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La présence du racisme et de la discrimination au sein des institutions canadiennes

Interpellation--Ajournement du débat

25 juin 2020


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition)

Ayant donné préavis le 16 juin 2020 :

Qu’il attirera l’attention du Sénat sur la présence du racisme et de la discrimination au sein des institutions canadiennes.

— Honorables sénateurs, je m’excuse sincèrement de prendre la parole à cette heure tardive, mais cette interpellation est très importante. Si ce n’est pas aujourd’hui, il faudra attendre à l’automne prochain. Je vous demande de bien vouloir m’accorder votre indulgence et de faire preuve de patience.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour lancer une interpellation sur la présence du racisme et de la discrimination au sein des institutions canadiennes.

Chers collègues, bon nombre d’entre nous n’ont pas personnellement subi du racisme. Pour cette raison, nous ignorons souvent ce que les minorités visibles doivent affronter régulièrement. Il est facile pour nous de reconnaître les cas flagrants de racisme. Cependant, nous sommes beaucoup moins perspicaces et conscientisés lorsqu’il s’agit de relever les formes subtiles d’oppression qui ciblent beaucoup de gens au Canada. Il est franchement tragique qu’il ait fallu le meurtre insensé d’un homme aux États-Unis pour amener cette conversation à l’avant-plan.

Chers collègues, il nous incombe de représenter les minorités dans cette enceinte. En tant que parlementaires et législateurs, nous nous devons de participer au débat de société actuel sur le racisme au Canada. C’est pour cette raison que je fais cette interpellation aujourd’hui. La semaine dernière, nous avons eu un débat d’urgence, qui a été proposé par la sénatrice Moodie. J’ai écouté avec grand intérêt les propos qui ont été tenus à cette occasion. Aujourd’hui, nous nous sommes formés en comité plénier pour discuter du même problème.

Il faut examiner à fond la question du racisme et de la discrimination au sein des institutions canadiennes. Comme il s’agit d’un enjeu complexe, j’espère que cette interpellation nous permettra d’approfondir le débat que nous avons entamé la semaine dernière. Je pense qu’il est important que nous favorisions la tenue de vastes consultations tout en respectant les paramètres d’une interpellation. Cela nous donnera l’occasion de réfléchir aux choses que nous avons entendues et, plus important encore, permettra à tous les sénateurs de participer à la discussion au cours des jours, des semaines et des mois à venir si c’est leur volonté.

Les perspectives uniques qui nous sont communiquées des différentes régions seront essentielles pour comprendre la portée et la prévalence du racisme et de la discrimination fondée sur la race au Canada. En tant que parlementaires, on nous offre une tribune. Ce qui est encore plus important, c’est qu’on nous confie la responsabilité d’être la voix des groupes sous-représentés. Il n’est pas question de débiter des platitudes, de prononcer des discours condescendants ou de produire un autre rapport qui ne fera qu’amasser de la poussière sur une étagère.

On encourage les gens du monde entier à avoir des conversations difficiles, même si c’est malaisant. Nous devons être libres d’avoir ces conversations, car c’est la seule façon dont nous pouvons apprendre de l’expérience de chacun et, ultimement, évoluer en tant que société.

Malheureusement, ce n’est pas tout à fait ce que nous observons depuis quelques semaines. Nous constatons une intensification de la « cancel culture », réclamant le congédiement et le boycottage des personnes qui n’adhèrent pas strictement à une philosophie politique identitaire.

Chers collègues, si une personne s’oppose au retrait d’une statue d’un personnage historique imparfait, met en doute la validité du concept de privilège fondé uniquement sur l’identité de groupe, conteste le niveau de racisme systémique au sein d’une institution ou désapprouve une certaine méthode de protestation, ce n’est pas une raison pour rejeter cette personne d’emblée. Comment pouvons-nous nous attendre à nous éduquer les uns les autres et à apprendre les uns des autres si nous excluons de façon préventive des personnes de la conversation?

Le Sénat est l’une des tribunes qui doivent pouvoir tenir les conversations difficiles. Il a été conçu précisément dans un but de réflexion objective, ce qui implique la réception de tous les camps et d’une diversité d’opinions. Tandis que nous participons à cet important dialogue, donnons à chacun le bénéfice du doute. Soyons courtois. Permettons la tenue des conversations difficiles. Comme l’a déclaré le conférencier Peter Bromberg :

Lorsque nous évitons les conversations difficiles, nous nous soustrayons à un malaise à court terme, mais nous héritons, en contrepartie, d’un dysfonctionnement à long terme.

Chers collègues, s’il y a de nombreux épisodes de notre histoire qu’il faut souligner avec fierté, le Canada, comme tous les pays, a vécu sa part d’ombre remplie de confrontations et de luttes pour l’égalité depuis qu’il a été fondé. Ce qui fait la distinction du Canada, cependant, c’est la croissance, le progrès, le désir d’apprendre, la capacité de reconnaître les torts et la volonté de changer.

Avant la Confédération en 1867, de nombreuses personnes ont été attirées par ce nouveau pays parce qu’elles étaient en quête d’une liberté face aux persécutions et de la chance d’améliorer leur sort. L’arrivée des colons européens et le déplacement et l’assimilation des peuples autochtones qu’elle a amenés, suivie des conflits entre la France catholique et l’Angleterre protestante pour le contrôle politique du Canada, constituent des tensions bien documentées. La route vers la réconciliation des divisions, l’unité, l’équité et l’égalité ne pouvait qu’être longue et sinueuse.

La création des traités, l’abolition de la traite des esclaves, le mouvement des suffragettes, qui a mené au droit de vote des femmes et à la possibilité pour elles de se présenter en politique, ont été les premiers pas vers un rapprochement. Les droits des travailleurs ont commencé à être établis pendant la Première Guerre mondiale, lorsque des manifestations ont permis l’établissement du droit à un milieu de travail sûr et à un salaire décent.

