La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition
Recours au Règlement--Report de la décision de la présidence
24 octobre 2024
J’invoque le Règlement au sujet du projet de loi S-230. J’estime que la règle prévue à l’article 10-7 du Règlement a été passée sous silence durant les travaux du Sénat sur ce projet de loi. Le projet de loi S-230 ne peut pas être étudié au Sénat, puisqu’il porte une affectation de fonds publics précisément à ses articles 4, 5 et 11 et qu’il nécessite donc une recommandation royale. Un tel projet de loi ne peut provenir d’une initiative du Sénat.
L’article 10-7 du Règlement stipule que :
Le Sénat ne peut faire l’étude d’un projet de loi comportant des affectations de crédits que si l’objet en a été recommandé par le Gouverneur général.
Le Document d’accompagnement du Règlement du Sénat du Canada commente cet article du Règlement par ces propos :
Aux termes de la Constitution, les projets de loi qui prévoient l’affectation de fonds ou l’établissement de taxes ou d’impôts ne peuvent provenir du Sénat. En outre, l’article 10-7 prévoit que le Sénat ne procédera pas à l’étude d’un projet de loi qui comporte l’affectation de fonds publics à moins que la Couronne ait recommandé cette affectation, autrement dit à moins que le projet de loi ne soit accompagné d’une recommandation royale du gouverneur général. […]
La recommandation royale peut être donnée uniquement par un ministre et seulement à la Chambre des communes. Cette exigence trouve son fondement à l’article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 [...]
L’article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867 se lit comme suit :
Recommandation des crédits
54 Il ne sera pas loisible à la Chambre des Communes d’adopter aucune résolution, adresse ou bill pour l’appropriation d’une partie quelconque du revenu public, ou d’aucune taxe ou impôt, à un objet qui n’aura pas, au préalable, été recommandé à la chambre par un message du gouverneur-général durant la session pendant laquelle telle résolution, adresse ou bill est proposé.
Votre Honneur, la question à se poser est la suivante : est-ce que le projet de loi S-230 comporte l’affectation de fonds publics?
Je dois mentionner qu’évidemment, mon intervention n’a pas pour but de débattre du bien-fondé du projet de loi, mais bien de faire respecter l’obligation constitutionnelle découlant de l’article 54 de la Loi constitutionnelle de 1867, soit d’obtenir une recommandation royale lorsque des articles d’un projet de loi portent affectation de crédits, comme c’est le cas avec le projet de loi S-230.
Afin d’analyser la question, il convient de se référer à la décision rendue par notre ancien collègue le Président Kinsella le 24 février 2009. Cette décision souvent citée est d’une grande utilité, puisqu’on y explique notamment les six critères non exhaustifs auxquels nous devons nous référer pour déterminer si un projet de loi nécessite une recommandation royale. Je crois qu’il est utile de bien les nommer, afin de les avoir à l’esprit lorsque je vous ferai valoir mes arguments sur la nécessité d’une recommandation royale.
Je cite l’ancien Président Kinsella au sujet des six critères :
Premièrement, il faut établir si le projet de loi renferme une disposition portant directement affectation de crédits. Deuxièmement, une disposition prévoyant des dépenses nouvelles qui ne sont pas déjà autorisées dans la loi devrait normalement être accompagnée d’une recommandation royale. Troisièmement, un projet de loi visant à élargir l’objet d’une dépense déjà autorisée devra, la plupart du temps, être accompagné d’une recommandation royale. Enfin, la recommandation royale sera normalement nécessaire pour une mesure qui étend des prestations ou assouplit les conditions d’admissibilité à des prestations.
Par ailleurs, une recommandation ne sera probablement pas nécessaire dans le cas d’un projet de loi qui ne fait que structurer la façon dont un ministère ou un organisme exécute des fonctions déjà autorisées dans la loi, sans ajouter de nouvelles tâches.
J’insiste ici : « sans ajouter de nouvelles tâches ».
De même, cette exigence ne s’appliquera probablement pas dans le cas d’un projet de loi qui occasionne seulement des petites dépenses d’ordre administratif à un ministère ou à un organisme.
À cela, le Président Kinsella vient ajouter des précisions sur la façon de prendre en compte les principes mentionnés précédemment et aussi les éléments à considérer par le Président dans l’examen de la nécessité d’une recommandation royale. Il s’exprime ainsi sur ces points :
La liste des facteurs énumérés ici n’est pas exhaustive, et chaque projet de loi doit être évalué en fonction de ces points et des autres facteurs en jeu. On ne peut certes pas affirmer que tous les projets de loi qui ont des répercussions financières quelconques requièrent nécessairement une recommandation royale. Lorsqu’il est confronté à ces questions, le Président doit examiner le texte même du projet de loi, et se référer au besoin à la loi-cadre. Dans ces situations, le Président cherche à ne pas interpréter des questions constitutionnelles ou des questions de droit.
Revenons au projet de loi S-230. Lors de son étude au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles le 15 février 2024, le comité a adopté la motion du sénateur Tannas dans laquelle la présidente demandait au directeur parlementaire du budget de fournir une estimation des coûts de la mise en œuvre des nouveaux éléments contenus dans le projet de loi S-230.
Le directeur parlementaire du budget a fourni cette estimation des coûts dans un rapport détaillé daté du 24 mai 2024. Dans son résumé, le rapport du directeur parlementaire du budget arrivait à la conclusion suivante :
Le coût direct des nouvelles activités requises par le projet de loi S-230 est estimé à 6,8 millions de dollars par année. Cependant, le projet de loi vise aussi à permettre des changements de politique qui exigeraient des ressources supplémentaires, y compris le recours accru aux soins psychiatriques, ce qui pourrait coûter jusqu’à 2 milliards de dollars par année, selon la façon dont ces changements sont interprétés et mis en œuvre.
Je précise, toujours selon le rapport du directeur parlementaire du budget, qu’il y a trois articles qui autorisent des dépenses, soit le coût de la politique à l’article 4 du projet de loi S-230 qui accorde l’autorité de mettre en œuvre une politique d’une valeur estimée jusqu’à 2 milliards de dollars, le coût direct du projet de loi par l’article 5, estimé à 5,5 millions de dollars annuellement, tandis que le coût direct du projet de loi par l’article 11 est estimé à 1,3 million de dollars annuellement. Je vous souligne à nouveau que ce sont des dépenses récurrentes.
Il est important de mentionner que, selon le rapport sur les comptes publics du Canada de 2023, Service correctionnel Canada a dépensé, en 2022-2023, un total de 3 milliards de dollars. Il a obtenu un budget de 3,4 milliards de dollars en 2023-2024 et il a demandé 3,2 milliards pour l’année 2024-2025. Ainsi, le projet de loi S-230 obligerait des politiques qui augmenteraient jusqu’à 66 % le budget total de Service correctionnel Canada.
Le 2 octobre dernier, la Présidente Gagné a rendu une décision sur un rappel au Règlement à propos du projet de loi S-15 portant sur la recommandation royale. Dans ses motifs, elle a mentionné que le seul fait qu’il y ait des dépenses occasionnées par un projet de loi n’est pas suffisant en soi dans la détermination de la nécessité d’une recommandation royale. J’en conviens avec elle. Toutefois, Madame la Présidente, c’est la raison pour laquelle je vous invite à considérer ce qui suit, soit que la mise en œuvre et le potentiel de dépenses du projet de loi S-230 ne sont pas anodins.
Si nous revenons aux six critères cernés par le Président Kinsella et que nous éliminons d’emblée ceux qui ne sont pas utiles afin de déterminer si le projet de loi S-230 nécessite une recommandation royale ou non, les principes ou règles 1, 4, 5 et 6 ne peuvent servir d’argumentaires pour soulever le rappel au Règlement. Je me concentrerai donc sur les règles 2 et 3.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, le deuxième critère ou principe prévoit qu’une disposition engageant des dépenses nouvelles qui ne sont pas déjà autorisées dans la loi devrait normalement être accompagnée d’une recommandation royale. Par ces dépenses nouvelles, je vous réfère aux articles 5 et 11 du projet de loi. Je discuterai un peu plus loin de l’article 4.
Le rapport du directeur parlementaire du budget est clair au sujet des articles 5 et 11 du projet de loi. L’article 5 du projet de loi prévoit que l’article 33 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition soit remplacé par un nouveau libellé qui se lit ainsi :
Durée
33 (1) L’incarcération dans une unité d’intervention structurée prend fin le plus tôt possible.
(2) Sauf si une cour supérieure l’autorise en vertu du paragraphe (3), cette incarcération ne peut durer plus de quarante-huit heures.
Prolongation
(3) Sur demande du Service, une cour supérieure peut prolonger la durée de l’incarcération dans une unité d’intervention structurée au-delà de quarante-huit heures si elle estime que la prolongation est nécessaire pour les fins énoncées au paragraphe 32(1).
