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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Ajournement du débat

31 octobre 2023


L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Propose que le projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution), tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je suis heureux d’entamer le débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-48, qui répond aux préoccupations en matière de sécurité publique au sujet du système de mise en liberté sous caution, en proposant des mesures ciblées pour lutter contre les récidives violentes impliquant l’usage d’armes. La version du projet de loi adoptée par l’autre endroit comprenait également un article sur la violence entre partenaires intimes, bien que cet article ait été supprimé récemment lors de l’étude article par article du projet de loi, et j’en parlerai plus en détail dans un instant.

Permettez-moi d’abord de remercier les membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles de leur examen approfondi du projet de loi.

Les sénateurs se souviendront que le projet de loi C-48 a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit à toutes les étapes dès le premier jour de séance de l’automne. C’était une indication de l’importance que les députés attachent au projet de loi et de l’urgence avec laquelle ils espéraient qu’il soit adopté. Par conséquent et à juste titre, chers collègues, le Sénat a traité ce projet de loi comme une priorité tout en démontrant sa capacité de travailler consciencieusement et rapidement.

Le comité a entendu un total de 26 témoins, y compris des policiers, des criminalistes, des universitaires ainsi que des représentants de groupes de victimes, d’organisations autochtones et de l’aide juridique. Plusieurs mémoires ont également été reçus. Je tiens à remercier tous ceux qui nous ont fait part de leurs points de vue.

Parmi ces témoins se trouvait Niki Sharma, procureure générale de la Colombie-Britannique. Je souligne son témoignage en particulier parce que le régime de mise en liberté sous caution dépend de la coopération et de la coordination entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux. En fait, le projet de loi C-48 est le produit de vastes efforts intergouvernementaux, dont plusieurs années de rencontres des ministres de la Justice et de la Sécurité publique, ainsi que d’une coordination continue entre les hauts fonctionnaires des divers gouvernements.

Ce travail s’est intensifié à la suite du meurtre tragique de l’agent de la Police provinciale de l’Ontario, Greg Pierzchala, et d’une lettre au premier ministre cosignée par les 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux et réclamant ce genre de projet de loi.

Comme vous le savez, honorables sénatrices et sénateurs, le système de justice pénale — et, par extension, le régime de mise en liberté sous caution — est une responsabilité partagée. Un régime efficace et fonctionnel dépend de la capacité de chaque ordre de gouvernement de s’acquitter de ses responsabilités, tout en collaborant et en coopérant les uns avec les autres. Le projet de loi C-48 est un exemple qui illustre bien comment des gouvernements de partout au Canada travaillent ensemble pour répondre aux préoccupations du public.

Ce projet de loi reçoit un énorme soutien et reflète une volonté largement répandue de voir les mesures adoptées et mises en œuvre sans délai. Comme je l’ai indiqué plus tôt, ce projet de loi a été adopté à l’unanimité aux Communes dès le premier jour de la session d’automne, et tous les gouvernements provinciaux et territoriaux ont manifesté leur appui. On a rarement vu un projet de loi jouir d’autant de légitimité démocratique d’un bout à l’autre du pays.

Aujourd’hui, je vais concentrer mes observations sur les témoignages que nous avons entendus au comité concernant certains éléments clés du projet de loi, de même que sur quelques thèmes généraux qui sont ressortis de notre étude du projet de loi.

Le premier élément clé est la disposition d’inversion du fardeau de la preuve pour les récidives violentes commises avec une arme. Lorsqu’il y a inversion du fardeau de la preuve, la présomption habituelle de mise en liberté sous caution devient une présomption de détention. Il appartient au prévenu de prouver qu’il devrait être remis en liberté, plutôt qu’à la Couronne de prouver qu’il ne devrait pas l’être.

Il existe des dispositions d’inversion du fardeau de la preuve dans le Code criminel depuis un certain temps déjà. La Cour suprême du Canada a jugé qu’elles sont constitutionnelles pourvu qu’elles soient étroitement définies, et c’est le cas de celle-ci.