La question urgente dans les débats qui font rage partout dans le monde aujourd’hui, c’est le racisme. Il est impossible de saisir la totalité des actes racistes qui ont été commis au cours de notre histoire, mais permettez-moi de passer en revue quelques exemples de politiques et de décisions passées qui reposaient sur des croyances racistes archaïques et qui ont été reconnues ultérieurement par des gouvernements canadiens.

La taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois a été en vigueur de 1885 à 1923, et il s’agissait d’un effort délibéré pour réduire l’immigration chinoise. Le premier ministre Harper, au nom du gouvernement fédéral, a présenté des excuses officielles le 22 juin 2006. En mai 1914, le Komagata Maru, un navire qui transportait 376 immigrants éventuels venus de l’Inde, n’a pas été autorisé à accoster à Vancouver, uniquement parce les passagers étaient sikhs. Lors de la Première Guerre mondiale, les gens d’origine ukrainienne ont été désignés comme sujets d’un pays ennemi et ont été internés dans des camps.

En 1939, le MS St. Louis, un paquebot transportant 907 réfugiés juifs allemands qui est arrivé dans les eaux canadiennes après s’être vu refuser l’entrée à Cuba et aux États-Unis, s’est aussi fait refuser l’entrée au Canada. Le paquebot est retourné en Europe, où au moins 255 de ses passagers sont ensuite morts dans l’Holocauste. Entre 1939 et 1945, il y a eu l’internement, la réinstallation et la déportation des Canadiens d’origine japonaise et italienne, à qui on a aussi confisqué les biens.

Pour ce qui est des Autochtones, je vous rappelle que c’est seulement en 1960 que la Loi sur les Indiens a été modifiée afin de leur permettre de voter aux élections fédérales sans perdre leur statut d’Indien. Quant aux répercussions des pensionnats autochtones, je crois que nous les connaissons tous.

Il ne s’agit évidemment pas d’une liste exhaustive, chers collègues. Même s’il peut être décourageant de se rappeler tous ces moments sombres de notre histoire, on peut aussi y voir l’émergence d’une culture réparatrice, et je crois qu’il s’agit d’un élément crucial au moment où nous nous embarquons dans une discussion d’une importance capitale. Comme d’autres l’ont dit avant moi, ceux qui sont incapables de tirer des leçons de l’histoire sont condamnés à la répéter.

Alors, où en sommes-nous? Selon Statistique Canada, en 1871, soit lors du premier recensement après la Confédération, une vingtaine d’origines ethniques étaient reconnues parmi la population. En 2016, il y en avait au-delà de 250, et plus de 41 % de la population a déclaré en avoir plus d’une. Plus de 2 millions de personnes ont déclaré être d’ascendance autochtone.

Chers collègues, ces chiffres sont importants, car ils permettent de brosser notre portrait. Les Canadiens sont fiers de leur identité sans pareille, mais ils sont aussi fiers de leurs origines personnelles. La promotion et la célébration du multiculturalisme font partie de nos plus grands atouts.

En 2020, je dirais que les Canadiens se considèrent chanceux de vivre dans un pays extrêmement accueillant, tolérant et inclusif. Cela dit, le 25 mai 2020, il y a exactement un mois, le monde a constaté et constate toujours le travail qu’il nous reste à accomplir, y compris chez nous.

Par exemple, la semaine dernière, le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, a exprimé sa frustration concernant une série d’affrontements violents, certains mortels, entre la police et des membres des Premières Nations un peu partout au Canada. Il a réclamé des actions concrètes, en soutenant que l’inaction en réaction aux différentes recommandations est ce qui « tue notre peuple », et ajoutant que ce n’est pas le moment de produire un autre rapport.

Je suis d’accord avec lui là-dessus. Comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas le moment de déposer un autre rapport sur une tablette déjà surchargée.

La semaine dernière, j’ai mentionné brièvement les mauvais traitements dont des Canadiens d’origine asiatique ont fait l’objet durant la pandémie de COVID-19. On comprend mal qu’un tel niveau d’ignorance existe au pays, mais c’est indéniable. À Toronto et à Vancouver, on a signalé que des personnes d’origine asiatique se sont fait lancer des injures racistes et cracher dessus dans la rue. Le service de police de Vancouver a enregistré une augmentation de 600 % des crimes haineux à l’endroit de la communauté asiatique.

Ce genre d’intolérance n’a pas sa place au Canada.

D’après un article de La Presse canadienne, le nombre de crimes haineux déclarés par la police a atteint un niveau record en 2017. Une grande partie de ces crimes ciblaient des musulmans, des juifs et des Noirs. Selon Statistique Canada, les crimes haineux sont en augmentation constante depuis 2014, mais ils ont augmenté de 47 % en 2017, ce qui est alarmant. Des données récentes montrent que ces crimes sont demeurés fréquents.

Dans le même article, on mentionne que 2 073 crimes haineux ont été signalés en 2017, et ce nombre englobe uniquement les crimes signalés. Combien d’autres crimes haineux ont été commis, mais n’ont pas été signalés? Il est terrible de penser que des Canadiens ont été ciblés à cause de la couleur de leur peau, de leur race, de leur religion ou de leur orientation sexuelle. Les victimes de discrimination et de racisme souffrent trop souvent en silence.

Malheureusement, même si le gouvernement actuel tient de beaux discours sur l’égalité, il n’a pas convaincu la population canadienne que des solutions concrètes s’en viennent.

Il y a eu nombre d’appels à l’action et de promesses du gouvernement Trudeau en ce qui concerne les Premières Nations, les Métis et les Inuits du Canada, mais bon nombre de ces promesses n’ont pas été remplies.

