Aller au contenu

Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

28 mars 2023


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-248, dans lequel la sénatrice Wallin nous propose de permettre les demandes anticipées d’aide médicale à mourir. La sénatrice Seidman, le sénateur Kutcher et le sénateur Ravalia ont déjà très bien fait connaître les questions qui méritent notre attention dans le présent débat, et je souhaite ajouter ma voix aux leurs.

Permettez-moi d’abord de faire un retour en arrière. En reconnaissant le droit d’obtenir l’aide médicale à mourir aux personnes, au moment de leur choix, la Cour suprême du Canada n’a pas seulement renversé sa position sur la prohibition criminelle de l’aide médicale à mourir. Avec l’arrêt Carter, la cour a invité les instances législatives et réglementaires, fédérales comme provinciales, à assumer la responsabilité d’une importante réforme sociétale qu’elle a reconnue comme étant difficile et complexe.

Par pure coïncidence, j’ai été nommée au Sénat au moment il étudiait le projet de loi C-14, le premier projet de loi pénal sur l’aide médicale à mourir. Les positions prises étaient variées et les débats, animés. Certains amendements proposés par le Sénat ont été acceptés, d’autres ont été rejetés, et plusieurs autres questions sont restées irrésolues ou allaient être examinées par un comité parlementaire qui devait être créé. À l’époque, nous comprenions qu’un chapitre venait d’être ouvert, le premier de plusieurs autres qui devaient suivre; les mesures législatives régissant l’aide médicale à mourir évolueraient. La mise en œuvre de lignes directrices réglementaires se ferait de manière progressive.

En statuant à son tour, en 2019, que le critère de la mort raisonnablement prévisible était contraire à la Charte, la Cour supérieure du Québec nous a rappelé cette responsabilité et nous a demandé de poursuivre ce que nous avions commencé. D’ailleurs, c’est ce que nous avons fait avec le projet de loi C-7 en révisant les critères d’accessibilité, en créant un nouveau volet de sauvegarde et en élargissant l’accès aux personnes souffrant d’un trouble mental lorsqu’il s’agit du seul problème médical.

Après l’adoption du projet de loi C-7, nous savions aussi qu’en soumettant encore une fois à un examen parlementaire les questions d’accès aux mineurs matures, des demandes anticipées, de la situation des soins palliatifs au Canada et de la protection des Canadiens en situation de handicap, ce débat allait revenir devant le comité.

Ce qui m’amène au projet de loi qui est devant nous.

À l’étape de l’examen du projet de loi C-7, dont j’étais la marraine, je considérais qu’il était plus prudent de s’en tenir aux dispositions à adopter pour se conformer à la décision Truchon. Le Comité des affaires juridiques ne s’était pas penché sur les demandes anticipées, à raison, car elles ne faisaient pas partie du projet de loi. À l’époque, je jugeais qu’il était prématuré d’examiner cet aspect de l’aide médicale à mourir. Même si j’étais d’accord sur le fond, je me suis abstenue de voter sur l’amendement de la sénatrice Wallin à propos des demandes anticipées.

Dans le cadre du projet de loi qui est devant nous, je tiens à souligner le travail de la sénatrice Wallin, qui nous a informés, après avoir pris le temps nécessaire pour consulter des experts, des organisations, des intervenants ainsi que des individus ayant l’expérience de cas vécus. Ce travail en profondeur et celui qui se fera en comité se reflètent positivement dès maintenant dans le texte qu’elle nous propose.

En vertu du projet de loi S-248, les demandes anticipées ne seraient permises qu’aux personnes qui sont déjà gravement malades. L’examen parlementaire par le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, que plusieurs jugeaient comme une condition préalable importante avant de permettre les demandes anticipées, s’est terminé le mois dernier par une conclusion semblable.

En 2021, lorsque je suis intervenue au sujet de l’amendement de la sénatrice Wallin au projet de loi C-7, je pensais qu’il fallait obtenir plus d’éclaircissements lorsque la personne n’aurait plus la capacité de prendre des décisions en matière de soins de santé et qu’il incombait à d’autres personnes, telles qu’un membre de la famille, de déterminer à quel moment et de quelle façon la demande anticipée serait invoquée et le prestataire de l’aide médicale à mourir serait contacté.

