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La Loi sur le casier judiciaire

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat

21 mai 2024


Propose que le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement, tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur les territoires non cédés du peuple algonquin anishinaabe pour entamer la troisième lecture du projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement.

Cette mesure législative vise à éliminer des obstacles inutiles à l’intégration dans la communauté des personnes qui ont un casier judiciaire et qui ont été tenues responsables de leurs actes, qui ont purgé la totalité de leur peine et qui tentent de contribuer à la société.

Le projet de loi S-212 propose trois grandes mesures.

Premièrement, le projet de loi S-212 propose de rétablir les délais pour l’expiration du casier judiciaire qui étaient prévus dans la Loi sur le casier judiciaire lorsqu’elle a été adoptée initialement, soit un délai de deux ans pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et un délai de cinq ans pour les infractions punissables par mise en accusation. En ce moment, ces délais sont respectivement de 5 et 10 ans, et plusieurs types de condamnations ne sont jamais admissibles à l’expiration du casier judiciaire.

Deuxièmement, le projet de loi S-212 conférerait au gouvernement la responsabilité de veiller à ce que les casiers expirent sans frais à la fin des délais, à la condition qu’il n’y ait pas d’accusations ou de condamnations subséquentes. Les personnes n’auraient plus à naviguer dans des processus de demande coûteux et fastidieux qui, trop souvent, vont à l’encontre de l’objectif primordial de favoriser la sécurité publique au moyen d’une intégration communautaire réussie.

Troisièmement, le projet de loi S-212 prévoit l’expiration du casier judiciaire, plutôt que sa suspension. Comme pour les suspensions de casier, les personnes ne seraient pas tenues de communiquer l’existence de casiers expirés, ce qui devrait limiter la prolifération des vérifications de casier pour les demandes de logement, d’éducation, d’emploi, de bénévolat et même de placement dans des établissements de soins de longue durée.

Sauf dans le cas de condamnations pour agression sexuelle, l’expiration du casier serait permanente, et les personnes n’auraient pas à craindre sa révocation ou son annulation.

Toutefois, les casiers expirés demeureraient accessibles dans les bases de données policières à des fins d’enquête légitimes.

Le projet de loi S-212 maintiendrait également le système actuel de vérification dans les secteurs vulnérables, de sorte que les casiers expirés liés à des agressions sexuelles continueraient à figurer dans les vérifications spéciales des casiers exigées lorsque des personnes demandent à travailler ou à faire du bénévolat auprès d’enfants, de personnes âgées ou d’autres personnes jugées vulnérables.

Chers collègues, au cours de la discussion sur le projet de loi S-212 aujourd’hui, vous entendrez parler des quatre thèmes suivants.

Premièrement, l’expiration des relevés automatisés n’est pas une idée nouvelle. Le gouvernement actuel a passé près d’une décennie à l’envisager et à s’en rapprocher progressivement.

Deuxièmement, l’engagement du gouvernement à réformer le système des casiers judiciaires doit être considéré comme un élément crucial du travail du Canada pour corriger les séquelles laissées par son héritage colonial, car les casiers judiciaires ont systématiquement prolongé et renforcé l’inégalité et les injustices engendrées par l’incarcération massive des Noirs et des Autochtones.

Troisièmement, l’expiration du casier judiciaire est faisable et pratique. Le Canada a un régime d’expiration automatique du casier judiciaire pour les jeunes contrevenants et, avant la fin de cette année, mettra en œuvre l’expiration automatique des casiers judiciaires liés à d’anciennes infractions de possession de drogue. Nous avons l’infrastructure nécessaire pour faire du projet de loi S-212 une réalité.

Quatrièmement, comme le soulignent les amendements apportés à ce projet de loi par le comité en réponse aux préoccupations soulevées par les représentants de certains services de police, l’expiration du casier judiciaire et la sécurité publique vont de pair. Tout le monde bénéficie lorsque les gens réussissent à s’intégrer de manière sûre dans la communauté.

Notre travail collectif à l’égard du projet de loi S-212 s’appuie sur près d’une décennie d’initiatives du gouvernement visant à réformer les casiers judiciaires. À la 42e législature, le gouvernement a publié les résultats de deux consultations publiques sur le régime actuel de suspension du casier judiciaire, l’une menée par la Commission des libérations conditionnelles du Canada en 2016, l’autre par le ministère de la Sécurité publique en 2017.