Pour que cette disposition d’inversion du fardeau de la preuve s’applique, la personne doit être accusée d’avoir commis une infraction avec violence au moyen d’une arme. Elle doit également avoir été reconnue coupable d’avoir commis une infraction avec violence au moyen d’une arme au cours des cinq années précédentes. Les deux infractions doivent être assorties d’une peine maximale d’emprisonnement de 10 ans ou plus.

La deuxième modification clé élargirait la liste actuelle des infractions liées aux armes à feu qui donnent lieu à une inversion du fardeau de la preuve. Cette proposition cible les actes qui minent sensiblement la sécurité publique, comme l’introduction par effraction pour voler une arme à feu, le vol qualifié visant une arme à feu et la fabrication d’une arme à feu automatique.

De plus, on ajouterait à cette liste la possession illégale d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte, chargée ou non chargée avec des munitions facilement accessibles. Cet ajout répond directement aux préoccupations des organismes d’application de la loi, ainsi qu’à l’appel des 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux.

Comme l’a affirmé le ministre de la Justice au comité, l’inversion du fardeau proposée dans le projet de loi C-48 repose sur une « approche ciblée et presque chirurgicale utilisée envers les délinquants ayant commis des crimes graves et violents ».

Comme les fonctionnaires du ministère l’ont expliqué, même si l’inversion du fardeau peut accroître la probabilité de détention pour les infractions ciblées, elle pourrait également simplement rendre l’examen des tribunaux plus minutieux pour les mises en liberté sous caution, ce qui leur permettrait d’obtenir plus de renseignements et, possiblement, d’arriver à un plan de mise en liberté sous caution assorti de conditions plus strictes, ce qui serait dans l’intérêt de la sécurité publique.

Des témoins de l’Association canadienne des chefs de police, ainsi que le commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, ont mentionné qu’ils auraient voulu que le projet de loi aille plus loin. Ils voulaient que tous les crimes violents soient ciblés, qu’une arme ait été employée ou non. Ils ont demandé que la limite de cinq ans soit retirée concernant les infractions antérieures.

D’autres témoins, notamment ceux de l’Association du Barreau canadien et de l’Association canadienne des libertés civiles, se sont dits inquiets de la possibilité que, dans leur version actuelle, les dispositions aient une portée trop large. Certains auraient voulu que l’inversion du fardeau soit complètement éliminée. Le gouvernement considère que les dispositions permettent d’atteindre le bon équilibre. Elles priorisent la sécurité publique et respectent le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable que confère la Charte.

Chers collègues, lorsque nous avons reçu ce projet de loi de l’autre endroit, il prévoyait également l’inversion du fardeau de la preuve dans les cas de violence contre un partenaire intime. Depuis l’adoption du projet de loi C-75 en 2019, le fardeau de la preuve est inversé pour toute personne accusée d’une infraction de violence contre un partenaire intime qui a déjà été reconnue coupable d’une telle infraction. À l’origine, le projet de loi C-48 proposait d’étendre cette disposition aux personnes absoutes antérieurement pour une infraction de violence contre un partenaire intime. Cependant, le comité a supprimé cet élément du projet de loi.

Comme je l’ai dit lors de l’étude article par article du projet de loi, le gouvernement estime que cette disposition était importante et il trouve regrettable qu’elle ait été supprimée.

Chers collègues, soyons clairs, dans notre système de justice criminelle, une absolution est un verdict de culpabilité. Il s’agit essentiellement de la peine la plus légère qu’une personne puisse recevoir; elle peut être utilisée, par exemple, dans le cas d’un contrevenant qui en est à sa première infraction à qui un juge veut donner une deuxième chance. Essentiellement, cela signifie que, s’il se comporte bien ou s’il respecte certaines conditions, son casier judiciaire est effacé.

Cependant, une personne qui est absoute pour violence contre un partenaire intime a commis un acte de violence contre un partenaire intime. Si elle est de nouveau accusée de violence contre un partenaire intime, le gouvernement ne croit pas qu’elle devrait bénéficier de la clémence qui lui a été accordée la première fois. Comme nous l’ont dit des fonctionnaires, la violence entre partenaires intimes constitue généralement une infraction où une tendance se dessine, souvent bien avant que la police ou les tribunaux soient appelés à intervenir.

