’est piéger de plus en plus de personnes marginalisées dans des situations désespérées, sans les moyens de subvenir à leurs besoins et sans réseau de soutien vers lequel se tourner. Nous sommes en train de créer un groupe de personnes qui sont infiniment plus sujettes à la judiciarisation, et les personnes concernées sont de manière disproportionnée des Autochtones, des noirs et des personnes de couleur.
Les gens pensent trop souvent qu’un casier judiciaire est un portrait complet d’une personne. En fait, il s’agit d’un instantané d’une personne à un moment donné, généralement le pire moment de sa vie. Le casier judiciaire ne tient pas compte de la façon dont la personne en est arrivée là, notamment du rôle joué par le racisme systémique, l’inégalité, l’injustice et l’absence de possibilités et de choix, deux choses que beaucoup d’entre nous tiennent pour acquises.
Le casier judiciaire ne tient pas non plus compte de la façon dont la personne s’est prise en main depuis lors et de ce qu’elle pourrait accomplir si on lui en donnait une chance. Voici comment une femme m’a décrit l’expérience d’avoir un casier judiciaire :
[...] une galerie des glaces dans un carnaval. Le casier judiciaire est comme un miroir déformé, qui donne une fausse image de ce que vous êtes pour vous-même et pour le monde. Partout où vous vous tournez, votre casier vous regarde dans les yeux : à votre entretien d’embauche, à chaque réunion du conseil d’école de votre enfant.
Partout.
En 2018, 60 % des employeurs à Toronto ont exigé que tous les nouveaux employés se soumettent à une vérification des antécédents, et la majorité d’entre eux n’ont jamais sciemment embauché une personne ayant un casier judiciaire. L’Association canadienne des libertés civiles estime que le pourcentage des personnes qui sont soumises à une vérification des antécédents a augmenté ces dernières années de près de 7 % par année, ce qui représente une augmentation considérable.
Les stéréotypes et les préjugés racistes accentuent les conclusions que tirent les employeurs des vérifications des antécédents et déterminent les emplois qu’ils sont prêts à offrir. Selon une étude menée à Toronto, la proportion des candidats à un emploi qui sont rappelés par l’employeur est de 40 % inférieure dans le cas des personnes de race blanche ayant commis une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. En revanche, la proportion est de 85 % inférieure dans le cas des personnes de race noire ayant commis le même genre d’infraction.
Même pour les Canadiens dont le casier judiciaire a été suspendu ou ceux qui ont été inculpés, puis acquittés, les accusations et les condamnations passées continuent de laisser des traces et de paraître dans les résultats de recherches Internet parce que nous n’avons pas le « droit à l’oubli » au Canada qui existe en Europe. Une mère de famille monoparentale décrit ainsi la situation :
Je retiens mon souffle chaque fois que je fais une demande d’emploi ou que je propose de faire du bénévolat pour aider les autres, car je ne sais jamais si mon passé reviendra me hanter.
La réforme de la loi sur le casier judiciaire proposée dans le projet de loi S-208 ne suffit pas à combattre la discrimination et les stéréotypes qui subsistent à l’égard des personnes qui veulent pouvoir tourner la page, mais c’est un pas dans la bonne direction. C’est une occasion pour le Canada de commencer à réparer les torts liés au racisme systémique et au traumatisme intergénérationnel qui ont contribué à la criminalisation des Autochtones, des Noirs et des personnes de couleur au Canada, et ces problèmes sont par ailleurs exacerbés en milieu carcéral. L’incarcération de masse a trop souvent déchiré des familles et des communautés d’une manière qui n’est pas sans rappeler la façon dont des enfants ont été séparés de force de leurs parents et de leur communauté, notamment par les pensionnats autochtones, lors de la rafle des années 1960, et par le système d’aide à l’enfance.
Lorsqu’une personne est libérée par le système de justice pénale et se retrouve avec un casier judiciaire, les enfants doivent aussi en subir les conséquences. La plupart des femmes qui ont un casier judiciaire sont des mères seules, et bon nombre d’entre elles ont de jeunes enfants. L’exclusion sociale et les préjugés ne touchent pas seulement ces femmes. Ils ont aussi un effet négatif à long terme sur la santé physique et mentale de leurs enfants.