En 2018, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de l’autre endroit a publié un rapport sur la suspension du casier judiciaire qui contenait des recommandations que tous les partis ont appuyées. Les conclusions de toutes ces études que les frais sont prohibitifs, les délais d’attente sont trop longs et il faut examiner les options d’expiration automatique sans demande.

Deux projets de loi du gouvernement reconnaissent également l’injustice et l’inaccessibilité du régime actuel de suspension du casier judiciaire. Le projet de loi C-66 présentait un processus simplifié et sans frais de demande d’expiration de tout casier judiciaire attribuable à la criminalisation discriminatoire des membres des communautés 2ELGBTQIA+.

Après la décriminalisation de la possession de cannabis, le projet de loi C-93 avait prévu un processus similaire pour les personnes ayant déjà été condamnées pour possession de cannabis, d’autant plus que les politiques de type « guerre contre la drogue » ont ciblé et criminalisé de manière disproportionnée les Noirs et les Autochtones.

Ces projets de loi ont été jugés nécessaires précisément parce que le système de suspension du casier judiciaire actuel est à la fois déconnecté de la réalité et insensible. Des dizaines de milliers de personnes ont vécu pendant des années avec la stigmatisation et les obstacles qui viennent avec un casier judiciaire, même si leurs condamnations discriminatoires et désormais décriminalisées n’avaient pas leur raison d’être. Leurs comportements n’ont jamais présenté de risque pour la sécurité publique, mais le système canadien des casiers judiciaires a continué à les marginaliser et s’est révélé incapable de leur apporter une aide efficace.

Combien de personnes sont actuellement incapables de trouver un emploi ou un logement sûr ou de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille à cause d’un casier judiciaire qui n’a rien à voir avec un risque pour la sécurité publique, mais tout à voir avec un accès inégal aux ressources financières et juridiques requises pour obtenir la suspension de ce casier judiciaire, sans parler d’éviter les circonstances qui les rendent vulnérables à la criminalisation dès le départ?

L’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry a déclaré ce qui suit au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles :

Par exemple, une personne de notre réseau a fini de purger sa peine il y a quelques années. Elle a trouvé un emploi dans la prestation d’un service de première ligne qui aide les autres membres de son milieu. Elle a récemment appris qu’elle devait quitter son appartement. Cependant, elle n’a pas pu trouver un nouveau logement sécuritaire en raison de la vérification du casier judiciaire lors de ses demandes de logement. Elle nous a confié craindre de devoir travailler pendant qu’elle vit dans son véhicule.

La Coalition Nouveau Départ, un regroupement de plus de 85 organisations de la société civile œuvrant auprès de personnes judiciarisées, a communiqué avec beaucoup d’entre nous pour plaider en faveur d’un régime où le casier judiciaire d’une personne est automatiquement effacé, à l’instar de ce qui est proposé dans le projet de loi S-212. La coalition amplifie la voix et l’expérience vécue de gens tels que Kimberly, dont le casier judiciaire résulte de trois décennies de violence physique et d’exploitation sexuelle. Kimberly a réussi à échapper à un partenaire violent, mais demeure piégée dans des emplois précaires peu rémunérés. Une fois, elle a trouvé un bon emploi, mais elle a fait partie, quelques semaines plus tard, du congédiement de masse de tous les employés récemment embauchés qui avaient un casier judiciaire. Elle a tenté de se recycler, suivant des cours en ligne le soir tout en travaillant à plein temps le jour, pour apprendre après un an qu’elle ne pouvait pas passer son examen d’accès à la profession en raison de son casier judiciaire. Je cite Kimberly :

Aussitôt, ou presque, qu’il est question de mon casier judiciaire par rapport à un emploi [...] je sais que je dois raconter ma vie personnelle encore une fois. Je suis obligée de parler de ces choses que j’ai travaillé si fort à surmonter sur les plans social, mental et physique. Chaque fois, c’est à recommencer.

Tout le monde dit: « Tu sais, tout le monde a un squelette dans le placard. » Moi, je traîne le mien juste derrière moi, comme un boulet. Il me suit partout où je vais, à longueur de journée.