Lorsqu’une personne est accusée d’une telle infraction non pas une, mais deux fois, il y a lieu de s’inquiéter sérieusement pour la victime, qui court un risque élevé. En fait, pour les victimes de violence entre partenaires intimes, le risque augmente souvent une fois que des accusations ont été portées.

Comme l’a indiqué l’Association des femmes autochtones du Canada, qui a appuyé le projet de loi C-48 dans sa forme initiale, « protéger [les femmes] de leur agresseur entre le moment où les accusations sont portées et celui de l’audience est une préoccupation importante ».

Chers collègues, je comprends le malaise de certains sénateurs à l’égard de cette disposition. En effet, des témoins ont affirmé que l’inversion du fardeau de la preuve pour des accusés qui ont été absous allait trop loin.

Il ne fait aucun doute qu’il faut trouver un équilibre entre les droits de l’accusé et la sécurité de la victime. Des personnes raisonnables peuvent ne pas s’entendre sur les limites qu’il convient de fixer. Je tiens à réitérer la position du gouvernement selon laquelle le projet de loi, dans sa forme initiale, parvenait à un juste équilibre.

J’aimerais également souligner que la même disposition, qui a été supprimée du projet de loi C-48 lors de son étude article par article, figure dans le projet de loi S-205, que le Sénat a adopté en avril dernier, et qui en est actuellement à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes.

Finalement, le projet de loi vise à ajouter quelques nouvelles considérations et exigences pour les tribunaux lorsqu’ils décident s’il convient d’accorder une mise en liberté sous caution.

D’abord, le projet de loi exigerait expressément des tribunaux d’examiner si le prévenu a des antécédents d’infractions avec violence.

Deuxièmement, il exigerait que le juge verse au dossier de l’instance une déclaration selon laquelle il a pris en considération la sécurité de la collectivité en plus de celle de toute victime. Comme l’a indiqué le commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, cette disposition veillerait à ce que le droit des victimes et du public d’être protégés contre les comportements criminels violents bénéficie d’un poids approprié.

Troisièmement, tel qu’il a été modifié par le comité, le projet de loi exigerait que le juge explique comment il a tenu compte des circonstances particulières d’un prévenu autochtone ou d’un prévenu appartenant à une autre population vulnérable et surreprésentée au sein du système de justice pénale. Depuis l’adoption de l’ancien projet de loi C-75 en 2019, les juges sont d’ailleurs obligés de tenir compte de ces circonstances, mais le comité a cru bon d’ajouter cette exigence dans le but de s’assurer que l’exercice se fait comme il le faut.

Le comité a également apporté un autre amendement au projet de loi dans la section qui exige un examen parlementaire. Dans sa version initiale, le projet de loi prévoyait la tenue d’un examen par un comité de l’autre endroit cinq ans après la sanction royale. Désormais, le projet de loi fait également mention d’un comité sénatorial.

Chers collègues, je souligne que lorsque le ministre de la Justice a comparu, il nous a assuré que les futures dispositions relatives à l’examen parlementaire dans les projets de loi élaborés par son ministère incluraient les deux Chambres.

Il s’agit essentiellement d’un aperçu du projet de loi, dans sa forme actuelle, après qu’il a été amendé et adopté au comité.

Avant de conclure, j’aimerais aborder certains des points qui ont été soulevés concernant les difficultés générales auxquelles le système de mise en liberté sous caution est confronté. Parmi ces difficultés, il y en a que nous ne pouvons pas régler en légiférant et qui dépendent de décisions en matière de politiques et de ressources de différents ordres de gouvernement. C’est vrai, mais cela ne réduit pas leur importance.

L’un des sujets qui ont été soulevés à maintes reprises — je crois d’ailleurs que je l’ai moi-même soulevé à l’étape de la deuxième lecture — est la nécessité d’obtenir de meilleures données. Il s’agit d’un problème de taille en raison des différentes compétences qui interviennent dans le système de justice criminelle et dans le processus de libération sous caution, mais il doit être réglé.

