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La Loi sur la citoyenneté—La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

9 juin 2022


Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi S-235. Je remercie la sénatrice Jaffer d’avoir présenté ce projet de loi, qui vise à corriger une injustice dont sont victimes certains des enfants et jeunes les plus démunis, marginalisés et ignorés dans notre pays.

L’État canadien a accepté d’assumer le rôle de parent pour des dizaines de milliers d’enfants en les « prenant en charge », et a relégué sa responsabilité en tant que telle aux organismes de protection de l’enfance et aux familles d’accueil. En acceptant ce rôle, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont assumé les responsabilités qui incombent généralement aux parents, soit de prendre soin de ces enfants, de les guider, de les orienter et de leur fournir des services. Toutefois, comme ce fut en particulier le cas pour les enfants et les jeunes autochtones, immigrés et racialisés, l’État a bien trop souvent manqué à ses devoirs et n’a pas pu garder ces enfants en sécurité.

Le projet de loi S-235 vise à remédier à un des échecs de l’État, soit le fait que le Canada a négligé de s’assurer que ces enfants — même s’ils n’étaient pas nés au Canada — auraient la citoyenneté lorsqu’ils deviendraient trop vieux pour être pris en charge. Ces enfants sont canadiens. La plupart ont passé l’essentiel de leur vie au Canada. Ils ont grandi ici et ils ont planifié leur avenir dans notre pays. La plupart d’entre eux estiment que le Canada est leur seul pays, mais à cause de la négligence ou de l’indifférence de leur État-parent, ils peuvent être empêchés d’exercer leurs droits en tant que Canadiens et risquer l’expulsion.

Certains d’entre vous se souviendront des circonstances concernant Abdoul et Fatouma Abdi que la sénatrice Jaffer a décrites plus tôt cette semaine. Ces frère et sœur sont arrivés au Canada à titre de réfugiés et ont été pris en charge par les services à l’enfance après qu’on les ait retirés de l’école à cause du harcèlement racial dont ils faisaient l’objet. Sous la tutelle de l’État, les enfants ont vécu des mauvais traitements atroces, n’ont pas eu de logement stable et, même si son absence de l’école est la raison pour laquelle Abdoul a été appréhendé, le Canada ne lui a fourni pour toute scolarité qu’un diplôme de 6e année.

Abdoul est devenu un criminel à cause d’un cercle vicieux de négligence et de préjudices qui l’ont marginalisé. C’est un phénomène que la Commission ontarienne des droits de la personne qualifie de « pipeline de l’aide à l’enfance à la prison ». À l’âge de 24 ans, en raison de ses antécédents, il a été menacé d’expulsion vers un pays déchiré par la guerre et où il ne connaissait personne. Pourquoi? Parce que son parent, son tuteur légal — le gouvernement — n’a pas rempli son devoir de veiller à ce qu’il obtienne la citoyenneté.

En 2018, Fatouma Abdi a posé au premier ministre Trudeau une question que nous devrions tous nous poser alors que nous débattons de ce projet de loi. La question était : « [...] s’il s’agissait de votre fils, feriez-vous quelque chose pour l’empêcher d’être expulsé? »

Le projet de loi S-235 vise à empêcher le Canada d’abandonner scandaleusement à leur sort les enfants pris en charge en les expulsant de leur chez-eux et en leur disant qu’ils n’ont pas leur place dans ce pays au lieu d’assumer sa part de responsabilité lorsqu’ils deviennent des personnes marginalisées, des victimes, des criminels ou des détenus.

En tant que « parents », les gouvernements provinciaux et territoriaux manquent trop souvent à leur devoir de soutenir les enfants qu’ils prennent à charge. En fait, ils les négligent. La façon dont les enfants et les jeunes sont traités dans les systèmes de protection de l’enfance est habituellement terriblement inférieure aux soins que les parents — comme vous et moi et la plupart des parents — s’efforcent d’offrir à leurs propres enfants.

Les enfants sous la tutelle de l’État risquent davantage la judiciarisation et c’est tellement vrai que les services de protection de l’enfance donnent aux jeunes qui quittent la tutelle des informations sur ce qu’ils doivent faire s’ils se font arrêter. Comme l’a demandé un jeune qui avait été placé sous tutelle : « Imaginez-vous donner ce genre de conseils à vos enfants lorsqu’ils quitteront la maison? »

Qui appellerait la police parce que son enfant arrive en retard, qu’il est insolent ou qu’il lui désobéit? C’est pourtant chose commune dans les foyers de groupe et les foyers d’accueil où ceux qui assument le rôle de parents appellent la police pour des incidents comme le dépassement de l’heure du couvre-feu, les provocations verbales, les dommages matériels ou le non-respect des règles de la maison ou des règles de conduite. Dans mon travail auprès des jeunes, j’ai trop souvent vu des enfants être accusés de crimes pour avoir résisté à une contrainte illégale, pour avoir fui des situations de violence, pour avoir tenu tête à un tuteur violent ou pour avoir endommagé des meubles ou des biens. En outre, bon nombre des places dans les foyers de groupe sous contrat avec l’État servent à la fois de places pour les services de protection de l’enfance et de places de garde en milieu ouvert pour les jeunes.

Les enfants pauvres, autochtones, noirs et racisés ont été pris en charge, souvent sous la contrainte, de manière disproportionnée, d’une façon qui reflète et intensifie les effets intergénérationnels de la pauvreté et de l’inégalité ainsi que les séquelles du racisme et du colonialisme.