Le casier judiciaire empêche la famille de faire de bons choix, de se nourrir sainement et de se loger de manière sûre et stable. Les enfants souffrent lorsque leur mère ne peut pas faire de bénévolat à leur école. Alia Pierini, une mère qui essaie de reprendre sa vie, a dit ceci :
Mon fils cadet, que j’ai eu après mon incarcération et qui ne sait pas que j’ai été en prison, me supplie pour que j’aille faire du bénévolat à son école et que j’aille faire des maisons en pain d’épices et que j’aille [...] des excursions scolaires et je n’y suis pas autorisée [...] Mes enfants ne devraient pas avoir à payer pour mon crime.
Mais il est clair que les enfants paient. Ils paient lorsque la mère en perd la garde ou lorsque la multiplication des vérifications de casier judiciaire ou des antécédents empêche la mère de trouver un emploi et de joindre les deux bouts. Le casier judiciaire affecte les possibilités d’apprentissage et de socialisation des enfants d’une manière qui peut trop souvent durer toute une vie. De plus en plus, les casiers judiciaires permanents contribuent à transmettre aux générations futures des expériences de pauvreté, de marginalisation, d’oppression et de racisme systémique.
Entre trois et quatre millions de Canadiens, soit environ un sur huit, ont un casier judiciaire. Selon les études, relativement peu d’années après avoir purgé leur peine, la majorité des Canadiens qui ont un casier judiciaire ne sont pas plus susceptibles que les autres de commettre un crime. Passé ce stade, il n’est ni utile ni juste de continuer à les punir en maintenant leur casier judiciaire. D’ailleurs, ces casiers sont un obstacle à la prévention des méfaits et des crimes. Les données empiriques indiquent que le fait de sceller un casier judiciaire et d’aider les gens à se trouver un emploi réduit le risque qu’ils commettent de nouveau un crime.
Au cours des 15 dernières années, plus de 95 % des personnes qui ont obtenu un pardon ou une suspension de leur casier n’ont pas commis d’autres crimes. Des gens soutiennent parfois qu’il faut choisir soit la sécurité de la communauté, soit la réinsertion sociale des anciens détenus, comme si ces deux éléments étaient incompatibles. C’est une fausse dichotomie, chers collègues. Quand on donne aux gens une deuxième chance, ils sont grandement encouragés à repartir du bon pied.
Le projet de loi S-208 éliminera des obstacles à l’effacement du casier judiciaire des personnes qui ont depuis longtemps répondu de leurs actes et purgé leur peine. Ce changement contribuerait à rendre les communautés plus sûres et à réduire une partie du racisme et des inégalités systémiques présents dans le système de justice pénale. Le projet de loi S-208 rendrait les demandes de suspension du casier accessibles à tous, puisque l’ensemble du processus deviendrait gratuit. À l’heure actuelle, présenter une demande coûte 645 $, somme à laquelle s’ajoutent des frais cachés nécessaires, par exemple, pour obtenir des empreintes digitales, des documents justificatifs ou un soutien juridique.
Pour ceux d’entre nous qui ont le privilège de siéger dans cette enceinte, 645 $ peut sembler une somme insignifiante. Cependant, pour une mère seule qui tente de survivre avec des prestations d’aide sociale scandaleusement basses, qui n’est pas en mesure d’accepter de l’aide pour payer l’épicerie sans risquer de perdre ses prestations et peut-être sa maison, une telle somme est prohibitive et dépasse ses moyens financiers.
Les processus et les frais actuels de demande font du système des casiers judiciaires un système injuste et à deux vitesses. Les personnes ayant les moyens de payer les frais peuvent faire supprimer leur casier judiciaire, mais pas celles qui sont moins bien nanties et qui vivent dans la pauvreté.
Lors des consultations publiques, 96 % des Canadiens ont dit craindre, à juste titre, que les frais de demande exorbitants créent un cercle vicieux, à savoir que les gens n’aient pas d’emploi et ne soient pas en mesure d’assumer ces frais, puis qu’ils ne puissent pas trouver d’emploi parce que la suspension de leur casier judiciaire coûte trop cher.
La suppression du casier judiciaire est particulièrement indispensable en raison de la façon dont la Loi canadienne sur les droits de la personne définit les motifs de distinction illicite pour faire respecter les droits de la personne. Ces motifs sont fondés sur :
[…] la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.