Dans les observations annexées à son rapport, le comité a exhorté le gouvernement à travailler en collaboration avec les provinces et les territoires « afin de mettre en place un moyen efficace et efficient de collecte et de partage des données relatives au système de mise en liberté sous caution ». Le gouvernement a l’intention de répondre à cet appel. Cette question a été reconnue par les ministres de la Justice du Canada et de la Colombie-Britannique lors de leurs témoignages.

La collecte de données relatives à la mise en liberté sous caution est l’un des domaines prioritaires qui ont été désignés au cours des récentes réunions fédérales-provinciales-territoriales. Je souligne que le budget de 2021 prévoyait des fonds pour le ministère de la Justice et Statistique Canada afin d’améliorer la collecte et l’utilisation de données désagrégées dans le système de justice. Nous constatons quelques signes avant-coureurs de progrès, mais il est clair que nous devons en faire plus et c’est ce que nous faisons.

Un autre thème qui a été soulevé au comité est l’importance du soutien social, qui rend les collectivités plus sûres en les aidant à prévenir les activités criminelles et qui contribue à la promotion du respect des conditions de mise en liberté sous caution.

Plusieurs témoins ont insisté sur la nécessité de certaines choses, comme le logement abordable, les soins de santé mentale, le traitement de la toxicomanie, ainsi que des ressources et du soutien financiers pour les victimes de violence conjugale.

Encore une fois, il s’agit d’un domaine où les différents ordres de gouvernement doivent collaborer. Le gouvernement fédéral a fait des investissements et il a collaboré avec des partenaires provinciaux, territoriaux et municipaux, ainsi que les gouvernements autochtones pour réaliser des progrès. Ces efforts sont essentiels pour rendre nos collectivités plus sûres.

Enfin, plusieurs témoins ont fait part de leurs préoccupations relatives à l’incidence que le projet de loi C-48 pourrait avoir sur les accusés issus de communautés autochtones et noires, et d’autres communautés marginalisées.

Dans son témoignage, le ministre de la Justice a fait ressortir le sérieux avec lequel le gouvernement traite la surreprésentation et a décrit les diverses mesures que le gouvernement a prises pour lutter contre la discrimination systémique dans le système de justice pénale. Celles-ci comprennent l’élaboration d’une stratégie en matière de justice autochtone, d’une stratégie en matière de justice pour personnes noires, d’une stratégie de lutte contre le racisme et d’un financement accru pour l’aide juridique en matière criminelle.

Le gouvernement continuera de s’engager sur ces questions afin de réduire les iniquités. Comme l’a souligné l’Association des femmes autochtones du Canada, il faut en même temps réduire la surreprésentation et mieux prévenir les actes criminels visant les membres de communautés marginalisées.

Comme je l’ai dit, légiférer dans ce domaine est une question de juste équilibre. Aussi le projet de loi C-48 propose-t-il des modifications ciblées au Code criminel. Ces propositions répondent à des préoccupations répandues concernant les crimes violents commis par les récidivistes mis en liberté sous caution, tout en respectant le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable. En plus du projet de loi, le gouvernement travaille avec les autres ordres de gouvernement sur des mesures non législatives visant à rendre plus efficace le système de mise en liberté sous caution.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-48 s’inscrit dans un effort national qui a pour but de renforcer le système canadien de mise en liberté sous caution, de protéger les collectivités et d’accroître la confiance du public envers l’administration de la justice. Je vous invite à vous joindre à moi pour appuyer le projet de loi et le renvoyer à l’autre endroit, pour que les députés puissent examiner sans tarder nos amendements. Merci.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-48, qui prévoit de nouvelles dispositions d’inversion du fardeau de la preuve. Comme le sénateur Gold l’a indiqué, cela va accroître le fardeau imposé à l’accusé, qui devra démontrer qu’il peut être mis en liberté sous caution en toute sécurité jusqu’à son procès, au lieu de conserver la présomption que l’accusé sera mis en liberté à moins que la Couronne ne prouve que la détention est nécessaire.