Ainsi, l’article 5 du projet de loi vient créer l’obligation pour le Service correctionnel du Canada d’obtenir l’autorisation d’une cour supérieure avant d’incarcérer un détenu dans une unité d’intervention structurée pour une période allant au-delà de 48 heures. Les dépenses d’ordre administratif créées par cet article sont expliquées et détaillées dans le rapport du directeur parlementaire du budget. Je vous les cite :
En 2022-2023, 2 056 transfèrements dans une UIS ont été effectués. Sur ce nombre, 1 860 (90 %) ont donné lieu à un séjour de plus de 48 heures.
Nous estimons que le coût de chaque demande pour le SCC s’élève à environ 3 000 $, soit environ 1 000 $ pour la préparation du dossier par le SCC, 1 000 $ pour la représentation par le ministère de la Justice et 1 000 $ pour l’accompagnement à l’audience des personnes incarcérées.
Au total, nous estimons que le fait d’exiger l’autorisation d’une cour supérieure pour toute incarcération dans une UIS dépassant 48 heures donnerait lieu chaque année à 1 860 demandes à une cour supérieure pour un coût moyen de 3 000 $, ces demandes coûteront au total 5,5 millions de dollars par année.
Bref, l’article 5 du projet de loi vient créer une dépense nouvelle qui n’est pas autorisée dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition en créant une nouvelle obligation légale pour le Service correctionnel du Canada d’obtenir l’autorisation d’une cour supérieure pour prolonger le délai d’incarcération au-delà de 48 heures. Cette nouvelle obligation entraînerait donc un coût financier important.
Quant à l’article 11 du projet de loi, il prévoit l’ajout d’un nouvel article dont le paragraphe (1) se lit comme suit :
Injustice dans l’administration de la peine
Réduction de peine
198.1 (1) Toute personne condamnée à une période d’incarcération ou assujettie à une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle peut demander au tribunal qui a imposé la peine de rendre l’ordonnance de réduction de cette période qu’il estime convenable et juste dans les circonstances si, selon lui, une décision, une recommandation, un acte ou une omission du commissaire ou de quiconque relève de celui-ci, ou fournit des services au nom du commissaire ou pour son compte, ayant eu une incidence sur la personne était, selon le cas [...]
Le directeur parlementaire du budget estime que, à lui seul, ce nouvel article entraînera un coût d’environ 1,3 million de dollars par année. Ce coût est attribuable, selon le rapport du directeur parlementaire, au fait que l’article 11 a pour but de permettre :
[...] aux personnes condamnées à une peine d’incarcération dans un établissement fédéral de demander une réduction de leur peine en raison d’une injustice dans l’administration de la peine.
Toujours selon le rapport du directeur parlementaire du budget, il est difficile d’estimer précisément le nombre exact de demandes que cela pourrait représenter, puisque les motifs de plainte pourraient être considérables. Ce fait s’explique ainsi dans le rapport :
Il n’existe pas de base claire permettant d’estimer le nombre de demandes qui pourraient être présentées. Les personnes incarcérées pourraient avoir de nombreux motifs de plainte. Le [Service correctionnel canadien] déclare avoir reçu 20 000 griefs en 2022-2023. Pour sa part, le Bureau de l’enquêteur correctionnel (BEC) dit avoir reçu 4 897 plaintes. Cependant, un recours aux tribunaux entraînerait des frais juridiques beaucoup plus élevés et des avantages potentiels pour le plaignant.
Ainsi, l’article 11 du projet de loi crée une obligation nouvelle pour le Service correctionnel du Canada qui n’est pas prévue dans la Loi sur le système correctionnel, en obligeant le service à traiter de nouvelles plaintes en ayant recours aux tribunaux. Le recours à ces derniers entraîne des coûts qui ne sont pas autorisés par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et nécessite donc une recommandation royale. Cet article a donc un coût certain et très important, mais on ne peut l’estimer précisément.
Le troisième critère énoncé précédemment, soit qu’un projet de loi visant à élargir l’objet d’une dépense déjà autorisée devra, la plupart du temps, être accompagné d’une recommandation royale, est maintenant à considérer en ce qui a trait à l’article 4 du projet de loi, qui se lit comme suit :
La même loi est modifiée par adjonction, après l’article 29.01, de ce qui suit :
Transfèrement dans un hôpital
29.02 Le commissaire autorise, dans le cadre d’un accord conclu au titre du paragraphe 16(1), conformément aux règlements applicables, le transfèrement dans un hôpital, notamment tout établissement psychiatrique, de toute personne condamnée ou transférée au pénitencier dont l’évaluation de la santé mentale ou l’évaluation effectuée par un professionnel de la santé agréé indique qu’elle souffre de troubles mentaux invalidants.
Conformément à l’article 29 de la loi, le commissaire dispose déjà du pouvoir discrétionnaire d’autoriser le transfert dans certains cas. Cependant, l’article 4 du projet de loi vient élargir ce pouvoir de façon importante en créant un nouveau concept, soit celui de « troubles mentaux invalidants ».
C’est ainsi que la sénatrice Pate, à l’occasion de son témoignage devant le comité permanent le 30 novembre 2023, a tenu les propos suivants lorsqu’on lui a demandé si le projet de loi S-230 contiendrait une nouvelle définition des troubles mentaux invalidants. Elle nous a dit ceci :
Si vous regardez la définition qui se trouve actuellement à l’article 37.11 de la Loi [sur le système correctionnel et la mise en liberté] sous condition, on y mentionne les motifs pris en compte pour déterminer si la santé mentale d’une personne s’est détériorée. Je n’ai pas proposé de définition particulière parce que cette définition existe déjà, et elle parle du refus d’interagir avec les autres, des actes d’automutilation, des symptômes de surdose de drogue, des signes de détresse émotionnelle ou d’un comportement qui donne à penser que la personne a un besoin urgent de soins de santé mentale. C’est une description, je crois, de troubles mentaux invalidants.
Tout comme le souligne le directeur parlementaire du budget, je suis forcé de conclure que ce terme, qui est extrêmement large, risque d’être interprété de façon large et libérale et de trouver une application chez de très nombreuses personnes incarcérées.
J’ai d’ailleurs questionné le Dr Dufour, qui est psychiatre légiste et chef du Département de la psychiatrie de l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, lors de son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, pour savoir combien de personnes, parmi toutes les personnes qui sont emprisonnées, pourraient un jour, lors de leur détention, souffrir de troubles mentaux invalidants. Il m’a répondu ce qui suit :
Selon mon expérience à l’extérieur de Pinel, parce que j’ai pratiqué dans plusieurs pénitenciers au Québec et même dans des établissements réguliers, je dirais spontanément que la plupart ont de tels symptômes un jour ou l’autre.
J’aurais tendance à dire que c’est une définition un peu trop large et vague.
Donc, toute personne qui est détenue dans un pénitencier risque de subir, un jour ou l’autre pendant sa détention, de troubles mentaux invalidants, et elle pourrait demander à être transférée dans un établissement de santé ou dans une unité psychiatrique.
On doit ajouter à tout cela que le rapport du directeur parlementaire du budget contenait de nombreuses estimations relatives au coût des soins psychiatriques avant d’arriver à la conclusion que le coût du transfèrement prévu à l’article 4 du projet de loi est estimé entre 1 et 2 milliards de dollars.
À la blague, Votre Honneur, j’ai même proposé de mettre une croix rouge sur chacun des pénitenciers pour les transformer en hôpitaux psychiatriques.
Le rapport apporte cependant une nuance dont la conclusion est tout de même percutante :
Cependant, le projet de loi oblige seulement le commissaire du [Service correctionnel canadien] à autoriser le transfèrement de personnes souffrant de troubles mentaux invalidants. Il n’oblige pas les établissements à accepter ces personnes ni le [service] à conclure des contrats pour disposer d’une capacité suffisante pour répondre aux besoins de toutes les personnes souffrant de troubles mentaux invalidants. En fait, le projet de loi peut laisser aux établissements sous contrat le pouvoir discrétionnaire de décider qui admettre en priorité, dans le cadre de la capacité très limitée financée par leur contrat avec le [service]. L’article 4 ne peut donc raisonnablement pas être interprété comme n’entraînant aucun coût financier direct.
De fait, Votre Honneur, il est clair que l’article 4 comportera forcément l’affectation de fonds publics sur une base récurrente, parce qu’on risque d’accroître le nombre de personnes incarcérées dont le transfèrement est requis en raison de cette nouvelle terminologie dans la loi.
Après avoir parlé des articles du projet de loi qui portent affectation de fonds publics et autorisent de nouvelles dépenses, il nous faut aussi regarder l’historique de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Nous sommes dans un contexte où le projet de loi S-230 apporte une modification très importante à la loi-cadre existante.