Présentement, au Canada, seulement cinq endroits — le Yukon, la Colombie-Britannique, le Québec, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve — offrent une certaine forme de protection contre la discrimination pour possession d’un casier judiciaire, et encore, la protection offerte est souvent déficiente.
Dans les autres provinces et territoires, la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit que seules les personnes graciées ou dont le casier judiciaire a été suspendu peuvent jouir de la protection des lois canadiennes contre la discrimination, y compris lorsqu’il s’agit de trouver un logement adéquat ou un emploi, ainsi que dans tous les aspects de leur vie pour lesquels la possession d’un casier judiciaire entre en ligne de compte. Un très grand nombre de Canadiens, même s’ils ont acquitté depuis longtemps leur dette envers la société, sont ainsi privés de leurs droits, et ce, pour des motifs qui n’ont rien à voir avec la sécurité publique, mais tout à voir avec leur capacité de payer, leur marginalisation économique ainsi que les inégalités et le racisme systémiques.
En janvier 2016, celui qui était alors ministre de la Sécurité publique a dit vouloir revoir en profondeur la Loi sur le casier judiciaire, notamment les dispositions sur les frais de demande de suspension, qu’il a qualifiés de punitifs. De 2010 à 2012, les autorités ont subitement porté ces frais à leur niveau actuel dans le but de couvrir la totalité des dépenses que l’État doit assumer pour traiter une demande de suspension du casier judiciaire. À l’heure où on se parle, le secteur des casiers judiciaires est le seul au sein du portefeuille de la Sécurité publique à devoir recouvrer l’ensemble de ses coûts.
Après cette hausse de frais, les demandes de suspension du casier judiciaire ont chuté de 40 %. Les gens n’ont tout simplement pas les moyens...
Nous devons suspendre brièvement la séance en raison d’un problème technique. L’interprétation en français ne nous est pas transmise. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous allons prendre une pause de quelques secondes afin de remédier à la situation.
Merci, Votre Honneur, et merci aux interprètes.
Depuis que l’ancien ministre a reconnu cette injustice, il y a quelques années, deux consultations publiques — l’une menée par le ministère de la Sécurité publique et l’autre par la Commission des libérations conditionnelles du Canada — ont montré un fort consensus dans le public sur le fait que le processus et les frais sont inacceptables.
Le mois dernier, dans le discours du Trône, on a promis d’agir afin de régler le problème du racisme systémique dans le système des casiers judiciaires. Entretemps, les frais de demande continuent d’augmenter.
Les coûts élevés n’ont pas toujours été la norme. À l’époque où le système de pardon a été mis en œuvre, en 1970, les frais de demande correspondaient au coût d’un timbre. Chers collègues, il fallait payer 6 ¢ pour poster une demande.
L’honorable Robert McCleave, porte-parole conservateur pour les dossiers relevant du solliciteur général, avait alors exprimé l’appui unanime de son parti à la procédure de pardon gratuite et relativement humaine instaurée à l’origine, avec l’adoption de la Loi sur le casier judiciaire. Il avait dit ceci :
[Il est] important que des gens ne soient pas punis financièrement à cause d’une infraction pour laquelle ils ont purgé leur peine ou ont payé leur dette à la société. Ils ne devraient pas avoir mauvaise réputation le reste de leur vie.
Le projet de loi S-208 permettrait de rétablir le système des casiers judiciaires au Canada, qui retrouverait cette vision d’un régime simple, juste et efficace. Le directeur parlementaire du budget a récemment estimé que le projet de loi S-208 coûterait 5 millions de dollars, principalement en raison de l’élimination des frais de demande. Il ne s’agit pas d’une somme considérable dans le contexte des dépenses importantes du Canada dans le système de justice pénale. Toutefois, si on tient compte des répercussions du projet de loi, il devrait en fait contribuer à générer des recettes. Selon le ministère de la Sécurité publique, chaque dollar investi dans l’amélioration de l’accès à l’expiration des casiers judiciaires génère 2 $ de recettes fiscales pour le gouvernement lorsque la personne est en mesure de trouver un emploi ou un emploi mieux rémunéré parce qu’elle n’a plus de casier.
