Projet de loi sur la stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale
Deuxième lecture
1 juin 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à titre de porte-parole plutôt sympathique au projet de loi S-249, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale pour la prévention de la violence conjugale. Je me suis exprimée pour la première fois sur ce projet de loi le 16 octobre 2018, après qu’il eut été présenté pour la première fois. Nous remercions le sénateur Manning de tout le travail qu’il a accompli dans ce dossier, inspiré par l’inébranlable Georgina McGrath et en collaboration avec cette dernière.
Le projet de loi S-249 met l’accent sur les préjudices trop fréquents et irréparables causés par la violence envers les femmes. Il vise à ce que le gouvernement fédéral, en consultation avec les ministres fédéraux, les représentants des gouvernements provinciaux et territoriaux ainsi que d’autres groupes pertinents offrant des services aux survivantes, mette en place une stratégie nationale pour prévenir et contrer la violence entre partenaires intimes. Surtout en raison des horribles réalités mises au grand jour par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, il est impératif que les cheffes de file et les organismes de gouvernance des femmes autochtones soient inclus.
La nécessité d’un plan d’action national exhaustif et multifacettes a été mise en évidence par la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles, à la suite de sa visite au Canada en 2018. En fait, ses conclusions ont été soulignées par un très grand nombre de commissions et d’enquêtes — la plus récente étant la Commission des pertes massives.
La violence envers les femmes et entre partenaires intimes est répandue, et nous avons toujours manqué à notre devoir d’offrir de l’aide adéquate aux personnes en danger. La stratégie proposée dans le projet de loi S-249 doit mettre fin au statu quo, qui fait perdurer les préjudices dont les femmes sont victimes, notamment sur le plan économique, social, juridique et sanitaire.
Honorables sénateurs, pour que cette initiative soit plus que bien intentionnée et informative, nous devrons agir avec dans un but bien déterminé.
Il y a 30 ans, en 1993, le Comité canadien d’action sur le statut de la femme, la plus grande organisation féministe nationale de l’époque qui comptait plus de 700 groupes affiliés, a produit un document publié un document intitulé 99 recommandations au gouvernement fédéral — Pour en finir avec la violence faite aux femmes. Le comité soulignait que la violence contre les femmes était fondamentalement et inextricablement enracinée dans l’inégalité substantielle des femmes. La stratégie contient les observations suivantes sur les femmes pauvres, les femmes handicapées, les femmes de couleur et les femmes autochtones :
[Elles] sont plus susceptibles d’être victimes d’agressions, et nous semblons avoir du mal à voir l’avantage que les hommes ont sur ces femmes et comment ces avantages juridiques, sociaux et économiques font partie de l’arsenal des agressions violentes. Tous les types d’avantages acquis (qu’il s’agisse de l’appartenance à la race dominante ou de l’exercice d’une profession) sont trop souvent utilisés pour faire du tort aux femmes. Aucun programme visant à mettre fin à la violence à l’égard des femmes ne peut être efficace s’il ne rompt pas ces relations de pouvoir et qu’il ne les transforme pas dans le sens de l’égalité.
C’est encore vrai 30 années plus tard.
Aujourd’hui, nous disposons des évaluations de la Commission des pertes massives en Nouvelle-Écosse et des recommandations de l’enquête sur le triple meurtre, ou féminicide, du comté de Lanark — qui fait également l’objet de l’interpellation lancée par la sénatrice Boniface —, ainsi que de l’enquête May-Iles et d’innombrables autres enquêtes.
Les commissions et les organismes communautaires qui œuvrent en première ligne s’entendent pour dire que la violence contre un partenaire intime et la violence faite aux femmes sont, au fond, une question d’égalité. L’appel réitéré en vue d’établir un plan d’action national sur la violence faite aux femmes et la violence fondée sur le sexe, qui a été lancé sous la coordination d’Hébergement femmes Canada et publié en 2020, contient le passage suivant :
La violence faite aux femmes et la violence fondée sur le sexe ne sont pas des préjudices isolés. Elles expriment et renforcent toutes deux l’inégalité; c’est un facteur crucial dans la manière d’anticiper, de combattre et de prévenir la violence faite aux femmes et la violence fondée sur le sexe, notamment par le biais de lois et de politiques d’ensemble.
