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Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

16 février 2023


Honorables sénateurs, il ne fait aucun doute que nous devons de toute urgence réduire la pauvreté chez les Canadiens handicapés.

Comme le savent probablement la plupart des personnes présentes dans cette enceinte, ce projet de loi pourrait aider directement bon nombre de personnes que nous connaissons et que nous aimons, qu’il s’agisse de membres de nos familles ou d’autres personnes que nous côtoyons. Malheureusement, dans sa forme actuelle, ce projet de loi promet mers et mondes, mais il comprend des lacunes quant à la mise en œuvre. On nous dit qu’il vise à sortir des personnes handicapées de la pauvreté, mais, d’après son libellé, il se pourrait qu’il ne puisse pas les sortir de cette situation défavorable.

Malheureusement, le gouvernement veut faire adopter à la hâte un projet de loi qui n’a de prometteur que le nom. Bien qu’il s’appuie sur de bonnes intentions, plus particulièrement le désir d’offrir aux Canadiens handicapés la possibilité d’obtenir de l’aide, de vivre dans la dignité et d’assurer leur stabilité financière, le projet de loi C-22 ne comprend aucune mesure financière concrète. Il n’établit aucun montant minimal. Si on n’établit pas de seuil minimal pour la prestation, l’aide qui serait offerte concrètement dans le cadre de ce projet de loi pourrait correspondre à aussi peu que 1 $ par mois, ou être tout simplement inexistante.

La prestation canadienne pour les personnes handicapées ne sera versée à personne, pas même aux gens qui en ont le plus besoin, tant que le gouvernement ne prendra pas une série de mesures réglementaires pour établir en détail le montant de la prestation et les critères d’admissibilité. Pire encore, il n’y a aucune exigence pour que les mesures réglementaires nécessaires soient prises avant l’entrée en vigueur du projet de loi.

Résultat? Le projet de loi C-22 ne garantit pas du tout une prestation canadienne pour les personnes handicapées. Il ne fixe aucun délai pour le début du versement de la prestation. Il exclut également près d’un tiers des personnes handicapées au Canada uniquement en raison de leur âge, peu importe leur degré de pauvreté. Les réalités d’être une personne handicapée vivant dans la pauvreté ne disparaissent pas quand on atteint l’âge de 65 ans; pourtant, tel qu’il est rédigé, le projet de loi ne reconnaît pas les effets cumulatifs et les besoins correspondants associés au handicap, à la pauvreté et au vieillissement.

Que faut-il en comprendre? Le projet de loi C-22 permet au Cabinet fédéral de décider en secret de tous les détails, y compris le montant des prestations, à quel moment les personnes qui finiront par y avoir droit pourront les recevoir, et s’il y aura des versements tout court. Dès lors, qu’est-ce qui empêcherait le Cabinet ou tout autre futur Cabinet de vider cette mesure de sa substance par un vote tout aussi peu transparent, à huis clos? Ce projet de loi exige, peut-être injustement, une énorme confiance de la part des personnes les plus marginalisées et défavorisées de nos communautés.

La perspective d’une récupération des autres prestations versées aux personnes bénéficiant de mesures de soutien provinciales ou territoriales pour les personnes handicapées préoccupe beaucoup d’entre nous, y compris la ministre elle-même. Le gouvernement n’a rien fait pour veiller à ce que les finances des provinces et des territoires ne soient pas privilégiées au détriment des besoins et du bien-être des personnes handicapées.

Dans le même ordre d’idées, il existe de nombreuses préoccupations concernant le fait que rien n’empêche les actionnaires des compagnies d’assurance de bénéficier d’une manne financière par le biais de mesures de récupération ou de déductions appliquées aux prestations versées aux personnes handicapées en raison de leur police d’assurance. En l’absence d’interdiction de ces pratiques employées par les compagnies d’assurance privées, les bénéficiaires de la prestation canadienne pour personnes handicapées pourraient ne recevoir aucune prestation supplémentaire ou même recevoir des prestations inférieures à celles qu’ils reçoivent actuellement.

Comme le sénateur Cotter et d’autres l’ont reconnu, plutôt que d’atteindre son objectif de réduction de la pauvreté chez les personnes handicapées, la prestation canadienne pour personnes handicapées pourrait contribuer à alimenter les coffres des provinces et à accroître les profits des compagnies d’assurance privées, et ce, sans entraîner de réduction correspondante des primes d’assurance. Les contribuables pourraient donc se retrouver dans une situation où ils alimentent indirectement et involontairement les profits des compagnies d’assurance privées ou les coffres des provinces.

Les personnes handicapées se font dire qu’elles doivent faire confiance à la ministre, au gouvernement et aux fonctionnaires. Beaucoup de personnes sont désespérées et ont été clairement amenées à croire que si elles n’acceptent pas la version actuelle du projet de loi, malgré ses lacunes, elles ne recevront rien. Elles doivent choisir entre risquer de ne rien recevoir et faire le pari de se fier au processus gouvernemental et encore risquer de ne rien recevoir.

Dans quel univers peut-on considérer ce genre d’ultimatum comme un choix? Elles ont été encouragées à croire que les promesses du gouvernement sont suffisantes et qu’elles pourront payer leur loyer et remplir leur réfrigérateur.

Voilà ce qui se passe. Il est déchirant de constater le désespoir que nous suscitons alors que nous pourrions faire tellement mieux.

Comme l’ont souligné plusieurs commentateurs, le projet de loi est formulé comme s’il était fondé sur la bienfaisance plutôt que sur les droits fondamentaux.

J’aime la ministre Qualtrough et j’ai confiance en ses intentions, mais le gouvernement promet la prestation depuis trois ans. C’est à juste titre que de nombreuses personnes handicapées tirent la sonnette d’alarme et nous demandent de ne pas les obliger à simplement espérer et faire confiance.