Je souligne que le projet de loi C-36, qui a été adopté lors de la troisième session de la 34e législature et qui s’intitulait Loi régissant le système correctionnel, la mise en liberté sous condition et le maintien de l’incarcération portant création du bureau de l’enquêteur correctionnel, émanait du gouvernement. Ce projet de loi était assorti d’une recommandation royale.
Honorables sénateurs, lors de la récente décision rendue par la Présidente Raymonde Gagné le 2 octobre dernier sur le projet de loi S-15, celle-ci a déclaré le projet de loi recevable et a ordonné que son étude se poursuive. Elle a motivé sa décision en partie de cette façon :
Dans le cas du projet de loi S-15, une question clé concerne le régime d’autorisation qui existe actuellement en vertu de la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial relativement au transport de certains animaux. Si le projet de loi S-15 est adopté, ce régime serait étendu à la possession, et non seulement limité au transport, d’éléphants et de grands singes. Les sénateurs en faveur du rappel au Règlement ont fait valoir que cela constituerait de nouvelles dépenses sans rapport avec la loi existante. Les sénateurs qui étaient d’avis que le débat peut se poursuivre ont fait valoir qu’il s’agissait d’un ajustement mineur du régime d’autorisation existant qui ne nécessiterait pas de nouvelles autorisations de dépenses et qui s’inscrirait dans la structure et l’objectif actuels de la loi, qui consiste généralement à protéger certaines espèces. Sur ce point, il est intéressant de noter que lorsque la loi a été adoptée pour la première fois en 1992, le projet de loi présenté à la Chambre des communes n’a pas reçu de recommandation royale.
Nous sommes donc confrontés à deux arguments clairs sur la question de savoir si le projet de loi S-15 peut continuer devant le Sénat. Même si les inquiétudes suscitées par la mesure sont compréhensibles, elles peuvent néanmoins être raisonnablement considérées comme étant limitées à des questions ayant un lien très direct avec l’objet de la loi existante, s’appuyant sur sa structure et la complétant. Si l’on ajoute à cela le fait que la loi originale n’a pas requis de recommandation royale, il y a de forts arguments favorisant la poursuite du débat.
Le fait que le projet de loi S-230 vienne élargir considérablement le mandat du commissaire lié au transfèrement, qu’il crée des obligations nouvelles pour le Service correctionnel du Canada en exigeant qu’il obtienne l’autorisation d’une cour supérieure si la détention dans une unité d’intervention structurée se prolonge au‑delà de 48 heures et qu’il oblige le Service correctionnel du Canada à traiter des plaintes nouvelles par l’intermédiaire des tribunaux m’amène à conclure, dans un premier temps, que le projet de loi ne peut pas, a contrario, et je reprends vos mots :
[...] être raisonnablement considérées comme étant limitées à des questions ayant un lien très direct avec l’objet de la loi existante, s’appuyant sur sa structure et la complétant.
Dans un second temps, il faut aussi conclure que le fait que la loi qui sera modifiée par le projet de loi S-230 ait requis une recommandation royale milite en faveur de mettre un terme au débat sur le projet de loi S-230.
Ces deux conclusions cumulées font aussi en sorte que le projet de loi S-230 ne peut émaner du Sénat, puisqu’il ne dispose pas d’une recommandation royale.
Avant de conclure, j’aimerais souligner encore une fois un point sur l’un de nos principes fondamentaux au sujet de la recommandation royale qui est important; c’est la raison pour laquelle il est, à mon avis, nécessaire de le rappeler à tous.
D’abord, vous conviendrez avec moi que l’historique des deux Chambres en matière de recommandation royale n’est pas toujours concordant. En effet, une décision de la présidence du Sénat rendue le 15 juin 2015 et à laquelle nous pouvons facilement transposer les principes au contexte actuel dit ceci, et je cite :
Il faut également reconnaître ici que les deux Chambres ne sont pas toujours d’accord sur la façon d’interpréter ce principe fondamental. Il y a près d’un siècle, en 1918, un comité sénatorial s’était penché sur la question et avait notamment conclu que le Sénat a le pouvoir d’amender des projets de loi qui affectent une partie des recettes ou qui imposent une taxe en réduisant les affectations et les taxes, et non en les augmentant, ce qu’il n’est pas habilité à faire.
Évidemment, j’aimerais rappeler que le fondement même de ce droit des Communes découle directement de notre Constitution.
Le Sénat travaille dans le respect des exigences constitutionnelles; je renchéris donc en disant que le Sénat n’a pas le droit d’outrepasser ce droit fondamental. J’aimerais vous citer un autre extrait de la décision de la présidence du 24 février 2009 relativement au motif de la justification d’un rappel au Règlement, et je cite :
Le sénateur qui invoque le Règlement doit exposer ses motifs, expliquant au Sénat pourquoi la recommandation royale est nécessaire en prenant soin d’indiquer exactement ce qui, dans le libellé soumis au Sénat, donne lieu à ce rappel, et non en justifiant le rappel par des décisions qui pourraient ou non être prises à un moment donné après l’adoption du projet de loi.
Je réitère donc que le libellé des articles 4, 5 et 11 du projet de loi S-230 entraînera, si le projet de loi est adopté, des dépenses certaines et coûteuses.
En conclusion, Votre Honneur, devant les faits que je viens d’évoquer, je vous demande de retirer le projet de loi S-230 à l’étude au Sénat, puisqu’il contrevient à l’article 10-7 du Règlement.
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du rappel au Règlement et préciser, en tout respect, que les craintes exprimées ne sont pas fondées. Le projet de loi S-230 n’entraîne pas de dépenses directement ou indirectement de manière inadmissible.
Je veux faire écho à l’observation faite par le sénateur Klyne il y a seulement quelques semaines, selon laquelle ce type de rappel au Règlement met en jeu un précédent important et risque de restreindre considérablement et indûment le pouvoir de légiférer du Sénat. Il nous a rappelé ceci :
Tous les sénateurs et tous les Canadiens ont un intérêt dans cette affaire, qui concerne la capacité du Sénat de contribuer à la politique publique [...]
À cet égard, le projet de loi S-230 est un exemple clair de ce que le Sénat en particulier peut apporter. Nous sommes tous bien conscients que les sénateurs jouent un rôle crucial dans la représentation et la défense des droits des groupes marginalisés ou dits minoritaires, c’est-à-dire les personnes qui risquent le plus d’être exclues du discours politique et des priorités gouvernementales.
Le projet de loi S-230 représente des amendements essentiels que le Sénat a apportés en 2019 pour améliorer la mesure législative du gouvernement sur l’isolement cellulaire afin d’aider le gouvernement à atteindre l’objectif qu’il s’était fixé, à savoir mettre fin au recours à l’isolement. Ces amendements ont été rejetés par le gouvernement.
Les sénateurs étaient tellement préoccupés par ce qui se passerait sans ces modifications que, à la suggestion des sénateurs Josée Forest-Niesing, Colin Deacon et Marty Klyne, nous avons lancé une initiative visant à visiter des prisons, à rencontrer des employés et des prisonniers et à surveiller les conditions d’isolement. Près de 40 sénateurs ont visité des prisons fédérales. Les problèmes relatifs aux droits de la personne et aux droits garantis par la Charte que nous avons observés ont mis en évidence le besoin urgent d’adopter le projet de loi S-230. D’ailleurs, le communiqué de presse publié aujourd’hui par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne souligne ce problème.
Je viens de passer la fin de semaine dernière avec Tona Mills sur les terres ancestrales du peuple mi’kmaq, où elle m’a parlé de son ardent désir de voir cesser les pratiques qui ont tué son esprit. Elle a récemment reçu un diagnostic de cancer en phase terminale et elle m’a demandé de faire en sorte que ce qui lui est arrivé n’arrive pas à quelqu’un d’autre.
J’invoque le Règlement.
Sénateur Plett, vous ne pouvez pas invoquer le Règlement lors d’un recours au Règlement.
Très bien. La sénatrice est en train de prononcer son discours. Elle ne parle pas de son recours au Règlement.
Sénateur Plett, la sénatrice Pate intervient dans le cadre d’un recours au Règlement. Il s’agit de ses arguments.
Le projet de loi S-230 est le fruit d’un travail que le Sénat est particulièrement bien placé pour mener à bien aux côtés ou pour le compte de certaines des personnes les plus marginalisées, victimisées, criminalisées et institutionnalisées de la société. Alors que nous débattons de ce recours au Règlement, nous ne devons pas perdre de vue ce fait ni les conséquences qui en découleront pour les sénateurs et les Canadiens si la capacité du Sénat à légiférer est indûment limitée.
Le principe fondamental selon lequel la Couronne doit approuver les dépenses publiques avant qu’elles puissent être approuvées par le Parlement est expliqué à l’article 10-7 du Règlement du Sénat, qui se lit comme suit :
Le Sénat ne peut faire l’étude d’un projet de loi comportant des affectations de crédits que si l’objet en a été recommandé par le Gouverneur général.