Le sénateur Manning a décrit la violence faite aux femmes comme un problème de santé publique urgent et généralisé. La violence faite aux femmes est aussi, dans le fond, une crise de l’égalité qui se manifeste et qui se perpétue dans de nombreux milieux.
Il en résulte que la prévention de la criminalité ou les modèles de santé publique ne suffisent pas à eux seuls. Défendre l’égalité substantive exige une réduction des coûts et des obstacles que les femmes rencontrent lorsqu’elles quittent un conjoint violent.
Le sénateur Manning a aussi souligné que la violence faite aux femmes est peut-être la forme la plus omniprésente de violation des droits de la personne. Elle ne connaît pas de frontières géographiques, culturelles et financières. C’est vrai. Nous savons aussi que la violence contre les femmes touche de façon disproportionnée — trop souvent au prix de leur vie — les femmes autochtones, les femmes handicapées, les femmes de couleur, les personnes 2SLGBTQIA+ et, plus particulièrement, les femmes vivant dans la pauvreté ainsi que les femmes qui sont marginalisées et opprimées, principalement aux mains d’hommes qui usent et abusent de leur pouvoir.
Nous devons placer la violence entre partenaires intimes et la violence contre les femmes dans le contexte des systèmes et des structures de pouvoir plus vastes qui facilitent la violence contre les personnes les plus marginalisées et vulnérables. Nous devons aller au-delà de solutions temporaires, ciblées et restrictives. Nous devons être conscients des inégalités systémiques qui affectent la capacité d’une personne à éviter la violence entre partenaires intimes ou à y survivre.
Nous devons aussi connaître cette difficile vérité : les auteurs d’actes de violence sont souvent eux-mêmes des victimes de mauvais traitements. Une stratégie globale doit faire en sorte que les survivants reçoivent le soutien nécessaire pour briser le cycle de violence intergénérationnel.
Comme le sénateur Dalphond nous l’a rappelé, en 2018, le projet de loi a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, où il est mort au Feuilleton lorsque des élections ont été déclenchées. Le fait que le projet de loi S-249 soit présenté à nouveau nous permet de nous pencher sur ce qui a changé depuis 2018 et, malheureusement, sur les aspects qui n’ont pas changé ou qui se sont aggravés.
Entre 2018 et 2021 — il s’agit malheureusement des seules statistiques disponibles —, au moins 251 personnes ont été tuées par un partenaire intime au Canada. Selon le Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences publié en 2019, « tous les 2,5 jours environ, une femme est tuée par son partenaire intime au Canada ». Chers collègues, il s’agit de féminicides.
Les personnes assassinées étaient surtout des femmes et, pire encore, de façon disproportionnée des femmes autochtones. Les femmes autochtones représentent environ 5 % des femmes au Canada, mais environ 20 % des femmes tuées par un partenaire intime. Pire, 12 % des meurtres non résolus concernent des femmes non autochtones, mais 40 % concernent des femmes autochtones.
Une stratégie contre la violence faite aux femmes doit tenir compte des engagements pris par le Canada afin de donner suite aux appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et inclure des réformes essentielles sur les plans économique, social, juridique et en matière de santé et de gouvernance. L’enquête nationale était la réponse de notre pays aux « taux ahurissants de violence contre les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA », et elle considère que cette violence n’est ni plus ni moins qu’un génocide.
La pandémie de COVID-19 a exacerbé les inégalités et a donc, de manière horrible, mais non surprenante, aggravé la violence envers les femmes. Le phénomène est maintenant appelé « pandémie fantôme », terme adopté pour décrire l’intensification de la violence à l’égard des femmes, laquelle est facilitée par une combinaison parfaite de conditions perpétuant les mauvais traitements, comme le confinement obligatoire à la maison et les fermetures, qui a augmenté à la fois le taux et la gravité de la violence entre partenaires intimes, les circonstances d’isolement, l’intensification des facteurs de stress économiques et autres, et rendu les services de soutien de plus en plus difficiles d’accès.
Un groupe de soutien établi à Toronto, Women at the Centre, a signalé une augmentation de 9 000 % des appels à l’aide à la fin de 2021. Une stratégie nationale doit tenir compte de l’augmentation de la demande de services de soutien dans les années à venir, des lacunes systémiques en matière de soutien qui ont été mises à nu et exacerbées par la pandémie, ainsi que du spectre des futures urgences de santé publique et autres.