Les coûts seraient probablement aussi compensés par un processus simplifié où l’admissibilité à l’expiration du casier est accordée si la personne ne commet pas de crime pendant un certain nombre d’années après sa condamnation. La Commission des libérations conditionnelles du Canada n’aurait plus à examiner les dossiers dans la plupart des cas. Faire d’une période sans crime au sein de la collectivité une condition simple et unique à l’expiration des casiers correspond à deux tendances récentes et importantes dans les données criminologiques : premièrement, une fois qu’un nombre relativement restreint d’années s’est écoulé, les personnes qui ont déjà été condamnées ne sont pas plus susceptibles que les autres de commettre un crime; deuxièmement, il est possible de favoriser la réinsertion sociale et de réduire les risques que les gens se retrouvent de nouveau devant la justice pénale en soutenant l’accès à l’emploi et les liens significatifs dans la collectivité. Cette approche inclut l’élimination des obstacles pour obtenir l’expiration d’un casier judiciaire.
Le processus qu’il faut suivre actuellement pour s’adresser à la Commission des libérations conditionnelles afin de demander une suspension de son casier judiciaire est tellement complexe et alambiqué que, si vous n’avez pas le temps et les ressources requises ou si vous avez besoin d’une aide supplémentaire, il est souvent impossible de l’obtenir. Pour obtenir les documents exigés pour faire une demande, il faut parfois se déplacer, souvent sur de longues distances, pour se rendre aux différents bureaux et ministères qui détiennent les originaux de son dossier, et payer des frais supplémentaires pour la prise des empreintes digitales ou pour d’autres tâches liées à la conservation des documents. Toutes ces étapes font qu’il peut facilement coûter bien au-delà de 1 000 $ pour obtenir la suspension de son casier judiciaire. En plus de ces coûts, les personnes marginalisées qui veulent suivre ce processus sont souvent la proie d’entreprises qui les exploitent en leur promettant de les aider à obtenir la suspension de leur casier.
Lors des consultations publiques, plus de quatre Canadiens sur cinq demandaient au gouvernement d’envisager un processus plus automatisé pour l’effacement du casier judiciaire. Les députés libéraux, conservateurs et néo-démocrates membres du Comité de la sécurité publique de la Chambre des communes ont aussi appuyé l’examen de la possibilité de créer un système d’exonération plus automatisé.
Le processus d’expiration des condamnations prévu dans le projet de loi S-208 reflète le principe voulant que, lorsque la société décide de tenir quelqu’un responsable des actes répréhensibles qu’il a commis, elle ne doive pas le faire en infligeant à cette personne des préjudices qui font se perpétuer les injustices. Un casier judiciaire ne devrait pas être une source de marginalisation éternelle, encore moins dans le cas de ceux qui subissent les effets du racisme systémique et de l’inégalité.
La majorité des Canadiens qui ont participé aux consultations publiques ont également déclaré haut et fort que le système de suspension du casier judiciaire est trop punitif et que les délais sont trop longs. Le projet de loi S-208 rétablit la période d’attente initiale après que la peine a été purgée, soit deux ans pour une infraction qui est punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et cinq ans pour une infraction qui a fait l’objet d’une poursuite par voie de mise en accusation. En l’absence de nouvelle condamnation ou d’accusation en instance, le casier judiciaire expirera.
Les données montrent que prolonger la période d’attente n’a pas d’incidence considérable sur la probabilité qu’une personne commette à nouveau un crime. Par contre, une période d’attente plus longue prolonge la mise en suspens de la vie de la personne et de sa participation véritable à la société. Réduire les périodes d’attente aide les gens à tourner la page et à recommencer à contribuer à la collectivité.
Comme nous a récemment écrit une femme :
Donner de mon temps à autrui m’a donné une raison de vivre et m’a aidée à rebâtir ma vie. Je redonne à la collectivité. J’ai trouvé un sens à ma vie et j’ai retrouvé espoir, mais, dans une large mesure, j’avais les mains liées par le système et mon casier judiciaire. J’ai essayé de faire du bénévolat dans une maison de retraite de la région, mais, en raison de mon casier judiciaire, on a refusé mes services et je n’ai pas pu redonner à la collectivité.
Le projet de loi S-208 simplifierait également l’administration du système des casiers judiciaires, ce qui serait fort avantageux pour la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
Le système actuel de gestion des casiers judiciaires complique beaucoup le processus administratif, entraîne des coûts et alourdit le fardeau de la Commission des libérations conditionnelles, qui doit gérer quatre systèmes distincts pour traiter les casiers : la suspension normale des casiers; le système de pardon, qui s’applique encore aux anciennes condamnations; le système de radiation instauré par le projet de loi C-66; et le système de suspension de casier judiciaire pour la possession simple de cannabis créé par le projet de loi C-93.