Comme l’a souligné la Présidente dans sa récente décision du 2 octobre, cette règle concrétise certaines des obligations imposées par les articles 53 et 54 de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans sa décision du 2 octobre, la Présidente a fait référence à un ensemble non exhaustif de facteurs qui peuvent être pris en compte pour déterminer si l’initiative financière de la Couronne entre en ligne de compte, et elle a cité des précédents énoncés dans les décisions de la présidence du 24 février 2009 et du 1er décembre 2009. La Présidente a déclaré :
Les facteurs à prendre en considération pour déterminer si un projet de loi nécessite une recommandation royale comprennent le fait qu’il contienne une clause d’affectation de fonds, qu’il s’agisse d’une nouvelle dépense qui n’est pas déjà autorisée par la loi, que le projet de loi élargisse l’objet d’une dépense déjà autorisée par une recommandation royale, qu’il y ait un assouplissement des critères pour bénéficier d’une prestation, que le projet de loi se limite à encadrer la manière dont un organisme public exercera des fonctions qu’il peut déjà assumer sans imposer de nouvelles tâches, et que le projet de loi n’impose que des dépenses administratives mineures. Cette liste de points à prendre en considération n’est pas exhaustive, et chaque cas doit être évalué séparément. Dans le cas d’un projet de loi visant à modifier une loi existante, on peut aussi se référer au fait que la loi originale était accompagnée ou non d’une recommandation royale.
La Présidente a ajouté ceci :
Lorsqu’il s’agit de questions relatives à la recommandation royale, le rôle de la présidence est d’examiner le texte du projet de loi soumis au Sénat, parfois dans le contexte d’une loi existante.
La Présidente a ensuite ajouté ceci :
Dans les cas ambigus ou incertains, le Sénat a une préférence bien établie, exprimée dans de nombreuses décisions, de permettre la poursuite du débat si un argument valable et raisonnable peut être établi quant à la recevabilité du projet de loi. Ce principe tendant à favoriser le débat si cela est raisonnablement possible est fondamental à de nombreux aspects de l’application pratique de notre procédure. Il permet aux sénateurs de prendre une décision finale, sauf dans les cas où une affaire est clairement irrecevable, préservant ainsi le rôle du Sénat en tant que Chambre de discussion et de réflexion.
La décision de la Présidente mentionne différents facteurs à prendre en considération. Le premier — le fait qu’il contienne ou non une clause d’affectation de fonds — est facile à évaluer.
Comme le confirme le rapport produit par le directeur parlementaire du budget à propos du projet de loi S-230, ce dernier ne contient aucune disposition qui autorise des dépenses supplémentaires, affecte des crédits ou impose une taxe.
Quant à la question des coûts indirects, le projet de loi S-230 n’impose aucune dépense indirecte inadmissible. Tous les coûts peuvent être classés soit comme des coûts optionnels, qui sont à la discrétion du gouvernement et ne sont pas exigés par le projet de loi, soit comme des dépenses administratives mineures admissibles ou une restructuration de fonctions existantes.
En outre, mentionnons que tous les coûts indirects déterminés pourraient être réduits, voire compensés totalement, et que des économies pourraient être réalisées grâce à des décisions de principe ou discrétionnaires du Service correctionnel du Canada visant à mettre en œuvre le projet de loi de manière à économiser et à réaffecter les fonds actuellement investis dans des mesures coûteuses et inhumaines, y compris l’isolement, et à éviter les coûts juridiques associés à la défense des violations des droits de la personne et des droits garantis par la Charte résultant de ces politiques, ainsi que les règlements et les dommages-intérêts versés aux personnes dont les droits ont été bafoués.
Le projet de loi S-230 reprend en grande partie les amendements que le Sénat a apportés au projet de loi C-83 en 2019, afin d’assurer que le projet de loi atteigne véritablement son objectif déclaré d’abolir le recours à l’isolement préventif, ou l’isolement cellulaire, dans les pénitenciers fédéraux.
Il convient de souligner que, premièrement, aucune préoccupation relative à une recommandation royale n’a été soulevée dans cette enceinte lorsque le Sénat a amendé le projet de loi C-83 pour ajouter des dispositions essentiellement similaires au projet de loi en 2019. Deuxièmement, le message de la Chambre des communes rejetant ces amendements du Sénat au projet de loi C-83, tout en notant des conséquences financières indirectes potentielles d’une disposition du projet de loi, ne suggérait en aucune façon que ces mesures, maintenant reproduites dans le projet de loi S-230, nécessitaient une recommandation royale.
Lorsque le directeur parlementaire du budget a évalué le coût du projet de loi S-230, il n’a relevé qu’un seul aspect pouvant entraîner des coûts indirects, soit les dispositions qui ajoutent à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition les mesures de surveillance judiciaire recommandées par la juge Louise Arbour en 1996 afin de prévenir les mesures d’isolement illégales et inconstitutionnelles, ce qui est toujours la norme préconisée par d’innombrables juristes et spécialistes des droits de la personne.
L’une de ces mesures exige que le Service correctionnel du Canada obtienne l’autorisation d’une cour supérieure pour garder une personne en isolement, en l’occurrence pendant plus de 48 heures.
L’autre mesure permet aux détenus de demander une « révision Arbour » en vue de réduire la peine ou la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle lorsque la mauvaise gestion correctionnelle — un comportement illégal, y compris le temps passé en isolement --, rend la peine plus sévère que ce qui était prévu par le juge ayant prononcé la peine.
Le directeur parlementaire du budget a évalué à 6,8 millions de dollars par année les coûts indirects potentiels pour la préparation des dossiers par le Service correctionnel, les avocats du gouvernement qui devront aller en cour ou régler des dossiers et le Service correctionnel qui devra fournir une escorte aux gens qui assisteront aux audiences de la cour.
Quand on voit comment le directeur parlementaire du budget a décrit le projet de loi, il semble évident qu’on ne parle pas d’engager de nouvelles dépenses ou d’élargir la portée d’une dépense. En effet, le rapport dit ceci :
C’est ce que nous appelons le coût direct du projet de loi. Cela ne signifie toutefois pas que le projet de loi autorise des dépenses supplémentaires. En fait, le coût direct du projet de loi représente un coût de renonciation correspondant aux ressources qui seraient nécessaires pour satisfaire aux nouvelles obligations et qui pourraient ne plus être disponibles pour s’acquitter d’autres responsabilités. Le Parlement peut décider d’accorder ou non des fonds supplémentaires pour couvrir ces coûts, ce qui aura des répercussions sur les ressources dont dispose le Service correctionnel du Canada (SCC) pour s’acquitter de ses autres responsabilités.
Il s’agit de dépenses ou de coûts facultatifs; ils ne sont pas requis.
Toutefois, pour le cas où il resterait une incertitude, j’aborderai également la question de savoir pourquoi toute dépense potentielle que le projet de loi pourrait entraîner n’est pas une dépense nouvelle et ne correspond pas non plus à l’élargissement de l’objet d’une dépense.
En examinant les facteurs mis en lumière par les décisions des présidences précédentes, il est évident que le projet de loi S-230 ne prévoit pas de fonds dans un but nouveau et distinct ou élargi. L’infrastructure dont a parlé le directeur parlementaire du budget — comme la préparation des dossiers ou les avocats pour accompagner les personnes à l’audience — est déjà en place, puisque le Service correctionnel du Canada doit déjà participer régulièrement à des actions en justice. Le Service correctionnel du Canada doit également déjà préparer régulièrement des dossiers en vue d’un examen dans le cadre d’un système d’examen extrajudiciaire interne alambiqué — différents examens par le directeur d’établissement, le commissaire, des décideurs externes indépendants, etc. — qui n’a pas empêché les violations des droits de la personne.
En ce qui concerne les poursuites en cours qui impliquent le Service correctionnel du Canada, il s’agit notamment de répondre à la Commission canadienne des droits de la personne et aux contestations judiciaires, y compris le nombre croissant d’habeas corpus, de révisions judiciaires et de recours collectifs dirigés contre le Service correctionnel du Canada. D’ailleurs, un recours collectif qui a maintenant été autorisé au Québec allègue que les règles actuelles sur l’isolement perpétuent l’isolement cellulaire inconstitutionnel.
En ce qui concerne la préparation des dossiers en particulier, comme le reconnaît le directeur parlementaire du budget, le personnel du Service correctionnel du Canada est déjà tenu de préparer les dossiers pour les multiples étapes d’une révision non judiciaire alambiquée.
Comme le souligne le directeur parlementaire du budget, le fait que les services correctionnels soient tenus de procéder à ces révisions de 48 heures aura probablement pour effet de réduire le nombre d’affaires portées devant les tribunaux et d’empêcher toute poursuite ultérieure.