Qui bénéficie d’un tel système? À qui assure-t-il la sécurité? Si les deux mesures législatives présentées par le gouvernement pour améliorer l’accès à la suspension du casier judiciaire pour certains types de condamnations sont louables, elles sont aussi beaucoup trop limitées. En mai 2024, plus de quatre ans et demi après l’instauration des pardons accélérés relatifs au cannabis, seulement 1 331 personnes avaient demandé la suspension de leur casier judiciaire, ce qui représente tout au plus 10 % des 10 000 personnes qui devaient bénéficier du projet de loi selon les estimations du gouvernement. En soi, cela ne représente qu’une petite fraction des gens ayant un casier judiciaire pour possession de cannabis.

Parmi ces 1 331 demandeurs, 476 ont vu leur demande rejetée pour des raisons techniques. Autrement dit, plus d’une personne sur trois ayant présenté une demande de suspension de son casier judiciaire pour possession de cannabis a essuyé un refus parce que même un processus de demande gratuit conçu pour être aussi simple et efficace que possible s’est avéré trop complexe.

On dit parfois à tort que la suspension du casier judiciaire équivaut à excuser des actes criminels ou à faire fi de la sécurité publique. C’est faux dans les deux cas. Autoriser l’expiration d’un casier judiciaire après un certain laps de temps pendant lequel une personne n’a commis aucun crime augmente ses chances d’intégration dans la collectivité, ce qui contribue à la sécurité publique.

En effet, au comité, l’Association canadienne des chefs de police et de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels faisait partie des témoins qui appuyaient le projet de loi S-212 pour ces motifs. Leur position fait écho à de nombreuses données et preuves empiriques démontrant que le fait d’obliger les gens à remplir une demande pour obtenir la suspension de leur casier judiciaire n’améliore pas les résultats en matière de sécurité publique. Les meilleurs indicateurs d’une intégration réussie dans la collectivité sont plutôt l’accès à un emploi et la capacité de vivre quelques années sans nouvelle accusation ou déclaration de culpabilité.

Des recherches et des données gouvernementales ont révélé qu’après un nombre relativement faible d’années sans criminalité, les personnes ayant un casier judiciaire ne sont pas plus susceptibles que quiconque de commettre un crime. Cela signifie que nous pouvons soutenir la sécurité publique et l’intégration communautaire des personnes ayant un casier judiciaire en éliminant les obstacles à l’expiration du casier judiciaire et, en particulier, aux possibilités d’emploi et à d’autres liens significatifs.

Si nous voulons un système juste, qui respecte ses promesses de rendre les collectivités plus sûres et qui ne fait pas de discrimination contre les pauvres, les personnes racialisées et les personnes les plus marginalisées, l’expérience canadienne nous dit — comme l’ont fait de nombreux témoins au comité — que nous devons éliminer les lourdeurs du processus de demande actuel. Nous devons encourager le gouvernement à mettre en œuvre le projet de loi S-212.

En 2021, au cours de la 43e législature, le gouvernement a présenté le projet de loi C-31, mais il n’a pas été adopté avant la prorogation. Ce projet de loi proposait d’éliminer quelques-unes des nombreuses exigences pour les demandes présentées dans le cadre de ce régime, d’accorder le pardon pour certaines condamnations actuellement inadmissibles à une suspension du casier judiciaire et de réduire le délai à cinq ans dans le cas des condamnations pour une infraction punissable par mise en accusation et à trois ans dans le cas des condamnations pour une infraction punissable par procédure sommaire.

Ensuite, en 2022, au cours de la 44e législature, le gouvernement a réduit les frais de demande, qui s’élevaient à plus de 658 $, pour les porter à 50 $. C’était un progrès important, mais cela n’a pas éliminé les obstacles liés aux coûts. La somme de 50 $ peut sembler modeste, mais pour les plus marginalisés, ce prix à payer pour la suspension de leur casier judiciaire peut être suffisamment important pour qu’ils n’aient pas les moyens de manger à leur faim, d’avoir un endroit sûr où se loger, de se procurer un manteau ou des bottes ou de répondre aux besoins fondamentaux de leurs enfants, y compris en ce qui a trait à la sécurité alimentaire. Même si les frais de demande sont maintenant plafonnés à 50 $, d’autres étapes du processus de demande entraînent des coûts qui peuvent rapidement atteindre des centaines de dollars, voire des milliers, que ce soit pour des vérifications policières, la prise des empreintes digitales, les déplacements pour récupérer les dossiers ou la consultation d’un avocat ou, trop souvent, d’une entreprise qui arnaque les gens en exigeant des frais déraisonnables et en ne faisant pas grand-chose pour les aider à faire suspendre leur casier judiciaire.