Des chercheurs de l’Université York ont également constaté que la « tendance prépandémique des décideurs à se concentrer sur la violence physique liée à un incident plutôt que sur les schémas de contrôle coercitif » accroît le risque pour les survivantes, car elle rend plus difficile de prouver l’existence de la violence devant les tribunaux :
L’accès limité aux services médicaux, de counseling, de santé mentale et autres au cours de la pandémie de COVID-19 a eu une incidence négative sur la capacité des femmes à prouver la violence familiale à la satisfaction des décideurs [...]
Une stratégie nationale doit réévaluer ce qui est nécessaire pour assurer un accès véritable à la justice et à la sécurité pour les femmes et les enfants.
Une stratégie nationale doit également aborder l’assistance sociale, le droit de la famille, la protection de l’enfance, le droit criminel et les ordonnances de protection civile — les domaines d’action de l’État avec lesquels les survivantes de la violence conjugale sont le plus souvent en contact — et elle doit faire preuve de sensibilité à l’égard des manifestations uniques de la violence dans le sillage de la pandémie de l’ombre.
Pour demander de l’aide, les survivantes doivent être sûres qu’un soutien social, financier et juridique leur est non seulement disponible, mais aussi accessible. Comme le soulignent la Commission des pertes massives, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et d’innombrables travaux de recherche, la pandémie de l’ombre a également mis au jour de nouvelles tactiques particulièrement insidieuses de surveillance et de contrôle coercitif, qui ont évolué avec la technologie.
Une stratégie nationale doit tenir compte de la dualité de la technologie, qui offre à la fois une bouée de sauvetage aux personnes ayant besoin d’aide et une nouvelle sphère de violence et d’abus qui constitue un obstacle supplémentaire à la capacité des survivantes à s’échapper.
En 2021, les services de police canadiens ont signalé 114 132 victimes de violence entre partenaires intimes. Ce chiffre est supérieur à la population de St. John’s, à Terre-Neuve. L’année 2021 marque la septième année consécutive d’augmentation de la prévalence de la violence entre partenaires intimes.
Ce n’est pas un hasard si, dans la même période, et comme l’a souligné l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, le taux d’incarcération des femmes autochtones continue de grimper en flèche. Les femmes autochtones sont trop souvent incarcérées pour des incidents de violence personnelle, principalement en réaction à des actes de violence perpétrés à leur encontre ou à l’encontre d’autres personnes dont elles sont responsables, ou pour prévenir de tels actes.
Nous le savons, et nous savons qu’environ 70 % des cas de violence familiale et 81 % des cas de violence conjugale ne sont jamais déclarés à la police. C’est particulièrement vrai chez les femmes autochtones, qui apprennent tôt qu’elles ont peu de chances d’être protégées par le système judiciaire. Par conséquent, elles doivent essentiellement assurer leur propre protection. Cette réalité doit aussi être prise en considération lors de l’élaboration d’un plan complet de lutte contre la violence envers les femmes.
N’oublions pas non plus que les statistiques sont loin de brosser un portrait complet de la situation. La nature de la violence conjugale est telle qu’elle est trop souvent cachée, dissimulée, coercitive, et c’est déplorable.
En nous penchant sur la violence conjugale, nous devrons nous poser une question difficile : pourquoi la prévalence et la gravité de ce problème vont-elles encore en augmentant?
Le sénateur Manning a fait remarquer que les gens qui ne sont pas au fait de la dynamique du pouvoir entourant les cas de violence pourraient se demander pourquoi une femme ne décide pas tout simplement de quitter un conjoint violent. Ceux qui sont mal renseignés sur le racisme ou l’insécurité liée à l’immigration peuvent ne pas être au fait des pressions que les femmes subissent dans leur collectivité et qui les empêchent de dénoncer la situation, par crainte des conséquences négatives que cela pourrait avoir pour les victimes et pour toute la famille. Ceux qui sont mal renseignés sur la pauvreté interprètent trop souvent la situation de la même manière. L’insécurité économique a régulièrement et systématiquement pour effet de limiter les choix qui s’offrent aux personnes qui n’ont aucune sécurité financière, et elle a des effets négatifs directs sur l’égalité.