Dans le système actuel, chaque personne placée dans les unités d’intervention structurées devrait faire l’objet de plusieurs révisions nécessitant une préparation de cas par le Service correctionnel du Canada, ce qui signifie que la préparation de cas associée aux révisions judiciaires prévues par le projet de loi S-230 constituerait une dépense ou un inconvénient mineur ou un cas de structuration de la façon dont un organisme gouvernemental s’acquitte de ses responsabilités existantes. Par exemple, la préparation ou la révision antérieure d’un dossier par rapport à une ou plusieurs révisions ultérieures ne constitue pas une source de dépenses nouvelle ou distincte, ni un élargissement de l’objectif des dépenses.
Il s’agit de « payer maintenant ou payer plus tard », beaucoup plus tard, en fait. Il faut regarder les coûts de la surveillance judiciaire dans le contexte de la surveillance non judiciaire actuelle, fort complexe, et des coûts juridiques futurs plus élevés qu’ils aideront le Service correctionnel du Canada à éviter. Sans le projet de loi S-230, il y a bien des examens internes, mais, souvent, ils surviennent trop tard et sont inefficaces. Il y a parfois des décisions judiciaires, mais elles sont ex post facto, c’est-à-dire qu’elles surviennent trop tard pour prévenir les coûts humains et financiers de la violation des droits. Les mesures de surveillance judiciaire du projet de loi S-230 viendraient structurer les fonctions existantes associées aux examens et aux actions en justice de sorte que le recours aux tribunaux serve à faire respecter de manière proactive les droits garantis par la Charte et les droits de la personne — plutôt qu’à se défendre de manière réactive contre les allégations de violation des droits — de façon à économiser de l’argent.
Les objectifs de la révision judiciaire et de la surveillance des décisions du Service correctionnel du Canada, particulièrement en ce qui concerne la protection des droits garantis par la Charte et des droits de la personne des détenus, sont étroitement liés aux raisons pour lesquelles le Service correctionnel du Canada participe et est appelé à participer à des litiges, ainsi qu’à l’objectif général de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui a été élaborée et conçue comme une loi sur les droits de la personne.
L’article 3 de la loi énonce ce qui suit :
Le système correctionnel vise à contribuer au maintien d’une société juste, vivant en paix et en sécurité,
d’une part, en assurant l’exécution des peines par des mesures de garde et de surveillance sécuritaires et humaines [...]
La loi établit en outre des principes qui guident le Service correctionnel du Canada dans ses démarches en vue d’atteindre l’objectif de l’article 4. Notamment, elle prévoit que Service correctionnel Canada :
[...] prend les mesures qui, compte tenu de la protection de la société, des agents et des [prisonniers], sont les moins privatives de liberté [...]
Elle prévoit également que le prisonnier :
[...] continue à jouir des droits reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou la restriction légitime est une conséquence nécessaire de la peine qui lui est infligée [...]
Elle prévoit aussi, en parlant de Service correctionnel Canada, que « [...] ses décisions doivent être claires et équitables [...] »
Les objectifs qui consistent à garantir que Service correctionnel Canada prend des décisions équitables, respecte les droits des prisonniers et prend les mesures les moins privatives de liberté sont étroitement liés à la surveillance judiciaire de Service correctionnel du Canada, qui vise à prévenir la violation des droits de la personne, d’autant plus que, comme l’a déclaré la juge Arbour :
[...] il n’y a que peu d’espoir que la primauté du droit s’impose d’elle-même dans la culture correctionnelle sans l’aide et le contrôle du Parlement et des tribunaux.
Même si la question de savoir s’il s’agit de dépenses entièrement nouvelles ou s’il s’agit de responsabilités existantes a déjà été abordée, pour donner un peu de contexte, il convient de rappeler que les 6,8 millions de dollars anticipés par le directeur parlementaire du budget pour le Service correctionnel du Canada représentent un petit montant si on pense aux ressources énormes dont dispose le Service correctionnel du Canada. Ces 6,8 millions de dollars représentent moins de 1 % — 0,21 % pour être précise — des dépenses prévues du service pour 2024-2025.
Pour donner un ordre de grandeur, le projet de loi S-15, pour lequel, d’après la décision rendue par la présidence le 2 octobre, il ne sera pas nécessaire d’obtenir une recommandation royale, représentait une somme équivalente, environ 2 millions de dollars par année, soit 0,7 % du budget du ministère concerné.
En outre, tous les coûts indirects réels devraient être bien inférieurs aux 6,8 millions de dollars anticipés par le directeur parlementaire du budget. En particulier, le directeur parlementaire du budget a mentionné que, d’après les informations du Service correctionnel du Canada, le tiers des coûts concernerait l’escorte des détenus jusqu’au tribunal. Ceux parmi nous qui ont récemment visité une prison — ou qui l’ont fait au cours des cinq dernières années — savent que, en pratique, il est assez rare que les comparutions ne puissent se faire par vidéoconférence de nos jours.
Par ailleurs, la politique va changer les pratiques, comme l’a reconnu le directeur parlementaire du budget. Le nombre de détenus gardés dans une unité d’intervention structurée pendant plus de 48 heures va sans aucun doute diminuer. Toutefois, l’intransigeance de Service correctionnel Canada a forcé le directeur parlementaire du budget à faire ses prévisions financières en fonction du nombre de détenus actuellement gardés dans une unité d’intervention structurée pendant plus de 48 heures. L’expérience démontre que SCC va réduire le nombre de détenus dans ces unités.
Il est possible de mettre en œuvre les dispositions du projet de loi S-230 portant sur la surveillance judiciaire d’une manière qui permettra à Service correctionnel Canada de réaliser des économies pour compenser ses coûts en partie, voire en totalité. Comme le directeur parlementaire du budget l’a admis, grâce à ces mesures, il y aura moins de détenus dans les unités d’intervention structurée et ils en ressortiront plus tôt. Le directeur parlementaire du budget note également que ces économies n’ont pas été évaluées parce que Service correctionnel Canada lui a indiqué qu’il ne prévoit pas modifier la dotation en personnel ni l’exploitation des unités d’intervention structurée, qu’elles soient vides ou bondées.
Les visites effectuées dans les prisons du pays contredisent cette information et confirment que, dans les faits, les unités d’intervention structurée sont fermées ou utilisées à d’autres fins lorsqu’il n’y a pas de détenus. Si Service correctionnel Canada garde ses unités d’intervention structurée entièrement dotées en personnel et totalement opérationnelles bien qu’elles soient vides ou partiellement occupées, il s’agirait manifestement d’un choix discrétionnaire de sa part de ne pas tirer pleinement parti de cette possibilité de réaliser des économies ou de réinvestir dans d’autres priorités.
Les mesures de surveillance judiciaire peuvent contribuer à prévenir les conditions d’isolement qui entraînent des contestations judiciaires destinées à réparer des violations des droits de la personne et des droits garantis par la Charte. Encore une fois, comme l’a reconnu le directeur parlementaire du budget, les frais de justice encourus par le Service correctionnel du Canada pour la défense des actions en dommages-intérêts, y compris les contestations fondées sur la Charte, seront considérablement plus élevés que les frais associés à la surveillance judiciaire des conditions d’isolement. En plus de devoir assumer les frais juridiques, si le Service correctionnel du Canada est jugé responsable, il serait également responsable des dommages-intérêts.
Je note, par exemple, qu’un recours collectif a été autorisé au Québec, comme je l’ai mentionné, alléguant que les unités d’intervention structurée perpétuent l’isolement qui est inconstitutionnel. Les mesures permettant aux tribunaux d’ordonner la sortie des gens des unités d’intervention structurée après 48 heures réduiront considérablement les risques de ce type de conditions d’isolement. Des recours collectifs semblables ont déjà été intentés dans des cas d’isolement et ont entraîné des dizaines de millions de dollars de dommages-intérêts.
Le cas de M. Warren est un exemple récent. Les avocats de M. Warren m’ont dit qu’il avait d’abord été détenu à l’unité d’intervention structurée de Millhaven et qu’il se trouvait maintenant au centre de traitement régional. Ce changement s’est produit après que la juge Pomerance, qui siégeait alors à la Cour supérieure de justice de l’Ontario et siège maintenant à la Cour d’appel, eut ordonné que sa peine soit purgée dans un établissement de santé mentale, dans un hôpital, parce que bien que le Service correctionnel du Canada ait tenté de travailler avec lui par le passé, ces tentatives s’étaient révélées totalement inadéquates. La juge a conclu que M. Warren n’avait pas reçu le traitement dont il avait besoin. Le Service correctionnel du Canada tente de faire appel de cette décision. Pendant ce temps, M. Warren se morfond au centre de traitement régional de Millhaven.