Le projet de loi S-208 permettra à tous ces types de casiers d’expirer à l’aide d’un seul système. Chers collègues, nos expériences récentes avec les projets de loi C-66 et C-93 illustrent comment le système de justice pénale est trop souvent un outil de discrimination et elles montrent qu’il ne suffit pas de modifier légèrement le processus de demande actuel de suspension du casier judiciaire pour corriger ces injustices flagrantes de façon concrète.
Le projet de loi C-66 a décriminalisé les condamnations découlant de la discrimination contre la communauté LGBTQ2S. Le processus de radiation qu’il a mis en place avait pour but d’atténuer certains des aspects les plus punitifs des demandes de suspension du casier : il a éliminé l’exigence de payer des frais de demande et il a tenté de simplifier le plus possible le processus.
Malgré cela, très peu de gens ont réussi à naviguer dans le système. Au cours des quatre premiers mois du programme, seulement sept personnes ont présenté une demande de radiation du casier sur un total estimé de 9 000 casiers admissibles. Pire encore, seulement deux de ces demandes ont abouti à une radiation. Le projet de loi S-208 permettrait simplement à ces casiers d’expirer sans qu’on ait à présenter une demande et à revivre l’humiliation et les préjugés découlant de la condamnation injuste initiale. C’est le moins que nous puissions faire.
Le projet de loi C-93 a accéléré la suspension des casiers judiciaires des gens qui en avaient pour des infractions de possession de cannabis avant qu’elle soit décriminalisée. Comme l’a reconnu le premier ministre, les jeunes Autochtones et les jeunes Noirs sont surreprésentés parmi ceux qui ont un casier lié à la possession de cannabis. C’est le résultat d’actes de racisme systémiques et individuels, du profilage racial et du nombre excessifs d’interventions policières dans certains quartiers. Comme le projet de loi C-66, le projet de loi C-93 a éliminé les frais de demande et visait à créer un processus de demande plus convivial. Pourtant, les données les plus récentes indiquent que seulement 458 personnes ont fait une demande et que seulement 257 personnes ont obtenu la suspension de leur casier, même si en réalité, environ 250 000 Canadiens avaient un casier judiciaire après avoir été déclarés coupables d’une infraction quelconque de possession de cannabis.
Le Rapport final sur l’examen du système de justice pénale du Canada, publié par le gouvernement en 2019, formule la recommandation suivante :
Adopter une approche pangouvernementale pour rendre la réhabilitation plus accessible, afin de s’assurer que les gens ont la possibilité de tourner la page sans qu’un casier judiciaire les empêche de se concentrer sur l’avenir.
Nous savons que le principe d’expiration du casier judiciaire donne de bons résultats. Il y en a même un excellent exemple ici même, au Canada, puisque le casier judiciaire des jeunes contrevenants vient à expiration après un temps. Le Royaume-Uni, la France et la Nouvelle-Zélande montrent eux aussi que les différentes formes d’expiration automatique du casier judiciaire améliorent la sécurité et favorisent la réinsertion sociale. Un casier judiciaire n’est pas censé être une condamnation à vie. Les personnes qui ont purgé leur peine se sont acquittées de leur dette à la société. Il n’est pas question ici d’effacer le passé, de demander aux victimes d’oublier ce qui leur est arrivé ni de pardonner à leur agresseur, car pour certaines, ce ne sera jamais possible, il est question de délester une personne de son casier judiciaire.
Le régime d’expiration automatique du casier judiciaire que propose le projet de loi C-208 part au contraire du principe voulant que, par souci de justice et d’humanité, toute sanction doive prendre fin un jour ou l’autre. Comme l’a dit la Cour suprême du Canada en termes on ne peut plus éloquents :
Les individus qui ont acquitté leur dette envers la société ont droit de la réintégrer et d’y vivre sans courir le risque d’être dévalorisés et injustement stigmatisés.