Dans un texte d’opinion publié dans le Globe and Mail le week-end dernier, Jody Wilson-Raybould a dit que, même si elle voudrait être optimiste et croire que le gouvernement actuel a la volonté, la compréhension et le courage nécessaires pour apporter un changement fondamental et révolutionnaire afin de lutter contre le racisme systémique, notamment en adoptant de nouvelles mesures législatives, politiques et pratiques, d’après son expérience, elle ne peut pas être aussi optimiste. Elle a écrit ceci :

À maintes reprises, je me suis rendu compte qu’on privilégiait les gestes symboliques inutiles et les mesures modestes et inefficaces plutôt que les efforts porteurs permettant de contrer les effets du passé colonialiste du Canada, de combattre le racisme systémique et d’éliminer les lacunes du système de justice pénale. Trop souvent, l’opportunisme politique l’a emporté sur la prise de mesures aussi audacieuses que nécessaires.

Au sujet du plus récent geste symbolique posé par le premier ministre, Mme Wilson-Raybould a écrit ceci :

La décision du premier ministre de « poser un genou à terre » et « d’écouter », le 5 juin, est un exemple de pratiques cyniques que nous devrions combattre et rejeter. Encore une fois, ce ne sont que des gestes symboliques qui ne servent à rien.

Ce sont les propos de Jody Wilson-Raybould.

Pour ce qui est des gestes symboliques qui ne servent à rien, nous n’avons qu’à penser au point de vue du gouvernement sur le fait de retirer des statues historiques et de changer des noms de lieux et de rues.

La semaine dernière, le premier ministre Trudeau n’a même pas voulu écarter la possibilité de changer le nom du Club Laurier. Chers collègues, sir Wilfrid Laurier est depuis longtemps célébré comme l’un des grands premiers ministres du Canada. Jean Chrétien l’a décrit ainsi : « Un visionnaire qui a ouvert le Canada sur le monde et qui a colonisé l’Ouest. Un pionnier de l’indépendance canadienne [...] Je me suis souvent demandé, alors que je réfléchissais aux questions difficiles du moment, comment m’inspirer de ses leçons et de sa sagesse. »

J’ai une longue liste de citations d’anciens dirigeants et premiers ministres libéraux et conservateurs au sujet de son énorme contribution à l’histoire canadienne.

Chers collègues, les personnages historiques devraient être jugés selon l’ensemble de leurs réalisations et non uniquement en fonction de leurs pires moments. Si le premier ministre soutient le retrait du nom Laurier, quel sera le prochain? Les Célèbres cinq? Qu’en est-il de Pierre Elliott Trudeau? Si les grandes contributions à l’histoire ne comptent plus et si nous jugeons les gens selon les normes d’aujourd’hui, les règles du jeu se resserreront de plus en plus jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne à célébrer. Est-ce là un progrès, chers collègues?

J’ai tendance à être d’accord avec le président de la France, M. Macron : les interventions de ce genre ne contribuent pas à éradiquer le racisme et reviennent à réécrire l’histoire. Au lieu de pontifier sur le déboulonnage de statues, le premier ministre aurait peut-être pu écouter la voix autochtone la plus puissante qui l’entourait, celle de sa ministre de la Justice, lorsqu’elle l’a imploré de réformer la justice pénale.

Chers collègues, l’heure n’est pas aux gestes symboliques, aux banalités et à l’à-plat-ventrisme. Notre pays a besoin de leadership, car le nombre de crimes haineux augmente constamment. Il n’y aura pas de changements concrets sans mesures concrètes.

Tandis que nous étudions comment nous pouvons faire mieux et aller de l’avant en tant que société, il est important d’avoir une vision globale du Canada. Pour reprendre les propos de Rex Murphy dans une de ses récentes chroniques, la plupart des Canadiens, la grande majorité d’entre eux en fait, sont horrifiés par le racisme et n’y seraient jamais partie prenante.

Je crois pouvoir dire sans me tromper qu’aux yeux de la planète, nos institutions, nos écoles, l’énorme accent que nous mettons sur la tolérance et l’acceptation, nos politiques en matière d’immigration et notre promotion du multiculturalisme suscitent l’admiration et sont même cités en exemple.

Chers collègues, je ne cherche aucunement à minimiser le sectarisme qui existe au sein de notre société, comme au sein de toutes les sociétés d’ailleurs. Toutefois, considérer le Canada comme un pays raciste ne rend pas une image complète et exacte de la réalité.

Pour ce qui est de savoir si le racisme est systémique dans certaines de nos institutions, je pense qu’il serait utile d’approfondir la question. Or, le premier ministre Trudeau n’a pas proposé la moindre solution concrète pour s’attaquer aux problèmes liés à l’inégalité raciale, mais c’est avec fierté qu’il dit publiquement que notre pays est raciste et que nous devrions en avoir honte. On parle du Canada, le pays que les premiers ministres, libéraux et conservateurs, ont toujours vanté comme le meilleur pays du monde. En cette période difficile de notre histoire, notre premier ministre devrait défendre notre pays avec vigueur, mais il a plutôt choisi de ne pas hésiter à le critiquer.

Alors, chers collègues, que faire maintenant? Il serait négligent de notre part de ne pas nous pencher sur la question de la brutalité policière dans le cadre de cette analyse. Bien que nous n’ayons pas de données claires quant au rôle de la race dans les interactions fatales avec la police, je pense qu’on ne peut ignorer les relations depuis toujours tumultueuses entre les forces de l’ordre et certaines communautés.

Ainsi, en 2019, un sondage de YouGov aux États-Unis révélait que les Noirs craignent beaucoup plus d’être victime de violence policière que d’un crime violent.