Le directeur parlementaire du budget a conclu que ce projet de loi n’entraînait aucun coût en ce qui a trait au fardeau imposé au système judiciaire ou à la représentation des détenus par l’aide juridique, étant donné que les coûts possibles reviendraient aux gouvernements provinciaux et territoriaux plutôt qu’au gouvernement fédéral.
Pour situer le contexte, il peut être utile de souligner le petit nombre d’affaires dont il est question. Selon le directeur parlementaire du budget, il s’agirait tout au plus de 2 000 cas supplémentaires par an qui devraient être entendus par les cours supérieures. Comme nous l’avons vu précédemment, le nombre réel de cas sera toutefois moins élevé, puisqu’on fera sortir les personnes des unités d’intervention structurée dans les 48 heures pour éviter d’aller devant un tribunal. C’est souvent ce qui s’est produit quand des actions et des décisions judiciaires de ce type ont été prises. Toutefois, même si on suppose qu’il y aura effectivement 2 000 cas, cela représente moins de 1 % de la charge de travail actuelle des cours supérieures en matière pénale, qui était estimée à environ 340 000 cas pour l’année 2018-2019.
Une deuxième mesure importante du projet de loi S-230 exigerait que le Service correctionnel du Canada autorise le transfèrement des personnes qui souffrent de troubles mentaux invalidants hors des prisons dans les systèmes de santé provinciaux et territoriaux aux fins d’évaluation et de traitement, plutôt que de laisser cette décision à la discrétion du Service correctionnel du Canada.
Selon le directeur parlementaire du budget, selon la façon dont le Service correctionnel du Canada choisit de mettre en œuvre cette mesure sur le plan stratégique, les coûts pourraient aller de 0 à 2 milliards de dollars par année. Étant donné que, comme le reconnaît le directeur parlementaire du budget, ces dépenses ne seraient pas exigées par le projet de loi S-230, cela signifie qu’aucun des coûts qui en résulteraient ne serait considéré comme un coût indirect du projet de loi, mais plutôt comme une dépense discrétionnaire du Service correctionnel du Canada dans le cadre de la mise en œuvre. En particulier, le directeur parlementaire du budget soutient que le projet de loi S-230 n’autorise le Service correctionnel du Canada qu’à transférer les personnes souffrant de troubles mentaux invalidants dans les systèmes de santé provinciaux et territoriaux. Le directeur parlementaire du budget maintient que le projet de loi n’oblige pas les établissements de santé provinciaux et territoriaux à accepter ces transferts ou le Service correctionnel du Canada à prendre des mesures pour louer des lits supplémentaires dans les systèmes, bien que le Service correctionnel du Canada puisse — et je dirais qu’il devrait — prendre cette mesure par principe pour garantir que les personnes qui ont besoin de soins de santé sont en mesure de les recevoir.
Les conclusions du directeur parlementaire du budget indiquent clairement que les mesures du projet de loi qui ont trait au transfèrement dans des hôpitaux provinciaux et territoriaux n’entraînent pas de coûts attribuables au projet de loi. En outre, il convient de souligner que ces mesures sont étroitement liées aux objectifs de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Elles s’appuient sur des dispositions déjà incluses dans la Loi en ce qui concerne la capacité du Service correctionnel du Canada d’établir des ententes d’échange de services avec les centres de santé et les hôpitaux des provinces et des territoires et qui permettent au Service correctionnel du Canada d’autoriser le transfèrement de détenus vers ces points de service, y compris pour des raisons liées à des problèmes de santé mentale invalidants.
Dans ce contexte, je tiens à vous faire remarquer que le calcul des coûts du directeur parlementaire du budget ne tient pas compte des économies potentielles associées au transfèrement des personnes souffrant de problèmes de santé mentale invalidants du système carcéral dans les hôpitaux provinciaux et territoriaux, ainsi que des ressources importantes disponibles pour financer ces lits destinés aux soins de santé mentale externes. Le directeur parlementaire du budget estime que le coût annuel du maintien d’une personne dans un hôpital médico-légal provincial est d’environ 380 000 $. Selon les données du directeur parlementaire du budget, ce montant est inférieur au coût de l’isolement d’une personne dans les prisons fédérales, ce qui signifie que chaque personne transférée dans un lit destiné aux soins de santé mentale externes dans le cadre d’une entente pourrait représenter une économie d’environ 100 000 $ par an.
Outre la possibilité de mettre fin au financement des cellules d’isolement au profit de places externes en santé mentale, le Service correctionnel du Canada a reçu des fonds importants pour la santé mentale qui pourraient être consacrés à l’obtention de contrats pour des places externes en santé mentale. Une partie de ces fonds que reçoit déjà le Service, soit 9,2 millions de dollars, est précisément affectée à des places externes en santé mentale, mais le Service n’a pas été en mesure de rendre compte de la manière dont ces fonds ont été dépensés. Les responsables du Service ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils avaient reçu un financement continu en 2018 pour des contrats donnant accès à de nouvelles places externes en santé mentale, et le montant de ce financement semble être de 9,2 millions de dollars par an sur un total de 74 millions de dollars par an pour les dépenses en santé mentale. Je dis « semble » parce que les réponses reçues par différents comités ne concordent pas.
Au cours de la période, le nombre de places externes en santé mentale est resté inchangé : 20 places, toutes à l’Institut Philippe-Pinel, à Montréal. Pire, lorsqu’on lui a demandé de rendre compte de la manière dont les fonds ont été dépensés s’ils n’ont pas servi à garantir l’accès à de nouvelles places externes en santé mentale, le Service a témoigné devant au moins deux comités sénatoriaux, celui des affaires juridiques et celui des finances nationales, que le financement annuel de 74 millions de dollars pour des services de santé mentale ont été investis dans des services de santé mentale internes, en milieu carcéral, malgré les engagements contraires et les preuves évidentes qu’un traitement adéquat de la santé mentale ne peut pas être fourni en milieu carcéral et ne l’est pas.
L’isolement des personnes souffrant de troubles mentaux invalidants est contesté dans un nombre croissant d’affaires judiciaires, conformément aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. Les mesures du projet de loi S-230 concernant le transfert de personnes d’une prison à un hôpital réduiront considérablement le risque que des personnes soient laissées en isolement et qu’il en découle de potentiels frais juridiques, règlements ou dommages-intérêts en raison d’une violation des droits de la personne ou des droits garantis par la Charte.
Enfin, il est important de souligner les éventuelles économies qui pourraient être réalisées en aval par le système carcéral et le système de soins de santé grâce au traitement efficace des problèmes de santé mentale dans la collectivité, sans parler du rôle que cela peut jouer dans la réussite de l’intégration communautaire et de la prévention de la criminalisation future.
Les données du comité consultatif ministériel sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée, dont les travaux sont terminés, montrent clairement que le système actuel, sans le projet de loi S-230, augmente les coûts humains, sociaux et financiers liés aux problèmes de santé mentale. Il existe une corrélation entre les unités d’intervention structurée et la détérioration de la santé mentale, et les personnes dont la santé mentale se détériore pendant qu’elles sont incarcérées dans ces unités y restent plus longtemps, malgré les normes internationalement reconnues qui interdisent l’isolement des personnes ayant des troubles mentaux invalidants.
Bien qu’il soit difficile d’estimer le coût total en aval et les conséquences dévastatrices sur le plan humain, en 2010, la Commission de la santé mentale du Canada a conclu que :
Si l’on parvenait à simplement réduire de 10 % le nombre de personnes ayant une nouvelle maladie mentale chaque année [...] on économiserait après 10 ans au moins 4 milliards de dollars en un an.
En ce qui concerne les dispositions du projet de loi S-230 où le terme « unité d’intervention structurée » est défini comme tout endroit où le détenu est isolé de manière plus restrictive que la population carcérale en général, le directeur parlementaire du budget a conclu que ces mesures ne nécessitaient aucune dépense. Avant l’adoption du projet de loi C-83, la définition du projet de loi S-230 était en fait la définition du terme « isolement ».
En ce qui concerne les dispositions du projet de loi S-230 visant à accroître l’accès aux solutions communautaires déjà en place en remplacement de l’incarcération, en particulier pour les Autochtones, le directeur parlementaire du budget a conclu que ces mesures ne nécessitaient aucune dépense.
Bien que le projet de loi vise à encourager le Service correctionnel du Canada à mettre en œuvre des mesures existantes pour conclure des ententes avec les collectivités afin de leur permettre de fournir des soins communautaires et de garder des prisonniers, en fin de compte, le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales conserve le pouvoir discrétionnaire de conclure ou non ces ententes et d’en déterminer les conditions. Il n’est pas obligé de dépenser de l’argent.
