Le Sénat
Motion tendant à demander au gouvernement d'accélérer la mise en œuvre des solutions numériques qui transforment l’expérience des Canadiens en matière de prestation des services publics--Suite du débat
12 décembre 2023
Honorables sénateurs, je devrais peut‑être prendre exemple sur le sénateur Dennis Patterson, mais je sens beaucoup d’excitation dans la salle.
J’interviens en appui à la motion no 107. Je vous remercie, sénateur Colin Deacon, de demander au gouvernement du Canada de remplacer ses systèmes de prestation de programmes et de technologie de l’information désuets en accélérant, de toute urgence, la mise en œuvre de solutions numériques axées sur les usagers qui transforment l’expérience des Canadiens en matière de prestation des services publics, dans le but de réduire les délais administratifs et les coûts de prestation des programmes.
Dans bien des cas, la prestation des programmes gouvernementaux est lente, difficile et coûteuse, en plus d’imposer un lourd fardeau administratif aux participants. Parmi les systèmes où ces défauts sont bien en évidence, mentionnons ceux qui servent à la production des déclarations de revenus et à la suspension du casier judiciaire. Bien que le système de production des déclarations de revenus ait été le seul à avoir été en mesure d’offrir des mesures de soutien du revenu pendant la pandémie, il a besoin d’être amélioré. En effet, les contribuables sont encore obligés de soumettre une déclaration de revenus annuelle qui est ensuite vérifiée par l’Agence du revenu du Canada, l’ARC, alors que beaucoup de pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, ont adopté une déclaration de revenus automatisée. Le second système, celui qu’on utilise pour la suspension du casier judiciaire, comporte quatre volets ayant chacun leurs propres systèmes bureaucratiques. De plus, les gens qui souhaitent obtenir une suspension de leur casier doivent obtenir les documents pertinents auprès de sources policières ou de tribunaux, payer des frais et soumettre des demandes complexes.
Comme ces deux systèmes requièrent des efforts considérables de la part des utilisateurs, leur inefficacité désavantage particulièrement les personnes les plus marginalisées.
Ces dernières années, le gouvernement a pris certaines mesures pour moderniser les services et accroître leur accessibilité, notamment en créant Service numérique canadien et en mettant en œuvre l’Ambition numérique du Canada. Toutefois, dans son rapport publié en réponse à la motion, le directeur parlementaire du budget souligne que le gouvernement a encore bien du chemin à parcourir avant d’atteindre ses objectifs en matière de prestation de services numériques. Malgré les efforts admirables déployés par le gouvernement pour améliorer la sécurité, la fiabilité et la confidentialité de ses services, le directeur parlementaire du budget a constaté un manque d’uniformité dans l’accès aux services et leur convivialité.
Le gouvernement n’a pas non plus fait un suivi des économies réalisées grâce au passage au numérique. Comme il n’existe pas de guichet central de renseignements sur les montants totaux dépensés ou économisés par le gouvernement dans le cadre de ces initiatives, le directeur parlementaire du budget n’a pas pu comparer les économies escomptées à ce qui a été effectivement réalisé. Le directeur parlementaire du budget souligne également qu’il n’est pas certain que le financement prévu pour les initiatives de transformation et de services numériques — un total de 1 milliard de dollars sur sept ans — sera suffisant pour atteindre les objectifs du gouvernement.
Ces conclusions mettent en évidence un manque de transparence et de responsabilité de la part du gouvernement.
Nous devrions tous demander à quoi servent les fonds et avec quelle efficacité ils sont utilisés. L’objectif du financement est de moderniser les systèmes obsolètes qui ne parviennent pas à répondre aux besoins du public. Le financement ne doit pas être utilisé pour la maintenance des systèmes existants.
L’actuel système de déclaration de revenus du Canada est un bon exemple.
Le chapitre 9 du budget de 2022 portait sur l’équité fiscale et le gouvernement efficace. L’équité fiscale exige que les plus marginalisés puissent avoir accès aux avantages fiscaux qui leur sont destinés. Chaque année, jusqu’à 12 % des Canadiens ne produisent pas de déclaration de revenus. La plupart de ces personnes sont des gens à faible revenu qui, en produisant une déclaration de revenus, pourraient bénéficier de remboursements du gouvernement et de programmes comme l’Allocation canadienne pour enfants et le Supplément de revenu garanti. Par exemple, en 2015 seulement, les personnes en âge de travailler qui n’ont pas produit leur déclaration de revenus ont perdu 1,7 milliard de dollars en prestations.
La lourdeur administrative du système de déclaration de revenus réduit l’efficacité des dépenses fiscales qui sont expressément conçues pour lutter contre la pauvreté. À quel point pourrait-on rendre ce système plus efficace si l’Agence du revenu du Canada produisait les déclarations de revenus de ces personnes?