Dans un article percutant, Radley Balko, collaborateur au Washington Post, soutenait en outre qu’aux États-Unis, les Blancs peuvent compartimenter la brutalité policière alors que les Noirs ne peuvent pas se permettre une telle chose. Il dit :

En tant que Blancs, lorsque nous voyons une vidéo d’un policier qui maltraite de façon injuste un autre Blanc, nous sommes en colère, tristes ou mal à l’aise, mais nous ne nous identifions pas à la personne maltraitée dans la vidéo. Nous nous disons que, si nous sommes polis et respectueux et que nous évitons de nous retrouver dans des situations de conflit avec les policiers, nous ne risquons pas de finir comme Daniel Shaver. La réaction d’un Noir qui voit la vidéo de l’agent Derek Chauvin qui place son genou sur le cou de George Floyd sera fort probablement plutôt : « Cela aurait pu être moi, ou mon fils, mon ami ou mon frère. »

Chers collègues, ces enjeux ont de multiples facettes. Il existe un contexte historique pour expliquer ce qui fait que certaines communautés ont développé une méfiance face aux forces de l’ordre. Autant aux États-Unis qu’ici au pays, des mesures significatives seront requises en vue d’une réparation efficace.

Cependant, je pense encore que réduire le financement de la police n’est pas la solution. Je trouve assez effrayant que le premier ministre n’ait pas rejeté la possibilité de réduire le financement de la GRC lorsque des journalistes lui ont posé la question récemment. Si l’objectif est de rapprocher la police et les communautés qu’elle sert, en quoi la réduction du financement de la police pourrait-elle être utile?

Cette idée voulant que la majorité des agents de la GRC, ou je dirais même la majorité des policiers, sont racistes, dangereux ou malveillants et qu’ils cherchent autre chose qu’à protéger et à servir la population, n’est tout simplement pas réaliste. Notre approche de cette question ne doit pas être motivée par les émotions ou la colère. Nous devons continuer à faire front commun pour demander que des améliorations soient faites, notamment qu’il y ait plus de transparence et une meilleure formation axée sur le désamorçage des crises. Ainsi, nous serons en mesure de commencer à rebâtir la confiance qui a été perdue dans nos relations conflictuelles avec les minorités. Lorsque nous voyons d’horribles actes de brutalité policière commis à l’endroit d’une minorité visible, il est facile d’accuser le policier en question d’être raciste. Je soupçonne toutefois que la question qui nous occupe est beaucoup plus complexe que cela.

Lorsque je me suis préparé pour cette interpellation, j’ai consulté le rapport de l’autre endroit, produit en février 2018 par le Comité permanent du patrimoine canadien intitulé Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie. Le rapport examine la question du racisme systémique. J’ai trouvé l’explication du sénateur Murray Sinclair fort intéressante. Permettez-moi d’en lire un petit extrait.

Les gens ont du mal à comprendre ce qu’on entend par discrimination et racisme systémiques. Cela tient à ce qu’il ne s’agit pas du type de racisme qui découle forcément du comportement, des paroles ou des actes de personnes, si ce n’est le fait qu’elles sont guidées par le système dans lequel elles évoluent. J’aime toujours à dire que le racisme systémique est le racisme qui reste après qu’on s’est débarrassé des racistes. Une fois qu’on est débarrassé des racistes dans le système judiciaire, par exemple, celui-ci continuera de faire preuve de racisme […] Par exemple, celui-ci continuera de faire preuve de racisme parce qu’il suit certains processus, règles, procédures, lignes directrices, précédents et lois qui sont par nature discriminatoires et racistes parce que ces lois, ces politiques, ces procédures et ces croyances — y compris des croyances qui dictent la façon et le moment d’exercer sa discrétion — viennent d’une histoire de la common law, qui vient d’une autre culture, d’une autre façon de penser.

J’aimerais remercier le sénateur Sinclair de son explication bien réfléchie. En essayant de déterminer si le racisme systémique existe dans certaines institutions — et, le cas échéant, dans quelle mesure il y est présent —, il est utile que tous aient la même définition du concept.

Cela dit, nous devons tenir compte des propos sur le racisme systémique tenus par la commissaire de la GRC Brenda Lucki. On peut être d’accord ou non avec elle sur l’ampleur du racisme systémique ancré dans les politiques et les procédures de la GRC, mais il n’y a pas de désaccord lorsqu’elle convient avec nous que le concept est difficile à définir. Elle dit avoir vu de 5 à 10 définitions du concept, comme c’est le cas pour nous tous, j’en suis certain. Après avoir eu de la difficulté à définir le terme, la commissaire a déclaré que le racisme systémique existait bel et bien au sein de la GRC.

Encore une fois, les réprimandes du premier ministre à cet égard ont mis en évidence l’hypocrisie manifeste du gouvernement qu’il dirige. En octobre 2018, le ministre Pablo Rodriguez a remis en question l’existence même du racisme systémique. Il était alors ministre du Patrimoine et du Multiculturalisme.

Honorables sénateurs, comment se fait-il qu’il soit inacceptable que la commissaire de la GRC reconnaisse qu’elle a du mal à définir un concept connu pour être difficile à définir avant de conclure à l’existence du phénomène au sein de l’organisme, mais que le premier ministre ne trouve pas bien grave que son ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme remette en question l’existence même de ce phénomène? Je ne me souviens pas qu’on ait demandé la démission du ministre à l’époque et, chose certaine, il n’a pas été réprimandé publiquement par M. Trudeau.