Je suis rassurée par le libellé du projet de loi S-248 selon lequel toute demande anticipée écrite devra inclure un ensemble de conditions médicales définies par le demandeur en étroite collaboration avec son médecin. Ces conditions doivent être clairement déterminées et observables par un médecin ou un infirmier praticien. Lorsque la personne aura perdu ses capacités, ces critères serviront de guide pour définir le moment où elle souhaiterait partir.

Cette disposition protège les personnes, comme l’a souligné la professeure Downie lors de son témoignage devant le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir :

Il n’y a pas de place pour la procuration dans ce contexte. C’est la personne qui a précisé ce qu’il fallait faire au moment où elle perdrait sa capacité de prendre des décisions, et le clinicien évalue objectivement les divers facteurs parce que la personne a donné toutes les précisions dans sa demande écrite. Elle a décrit comment les choses se passeraient. Les cliniciens peuvent faire une évaluation et décider si les conditions sont respectées ou non.

Aucun subrogé ne prend de décision.

Est-ce que les mesures de sauvegarde déjà existantes, combinées à celles qui sont inscrites dans ce projet de loi, sont assez solides pour empêcher une personne en situation de vulnérabilité de faire une demande anticipée contre son gré? Il me semble que oui. Comme je l’ai mentionné, c’est la personne concernée elle-même qui, en toute lucidité, définit dans sa demande initiale les critères qui seront à considérer. De plus, plusieurs autres personnes interviennent dans ce processus, parmi lesquelles se trouvent deux témoins indépendants dont le rôle est de confirmer que la demande écrite du bénéficiaire a été faite de manière volontaire et sans pression extérieure. Ne l’oublions pas, c’est un crime d’inspirer ou de forcer une personne à opter pour l’aide médicale à mourir.

L’autre filet de sécurité, c’est que la demande écrite d’avance doit être mise à jour tous les cinq ans par la personne concernée, tant et aussi longtemps qu’elle en a les capacités.

L’autre question à laquelle nous n’avions pas de réponse en 2021, c’est la complexité qui risquait de survenir lorsque les lois provinciales et territoriales devraient être harmonisées. Les choses ont évolué et continuent d’évoluer, puisqu’au moment où nous nous parlons, l’Assemblée nationale du Québec étudie les modalités d’un cadre provincial pour faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir. Ce cadre québécois, une fois adopté, ne sera toutefois pas applicable sans que l’on fasse au Code criminel une modification semblable à celle que nous propose actuellement la sénatrice Wallin.

Comme vous le savez, dans l’état actuel du droit pénal, la renonciation au consentement final tout juste avant de recevoir l’aide médicale à mourir n’est possible que dans des cas très limités. Un patient dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible peut prendre des dispositions avec son médecin pour renoncer à ce consentement, parce qu’il risque de perdre sa capacité décisionnelle avant la date choisie.

Un autre cas de figure concerne tout patient qui a permis à un médecin de poursuivre la procédure d’auto-administration si celle‑ci devait entraîner des complications et lui faire perdre sa capacité décisionnelle.

Le projet de loi S-248 prévoit qu’il serait aussi possible d’administrer l’aide médicale à mourir sans avoir obtenu le consentement final du bénéficiaire, sous réserve, comme je l’ai déjà indiqué, que les problèmes causant sa souffrance soient clairement indiqués dans sa demande écrite, et que ces problèmes puissent être facilement observés par le médecin ou l’infirmier praticien. Cet amendement proposé au Code criminel libérerait les personnes ayant reçu un diagnostic de démence ou de maladie d’Alzheimer d’une situation quasi intenable, soit celle de se voir imposer, lorsque les souffrances seront intenables, de prendre une décision alors qu’il est évident que la progression de la maladie affectera de manière irréversible la capacité de choisir et de décider.