Dans le budget de cette année, le gouvernement a annoncé qu’il aiderait des millions de Canadiens à faible revenu à produire leur déclaration de revenus en augmentant le nombre de Canadiens admissibles au service téléphonique Produire ma déclaration pour le porter à 2 millions d’ici 2025. Le gouvernement a également promis de demander à l’Agence du revenu du Canada de mener un projet pilote sur un nouveau service automatisé de production de déclarations de revenus.
L’introduction de la production automatisée des déclarations de revenus est une étape cruciale dans la promotion de l’équité fiscale. La production automatisée des déclarations de revenus est un processus par lequel le fisc remplit une déclaration de revenus pour un particulier à l’aide des renseignements à son dossier, puis lui fournit la déclaration pour qu’il la mette à jour ou la corrige. L’évaluation de l’incidence de cette mesure par le gouvernement a montré que les personnes célibataires et sans enfant en bénéficieront particulièrement. Ces personnes ont actuellement un taux de déclaration de revenus inférieur à celui des personnes ayant des enfants; elles ont généralement des revenus plus faibles; et elles représentent la grande majorité des bénéficiaires de l’aide au revenu provinciale et territoriale.
Les experts en équité fiscale réclament depuis longtemps la mise en œuvre de cette mesure. Le système actuel, dans lequel les particuliers compilent et soumettent leurs déclarations à l’Agence du revenu du Canada pour vérification, est à la fois obsolète et inefficace, et il oblige les personnes marginalisées à supporter une lourde charge administrative. De nombreux pays se sont débarrassés de ce système et ils ont opté pour des formes automatisées de déclaration de revenus. C’est le cas de la Slovénie, de la Norvège, du Danemark, de la Finlande, du Chili, du Portugal, de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie.
Puisque le gouvernement se fie actuellement à l’Agence du revenu du Canada pour verser aux particuliers des prestations fondées sur le revenu en fonction des renseignements contenus dans la déclaration de revenus, l’absence de production automatisée empêche les Canadiens de recevoir les prestations essentielles auxquelles ils ont droit. Aller de l’avant avec la production automatisée est une étape cruciale vers la modernisation de la prestation des services publics, qui correspond aux objectifs de la motion no 107. Cette étape pourrait également permettre une utilisation plus rationalisée et efficace des fonds publics dans les mesures d’aide au revenu, ce qui favoriserait la réduction de la pauvreté et les efforts de redistribution des revenus.
Honorables sénateurs, comme vous l’aurez sans doute remarqué, j’aimerais vraiment voir le Canada instaurer un régime national de revenu de base garanti suffisant. La motion no 107 vise l’établissement de systèmes qui faciliteraient la prestation du genre de régime envisagé dans le projet de loi S-233, lequel obligerait le gouvernement à examiner les options et à créer un cadre en prévision de la mise en œuvre d’un revenu de base garanti suffisant.
Donc manifestement, j’appuie cela.
L’autre système qui a besoin d’être modernisé et dont j’aimerais discuter est celui des casiers judiciaires. En 2018, les membres du Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes ont mis de côté les lignes de parti et demandé à l’unanimité l’examen d’un système d’expiration automatisée des casiers judiciaires. À l’heure actuelle, nous attendons toujours un tel système, le premier du genre au Canada, qui ne vise que les casiers liés à la possession de drogue, devant entrer en vigueur d’ici novembre 2024.
La Commission des libérations conditionnelles du Canada a déclaré sans équivoque que l’obstacle à la mise en œuvre est de nature technologique. En 1995, il en coûtait 50 $ pour demander l’effacement du casier judiciaire. Ce tarif est passé à 150 $ en 2010, à 630 $ en 2012 et a atteint les 657,77 $ en 2021. Même s’il a été ramené à 50 $ à compter du 1er janvier 2022, la complexité du processus de demande et les frais cachés font que, pour beaucoup trop de gens, la suspension du casier demeure inaccessible.
Selon les consultations menées par la Commission des libérations conditionnelles du Canada, 63 % des personnes interrogées estiment que le processus actuel de demande de suspension de casier entrave l’accès au programme. Nombre d’entre elles ont déclaré qu’il s’agissait d’une punition supplémentaire pour des personnes qui ont déjà été tenues responsables de leurs actes. Dans ce cas, la punition prend la forme d’une discrimination en matière d’emploi, de logement, d’éducation et de bénévolat. Les personnes qui ont purgé leur peine ont souvent du mal à vivre à nouveau dans la société, et encore plus à s’y intégrer, en raison des obstacles posés par les casiers judiciaires et les vérifications des antécédents judiciaires.
Le nombre de vérifications du casier judiciaire augmente d’environ 7 % par année, ce qui exacerbe les impacts négatifs subis par les personnes qui ont un casier judiciaire, en particulier les personnes racisées. Trois employeurs sur cinq à Toronto exigent maintenant une vérification des antécédents par la police pour tous leurs nouveaux employés.