La féminisation de la pauvreté est un facteur de risque dévastateur et aggravant pour les personnes qui sont déjà le plus souvent victimes d’actes de violence. Comme l’a mentionné le sénateur Manning, Statistique Canada a constaté que :
[...] le taux de femmes autochtones victimes de violence est […] 2,7 fois plus élevé que celui des femmes non autochtones.
En effet, comme l’ont révélé la Commission de vérité et réconciliation et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, les femmes et filles autochtones sont plus susceptibles que les autres femmes d’être victimes de violence et de pauvreté. Les femmes autochtones ont également été plus touchées financièrement par la COVID-19 que les autres Canadiens, 46 % d’entre elles faisant état d’une incidence financière modérée ou majeure, par rapport à 34 % de l’ensemble de la population canadienne.
Comme l’a déterminé l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, pour parvenir à une égalité réelle, nous devons fournir un revenu de subsistance garanti pour permettre aux femmes et aux personnes de diverses identités de genre de sortir de la pauvreté. L’insuffisance et l’incertitude des programmes d’aide sociale sont apparues au grand jour lors de notre récent débat sur la Loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées.
L’insuffisance des programmes doit être l’une des questions examinées lors de l’étude par le comité du projet de loi.
Selon une étude réalisée en 2012, plus de 80 % des coûts engendrés par la violence entre partenaires intimes au Canada — soit environ 6 milliards de dollars par an — sont assumés par les victimes elles-mêmes sous la forme d’interventions médicales, de pertes de salaire, de retards dans l’éducation, de biens volés ou endommagés et de douleurs et de souffrances.
Selon une étude réalisée en 2021 par le Centre canadien pour l’autonomisation des femmes, 80 % des survivantes de violence conjugale interrogées dans la région de la capitale nationale ont déclaré que leur partenaire avait adopté des comportements plus contrôlants et coercitifs à l’égard de leurs finances et de leur stabilité économique au cours de la pandémie. Ce qui est terrible, c’est que 10 % d’entre elles sont retournées auprès de leur partenaire en raison de contraintes financières.
Il y a 30 ans, le document du Comité canadien d’action sur le statut de la femme, intitulé 99 recommandations au gouvernement fédéral — Pour en finir avec la violence faite aux femmes, soulignait que :
Les initiatives fédérales doivent tenir compte du fait que la vulnérabilité des femmes et des enfants, en particulier les femmes [autochtones], les femmes de couleur, les femmes prises au piège de la pauvreté et les femmes handicapées, est le facteur déterminant dans la prévention de ce type de crime. Les fonds doivent donc servir directement à améliorer ces conditions. Les fonds ne doivent pas être uniquement consacré à la police, aux prisons, à la délégation de tâches aux collectivités, aux programmes de travailleurs sociaux, à la recherche sur les groupes vulnérables ou à la création de nouveaux organes bureaucratiques. Ces mesures ne suffisent pas à réduire la criminalité violente […]
Cela a été réaffirmé lors d’une audience publique de la Commission des pertes massives par la professeure Isabel Grant, qui a souligné que « l’autonomie économique de chaque femme dans ce pays » est un énorme élément « de la capacité des femmes d’échapper à toute forme de violence sexuelle. Cette perspective a été confirmée aujourd’hui par des intervenants qui luttent contre la violence devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Se libérer des abus exige de faire un choix. La pauvreté est contradictoire au choix.
En plus d’incorporer les conclusions de beaucoup trop d’enquêtes, la stratégie proposée par le sénateur Manning doit tenir compte du besoin d’offrir aux femmes et aux victimes une autonomie et une stabilité financières. Une stratégie nationale doit reconnaître les lacunes des soutiens sociaux et de l’aide actuels pour souligner le besoin d’avoir des mesures comme un salaire décent, des soins de santé, des options de logement, et un système universel de services de garde, bref, des approches qui offrent plus d’options aux femmes qui veulent quitter leur agresseur.
En plus des préoccupations financières, il faut aussi reconnaître le rôle de la crise du logement, de l’itinérance et des refuges en ce qui a trait à la violence contre les femmes et à la violence entre partenaires intimes. Comme l’a souligné le sénateur Manning, chaque nuit, 4 600 femmes et leurs 3 600 enfants doivent dormir dans des refuges pour fuir la violence. Chaque jour, au Canada, 379 femmes et 215 enfants se voient refuser l’accès à un refuge, habituellement parce qu’il n’y a plus de place.