Honorables sénatrices et sénateurs, il nous faut aussi écouter les Canadiens qui, année après année, sont de plus en plus nombreux à nous faire part de leur fort soutien aux demandes anticipées. Selon un sondage Ipsos effectué en avril 2022, 85 % des Canadiens appuient une demande anticipée pour une personne atteinte d’une maladie grave et irrémédiable et 77 % sont en faveur d’une demande anticipée sans diagnostic.

Il n’est pas toujours nécessaire d’attendre que les tribunaux demandent au Parlement d’intervenir pour agir. Les personnes qui sont obligées de recourir aux tribunaux portent déjà le lourd fardeau de leur maladie. Respecte-t-on leur dignité en leur laissant cette responsabilité, alors que la Cour suprême du Canada a déjà statué qu’elle nous incombait?

Je vais conclure cette intervention en soulignant à quel point, pour plusieurs personnes qui sont au centre de ce débat sur l’aide médicale à mourir, il y a une grande prise de position par rapport à la place de l’autonomie et de notre droit individuel de choisir. Déjà en 2019, la décision Truchon a provoqué cette réflexion en précisant d’entrée de jeu qu’il est essentiel de bien comprendre la condition d’un individu sur la base de son expérience personnelle, et non en tant que membre d’un groupe vulnérable.

On pouvait lire ce qui suit dans le jugement :

La vulnérabilité d’une personne qui demande l’aide médicale à mourir doit exclusivement s’apprécier de manière individuelle, en fonction des caractéristiques qui lui sont propres et non pas en fonction d’un groupe de référence dit « de personnes vulnérables ». Au-delà de divers facteurs de vulnérabilité que les médecins sont en mesure d’objectiver ou de déceler, c’est l’aptitude du patient lui-même à comprendre et à consentir qui s’avère somme toute déterminante en sus des autres critères prévus à la loi.

Voilà des paroles qui résonnent fortement en moi. Cette réflexion sur l’autonomie a toujours été présente au sujet de l’aide médicale à mourir, et je crois qu’il en sera toujours ainsi. Le sénateur Woo y a aussi fait allusion dans son récent discours sur le projet de loi C-39 :

[J]e signale à l’ensemble des sénateurs qu’il y a un changement de paradigme perceptible dans l’argumentaire pour l’aide médicale à mourir — on a d’abord parlé de mort raisonnablement prévisible, puis de problèmes de santé graves et irrémédiables et, enfin, d’autonomie.

Je ne suis pas en désaccord avec vous, sénateur Woo. J’ai aussi apprécié la finesse de vos réflexions et la force de vos arguments en appui à cette observation.

Moi aussi, j’ai remarqué que cette transition vers l’autonomie est un facteur clé de l’élaboration des politiques. Je le constate dans cette conversation au sujet de l’aide médicale à mourir, mais aussi dans d’autres domaines de notre société. Je trouve cela rassurant. C’est lorsqu’on se retrouve soudainement en grande perte d’autonomie qu’on réalise à quel point cette autonomie est importante et qu’il vaut la peine de lutter pour l’autodétermination.

Les personnes en situation de vulnérabilité vivent dans un monde où de nombreuses décisions sont prises en leur nom, et lorsque cela se produit, on constate encore davantage à quel point il est primordial d’avoir le droit de faire ses propres choix.

Le droit de choisir reste pour moi un droit non négociable, quand on en a, bien sûr, les capacités et quand des balises raisonnables et sécuritaires ont été établies.

Les demandes anticipées auxquelles ce projet de loi nous demande de réfléchir représentent un prolongement de notre capacité à prendre des décisions pendant qu’on est en mesure de le faire.

Me Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades, disait, et je cite : « Il est question de l’autonomie, du libre arbitre de la personne. » C’est simple, mais pour moi, ces propos résument tout.

En espérant que nous aurons bientôt le privilège d’étudier ce projet de loi en comité, je tiens à conclure en soulignant le travail sérieux, rigoureux et important que cette Chambre fait à chacune des étapes dans nos réflexions et dans nos décisions au sujet de l’aide médicale à mourir.

Sénatrice Wallin, votre point de vue dans ce débat est essentiel. Votre travail et votre persévérance pour rendre possibles les demandes anticipées sont remarquables. Chère sénatrice, je vous en remercie.

Meegwetch. Merci.

Haut de page