Malgré les affirmations soutenant que l’existence d’un casier judiciaire améliore la sécurité publique, les données indiquent que, après quelques années sans avoir commis de crimes, la personne qui possède un casier judiciaire ne risque pas plus que le reste de la population d’être judiciarisée.
L’itinérance augmente le risque d’incarcération et l’incarcération augmente le risque d’itinérance, notamment en raison du stigmatisme que cause l’existence d’un casier judiciaire.
Le recours à des systèmes désuets en matière de suspension des casiers judiciaires perpétue les méfaits subis par les personnes visées et par leur collectivité et cela n’améliore pas la sécurité publique. L’inefficacité administrative nuit à la capacité des gens de trouver une vie meilleure. Au cas où vous l’ignoriez, des 3,8 millions de Canadiens détenant un casier judiciaire, 9 sur 10 n’ont pas de réhabilitation ni de suspension de casier judiciaire.
Qu’est-ce qui pourrait être fait pour alléger ce fardeau administratif et promouvoir l’équité dans le système de justice pénale?
La base de données du Centre d’information de la police canadienne de la GRC pourrait être utilisée comme système centralisé des dossiers pour assurer l’automatisation de l’expiration des casiers en éliminant le coût et le fardeau administratif associés au processus de demande actuel.
La mise en œuvre d’une expiration automatique des casiers judiciaires, sans avoir à en faire la demande, serait faisable sur le plan technologique au Canada. Des pays comme le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande ont tous mis en œuvre l’expiration automatique des casiers judiciaires.
Signalons que cette approche existe déjà au Canada pour la gestion des casiers criminels des jeunes contrevenants.
C’est la raison d’être du projet de loi S-212 qui, comme vous le savez également, n’a pas pu progresser depuis son adoption par le Comité des affaires juridiques. En attendant la troisième lecture et, espérons-le, l’adoption du projet de loi, je précise qu’il vise à mettre en place un système qui réduirait le racisme, l’inégalité et l’inaccessibilité du programme actuel de suspension du casier en éliminant les obstacles inutiles à la réadaptation et à l’intégration communautaire. Les changements apportés par le projet de loi S-212 allégeraient le fardeau des personnes qui doivent actuellement endosser le processus de demande coûteux et fastidieux. L’expiration du casier judiciaire ne devrait pas être un privilège accordé uniquement aux personnes les mieux nanties.
Il faut remanier le processus désuet de suspension de casier dans le cadre de la mission globale du gouvernement, qui cherche à moderniser les systèmes de prestation de services et à accélérer la mise en œuvre de solutions numériques conviviales. Ces objectifs sont compatibles avec ceux de la motion no 107. Comme le sénateur Deacon l’a clairement indiqué, pour réussir, il faut privilégier les pratiques exemplaires plutôt que les anciennes pratiques et permettre l’apport de changements législatifs, réglementaires et stratégiques afin de s’assurer que les services gouvernementaux répondent aux besoins des Canadiens. Il est important de remplacer des systèmes de prestation de programmes désuets non seulement pour accroître l’efficacité et réduire les coûts, mais aussi pour garantir aux citoyens un accès rapide aux ressources dont ils ont tant besoin.
Sur le plan de la prestation de services, le Canada accuse une décennie de retard par rapport à de nombreux autres pays. Par exemple, le Royaume-Uni a mis en place des services gouvernementaux numériques en 2011, la Nouvelle-Zélande a mis sur pied une équipe de transformation numérique en 2013, et les États-Unis ont lancé le Service numérique américain en 2014, dans le but d’améliorer l’efficacité et la convivialité de leurs services.
L’enquête sur l’E-gouvernement 2022 des Nations unies classe le Canada au 32e rang sur 33 pays pour ce qui est du développement des stratégies d’administration numérique. Bien que le classement du Canada n’ait pas toujours été aussi faible, celui-ci s’est considérablement dégradé au cours des dix dernières années. Au cours de la dernière décennie, d’importants progrès technologiques ont été réalisés et, comme l’ont souligné le sénateur Deacon, la vérificatrice générale et le directeur parlementaire du budget, sans oublier le gouvernement lui-même, comme en témoignent les objectifs qu’il s’est fixés dans le cadre du budget, le Canada doit agir dès maintenant pour rétablir sa crédibilité dans le domaine du numérique.
Plus le Canada prendra du retard, plus des gens continueront d’être laissés pour compte, notamment les membres des groupes les plus marginalisés. Il est grand temps que le Canada se joigne au mouvement mondial de mise à jour des systèmes de prestation de services désuets.
J’attends avec impatience de voir les résultats et les avantages indéniables de ces efforts, notamment en ce qui concerne la déclaration d’impôts électronique et la réforme des casiers judiciaires.
Sénateur Deacon, je vous remercie de votre leadership et, chers collègues, je vous remercie d’appuyer cette importante initiative. Meegwetch. Merci.