En réponse à un rappel au Règlement semblable le mois dernier, le sénateur Klyne a bien décrit l’ampleur et la portée de mesures législatives présentées dans les dernières années au Sénat qui entraînent parfois des coûts indirects importants, mais permissibles. La pratique actuelle consiste à permettre le débat et à permettre au Sénat d’exercer ses pouvoirs législatifs. Comme le soulignait la présidence dans sa décision du 24 février 2009 :
Lorsque la situation est ambiguë, certains Présidents du Sénat ont préféré supposer que la question était recevable, à moins d’indication contraire ou jusqu’à preuve du contraire. Ce parti pris en faveur du débat, sauf lorsque la question est clairement irrecevable, est essentiel au maintien du rôle du Sénat en tant que chambre de discussion et de réflexion.
Si le recours au Règlement qui nous occupe est accepté, il risque de représenter un écart marqué par rapport à cette préférence en faveur du débat et par rapport au rôle que le Sénat joue actuellement dans le système parlementaire du Canada en réduisant considérablement nos pouvoirs législatifs.
Les Canadiens nous regardent et comptent sur nous pour ne pas renoncer indûment à nos obligations en tant que législateurs. En particulier, aujourd’hui, Tona nous regarde. Tona est une des femmes dans notre rapport sur les condamnations injustifiées de 12 femmes autochtones. Il est peu probable qu’elle vive assez longtemps pour voir sa déclaration de culpabilité cassée, mais j’espère que vous, chers collègues, veillerez à ce que son objectif de mettre fin au traitement des cas par des voies alambiquées puisse être atteint en adoptant le projet de loi S-230, la Loi de Tona.
Après des décennies de défense inébranlable et tenace de ses droits, Tona est enfin dans un logement avec assistance. Dans le temps qui lui reste avant de mourir, je crois que le Sénat lui doit — à elle et à tant d’autres qui ont vécu des horreurs dans les prisons fédérales — de débattre de ce projet de loi et de l’étudier.
Le projet de loi S-230 a été soumis au Sénat en bonne et due forme et, avec tout le respect que je vous dois, ce recours au Règlement doit être rejeté.
Merci. Meegwetch.
Honorables sénateurs, je vous rappelle que le recours au Règlement concerne une recommandation royale.
Honorables sénateurs, j’aimerais formuler quelques brèves observations à considérer dans le cadre de ce recours au Règlement.
Je siège au comité des affaires juridiques et constitutionnelles, et nous avons tenu une discussion très réfléchie sur la nécessité d’une recommandation royale. Je comprends de mieux en mieux ce concept, tout comme les brillants membres du personnel de mon bureau.
Le sénateur Tannas a dit craindre que le projet de loi, en exigeant la consultation de professionnels de la santé pour l’évaluation de la santé mentale, risque de nécessiter une recommandation royale.
D’abord, j’ai lu le rapport du directeur parlementaire du budget et, selon moi, ce projet de loi ne prévoit pas la dépense de nouveaux fonds, mais plutôt des façons de s’acquitter des responsabilités déjà prévues dans le projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi, un projet de loi déjà adopté qui énonce les responsabilités du gouvernement.
Le rapport du directeur parlementaire du budget décrit uniquement les dépenses et les ressources nécessaires pour se conformer à la loi, et non de nouvelles dépenses. Le montant principal, que le sénateur Carignan a soulevé, soit la somme de 6,8 millions de dollars, est lié à la nécessité d’instruire des affaires, au transport des prisonniers jusqu’aux tribunaux et au travail des avocats du gouvernement. Or, ces choses sont considérées comme étant des ressources.
Je cite une fois de plus le rapport :
[...] le DPB fournit une estimation du coût des ressources nécessaires pour satisfaire à la nouvelle exigence. C’est ce que nous appelons le coût direct du projet de loi.
Je cite en particulier ceci :
Cela ne signifie toutefois pas que le projet de loi autorise des dépenses supplémentaires. En fait, le coût direct du projet de loi représente un coût de renonciation [...]
Pour moi, ce coût de « renonciation » équivaut à une possibilité. C’est un coût possible.
Il y a un coût associé aux ressources dans de nombreux projets de loi qui ont été adoptés sans recommandation royale. Je vais donner un exemple que je connais bien, depuis le peu de temps que je suis ici : le projet de loi S-205, qui concernait la mise en liberté provisoire et les ordonnances d’engagement en cas de violence familiale. Cette loi exigeait que les défendeurs portent un dispositif de surveillance. Il allait y avoir un coût pour les ressources nécessaires à l’application de ce projet de loi et, pourtant, il a été adopté ici sans recommandation royale. J’imagine qu’il s’agissait d’un coût de renonciation.
Les dépenses possibles pouvant atteindre 2 milliards de dollars sont décrites par le directeur parlementaire du budget, mais elles sont discrétionnaires. Le rapport fait état de dépenses comprises entre 0 et 2 milliards de dollars pour l’autorisation, mais ce montant est laissé à la discrétion du Service correctionnel du Canada. Le projet de loi oblige seulement le commissaire du Service correctionnel du Canada à autoriser le transfèrement de personnes souffrant de troubles mentaux invalidants. Il n’oblige pas les établissements à accepter ces personnes ni le Service correctionnel du Canada à conclure des contrats pour disposer d’une capacité suffisante pour répondre aux besoins de toutes les personnes souffrant de troubles mentaux invalidants.
Je veux citer une décision très récente, la décision de la Présidente Gagné d’octobre 2024, où elle dit :
[...] il n’existe pas de somme d’argent précise qui déclenche l’exigence d’une recommandation royale. Si un projet de loi engageait une petite dépense pour des fins totalement nouvelles et distinctes, il pourrait nécessiter une recommandation royale, alors que de fortes augmentations des dépenses opérationnelles, par exemple en raison de la structuration de la manière qu’un organisme gouvernemental exerce des responsabilités existantes, pourraient ne pas en nécessiter une.
Mon argument, et ce que je veux souligner, c’est que le projet de loi C-83, qui est maintenant loi, énonce déjà ces responsabilités. Il n’y a rien de nouveau ici. Le projet de loi S-230 vise à tenir la promesse du projet de loi C-83.
Voilà mes arguments pour rejeter ce recours au Règlement et juger que ce projet de loi ne nécessite pas de recommandation royale, Votre Honneur.
Merci.
Honorables sénateurs, je voudrais ajouter quelques remarques. D’abord, en guise de contexte, le Comité sénatorial des affaires juridiques a fait l’observation suivante lorsqu’il a présenté son rapport sur le projet de loi S-230 au Sénat. Elle se lit comme suit :
Le Comité fait remarquer qu’il a demandé que le directeur parlementaire du budget fournisse une estimation des coûts en ce qui concerne la mise en œuvre du projet de loi S-230, à la suite de préoccupations exprimées par certains membres du Comité selon lesquelles le projet de loi, tel qu’il est actuellement libellé, pourrait nécessiter une recommandation royale.
Le 24 mai 2024, le Bureau du directeur parlementaire du budget a publié un rapport qui contient cette estimation, intitulé Estimation des coûts pour le projet de loi S-230 (modifications du système correctionnel). Un lien vers le rapport complet a été joint à l’observation.
Dans le cadre de son étude sur ce sujet plus tôt cette année, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a reçu une note procédurale de la part des greffiers au Bureau. Elle donnait de l’information procédurale de nature générale à propos des recommandations royales et de l’examen possible du projet de loi S-230 par le comité LCJC.
Cette note procédurale, qui venait des greffiers du Bureau, indiquait ce qui suit :
En particulier, une décision du 24 février 2009...
Il en a été question plus tôt.
... énumère un certain nombre de critères à prendre en compte pour déterminer si un projet de loi nécessite une recommandation royale [...] Les critères à prendre en compte sont les suivants...
Elle précise ensuite ce qui suit :
2. Le projet de loi renferme-t-il une disposition prévoyant des dépenses nouvelles qui ne sont pas déjà autorisées dans la loi? Si oui, il serait probablement nécessaire d’obtenir une recommandation royale.
3. Le projet de loi vise-t-il à élargir l’objet d’une dépense déjà autorisée? Si oui, il serait probablement nécessaire d’obtenir une recommandation royale.
4. Le projet de loi étend-il ou assouplit-il les conditions d’admissibilité? Si oui, il serait probablement nécessaire d’obtenir une recommandation royale.
Ce sont les indications que contenait la note de procédure des greffiers au Bureau du Sénat.
Votre Honneur, à mon avis, les dispositions du projet de loi S-230 pourraient potentiellement remplir tous ces critères. Je vous invite à en tenir compte, comme l’a expliqué en profondeur le sénateur Carignan aujourd’hui.
Je voudrais ajouter autre chose. La sénatrice Pate a fait référence à certains amendements qui avaient été proposés ici au projet de loi initial du gouvernement, le projet de loi C-83. Je soutiens que le projet de loi C-83 était un projet de loi du gouvernement et qu’il n’est donc pas pertinent dans le cadre de ce rappel au Règlement. Le projet de loi C-83 était un projet de loi du gouvernement, émanant de la Chambre des communes, c’est-à-dire un projet de loi d’initiative ministérielle. Pour toutes ces raisons, j’appuie le recours au Règlement du sénateur Carignan. Je vous remercie de votre attention.