Honorables sénateurs, cette interpellation a pour but de nous amener à examiner ensemble, dans cette enceinte, la question de la présence de racisme et de discrimination au sein des institutions canadiennes. Il faut d’abord déterminer où le phénomène existe avant de pouvoir tenter de trouver des solutions. Nous avons un long chemin à parcourir, mais je pense que le vaste éventail de points de vue régionaux et culturels que nous pouvons apporter nous permettra de faire un examen constructif.

Voici quelques-unes des questions auxquelles nous devons répondre : où sont les fractures raciales dans ce pays? Comment reconstruire des liens de confiance entre les forces de l’ordre et certaines des communautés qu’elles servent? Y a-t-il des partis pris inconscients auxquels nous devons nous intéresser? Le racisme et la discrimination raciale sont-ils présents au niveau de l’exécutif dans nos institutions? Sont-ils présents dans toutes les institutions canadiennes? Est-il possible d’améliorer les processus d’embauche? Quels sont les facteurs qui ont conduit à une disparité de revenus aussi marquée entre les races dans ce pays? Existe-t-il des systèmes qui nous orientent vers une discrimination involontaire des individus? Voilà quelques-unes des questions que — espérons-le — nous allons explorer tout au long de cette interpellation.

Une chose me réconforte : avec les conceptions politiques et les idéologies très différentes qui régissent la façon dont nous, dans cette enceinte, voyons le monde et abordons les solutions aux problèmes auxquels nous sommes confrontés, nous nous sommes réunis pour débattre de la façon dont — et non pas de la question de savoir si — nous pouvons parvenir à l’égalité au Canada. C’est ce qui, chers collègues, fait qu’un pays comme le Canada est unique sur la scène mondiale. Le fait que nous nous efforcions constamment de faire mieux est ce qui fait du Canada un pays dont nous pouvons être fiers.

Honorables sénateurs, cela fait 57 ans que Martin Luther King Jr. a prononcé son discours « I have a dream ». Ce discours résonne encore aujourd’hui dans le monde entier. Les passages les plus cités de ce discours aujourd’hui sont les suivants :

Je rêve que mes quatre enfants vivront un jour dans un pays où on ne les jugera pas à la couleur de leur peau, mais à la nature de leur caractère [...]

J’ai un rêve aujourd’hui [...]

Pourquoi ces paroles ont-elles résonné avec autant de force? Parce qu’elles mettaient en lumière une vérité dérangeante. Certains membres de la société ont des croyances erronées et racistes profondément ancrées qui auront indubitablement une incidence sur la façon dont les minorités visibles évoluent dans le monde. Si ces paroles ont encore autant de force aujourd’hui, c’est parce que, même si nous avons fait des progrès considérables, c’est encore une réalité.

Honorables sénateurs, il est tragique qu’il ait fallu un cas horrible de brutalité policière pour ouvrir la porte à ce débat qui s’impose depuis longtemps. Néanmoins, il y a un parallèle à établir avec l’affaire Harvey Weinstein, qui a mené au mouvement #MoiAussi. À l’époque, de nombreuses discussions ont eu lieu et elles se poursuivent. Ces conversations étaient troublantes et remplies de désaccords, et pourtant, elles ont entraîné des apprentissages et, ultimement, des changements concrets.

De la même façon, nous avons maintenant la possibilité d’écouter des groupes de la société qui se sentent peu valorisés et peu respectés. Qu’il y ait des personnes qui luttent encore pour un traitement égal au regard de la loi et qui ont l’impression de ne pas être des membres à part entière de la société, égaux aux autres, simplement à cause de la couleur de leur peau signifie qu’il y a beaucoup de travail à faire. J’espère sincèrement que nous pourrons continuer le progrès pour lequel le Canada est reconnu sur la scène mondiale et saisir la chance qui nous est offerte à ce moment décisif de l’histoire.

Je vais conclure, honorables sénateurs, par le passage suivant des Psaumes, chapitre 34, verset 18 :

[P]roche est Yahvé des cœurs brisés,

il sauve les esprits abattus.

Honorables sénateurs, nous avons l’obligation de défendre les personnes au cœur brisé et aux esprits abattus. Je vous remercie.

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

Je tiens à remercier le sénateur Plett d’avoir lancé cette interpellation.

J’aimerais attirer votre attention sur l’article « Race, Power and Policy: Dismantling Structural Racism », que l’on pourrait traduire par « La race, le pouvoir et les politiques, ou comment démanteler le racisme structurel », du Grassroots Policy Project, car j’ai grandi dans un pensionnat. Or, dans ce genre d’établissement, on apprend vite à internaliser bon nombre des choses qu’on nous apprend. Alors bien souvent, je dois redescendre au plus profond de mon âme pour faire remonter mes souvenirs et retrouver cette partie de moi-même.

« Qu’est-ce que je peux faire pour vous aujourd’hui? », ai-je un jour demandé à une patiente en inclinant la chaise, ce qu’elle a fait. Elle était triste, elle avait le teint pâle et les traits tirés, et elle évitait mon regard, même si elle était déjà venue moi voir auparavant. Je lui ai demandé s’il y avait quelque chose qui n’allait pas et j’ai doucement posé ma main sur son bras. Elle a éclaté en sanglots. J’ai alors remonté la chaise et j’ai demandé à mon assistante de nous laisser. La dame m’a raconté son histoire et les profonds traumatismes qu’elle avait vécus. Je lui ai expliqué que le moment était mal choisi pour s’occuper de ses dents et qu’elle avait besoin d’aide pour mettre de l’ordre dans sa tête. Je lui ai proposé d’aller voir l’infirmière avec elle, car elle avait besoin d’aide pour tourner la page, mais aussi de soutien en général. Je lui ai dit que je déplacerais son rendez-vous au mardi suivant.