Comme la Société Saint-Léonard du Canada nous l’a dit en comité, en plus de ces coûts cachés, il y a des gens « [...] qui sont passés par les premières étapes de la demande et ont été bloqués par des amendes en souffrance [en lien avec leur peine] qu’ils n’avaient pas les moyens de payer. Ils ont renoncé. »

En supprimant l’obligation de présenter une demande, le projet de loi S-212 éliminerait les coûts cachés et trop souvent punitifs et prohibitifs. L’inscription de ce processus dans la loi pourrait faire en sorte que si un gouvernement souhaite créer des frais supplémentaires ou augmenter les coûts à l’avenir, il devra présenter cette mesure dans un projet de loi aux fins d’un débat transparent au Parlement au lieu de pouvoir prendre de telles mesures à huis clos.

Ensuite, en août 2022, le gouvernement a publié les résultats de nouvelles consultations publiques axées sur l’expiration automatisée des casiers judiciaires. Il a indiqué que presque tous les participants « […] appuient fermement la mise en place d’un système automatisé ».

À l’automne 2022, le gouvernement a inclus une forme d’expiration automatisée dans le projet de loi C-5. Je n’ai pas besoin de rappeler à mes collègues que la majorité du Sénat, soit près des trois quarts, a voté en faveur de cette mesure. En vertu du projet de loi C-5, d’ici novembre 2024, tous les casiers judiciaires pour possession simple de drogues expireront automatiquement deux ans après la fin de la peine du contrevenant.

Au cours du débat sur le projet de loi C-5, le représentant du gouvernement au Sénat a expliqué pourquoi cette mesure était particulièrement importante dans un projet de loi visant à lutter contre la discrimination systémique à l’égard des Noirs et des Autochtones dans le système de justice pénale. Il a dit ce qui suit :

Lorsqu’un individu est reconnu coupable de simple possession de drogue, ses condamnations passées et futures doivent être conservées séparément des autres condamnations pénales deux ans après la fin de sa peine, c’est-à-dire que son casier judiciaire sera suspendu. Il ne sera pas nécessaire de soumettre une demande ou de payer les frais.

Il a ajouté :

Cela permettra aux individus ayant été condamnés pour possession de drogue de continuer à vivre leur vie, que ce soit en faisant des études, en profitant de perspectives d’emplois ou en s’engageant au sein de leur communauté, sans être freinés par un dossier lié à une condamnation antérieure pour possession simple.

Par le truchement de cet ajout, le projet de loi fournit ainsi un mécanisme permettant de réduire la stigmatisation associée aux condamnations pour simple possession de drogue.

Chers collègues, le fardeau d’un casier judiciaire pèse de manière disproportionnée sur les communautés autochtone, noire et racisée, et il amplifie et exacerbe des strates de racisme systémique dans le système de justice pénale, du profilage racial à la surveillance excessive en passant par l’incarcération de masse. Aujourd’hui, les Afro-Canadiens représentent 3 % de la population, mais 9 % des personnes incarcérées dans les prisons fédérales. Les Autochtones représentent 5 % de la population générale, mais 32 % de la population carcérale fédérale. Plus de la moitié des détenues dans les prisons fédérales sont maintenant des Autochtones.

Il est facile de parler de la nécessité de la réconciliation. Beaucoup ont déjà tracé le parallèle entre l’incarcération de masse et un trop grand nombre d’autres usages racistes comme l’institutionnalisation ou le déracinement, des pensionnats jusqu’à la prise en charge de force par le système d’aide à l’enfance. Il est évident que nous devons faire mieux, mais qu’est-ce que cela signifie quand les personnes que nous rencontrons dans les prisons sont encore en grande majorité des Noirs et des Autochtones, d’autant plus que même après avoir purgé leur peine, ces personnes n’arrivent pas à obtenir une deuxième chance d’apporter leur contribution à leur famille et à la société parce que l’existence d’un casier judiciaire constitue une sanction perpétuelle?