Votre Honneur, je prends la parole brièvement pour m’opposer au recours au Règlement. Je remercie la sénatrice Batters de nous avoir rappelé que le comité a fait référence à l’étude du directeur parlementaire du budget. On y a fait référence ici à plusieurs reprises, de façon sélective par le sénateur Carignan et de façon plus complète par la sénatrice Pate. J’aimerais toutefois lire le texte tel qu’il apparaît dans les faits saillants, les principales conclusions du rapport :
Le coût direct des nouvelles activités requises par le projet de loi S-230 est estimé à 6,8 millions de dollars par an. Il s’agit principalement des coûts associés à la participation à de nouveaux processus judiciaires.
Deuxièmement :
Le projet de loi S-230 n’exige pas un élargissement direct des soins psychiatriques ou des modalités de garde alternatives pour les membres des communautés marginalisées.
Ce sont les termes du rapport du directeur parlementaire du budget. Je pense qu’ils sont très clairs quant aux critères permettant de déterminer si une recommandation royale est nécessaire.
En ce qui concerne les 6,8 millions de dollars, il faut bien sûr se montrer prudents, quelle que soit la somme dépensée, mais 6,8 millions de dollars sur un budget de 3,1 milliards de dollars, avec tout le respect que je dois à la sénatrice Pate, ce n’est pas 2 %. C’est 0, 2 %. Je pense qu’on peut dire qu’il s’agit de dépenses administratives mineures. Le directeur parlementaire du budget a déterminé qu’il s’agit des résultats naturels de la restructuration de l’organisation nécessaire à la mise en œuvre du projet de loi. Il ne s’agit pas de coûts nouveaux et directs et, par conséquent, ce projet de loi ne nécessite pas de recommandation royale. Je vous remercie.
J’irai rapidement, car la sénatrice Batters a bien repris les points que je voulais analyser. J’ajouterai toutefois deux détails.
Premièrement, quand la sénatrice Pate ou le sénateur Woo disent qu’il n’y aura pas d’obligation de procéder à la demande et que c’est un choix politique, je vous renvoie à l’article que je vous ai cité un peu plus tôt. En fait, le recours qu’a une personne détenue, lorsqu’elle considère qu’elle a été traitée injustement, c’est une réduction de la peine ou une libération. Donc, si elle n’a pas demandé d’être transférée dans une unité de soins après les 48 premières heures, la personne pourra prétendre qu’elle a été traitée inéquitablement. Elle peut alors avoir recours à une demande d’annulation de la peine ordonnée par un juge. Cela signifie que si la personne a reçu une peine de 25 ans dans un pénitencier et qu’elle dit qu’on aurait dû la transférer d’un établissement et présenter la demande, une réduction ou une annulation de la peine sera prévue par la loi. C’est un élément majeur, car certains risquent de le demander.
Deuxièmement, sur la question du montant d’argent, on oublie que le montant n’est pas minime et qu’il pourrait aller jusqu’à 2 milliards de dollars. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le directeur du budget. Le budget total est de 3 milliards de dollars. La sénatrice Pate disait qu’il s’agissait de choix et que cela pourrait se faire à l’intérieur de ce montant, mais une réallocation de 2 milliards de dollars dans un budget de 3 milliards de dollars, est-ce réellement faisable? Bonne chance. Cela dit, ils ont fait la preuve avec leurs arguments que le critère no 3 de la décision du sénateur Kinsella tombait justement dans cette catégorie, et que cela nécessite donc une recommandation royale.
Finalement, je ne suis pas contre le projet de loi ni contre son principe. Seulement, pour présenter ce genre de projet de loi, il faut être à la Chambre des communes, il faut être élu dans un gouvernement et il faut avoir le soutien du Cabinet pour obtenir la recommandation royale. On ne peut pas faire cela au Sénat; il faut se faire élire de l’autre côté pour ce faire.
Je serai très bref. C’est moi qui ai déclenché cette situation. Nous avons reçu ce que je pensais être un rapport intéressant du directeur parlementaire du budget. Je n’avais aucune idée de la façon dont les choses se passeraient. Il y a encore une question que je me pose, et j’espère que la Présidente, dans sa décision, pourra au moins y réfléchir.
Si j’ai bien compris, le directeur parlementaire du budget dit que 2 milliards de dollars pourraient être engagés comme coûts si les autorités choisissaient de faire autre chose que de se conformer à la formulation stricte du projet de loi. Comme le sénateur Carignan vient de le décrire, le projet de loi prévoit que, si une personne dans un pénitencier estime ne pas avoir été bien traitée, elle peut demander à être transférée à un hôpital psychiatrique. Le Service correctionnel du Canada serait obligé d’y transporter la personne.
C’est ce que disait le directeur parlementaire du budget : rien dans le projet de loi n’indique qu’il faille faire quoi que ce soit après cela. Si le Service correctionnel du Canada n’embauche personne ou ne prend aucun arrangement pour payer l’hôpital, on peut supposer que celui-ci refusera ou dira qu’il n’y a plus de place. Dans ce cas, ce que ce projet de loi aura accompli, c’est de forcer les employés à amener des gens à un établissement où ils seront refusés. Je suis certain que ce n’est pas l’intention de la sénatrice Pate. Sa noble intention est de veiller à ce que la personne soit prise en charge. La seule façon d’y parvenir, c’est que le gouvernement fédéral prenne les dispositions nécessaires pour financer cette initiative. La province ne le fera pas gratuitement.
Le directeur parlementaire du budget évite donc la question en disant : « Tout ce que ce projet de loi exige, c’est un trajet en voiture quelque part. » Il ne dit pas qu’il faut les placer quelque part et les y garder. Cela continue de me préoccuper. Je crains qu’à la Chambre des communes, lors du prochain débat sur cette question, ce soit un facteur qu’on néglige accidentellement parce qu’il y aura d’autres forces plus organisées pour débattre de cette question de l’autre côté. Peut-être voulons-nous simplement laisser le débat se dérouler de l’autre côté.
Cependant, c’est un élément auquel j’aimerais vraiment que Votre Honneur réfléchisse pour en déterminer le bon sens. Si les choses sont ainsi, il pourrait y avoir d’autres précédents tout aussi ridicules. Merci.
Le sénateur Woo a la parole, mais il dispose de peu de temps.
Je remercie le sénateur Tannas d’avoir soulevé ce point. Toutefois, dans le même esprit, j’invite Votre Honneur à aussi prendre en compte les autres dépenses de deuxième et de troisième ordre, ainsi que les économies. Comme l’a déjà dit la sénatrice Pate, on peut faire des économies tout à fait concevables et plausibles en ne plaçant pas des personnes dans des unités d’intervention structurée, des économies qui découlent du soulagement de leurs traumatismes mentaux.
Par conséquent, si nous décidons de prendre en compte les considérations de deuxième et de troisième ordre — ce que le directeur parlementaire du budget ne fait pas, notamment par principe —, nous devons examiner les économies et les dépenses.
Honorables sénateurs, je vais accorder brièvement la parole à la sénatrice Pate, ce pour terminer les observations sur le recours au Règlement.
Merci, Votre Honneur, et merci, sénateur Woo, de cette intervention.
Je voudrais seulement ajouter un détail que nous n’avons pas mentionné officiellement au Sénat, mais qui l’a été au sein du comité. Il y a eu des exemples, et j’ai témoigné du manque d’informations sur les dépenses faites avec l’argent devant être affecté à certaines de ces mesures après que le projet de loi C-83 a été adopté.
Nous avons également appris qu’il y a eu une tentative de conclure un contrat avec l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel il y a quelques années et que l’institut aurait réservé 20 lits supplémentaires en cas de problèmes de santé mentale pour un montant de 3 millions de dollars par an. Le Service correctionnel du Canada a refusé de financer cela, même si l’unité d’intervention structurée et les lits à sécurité maximale où sont actuellement placées les personnes qui iraient autrement à l’institut coûtent chaque année plus de 463 000 $ peuvent même coûter plus d’un demi-million de dollars. Vous pouvez faire le calcul. J’ai déjà fait la démonstration de ma faiblesse en mathématiques. Merci, sénateur Woo, d’avoir corrigé mes chiffres. Nous pouvons ainsi voir les économies réalisées.
Par conséquent, si nous voulons essayer de calculer les coûts, nous devons examiner qui a dépensé son argent de façon responsable et qui l’a dépensé de façon irresponsable.
Honorables sénateurs, je vous remercie d’être intervenus au sujet de ce recours au Règlement. La Présidente Gagné prendra la question en délibéré. Je suis sûre qu’elle rendra une décision rapidement.