Comme j’ai œuvré pendant plus de 30 ans auprès de communautés des Premières Nations, je suis bien placée pour savoir qu’il est mal vu de leur prodiguer des soins holistiques. Lorsqu’on nous donne la marche à suivre, on nous dit qu’il faut suivre le protocole à la lettre, peu importe la situation du patient. Je ne m’étais jamais vraiment posé de questions, mais avec le temps je me suis rendu compte que je fournissais des soins de manière inadéquate.

Les troubles de santé mentale de mes patients sont à la source de leurs autres problèmes. Ainsi, ce jour-là, ce n’est pas des soins dentaires qui s’imposaient, mais bien des soins de santé mentale. Or, lorsque je prends de telles décisions, je me fais taper sur les doigts par le gouvernement parce qu’il juge que je n’effectue pas bien mon travail.

Le mardi suivant, ma patiente m’a appelée pour me dire qu’elle ne serait pas mesure de se présenter au rendez-vous. Je lui ai dit de nous téléphoner lorsqu’elle serait prête et que nous lui ferions une place.

Le jeudi soir, elle a été amenée, inconsciente, à l’infirmerie. L’infirmier lui a donné son congé, alors qu’elle était toujours inconsciente, pour qu’elle soit transférée en cellule, ce qui va à l’encontre des normes de soins. Elle n’aurait pas dû être obtenir son congé, et le membre de la GRC n’aurait pas dû l’accepter dans cet état, car la GRC est incapable de surveiller convenablement les personnes inconscientes.

Le vendredi matin, elle a été ramenée à l’infirmerie sans aucun signe de vie. Les personnes qui partageaient sa cellule nous ont ensuite informés que, le matin, elle avait pleuré. Elle souffrait et elle avait demandé à être emmenée à l’infirmerie. Le membre de la GRC lui a dit : « Arrêtez de faire semblant. » Ce n’est que lorsqu’elle a de nouveau perdu conscience qu’elle a été transportée à l’infirmerie.

À 14 heures, après plusieurs tentatives infructueuses pour la ranimer, cette jeune femme est décédée. Pour beaucoup, elle n’est qu’une statistique de plus. Aucune enquête n’a été menée, et l’infirmier et le membre de la GRC ont été mutés dans d’autres réserves.

Qui est là pour protéger les peuples autochtones si ce n’est la GRC? Une réponse rapide et énergique des forces de l’ordre peut contribuer à stabiliser et à calmer la communauté, ainsi qu’à aider la famille à guérir. La GRC a privé cette femme de soins et elle l’a privée de sécurité. Cette absence de réaction amène les membres de la communauté à prendre conscience de leur impuissance et à se sentir encore plus victimisés par les personnes mêmes qui sont censées les aider et plus vulnérables par rapport à eux.

Que se passe-t-il quand ce sont les responsables du maintien de l’ordre et les professionnels de la santé qui contribuent au problème de l’injustice? Les superviseurs n’auraient-ils pas dû demander la tenue d’une enquête? Qu’en est-il de la primauté du droit?

Alors qu’on tentait de la réanimer, je me trouvais au bout du couloir, en train de réparer des dents. Je me rappelle avoir pensé à elle et à sa famille, mais j’avais des patients à voir. Cette situation m’a vraiment poussée à m’interroger sur la façon dont nous faisons notre travail dans le Nord. Ce fut une journée difficile pour moi.

Honorables sénateurs, aujourd’hui, je vous fais part d’expériences de racisme institutionnel et structurel systémique que j’ai vécues personnellement en travaillant comme dentiste dans le Nord. Il s’agit de faits qui se sont véritablement produits dans des réserves et qui ont touché des Autochtones, dont moi-même. Parfois, ce n’est qu’en racontant des histoires vécues que les gens arrivent à comprendre que, tous les jours, les Autochtones doivent faire face à des injustices et à de la violence, impuissants, sans pouvoir faire entendre leur voix.

Je tiens à vous dire que j’ai travaillé avec beaucoup de bons infirmiers — du personnel infirmier, des médecins et des membres de la GRC exceptionnels. Il y a toujours de bonnes personnes. Je voulais simplement le souligner.

Dans le premier Rapport mondial sur la violence et la santé, publié le 3 octobre 2002, la violence est définie comme suit :

La menace ou l’utilisation intentionnelle de la force physique ou du pouvoir contre soi-même, contre autrui ou contre un groupe ou une communauté qui entraîne [...] un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques, un maldéveloppement ou des privations.

La violence structurelle désigne « toute entrave au potentiel humain découlant de structures économiques et politiques ». C’est une citation de Johan Galtung qui remonte à 1969. Cette forme de violence se caractérise par « un accès inéquitable aux ressources, au pouvoir politique, à l’éducation, aux soins de santé ou à un statut juridique ».

La violence structurelle n’arrive pas par accident. Elle est plutôt le résultat de l’action humaine qui a mis en place ces systèmes. Elle se reflète dans l’exploitation, la pauvreté, la misère, le refus de répondre à des besoins fondamentaux et la marginalisation. Autrement dit, l’égalité peut être vue comme une forme de violence structurelle.

Comme vous le savez, pendant 11 ans, j’ai grandi au sein d’une institution, c’est-à-dire un pensionnat autochtone. Dans ce système, je me suis rendu compte que j’avais fini par croire au racisme, puisque je l’avais intériorisé et dirigé contre moi-même, car c’est bien ce qui m’était arrivé. J’ai grandi en ayant la conviction qu’il existait des structures de domination qui avaient été créées par le gouvernement et qui, dans mon cas, étaient appliquées par l’Église catholique. J’ai fini par diriger ce racisme contre moi-même, par l’absorber et l’assimiler parfaitement.