Selon Hébergement femmes Canada :
Le manque de refuges et de logements adéquats constitue l’un des principaux obstacles qui empêchent les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre de fuir des situations de violence et de rebâtir leur vie.
Dans l’ensemble du Canada, 13 % des places dans les refuges pour itinérants sont dédiées aux femmes, alors que 68 % sont mixtes ou réservées aux hommes.
La rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles a souligné que, au Canada, le manque de services adéquats pour accueillir les femmes victimes de violence et leurs enfants, en particulier les femmes autochtones, fait que les femmes craignent de perdre la garde de leurs enfants si elles cherchent à se mettre en sécurité.
Des 215 refuges qui ont répondu au sondage de Shelter Voices de 2018, 47 % ont déclaré n’avoir aucune place disponible, ce qui fait qu’ils devaient refuser 75 % des demandes de services d’hébergement.
En outre :
Des 552 refuges destinés aux victimes de violence en 2017 et 2018, seulement 6 % hébergeaient les femmes et les enfants dans les communautés autochtones.
Les femmes et les personnes de diverses identités de genre — en fait, toutes les personnes — qui tentent de sortir d’une relation de violence devraient pouvoir le faire. Elles doivent toutefois en avoir les moyens et elles ont besoin d’un endroit où aller. Le manque de logements abordables et accessibles fait que les gens risquent davantage de vivre dans des conditions précaires et d’être victimes de mauvais traitements.
Les femmes handicapées sont particulièrement à risque au Canada. Comme l’a expliqué la rapporteuse spéciale des Nations unies :
En raison du manque de logements accessibles et abordables, les femmes handicapées sont obligées d’aller dans des institutions et deviennent encore plus vulnérables aux mauvais traitements.
Les femmes handicapées sont deux fois plus susceptibles que les autres d’être victimes de crimes violents et d’agressions sexuelles.
Une stratégie nationale doit faire des logements abordables et accessibles une priorité économique pour que le gouvernement veille à ce que les femmes et les personnes de diverses identités de genre, particulièrement celles qui sont handicapées et celles qui sont racisées, ne subissent pas d’autres mauvais traitements.
Un autre élément qui exige notre attention est le rôle du système de justice pénale dans l’aggravation de la situation des survivants en rendant les victimes plus vulnérables à d’autres violences. Bien trop souvent, les facteurs de risque de victimation vont de pair avec les facteurs de risque de criminalisation, comme en témoigne le fait que 91 % des femmes autochtones et 87 % de l’ensemble des femmes incarcérées dans des établissements fédéraux ont subi des violences physiques ou sexuelles. Pour la plupart d’entre elles, ce traumatisme sous-jacent et non résolu a joué un rôle important dans leur judiciarisation, que ce soit en raison du manque de soutien de la part des services sociaux et de santé avant la crise, ou parce qu’elles ont été accusées d’avoir commis un crime alors qu’elles se défendaient ou qu’elles défendaient leurs enfants contre un agresseur.
D’après le rapport de la rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles, au Canada :
les femmes et les filles autochtones [...] ont trois fois plus de chances d’être victimes de violence, y compris de violence entre partenaires intimes [...]
De plus, elles ont environ six fois plus de chances d’être victimes d’un homicide — également connu sous le nom de féminicide, comme je l’ai déjà indiqué —, que l’ensemble de la population canadienne. Cinquante pour cent des femmes incarcérées dans des établissements fédéraux sont autochtones, un pourcentage qui ne cesse d’augmenter.
La rapporteuse spéciale des Nations unies a relevé plusieurs autres tendances après sa visite au Canada, à savoir la victimation des femmes qui demandent une protection de l’État contre la violence, la tendance à tenir compte de l’intérêt de l’enfant lorsqu’il faut statuer sur des questions, y compris la garde et le droit de visite, indépendamment des situations d’abus, ainsi que le manque d’accessibilité et le caractère inadéquat des services d’aide juridique.
En outre, la rapporteuse spéciale des Nations unies a mis l’accent sur les dispositions du Code criminel qui exigent que les juges envisagent toutes les sanctions possibles autres que l’emprisonnement. Elle a également fait remarquer que certains articles de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition sont conçus pour permettre aux gens de purger leur peine dans la collectivité. Hélas, cette loi est à la fois sous-utilisée et sous-financée et est rarement communiquée aux femmes qu’elle est censée aider.