Le projet de loi C-48 a été rédigé et adopté à toute vitesse à la Chambre des communes en réponse à des actes de violence commis contre des policiers, sans aucune preuve que ces gestes auraient pu être évités grâce à ce projet de loi. Malheureusement, les modifications proposées dans ce projet de loi sont lourdement chargées d’opportunisme politique. Elles ne répondent pas aux défis du système de mise en liberté sous caution d’une manière qui serait dans l’intérêt des Canadiens.

Quelles sont nos préoccupations?

La portée des dispositions concernant la violence entre partenaires intimes reste trop vaste, de telle sorte que ces dispositions vont probablement toucher autant les victimes d’abus que les abuseurs qu’elles visent à arrêter.

Ce projet de loi va sûrement accroître la surreprésentation des communautés marginalisées dans les prisons, en particulier les Noirs et les Autochtones; ceux qui vivent dans la pauvreté; et ceux qui ont déjà vécu des traumatismes, qui ont des problèmes de santé mentale ou des problèmes de toxicomanie.

Ni le gouvernement ni le Sénat n’ont reçu de données permettant d’étayer l’affirmation selon laquelle ce projet de loi permettra d’atteindre l’objectif annoncé, soit améliorer la sécurité publique.

En raison des séquelles permanentes du colonialisme au Canada, les femmes autochtones sont touchées de façon disproportionnée par la violence. Selon les données, six femmes autochtones sur dix seront victimes de violence familiale au cours de leur vie, et quatre sur dix seront victimes de violence physique. Pourtant, dans ces situations, les femmes autochtones craignent souvent d’appeler la police pour obtenir de l’aide parce que, trop souvent, elles trouvent que les rôles sont inversés, de sorte qu’elles sont blâmées et tenues responsables de la violence dont elles sont victimes.

Le fait que les tentatives passées d’élaborer des politiques pour aider les femmes victimes de violence ont abouti notamment à des pratiques de mise en accusation obligatoire est un exemple de cette hyperresponsabilisation. Plutôt que de protéger les femmes, ces pratiques ont donné lieu à des doubles mises en accusation, une pratique policière qui consiste à porter des accusations criminelles à la fois contre la victime et contre l’agresseur dans des cas de violence entre partenaires intimes.

Les femmes sont également plus susceptibles d’utiliser des objets — une brosse à cheveux, une assiette, une poêle à frire ou un couteau de cuisine — pour se défendre. Celles qui s’engagent dans un combat au corps à corps sans saisir un objet pour se défendre finissent souvent par mourir. Des femmes qui ne représentent aucune menace pour la sécurité publique se retrouvent accusées d’agression pour s’être défendues contre la violence. En raison des conditions de détention préalable au procès et des longs délais d’enquête sur le cautionnement — sans parler d’un manque de confiance justifié dans un système de justice pénale qui n’a pas pris au sérieux l’oppression qu’elles ont subie —, trop de femmes choisissent de plaider coupables en échange d’une peine déterminée, plutôt que d’être emprisonnée pendant une période qui pourrait s’avérer longue, dans l’attente d’une audience sur le cautionnement ou dans l’attente d’un procès, sans parler du risque de condamnation lors du procès et d’une peine plus longue.

Nous savons que cela se produit. La mise en accusation double a été reconnue par le gouvernement et par des témoins de la police. L’avocate principale de la Commission d’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées nous a dit que des femmes font face à cet écueil partout au pays.

La Clinique commémorative Barbra Schlifer, qui traite exclusivement des cas de violence familiale pour les femmes de l’Ontario, admet de cinq à six nouvelles clientes par semaine à son programme relatif à la mise en accusation double.

Les mises en accusation doubles font augmenter le nombre de femmes autochtones qui se retrouvent dans le système de justice pénale, alors qu’elles y sont déjà surreprésentées et qu’elles sont déjà incarcérées en très grand nombre. Étant donné que le projet de loi étend la disposition de l’inversion du fardeau de la preuve à toute personne condamnée pour l’usage d’une arme aux fins de violence contre un partenaire intime, nous prédisons que les victimes de cette forme de violence seront entraînées dans le système de justice pénale, ce qui découragera encore plus les femmes autochtones de réclamer de l’aide quand elles sont le plus en danger.