Pour les jeunes pris en charge, qui sont maintenant des adultes, mais qui n’ont pas la citoyenneté canadienne, le fait d’être abandonné au système de justice pénale a un coût supplémentaire dévastateur. Ils risquent d’être expulsés vers des pays dont ils ne se souviennent peut-être pas, dont ils ne parlent peut-être pas la langue, où ils n’ont aucun soutien ni espoir de gagner leur vie, et que leurs familles ont peut-être fuis à l’origine parce que leur vie était en danger. Dans certains cas, il se peut même que le pays où ils sont nés n’existe plus, ce qui les rend apatrides.

En 2017, le sénateur Oh a modifié le projet de loi C-6 afin que les tuteurs autres que les parents puissent présenter une demande de citoyenneté pour les enfants et que les enfants plus âgés puissent eux-mêmes présenter une demande de citoyenneté.

Ému par les circonstances de Fliss Cramman, qui ont été décrites par la sénatrice Jaffer dans son discours, le sénateur Oh a tenté de corriger le problème que son cas a révélé. Permettez-moi de vous rafraîchir la mémoire au sujet de la triste réalité de Mme Cramman. À 33 ans, Mme Cramman, mère de quatre enfants et cheffe cuisinière de formation, a dû se battre depuis son lit d’hôpital pour empêcher son expulsion vers le Royaume-Uni, où elle n’avait pas vécu depuis son enfance.

Le chef du service de chirurgie de l’hôpital général de Dartmouth, où Mme Cramman était menottée à un lit d’hôpital par les autorités correctionnelles, a plaidé en sa faveur, expliquant qu’elle arriverait en Angleterre :

[...] dans une combinaison, sans argent, sans téléphone, sans contacts, sans domicile, sans nourriture, dans l’un des aéroports les plus fréquentés du monde [...] [P]our une personne atteinte de maladie mentale, ce serait un endroit terrible où se présenter sans rien et être sans abri [...]

Il a décrit sa menace d’expulsion comme étant « non canadienne » et « tout simplement inacceptable ».

Comment pouvons-nous justifier de punir les personnes marginalisées qui ne parviennent pas à naviguer dans le système d’immigration ni à en comprendre par elles-mêmes les complexités? La plupart, comme Fliss Cramman, ne savent pas qu’elles n’ont pas la citoyenneté en premier lieu, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour demander la citoyenneté à laquelle elles avaient droit lorsque l’État les a saisis et a assumé la responsabilité parentale de leurs soins et de leur bien-être général.

Bien que certaines autorités provinciales et territoriales de protection de l’enfance aient pris des mesures pour acquérir une expertise dans les questions de citoyenneté, la plupart ne l’ont pas fait. Il en résulte une mosaïque de traitements inégaux. Les enfants qui ont le plus besoin de protection et de soutien ne les reçoivent pas. Le projet de loi S-235 pourrait remédier à cette situation.

Les tribunaux commencent à prendre note des préoccupations en matière de politiques pour ce qui est de l’incapacité des services de protection de l’enfance à obtenir la citoyenneté pour les enfants dont ils ont la charge. Le projet de loi S-235 fournit une politique cohérente en réponse à ces préoccupations.

Les revendications constantes ont provoqué des interventions de dernière minute du gouvernement, ce qui a permis d’éviter la déportation de Fliss Cramman et d’Abdoul Abdi. Prenons le temps de penser aux inégalités grossières générées par un tel système pour ceux qui n’ont pas autant de soutien que ces deux personnes. Il est temps que justice soit rendue aux enfants pris en charge par l’État, qui n’ont pas un statut de citoyen. Ce principe doit être une règle, et non une exception.

Un nombre croissant d’anciens enfants pris en charge par l’État s’adressent aux tribunaux pour exposer les injustices flagrantes du système actuel qui font qu’ils risquent la déportation, mais aussi qui nuisent à leurs perspectives d’études ou d’emploi, sans parler de la perte d’identité et de sentiment d’appartenance qui en découle.

En Ontario, un recours collectif en justice de plusieurs millions de dollars a été initié contre la Province pour avoir manqué à son devoir d’obtenir la citoyenneté pour les pupilles de l’État non citoyens. La sénatrice Jaffer nous a parlé du représentant des demandeurs dans cette affaire. Kiwayne Jones pensait qu’il était canadien jusqu’à ce qu’il apprenne à l’âge adulte que même si l’Ontario avait décidé d’être son parent, il n’avait en fait pas été adopté en tant que Canadien.

Le recours collectif intenté par M. Jones et les arguments contre la déportation d’Abdoul Abdi et d’autres personnes se fondent sur le fait que le Canada a violé leurs droits constitutionnels en omettant de leur accorder la citoyenneté. Le projet de loi S-235 permettrait de réparer de telles injustices et d’éviter de futurs procès.

D’après l’article 20(1) de la Convention relative aux droits de l’enfant, le Canada est tenu de fournir à « [t]out enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial [...] une protection et une aide spéciales ».

L’UNICEF souligne que cette disposition reflète :

[...] le devoir de chaque société à l’égard des enfants [...] [S]i les parents ne peuvent pas répondre aux besoins de leurs enfants, les enfants ont une revendication morale à laquelle le reste de la population doit satisfaire [...]

Nous partageons la responsabilité de corriger la vulnérabilité, la marginalisation et l’indifférence intentionnelle à l’égard des enfants qui sont sous la tutelle de l’État et qui ne sont pas citoyens. Cette responsabilité commence par la reconnaissance de ces enfants comme Canadiens, comme membres de nos collectivités et comme citoyens. Faisons preuve de notre compréhension de cette responsabilité collective en exprimant notre gratitude à la sénatrice Jaffer et en appuyant son projet de loi, le projet de loi S-235.

Meegwetch, merci.

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