Comme l’a souligné la rapporteuse spéciale, il est urgent de proposer des solutions de rechange à l’emprisonnement et à l’incarcération pour s’occuper des femmes atteintes de troubles de santé mentale, en particulier des troubles liés à des traumatismes passés. De plus, leur incarcération va à l’encontre des normes internationales en matière de droits de la personne. Une stratégie nationale doit reconnaître le rôle actuel du système de justice pénale et du système carcéral dans les interventions inadéquates pour lutter contre la perpétration de la violence, les interventions inadéquates pour prévenir la violence et l’aggravation des conséquences de l’abus et de la violence pour les victimes.
En outre, bien que l’avortement ne soit pas criminalisé au Canada, il y a à la fois un manque d’accès à des services d’avortement sûrs et des cas actuels de stérilisation forcée de femmes autochtones, comme nous le savons bien grâce à notre collègue la sénatrice Boyer. La santé reproductive et sexuelle devrait faire partie d’une stratégie holistique de lutte contre la violence faite aux femmes. La rapporteuse spéciale des Nations unies a reconnu que ces problèmes faisaient partie de la violence actuelle faite aux femmes et aux filles au Canada, notamment dans le contexte de la discrimination systémique et plus particulièrement contre les femmes autochtones.
L’attention internationale a été attirée sur l’épidémie de violence faite aux femmes et aux filles au Canada, mais des voix d’ici, des incidents et des enquêtes nous alertent depuis longtemps sur ce danger. Nous devons y prêter attention. À la suite de l’enquête du coroner sur le triple meurtre de Carol Culleton, Nathalie Warmerdam et Anastasia Kuzyk en 2015, le comté de Lanark a qualifié le féminicide d’épidémie et a souligné le besoin urgent et irréfutable d’une approche pangouvernementale et pansystémique visant à mettre fin à la violence faite aux femmes.
La campagne dans le comté de Lanark, qui est voisin de celui de Renfrew, est « See it. Name it. Change it. » Elle reconnaît que lorsque la violence est vue, elle doit être nommée afin de provoquer un changement.
Nous la voyons tout le temps. Au cours des 52 semaines qui ont précédé la déclaration par le comté de Lanark de l’épidémie de féminicides, 52 femmes ont été tuées en Ontario seulement — 52 féminicides.
Honorables collègues, insistons tous pour dénoncer et changer ces réalités si nous voulons réellement créer une stratégie nationale pour lutter contre la violence entre partenaires intimes et la violence contre les femmes ainsi que les prévenir.
La Commission des pertes massives a réaffirmé la nécessité que tous les ordres de gouvernement « déclarent que la violence fondée sur le sexe, la violence entre partenaires intimes et la violence familiale [sont] une épidémie », de même que la nécessité connexe d’apporter une « réponse pansociétale » appuyée par un « financement à la hauteur du niveau épidémique pour la prévention et les interventions en matière de violence fondée sur le sexe ». Le rapport illustre le but central qui sous-tend de multiples propositions : l’élimination de la violence fondée sur le sexe qui prend appui sur un engagement envers l’égalité, à commencer par la reconnaissance des forces structurelles et systémiques qui permettent à la violence familiale et à la violence entre partenaires intimes de persister.
Saisissons cette occasion pour jeter les jalons d’une stratégie nationale inclusive, car elle reconnaît les victimes et les survivants de la violence fondée sur le genre, et précise, car elle discerne les forces devant être démantelées pour permettre l’égalité réelle. Il y a 30 ans, le Comité canadien d’action sur le statut de la femme a reconnu que, pour éliminer la violence contre les femmes, il faut perturber les rapports de force de manière à favoriser l’égalité.
Aujourd’hui, le message demeure le même. Le Plan d’action national sur la violence faite aux femmes et la violence fondée sur le sexe : Appel réitéré ainsi que, cette année, la Commission des pertes massives, ont renouvelé cette demande d’égalité réelle. J’espère que dans 30 ans, nous — ou nos successeurs — considérerons, en rétrospective, cette stratégie nationale comme ayant été le début d’un changement monumental dans notre approche à l’égard de la violence fondée sur le genre. Meegwetch, merci.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)