Le gouvernement a présenté ce projet de loi, car il croyait qu’il s’imposait de toute urgence. N’estime-t-il pas qu’il est tout aussi urgent d’appuyer des mesures qui permettront aux victimes de violence entre partenaires intimes de se sentir vraiment en sécurité? Pourquoi nos efforts sont-ils concentrés sur la détention avant procès d’un plus grand nombre de gens, quand des accusations ont été portées, au lieu de renforcer les mesures d’aide financière et sociale ainsi que le soutien pour le logement et la santé afin que les victimes aient les outils dont elles ont besoin pour sortir en toute sécurité de situations de violence entre partenaires intimes?

Nous avons entendu des témoins ayant une expérience directe de l’état actuel de notre système de mise en liberté sous caution. Nous avons entendu les témoignages d’avocats de la Couronne et de la défense ainsi que d’experts en droits de la personne qui travaillent avec et pour des personnes qui ont été victimisées et criminalisées. Tous nous ont dit très clairement que les conditions de détention avant procès sont odieuses et affectent de manière disproportionnée les personnes les plus marginalisées.

Emilie Coyle et d’autres représentantes de l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry ont parlé de cellules couvertes d’excréments et de restrictions si sévères pour avoir accès à de l’eau que les femmes buvaient l’eau des toilettes. Le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes a partagé l’histoire déchirante de Sarah Rose Denny, une Micmaque mère de famille qui est décédée d’une double pneumonie après qu’on lui a refusé des soins de santé en prison.

Le nombre de personnes en détention avant procès a plus que quadruplé au cours des 40 dernières années, malgré la baisse des taux de criminalité pendant cette même période, ce qui a entraîné le surpeuplement des prisons et les temps d’attente pour les audiences de mise en liberté sous caution.

L’ajout de nouvelles dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve aggravera ce problème. De nombreux témoins, dont le président du conseil d’administration du programme d’aide juridique de l’Ontario, ont affirmé que ce projet de loi augmentera le nombre de faux plaidoyers de culpabilité parce que les gens seront pressés de quitter le plus rapidement possible les installations de détention avant procès.

Qui sera visé par ce projet de loi? Ce projet de loi est censé viser seulement les personnes qui présentent une menace extrême pour la sécurité publique et qui sont jugées susceptibles de commettre à nouveau des actes de violence. Aucune donnée n’indique que ces mesures ne s’appliqueront qu’à ce sous-ensemble de personnes, ni que les dispositions visant à inverser le fardeau de la preuve pour les types d’accusations et de condamnations concernés ont le moindre effet sur la protection du public. Nous savons cependant, honorables collègues, que les personnes détenues pendant une courte période de détention avant la tenue de leur procès — même quelques jours — risquent non pas moins, mais davantage de commettre un crime plus tard.

Les personnes qui sont les plus susceptibles d’emprunter la voie de la criminalité sont celles qui sont déjà marginalisées. Comme l’a indiqué la professeure Nicole Myers :

Les personnes pauvres, itinérantes, souffrant de problèmes de santé mentale ou inculpées pour consommation de drogues sont celles qui sont surveillées le plus étroitement par la police, ce qui augmente les risques qu’elles soient arrêtées et gardées en détention en vue d’une audience pour libération sous caution.

Les personnes qui sont incapables d’obtenir une mise en liberté sous caution après leur arrestation sont souvent celles qui sont sans ressources. Les personnes qui sont détenues avant la tenue de leur procès sont celles qui n’ont pas de proches pouvant les loger chez eux, s’absenter du travail pour assister aux comparutions ou offrir une somme considérable en guise de caution pour l’accusé. Ces circonstances vont disproportionnellement de pair avec d’autres inégalités systémiques, en particulier celles qui touchent les personnes noires et autochtones.

Une fois qu’on leur a refusé la mise en liberté sous caution, les Canadiens noirs passent plus de temps en détention avant procès que la population générale. Pendant leur incarcération, ils subissent des conditions plus difficiles que les autres : ils sont plus souvent soumis à l’usage de la force, placés en isolement et envoyés dans des ailes à sécurité maximale.