La voie vers la réconciliation est longue pour le Canada et elle nous oblige à composer avec les injustices du système de justice pénale et le fait que la détermination d’une peine criminelle est un exercice à géométrie variable. Le projet de loi S-212 est un petit pas dans la bonne direction. Ce n’est pas le fruit du hasard si, au Sénat comme ailleurs, les personnes qui nous exhortent à faire bouger les choses sont souvent celles qui travaillent auprès des communautés racisées ou qui défendent leurs droits, car c’est de là que sont issus les gens qui ont le plus de problèmes à cause de leurs antécédents criminels et qui ont le moins les moyens de mener à bon terme une procédure de suspension de casier judiciaire dans le système actuel. Il suffit de porter attention aux habitudes de vote dans cette enceinte. En tant que femme blanche, il y a une vérité fondamentale que je ne peux pas m’empêcher de souligner : ce sont surtout nos collègues noirs et autochtones qui reconnaissent l’importance vitale des mesures législatives comme ce projet de loi et qui votent en conséquence. Je demande à tous les sénateurs de passer à la vitesse supérieure.

En raison du projet de loi C-5, le gouvernement est actuellement tenu de créer un régime d’expiration automatique du casier judiciaire pour certains types d’infractions, l’infrastructure même nécessaire pour que le projet de loi S-212 devienne une réalité facile à mettre en œuvre et rentable pour la plupart — et pas seulement quelques-unes — des personnes qui ont besoin d’être libérées immédiatement de leur casier judiciaire et qui le méritent. Alors, qu’attendons-nous?

Des 3,8 millions de Canadiens détenant un casier judiciaire, neuf sur 10 n’ont pas de pardon ou de suspension de leur casier. La Commission des libérations conditionnelles du Canada a dit au comité :

Pour l’exercice 2022-2023, nous sommes en voie d’avoir reçu près de 15 500 demandes de suspension du casier, ce qui représentera une [...] augmentation de 29 %.

Ce nombre représente seulement 0,4 % des Canadiens ayant un casier judiciaire. À ce rythme, il faudrait 221 ans pour traiter tous les casiers judiciaires qui existent à l’heure actuelle.

Entretemps, chaque personne dont le casier judiciaire n’est pas suspendu voit les conséquences de sa condamnation se prolonger indéfiniment au-delà de sa peine et ses efforts pour s’intégrer et contribuer concrètement à la vie de sa collectivité être entravés.

Le gouvernement reconnaît que le système des casiers judiciaires est injuste et indéfendable. Il verse 18 millions de dollars à des groupes communautaires pour aider leur clientèle à s’y retrouver dans le processus complexe de demande de suspension de casier.

Le gouvernement fait également des progrès graduels vers un système automatisé d’expiration des casiers judiciaires. Cependant, ce sont les gens qui ont un casier judiciaire qui peuvent le moins se permettre d’attendre longtemps d’obtenir un répit. Tony Paisana, de l’Association du Barreau canadien, a déclaré ceci au Comité des affaires juridiques :

[...] nous consacrons des efforts au problème depuis assez longtemps pour penser qu’un changement plus révolutionnaire soit nécessaire. Le système de suspension du casier ou de réhabilitation fait l’objet de nombreux débats depuis près de 25 ans, et nous ne semblons pas l’améliorer d’une manière appréciable aux yeux des Canadiens.

Les obstacles financiers introduits il y a une dizaine d’années ont en fait constitué un pas en arrière plutôt qu’un pas en avant, et nous sommes aujourd’hui pratiquement revenus au point où nous en étions il y a 10 ans en ce qui concerne les obstacles financiers. Le processus lui-même est inchangé. Les problèmes demeurent les mêmes.

À mon humble avis, le moment est venu de procéder à un changement plus important, compte tenu des difficultés que cause le problème depuis près de trois décennies.

L’expiration automatisée des casiers judiciaires n’a rien de nouveau. Elle fait partie du système de gestion de dossiers de pays comme le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne et la Nouvelle‑Zélande. Au Canada, cela fait presque 20 ans que l’expiration automatisée des dossiers est utilisée dans le cadre de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada et auparavant avocate chargée de l’élaboration de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents au ministère de la Justice, a témoigné devant le comité. Questionnée au sujet du système de dossiers de cette loi et de la manière dont il est devenu le premier système au Canada à intégrer les données provenant des systèmes fédéral et provinciaux d’une manière suffisamment harmonieuse pour permettre l’expiration automatisée des casiers judiciaires, elle a répondu ceci :

Nous avons eu de nombreuses et longues discussions avec des gardiens de casiers judiciaires dans les provinces [...] avec la police, des administrateurs de tribunaux, etc. Nous avons aplani les difficultés et trouvé une solution efficace. Franchement, personne, vraiment, ne s’est plaint du système de gestion des dossiers sous le régime de cette loi qui est en vigueur depuis maintenant 20 ans. Le ministre [de la Sécurité publique] et d’autres pourraient examiner ce précédent peut-être correct pour obtenir l’accord des provinces. Ce devrait être assez facile.