Encore aujourd’hui, je suis habitée par les effets dangereux de ce génocide. N’est-ce pas incroyable? Ce génocide est en moi. Il a été implanté en moi. Si je le veux, je peux éroder ma spiritualité à tout moment. Ce n’est pas parce que je suis devenue sénatrice que cela a effacé les effets de la racialisation que j’ai subie.

Comment faire toute la lumière sur l’accumulation et l’intégration de pratiques racistes de longue date, afin de les comprendre et de les reconnaître? C’est l’une des choses sur lesquelles je me penche en ce moment.

Dans l’une des communautés, j’ai accepté d’agir bénévolement à titre de présidente du comité d’école. Certains parents sont venus me voir pour m’informer que deux agents de la GRC prenaient un verre avec deux jeunes filles de la réserve. Dans cette communauté, comme dans bien d’autres, des agents de la GRC arrivaient par avion toutes les deux semaines et restaient trois ou quatre jours. J’ai rencontré les jeunes filles et elles ont confirmé qu’elles buvaient avec les agents de la GRC.

Ces deux personnes avaient confisqué l’alcool d’une des enseignantes qui vivaient sur des terres provinciales et avaient permis aux enseignants non autochtones d’avoir de l’alcool à la maison. J’ai dit à l’enseignante d’aller récupérer sa bouteille, car elle avait le droit de boire socialement, comme n’importe quel Canadien. Ce n’est pas un crime d’avoir de l’alcool pour le consommer en société.

Que faire dans cette situation? J’ai confié mon dilemme à l’une des infirmières et je lui ai demandé de parler à l’un des agents. Elle l’a fait. Lorsque l’agent est subséquemment venu à l’infirmerie, il m’a demandé : « Combien de temps allez-vous demeurer ici? ». « Très, très longtemps » ai-je répondu. Il a obtenu une mutation avant la fin du mois.

L’autre problème, c’est que tous les bagages à destination des réserves se font fouiller avant d’être chargés dans l’avion. Les passagers, eux, se font fouiller en atterrissant en terres provinciales avant de se rendre à la réserve. Comment la GRC ou ses représentants peuvent-ils faire ça? En fait, ce sont les chefs et les conseils qui leur demandent de le faire, pour éviter qu’on apporte de l’alcool dans les réserves, et notamment pour freiner la contrebande, qui constitue un gros problème dans de nombreuses réserves.

Cela dit, les règlements des chefs et des conseils ne sont pas normalement reconnus à l’extérieur de leur territoire sur terres fédérales, et parfois même à l’intérieur, comme nous l’avons vu avec le projet de loi sur la marijuana.

Lorsque l’agent de la GRC m’a demandé s’il pouvait me fouiller les poches, j’ai dit : « Non, c’est illégal. » Puis il m’a dit : « Vous avez le choix de remonter à bord de l’avion. » À cela, j’ai répondu : « Non, je n’ai rien fait de mal. Je viens seulement ici pour travailler. Si vous voulez me fouiller, faites-le sur les terres fédérales, pas sur les terres provinciales. »

Le système de fouilles de personnes et de bagages ne fonctionne pas. La contrebande sévit encore.

Ce que je souhaite vous faire comprendre, c’est qu’on a commencé par une application de la loi négative. C’est déjà comme si nous avons tous commis un crime, et la situation dure depuis des années. C’est la toute première interaction entre la police, la GRC, et les membres de la communauté.

Où est passé le principe de la primauté du droit? Comment se fait-il que la racialisation ait permis de créer et de renforcer les nombreuses situations d’injustices dans l’histoire que je viens de vous raconter? Ces jeunes filles étaient victimes de racialisation chaque jour de leur vie, dans leur propre quartier. Quelle idée devaient-elles maintenant se faire des forces de l’ordre? De quelles façons cette expérience a-t-elle renforcé leur marginalisation? Comment les policiers définissent-ils l’illégalité? Pour eux, la puissance est mère du droit.

Les adultes de la communauté doivent également composer avec toutes les manières dont les jeunes sont menacés et doivent les protéger de ce qui se fait là-bas, mais aussi des agents d’application de la loi.

Le récit de ces cas de racisme systémique et structurel dans les réserves implique les services policiers et les services de santé, mais au plus profond de ces histoires, on trouve également l’accumulation de pratiques de profilage racial bien ancrées de longue date au sein des établissements d’éducation, l’insécurité alimentaire, les pensionnats, l’itinérance et la violence conjugale, tous des facteurs qui interviennent dans les deux cas que j’ai racontés.

En matière d’éducation, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien verse 6 000 $ si c’est administré par la bande. Le même jeune sur le territoire provincial obtient 12 000 $. La réserve s’est donc dit qu’elle n’avait pas les moyens de faire subir cela aux jeunes et elle a déplacé les jeunes sur le territoire provincial et, du jour au lendemain, ces jeunes ont reçu 12 000 $ chacun. Lorsqu’il est question d’insécurité alimentaire, tout finit par s’accumuler.

Chaque jour de leur vie, ces personnes subissent les déterminants sociaux de la santé qui les entourent. Il existe de nombreux exemples de morbidités et de mortalité précoce, ce que certains appellent le « meurtre social ».

Comment les Autochtones peuvent-ils s’y retrouver au sein de ce système, un système politique et social créé de toute pièce pour eux? Comment les non-Autochtones peuvent-ils justifier le maintien de ce système? L’application de la loi et le système de santé ne sont pas les mêmes pour tous, le devoir de s’occuper des gens est carrément abandonné et la vie humaine ne compte plus, pas plus que le respect des droits de la personne comme la sécurité, l’intégrité et la sûreté.

Ces histoires sont réelles et il en existe beaucoup d’autres. Lorsque nous nous rendons dans la réserve — nous arrivons par avion le lundi et nous repartons le vendredi —, nous sommes témoins de telles histoires pratiquement chaque fois. Il ne faut pas mettre tous les agents de police dans le même panier, mais c’est le genre d’expérience que les gens du Nord vivent constamment.