Dans la très vaste majorité des cas, les casiers judiciaires perdent toute utilité du point de vue de la sécurité publique en relativement peu de temps. Pour tout dire, ils nuisent au contraire à la sécurité publique, puisqu’ils empêchent les personnes concernées de réintégrer la société. Pire encore, ils servent de prétexte pour continuer à discriminer et à opprimer ceux qui sont marginalisés depuis trop longtemps, entre autres pour des motifs d’inégalités systémiques, et plus particulièrement de racisme. Ils constituent une excuse pour détourner le regard. Or, c’est quand les gens ont la chance de contribuer à la société et de subvenir à leurs propres besoins qu’ils réussissent et que la société peut avancer.
Honorables collègues, unissons nos efforts pour apporter un changement qui a fait ses preuves et qui aurait dû être apporté depuis longtemps au régime canadien d’encadrement des casiers judiciaires Meegwetch. Merci.
La sénatrice Pate accepterait-elle de répondre à une question? Dans votre projet de loi, des limites sont-elles prévues à l’obtention plus facile de la suspension des casiers judiciaires en fonction de la gravité des crimes commis, autres que les distinctions faites dans le projet de loi entre les infractions qui font l’objet de poursuites par voie de mise en accusation et les infractions punissables sur déclaration de culpabilité? Sinon, pourquoi n’est-ce pas le cas? Ne croyez-vous pas que les crimes les plus graves prévus au Code criminel devraient entraîner un délai plus long que les actes criminels moins graves?
Il y a une disposition concernant la consultation des dossiers de condamnation sensibles, ce qui, évidemment, couvrirait le type de casiers dont vous parlez — les crimes sexuels et certains types de crimes particulièrement violents —, et qui prévoit le report du processus d’expiration ou son interdiction ou qui ferait que le casier pourrait être réactivé, le cas échéant.
Il n’y a pas de définition explicite de crimes qui ne seraient pas inclus — cela à l’exception, bien entendu, des peines à perpétuité, parce qu’elles ne prennent jamais fin. Dans tous les cas, le délai commencerait à la fin d’une période prévue après la peine, à moins que la personne ait eu des démêlés avec les autorités, auquel cas il y aurait une enquête et une procédure appropriée.
Il semble que vous ayez abordé brièvement le sujet dans votre discours et je veux vous donner l’occasion d’élaborer.
Comme vous l’avez mentionné, avant les élections de 2019, peu avant la fin de la législature, le gouvernement Trudeau a fait adopter à toute vapeur un projet de loi sur la suspension du casier judiciaire pour la possession simple de cannabis. Comme vous l’avez indiqué, un nombre infime de pardons liés au cannabis ont été accordés à la suite de ce projet de loi du gouvernement. Personnellement, j’ajouterais que cela est choquant, compte tenu du tapage qu’a fait le gouvernement à propos de ce projet de loi avant les élections. Je pense que les Canadiens ont peut-être eu l’impression que plus de gens avaient droit à la suspension de ce genre de casier judiciaire qu’en réalité.
Est-ce là un facteur important dans votre décision de présenter le projet de loi à l’étude?
Merci de cette question également, sénatrice Batters.
Le projet de loi à l’étude est très semblable à ceux que j’ai présentés avant que cette information soit divulguée par le ministre de la Sécurité publique et le gouvernement. En réalité, oui, le fait que le gouvernement ait présenté des dispositions visant à améliorer la procédure, à l’accélérer et à la rendre plus accessible aux personnes qui ne devraient pas avoir ce genre de casiers judiciaires suspendus au-dessus de leur tête, explique en partie pourquoi je présente le projet de loi de nouveau. C’est aussi en partie pourquoi nous avons prévu une disposition exigeant que les casiers soient entrés dans une base de données centrale : afin de faciliter les choses. Le ministre de l’époque avait indiqué que ce problème constituait un obstacle à ce type d’approche.
Sénatrice Pate, je constate que la prémisse de votre projet de loi semble être ce que vous appelez du racisme systémique envers les communautés autochtones, du moins envers les personnes autochtones incarcérées.
J’aurais donc une première question à vous poser : pourquoi ne pas avoir déposé un projet de loi spécifique visant les gens issus de communautés autochtones, pour qu’ils aient accès à un pardon plus rapidement?
Je suis désolée, mais je dois répondre en anglais, sénateur Boisvenu.