Grâce à l’obligation du gouvernement prévue dans le projet de loi C-5, les rouages d’un système automatisé d’expiration des casiers judiciaires sont déjà en marche. Le projet de loi S-212 constitue la prochaine étape progressiste pour remédier à l’injustice et à l’inégalité dans le système des casiers judiciaires. Il s’appuie sur des décennies de preuves et de réflexion approfondies et répond à la recommandation 69 du rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, intitulé Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral, que la Chambre a appuyé non pas une, mais deux fois.

Grâce aux amendements apportés par le Comité des affaires juridiques, le projet de loi S-212 répond également aux préoccupations soulevées par certains collègues et témoins représentant les services de police. Le projet de loi S-212 fait de l’effacement du casier judiciaire la norme plutôt que l’exception prévue dans le système actuel de suspension du casier. L’Association canadienne des chefs de police et la Police provinciale de l’Ontario, en particulier, ont soulevé des préoccupations quant à la perte d’un accès rapide à des données centralisées sur les antécédents judiciaires sur lesquelles elles se fient actuellement pour leurs enquêtes si des dossiers étaient éliminés de la base de données du Centre d’information de la police canadienne à leur expiration. Le comité a réagi en acceptant mon amendement visant à créer une exception qui permettrait à la police de continuer d’avoir accès à des dossiers expirés, à des fins limitées d’enquête.

Inspiré du système actuel de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, cet amendement signifie que les casiers expirés seront conservés à part des autres casiers dans la base de données du Centre d’information de la police canadienne, comme c’est actuellement le cas pour les dossiers visés par une réhabilitation et les casiers suspendus. La police aurait un nouveau pouvoir qui lui permettrait d’accéder à ces casiers expirés sans formuler la demande individualisée d’approbation ministérielle qui est actuellement requise, à condition que cet accès soit à des fins d’enquête légitimes.

Par ailleurs, le projet de loi S-212 garantit que les individus ne sont pas obligés de divulguer le fait qu’ils ont un casier judiciaire expiré et maintient fermement les mesures de protection du projet de loi qui empêchent que des casiers judiciaires expirés soient inclus dans des vérifications de dossiers à des fins civiles non policières, y compris les demandes pour un logement, un emploi ou un poste bénévole et, à l’exception de cas très limités, celles liées à des vérifications des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables.

Le projet de loi S-212 maintiendrait le processus actuel de vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables, de sorte que les dossiers expirés concernant spécifiquement les infractions qui figurent à l’annexe 1 ou à l’annexe 2, qui concernent la violence faite aux enfants et les agressions sexuelles. Ces infractions seraient encore incluses dans les vérifications des antécédents que les gens peuvent devoir compléter lorsqu’ils postulent, par exemple, à un emploi ou à un poste de bénévole auprès de personnes considérées comme vulnérables, que ce soit en raison de leur âge, de leurs capacités ou de leur situation.

Les amendements du Comité des affaires juridiques répondent aux préoccupations concernant le maintien de la sécurité publique, puisqu’ils garantissent que la police continuera d’avoir accès aux outils d’enquête qu’elle a l’habitude d’utiliser. Les amendements reconnaissent toutefois qu’il serait mauvais pour les objectifs de sécurité publique que la police utilise les casiers expirés non pas pour des motifs d’enquête légitimes, mais dans le cadre de pratiques discriminatoires, ou que des personnes soient marginalisées, stigmatisées et isolées parce qu’elles ne peuvent pas avoir accès à un allégement significatif de leur dossier.

Cela m’amène à parler, chers collègues, de ce que nous risquons de perdre si nous n’adoptons pas le projet de loi S-212. Pendant les travaux du comité, les témoins ont souvent souligné que les personnes qui ont dû répondre de leurs actes et ont purgé leur peine ont besoin d’un emploi, d’un logement et de possibilités de formation et de bénévolat. Leur casier judiciaire nuit à leur intégration et à leur capacité d’apporter une contribution positive à leur famille et à leur collectivité. Des témoins ont souligné que ce projet de loi était vital pour la sécurité, la santé et le bien-être de ces personnes, de leur famille et de leur communauté.