Les Autochtones, en particulier les femmes, continuent d’être surreprésentés dans les prisons — un fait inexcusable. Les femmes autochtones représentent entre 75 et 99 % de toutes les femmes incarcérées dans les prisons provinciales. Les filles et les jeunes femmes autochtones représentent entre 95 et 100 % de la population des prisons pour jeunes femmes en Saskatchewan, au Manitoba et dans le Nord. Ce projet de loi ne fait rien pour contrer cette crise.

Compte tenu de ces faits, comment pouvons-nous soutenir un projet de loi qui enverra plus de personnes, en particulier parmi les groupes les plus marginalisés, en détention avant le procès? Qu’est‑ce qui prouve que le projet de loi s’attaquera à la crise de la surreprésentation des personnes noires et autochtones dans le système de justice pénale au lieu d’exacerber la situation?

Le projet de loi a été adopté à toute vapeur à l’autre endroit en une seule journée, sans examen en bonne et due forme. Pour cette raison, nous avons commencé l’étude en comité avec un désavantage. On nous a aussi demandé d’étudier le projet de loi sans avoir d’abord reçu l’analyse comparative entre les sexes plus du gouvernement. Au comité, les représentants du ministère de la Justice ne disposaient pas des données démographiques nécessaires pour justifier l’inversion du fardeau de la preuve créée par le projet de loi C-48. De plus, nous n’avons pas encore vu les effets du projet de loi C-75, un autre projet de loi qui a établi des dispositions sur l’inversion du fardeau de la preuve et qui fait actuellement l’objet d’une évaluation.

Pourquoi cherchons-nous à traiter un projet de loi à toute vitesse alors que nous n’avons pas assez de renseignements pour bien l’évaluer? Pourquoi promouvoir un projet de loi sans savoir s’il aura les effets souhaités, mais en sachant qu’il aura presque certainement des conséquences imprévues pour les communautés les plus marginalisées?

Si nous souhaitons améliorer la sécurité publique, les Canadiens méritent que nous le fassions d’une manière très efficace, qui tient bien compte des données probantes. Au lieu d’opter pour des approches réactives, il faut diriger les ressources principalement vers des mesures de soutien social dans le but de régler les causes profondes de la criminalité. Ainsi, nous devrions financer un revenu minimum garanti, le logement, le soutien social et les soins de santé, y compris des mesures de soutien pour les problèmes de santé mentale et de dépendance. Si nous cherchons à améliorer le système de mise en liberté sous caution, il faut améliorer le financement des programmes d’aide juridique et de supervision des personnes en liberté sous caution qui permettent aux gens de rester dans leur communauté. Ce n’est pas ce que fait le projet de loi C-48.

Ce projet de loi risque davantage de judiciariser les femmes autochtones qui demandent l’aide de la police lorsqu’elles subissent la violence d’un partenaire intime. Il risque d’accroître le nombre de personnes détenues avant leur procès, d’accroître la surreprésentation des personnes noires et autochtones dans les prisons, et d’encourager les gens à faire de faux plaidoyers de culpabilité motivés surtout par le désir d’éviter les conditions déplorables d’une détention avant procès.

En tout respect, nous ne pouvons tout simplement pas prendre le risque d’aller encore dans la mauvaise direction en ce qui concerne la judiciarisation et l’incarcération massive des personnes noires et autochtones et particulièrement des femmes de ces communautés.

Il nous incombe de nous opposer aux projets de loi motivés par des raisons politiques qui ne reposent sur aucun fondement probant. Nous devons continuer de réclamer des changements au système de mise en liberté sous caution pour protéger le public, et surtout les victimes de violence entre partenaires intimes.

Le projet de loi C-48 n’améliorera pas notre sécurité. En fait, il pourrait avoir l’effet contraire. Honorables collègues, nous avons le devoir d’exposer la vérité quand elle nous crève les yeux. Nous avons l’obligation de ne pas gaspiller l’argent des contribuables sur d’autres projets de loi symboliques. À mon humble avis, nous ne devrions même pas adopter cette mesure législative.

Meegwetch. Merci.

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