Il s’agit d’une proposition intéressante. Si vous le souhaitiez, vous pourriez certainement ajouter à titre d’observation que nous devrions accélérer le traitement des demandes des personnes qui font particulièrement l’objet de discrimination.
La question est vaste — j’ai notamment parlé des femmes et des personnes qui essaient de s’intégrer dans la communauté —, il s’agit donc d’une mesure qui s’applique globalement. C’est l’effet d’amplification des autres inégalités, que ce soit le sexisme ou le racisme, surtout chez les populations autochtones et les personnes de couleur, qui a exacerbé le problème. Je ne pense pas qu’il serait approprié de n’inclure qu’un seul groupe. D’ailleurs, nous devrions nous pencher sur les possibilités.
Les manières particulières dont la discrimination est amplifiée de façon exponentielle dans le système de justice pénale justifient d’autant plus l’adoption du projet de loi.
Je comprends très bien que vous ne vouliez pas axer votre projet de loi sur des clientèles spécifiques, mais tout votre discours s’orientait justement sur ces clientèles spécifiques. Il faudrait donc peut-être modifier votre discours.
J’aurais une deuxième question à poser : si l’on compare le processus actuel — où les gens peuvent obtenir ce que l’on appelait autrefois le pardon, donc une annulation de leur dossier judiciaire — à ce que vous proposez, combien de criminels de plus recevraient leur pardon au cours des cinq prochaines années?
C’est une très bonne question. Selon ce que le ministre de la Sécurité publique a dit au sujet de l’isolement lors d’audiences antérieures, en moyenne, environ 5 000 personnes entreraient dans le système. Cela dépendrait du nombre de personnes qui en sortent à l’autre bout. C’est une bonne information à voir et je vais m’efforcer de la trouver pour vous.
J’aimerais poser une dernière question.
Nous savons que, pour certaines catégories de criminels, le taux de récidive dépasse les 50 %. Je songe notamment aux prédateurs sexuels et aux pédophiles.
Le projet de loi S-208 exclut ces criminels récidivistes et, lorsque ces derniers obtiennent un pardon, les policiers n’ont accès à leur dossier criminel que si un crime est commis. Dans les faits, cela signifie que, si un policier intercepte un prédateur sexuel qui rôde autour d’une école ou s’il arrête un violeur de femmes qui circule dans un parc, le policier n’a pas accès au dossier criminel du contrevenant si ce dernier a obtenu un pardon.
Êtes-vous d’accord pour dire que le projet de loi S-208 exclut des criminels qui commettent des crimes très graves envers les femmes et les enfants?
Je ne suis pas d’accord pour dire cela, car si tant de questions ont été soulevées par le passé au sujet des casiers et lors de la transformation du processus de réhabilitation en processus de suspension du casier, c’est en partie à cause d’un certain nombre de cas très médiatisés qui impliquaient des personnes ayant une influence considérable. Je dirais que la situation est attribuable en grande partie au fait que la violence contre les femmes et les enfants, et en particulier les femmes, n’était pas prise très au sérieux par le passé; il y a donc un nombre disproportionné de personnes qui ont obtenu un pardon. C’était certainement un problème.
Vous verrez que le projet de loi permet d’examiner continuellement les aspects qui contribueraient au besoin de vérifications des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables.
Je ne suis donc pas d’accord. Je ne pense pas, en fait, que le projet de loi exposerait les gens à de plus grands risques. Au contraire, il offre une meilleure protection.
Simplement à titre informatif, sénatrice Pate, à l’heure actuelle, lorsqu’une auto-patrouille constate la présence d’un individu louche près d’un parc, si le policier vérifie la plaque d’immatriculation de l’individu, rien n’indiquera que celui-ci a un dossier criminel, parce qu’il a obtenu un pardon et que son dossier criminel est strictement consigné à la GRC.
Pour avoir accès au dossier d’un criminel, il faut qu’un crime ait été commis et la GRC doit avoir présenté une demande pour y avoir accès. En éliminant le dossier de ces criminels dangereux, ne mettez-vous pas à risque la sécurité des femmes et des enfants?
Vous soulevez un excellent point, sénateur Boisvenu. C’est précisément pour cette raison que le projet de loi actuel, contrairement aux autres versions du projet de loi, contient un disposition voulant que les casiers soient enregistrés auprès du Centre d’information de la police canadienne. C’est pour éviter exactement le genre de préoccupation que vous venez de soulever.