Pendant son témoignage, Rachel Fayter a utilisé sa propre expérience pour illustrer ce point. Mme Fayter est actuellement doctorante en criminologie. Elle a 10 ans d’expérience en travail social et une maîtrise en psychologie. Voici ce qu’elle a dit :

[...] Malgré ces atouts, je n’ai pas pu trouver de travail dans mon domaine, après avoir envoyé plus de 100 curriculum vitæ et m’être prêtée à des dizaines d’entrevues. Après plusieurs mois, j’ai été obligée de prendre deux emplois à temps partiel au salaire minimum, le premier pour vendre des burritos le jour et le second pour remplir les tablettes d’une épicerie la nuit.

[...] j’ai eu une difficulté extrême à me trouver un appartement, et j’ai dû demander à mes professeurs des lettres de recommandation pour m’aider à obtenir un logement.

Mme Fayter a dit au comité :

Le système actuel et le fait d’avoir un casier judiciaire [...] favorisent la stigmatisation et la discrimination et excluent les gens de la société. Des gens sont dans la rue parce qu’ils ne peuvent pas trouver de logement. Ils sont frustrés parce qu’ils n’ont pas accès à l’éducation. Ils ne sont pas en mesure d’obtenir un emploi régulier et intéressant. Je connais de nombreuses personnes qui ont été forcées de se prostituer, ou de faire du strip-tease.

Chers collègues, Mme Fayter et bien d’autres personnes ont beaucoup à offrir à la collectivité. Les personnes qui n’ont pas accès à la suspension de leur casier judiciaire portent le fardeau d’un système injuste et inaccessible qui empêche les gens de reprendre leur vie en main et ne rend pas nos collectivités plus sûres. J’ai servi de référence à beaucoup trop de personnes qui se voient refuser l’accès non seulement à l’emploi ou au bénévolat, mais aussi à l’éducation, au logement, à des soins de santé mentale et même à des soins aux personnes âgées en raison de leur casier judiciaire.

Ce sont les personnes les plus marginalisées, c’est-à-dire les Autochtones, les Noirs et autres personnes racisées, les personnes ayant des problèmes de santé mentale invalidants et les personnes démunies, qui sont les moins à même de bénéficier d’une suspension du casier judiciaire. Les inégalités systémiques signifient que ces groupes sont déjà susceptibles d’être judiciarisés et désavantagés de manière disproportionnée, tant avant qu’après l’établissement d’un casier judiciaire. La plupart des Canadiens à faible ou à moyen revenu ont du mal à accéder aux services de soutien, notamment pour trouver un logement et un emploi. Les casiers judiciaires ne font pas qu’ajouter une nouvelle couche de discrimination, ils multiplient les obstacles.

Le projet de loi S-212 ne résoudra pas à lui seul tous les problèmes actuels liés au système de casiers judiciaires. Il s’agit toutefois d’une véritable bouée de sauvetage qui appuie l’intégration des gens qui ont purgé leur peine et qui ont travaillé fort pour tourner la page sur la criminalité.

Honorables sénateurs, au cas où ce ne serait pas parfaitement clair, permettez-moi de dire les choses simplement. D’abondantes données probantes indiquent que, sans un système d’expiration des casiers judiciaires au Canada, nous faisons de la discrimination à l’endroit des personnes les plus marginalisées. Le gouvernement est de plus en plus conscient de cette réalité. Il mène des consultations publiques et il prend des mesures en vue d’une certaine automatisation de l’expiration des casiers. Néanmoins, les personnes qui ont des besoins criants doivent être soutenues. Alors qu’elles cherchent à réintégrer la société, à s’y réinsérer, à assurer leur sécurité et leur santé ainsi qu’à prendre soin de leur famille, elles ne peuvent pas se permettre d’attendre. Travaillons ensemble à revoir le système des casiers judiciaires au Canada en y apportant des modifications qui sont fondées sur des données probantes et qui sont attendues depuis longtemps. J’espère pouvoir compter sur votre soutien alors que nous nous efforçons de faire des progrès dans ce dossier et bien d’autres domaines interreliés. Meegwetch, merci.

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