Les Canadiens handicapés sont désespérés. Comme la sénatrice Coyle l’a souligné, ici en Ontario, une personne célibataire admissible au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées reçoit un maximum de 1 228 $ par mois. Cette somme ne permet pas de vivre dans la dignité puisqu’elle se situe plusieurs centaines de dollars sous le prix moyen des logements au Canada, y compris dans cette ville-ci. En ce moment, les Canadiens sans handicap de la classe moyenne ont du mal à payer l’épicerie et le logement, et la situation des Canadiens handicapés est encore plus difficile.

Des défenseurs des droits des personnes handicapées ainsi que des personnes handicapées ont signalé que, comme elles n’ont pas les ressources nécessaires pour bâtir une vie qui vaut la peine d’être vécue, certaines personnes renoncent. Des éléments de preuve de plus en plus nombreux montrent que beaucoup de personnes qui dépendent de prestations d’invalidité se trouvent coincées dans une pauvreté sans issue. On entend aussi qu’un manque d’options et l’absence d’un soutien social, économique et sanitaire adéquat peuvent être mortels. Fait horrible, quelques personnes ont demandé l’aide médicale à mourir en invoquant, comme raison, une pauvreté durable et apparemment sans issue.

Le projet de loi C-22 suit un modèle maintes fois répété par les gouvernements, qui offrent des solutions précaires et irréfléchies qui ne répondent pas aux besoins des personnes les plus vulnérables de nos collectivités.

On a souvent entendu qu’il faut éviter que le mieux devienne l’ennemi du bien et qu’on ne peut pas attendre le projet de loi parfait. Je conviens qu’il n’y aura jamais de projet de loi parfait. La question n’est toutefois pas de savoir si le Sénat peut rendre cette mesure parfaite, mais bien de voir s’il peut améliorer ce qui a été fait à l’autre endroit pour arriver à un meilleur projet de loi, qui donnera aux personnes handicapées certains droits et ne les forcera pas à se contenter d’espoir et de confiance. Dans les faits, nous poussons des gens dans des situations tellement incapacitantes que bon nombre d’entre eux pourraient choisir de mourir à cause de la pauvreté et d’un manque de soins systémique, et parce qu’il devient impossible de vivre quand il est trop difficile d’avoir accès à des choses essentielles comme une alimentation et un logement adéquats. C’est une réalité déplorable, qui pourrait être évitée.

Les Canadiens ayant un handicap ont un besoin criant de soutien. Lors d’une réunion du Caucus anti-pauvreté multipartite qui s’est déroulée ce matin, des experts nous ont priés de faire les choses correctement. Nous avons l’information, le savoir-faire et les ressources pour corriger les lacunes de ce projet de loi. Nous pouvons choisir de tirer des leçons des échecs récurrents des programmes provinciaux et territoriaux de prestations d’invalidité. Nous pouvons choisir de remplir notre mandat et d’agir dans l’intérêt de ces personnes qui sont trop souvent marginalisées ou abandonnées à leur sort.

Comme les sénateurs l’ont rappelé au gouvernement lorsque nous lui avons écrit pour l’inciter à mettre en œuvre cette prestation, si, au bout du compte, la prestation pour personnes handicapées ne permet même pas d’atteindre le seuil officiel de la pauvreté, en choisissant de laisser les gens dans la pauvreté, le gouvernement aura manqué aux obligations du Canada en matière de droits de la personne et notre pays aura manqué à son obligation, selon l’alinéa 36(1)c) de la Charte des droits et libertés, de fournir, « [...] à un niveau de qualité acceptable, les services publics essentiels ».

Tel qu’il a été rédigé, le projet de loi C-22 est un modèle universel qui permettra probablement d’aider la classe moyenne, mais qui négligera les Canadiens handicapés les plus pauvres. Comme la sénatrice Seidman l’a indiqué dans son discours, de nombreux groupes de personnes handicapées ont généreusement fourni quelques moyens très clairs d’éviter ce résultat involontaire.

Premièrement, ils nous exhortent à faire en sorte que le projet de loi C-22 comprenne des lignes directrices nationales exigeant un niveau minimal de financement pour tous les bénéficiaires. Deuxièmement, ils recommandent de l’amender afin de prévenir des obstacles administratifs inutiles, comme un processus de demande compliqué qui oblige les bénéficiaires à prouver périodiquement qu’ils sont toujours handicapés. Ils veulent aussi que le projet de loi comprenne un processus de plainte ou d’appel permettant d’enquêter au sujet des refus ou des récupérations injustes et de corriger la situation. Enfin, ils recommandent que le projet de loi exige que le gouvernement fédéral verse immédiatement la prestation canadienne pour les personnes handicapées à toutes les personnes qui répondent aux exigences des gouvernements provinciaux ou territoriaux et qu’il ne récupère pas ensuite les prestations provinciales, peu importe les ententes avec les gouvernements provinciaux ou territoriaux.

Sans aucun doute, nous savons que la ministre Qualtrough défend l’intérêt des personnes handicapées. Cependant, elle n’est qu’une députée et un membre du Cabinet, et pour une raison quelconque, elle n’a pas été en mesure de remédier aux lacunes de ce projet de loi.

Le projet de loi C-22 est bien intentionné, mais les personnes handicapées au Canada qui vivent dans la pauvreté méritent mieux. Elles méritent la sécurité.

À mon avis, si nous n’avons qu’une seule chance, prenons le soin de nous assurer que ce projet de loi est bien fait. Nous avons la responsabilité de le faire, et je sais, chers collègues, que nous pouvons le faire. Alors, comme la sénatrice Seidman nous l’a demandé hier, faisons notre travail.

Meegwetch, merci.

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