Une infirmière avec laquelle je travaillais dans la réserve m’a dit que les professionnels de la santé et les sénateurs doivent être conscients de deux moments vitaux lorsqu’ils traitent avec les gens. Le premier de ces moments est celui où ils nous communiquent leurs besoins, alors qu’ils ont peut-être peur et sont peut-être désespérés.

Son Honneur le Président [ + ]

Excusez-moi, sénatrice McCallum, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

La sénatrice McCallum [ + ]

Oui, s’il vous plaît.

Son Honneur le Président [ + ]

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

La sénatrice McCallum [ + ]

Le premier de ces moments est celui où les gens nous communiquent à nous, sénateurs, leurs besoins, leurs demandes et leurs préoccupations alors qu’ils ont peut-être peur et sont peut-être désespérés. Le deuxième est celui où nous avons une incidence sur leur vie. La façon dont nous répondons à leurs demandes laissera une empreinte durable et sur eux et sur nous. Merci.

L’honorable Dennis Glen Patterson [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui dans le cadre de l’interpellation du sénateur Plett. J’aimerais remercier le sénateur Plett d’avoir fait en sorte que le Sénat utilise tous les outils dont il dispose pour trouver des solutions en vue de mettre un terme au racisme systémique au Canada. Ce n’est pas une mince tâche. Ce travail nécessitera de nombreuses étapes, car il faudra du temps et de la planification pour remédier à des générations de politiques, d’attitudes et de pratiques discriminatoires et racistes profondément ancrées dans nos institutions.

Même si j’aurais aimé avoir plus de temps pour apporter une contribution réfléchie à ce débat, j’estime que nous ne pouvons ajourner pour l’été sans avoir d’abord insisté sur l’importance de cette interpellation. À l’instar de la sénatrice McCallum, je souhaite raconter quelques histoires d’actualité.

Regis Korchinski-Paquet, une Autochtone noire âgée de 29 ans qui vivait à Toronto, en Ontario, est décédée le 27 mai après que sa mère ait appelé et imploré la police de l’emmener dans un établissement de santé mentale à la suite d’une dispute. Peu de temps après l’arrivée de cinq policiers à l’appartement de la famille, situé au 24e étage, Regis Korchinski-Paquet est tombée de son balcon. Bien que les détails demeurent nébuleux, la famille continue d’affirmer que cette jeune femme serait toujours en vie si les policiers étaient intervenus différemment.

Chantel Moore était une Autochtone âgée de 26 ans qui, selon sa famille et ses amis, tentait de reprendre sa vie en mains pour devenir une mère meilleure. Un policier a fait feu sur elle à plusieurs reprises à Edmundston, au Nouveau-Brunswick, alors que la police avait été appelée sur place pour vérifier qu’elle se portait bien.

Mona Wang, de Kamloops, en Colombie-Britannique, affirme qu’elle a subi de mauvais traitements physiques et émotifs alors qu’elle était en situation de détresse psychologique. La séquence vidéo de son immeuble montre la jeune étudiante en sciences infirmières, qui porte un pantalon et un soutien-gorge sport. Elle est traînée dans un couloir alors qu’elle est menottée. Lorsqu’elle lève la tête, l’agente utilise son pied pour la redescendre. Plus tard, elle tire sur les cheveux de Mme Wang.

Le chef Allan Adam de la Première Nation des Chipewyans d’Athabasca, dans le Nord de l’Alberta, a été violemment arrêté par des agents de la GRC pour une infraction automobile, à l’extérieur d’un établissement à Fort McMurray. Après une altercation verbale pendant laquelle le chef Adam accuse la GRC de le harceler, l’épouse du chef Adam est poussée contre une camionnette et crie : « Ouch! » Naturellement, le chef Adam va à la défense de son épouse, mais il est plaqué au sol et frappé à plusieurs reprises. On l’empêche de respirer. La violence de l’arrestation est telle que les accusations portées contre le chef Adam sont ensuite retirées.

À Kinngait, au Nunavut, un Inuk en état d’ébriété est frappé par la portière d’une camionnette d’un agent de la GRC. Il est ensuite plaqué et brutalement immobilisé par cinq agents. S’agenouiller sur le cou de l’homme fait partie des techniques utilisées. Plus tard, il est placé dans une cellule où il est agressé par un autre détenu.

Chers collègues, il ne s’agit pas de cas isolés. Ce ne sont malheureusement que quelques exemples des mauvais traitements que des institutions canadiennes font subir à des Noirs, des Autochtones et des personnes de couleur — des Canadiens. Dans ces cas, les incidents concernent les services de police.

Soyons clairs : comme la sénatrice McCallum vient aussi de le dire, je ne veux pas diminuer ou dénigrer le bon travail effectué par de nombreux agents honnêtes et compatissants, qui triment dur. Je sais que certains d’entre eux ont été blessés profondément par les événements qui ont fait les manchettes ces derniers temps. Je sais que plusieurs de nos collègues ont servi au sein de forces policières et que ce sont de bonnes et honorables personnes. Cependant, il est important de dénoncer les incidents de recours à une force excessive et de violence. Il est important de nommer les personnes dont les histoires sont au cœur même de nos délibérations. Il faut les nommer; on ne peut pas permettre qu’elles soient des victimes anonymes et oubliées. Ce sont des gens qui, partout au pays, ont subi les effets du racisme systémique, et on ne peut pas permettre qu’ils aient souffert en vain.

Sur ce, Votre Honneur, à moins qu’un autre sénateur souhaite prendre la parole, j’aimerais ajourner le débat pour le temps de parole qu’il me reste. Merci.

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