La Loi sur la Banque du Canada
Interpellation--Ajournement du débat
30 avril 2019
Ayant donné préavis le 21 février 2019 :
Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur la nécessité de revoir la Loi de la Banque du Canada et d’élargir son mandat.
— Honorables sénateurs, ce soir, je veux poser la question suivante : y a-t-il lieu d’élargir le mandat de la Banque du Canada afin de poursuivre l’objectif de l’emploi maximum ou du plein emploi productif, comme le font les États-Unis, l’Australie et, tout récemment, la Nouvelle-Zélande? Cette question peut vous paraître étrange à première vue, mais laissez-moi vous expliquer pourquoi je la pose et la raison pour laquelle j’aimerais vous convaincre qu’elle est importante.
Je vais d’abord expliquer le contexte dans lequel s’inscrit cette interpellation, puis je parlerai brièvement des raisons fondamentales qui militent en faveur d’un élargissement du mandat de la Banque du Canada.
Permettez-moi tout d’abord de replacer cette interpellation dans son contexte. Certains d’entre vous savent peut-être que la Loi sur la Banque du Canada a reçu la sanction royale le 3 juillet 1934 et qu’elle n’a jamais été révisée en profondeur afin de refléter les énormes changements économiques qui se sont produits depuis plus de 85 ans. À l’époque, 30 p. 100 de la main-d’œuvre travaillait dans le secteur agricole.
De plus, la loi ne prévoit aucun article qui spécifie le mandat de la Banque du Canada. On y trouve principalement des dispositions sur la gestion ainsi qu’un préambule qui explique les raisons pour lesquelles la banque centrale a été créée. Ce préambule se lit comme suit :
Considérant qu’il est opportun d’instituer une banque centrale pour réglementer le crédit et la monnaie dans l’intérêt de la vie économique de la nation, pour contrôler et protéger la valeur de la monnaie nationale sur les marchés internationaux, pour atténuer, autant que possible par l’action monétaire, les fluctuations du niveau général de la production, du commerce, des prix et de l’emploi, et de façon générale pour favoriser la prospérité économique et financière du Canada,
Sa Majesté, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte : la Loi sur la Banque du Canada.
En plus d’être de portée extrêmement vaste, ce préambule n’a aucune valeur juridique. Le reste de la loi traite surtout de la gestion de la banque.
À ses débuts, la Banque du Canada s’attardait à protéger la valeur extérieure du dollar canadien, à assurer la sécurité financière de nos institutions, à promouvoir la croissance et à réaliser l’ensemble des objectifs énoncés dans le préambule. C’est avec le temps, et surtout depuis les années 1970, que la politique monétaire s’est concentrée sur l’objectif de la stabilité des prix.
Certains d’entre vous se rappellent sans doute la stratégie monétariste agressive de lutte à l’inflation adoptée entre les années 1976 et 1990, qui a contribué à maintenir des taux d’intérêt très élevés. À cette époque, il n’était pas rare de voir des taux hypothécaires à 20 p. 100. De plus, le taux de chômage au Canada avoisinait les 10 p. 100 et approchait les 20 p. 100 chez les jeunes pendant les années 1980.
Pendant les années 1990, bien que la Loi sur la Banque du Canada soit demeurée inchangée, la stabilité des prix est devenue le mandat officiel de celle-ci. Depuis 1991, la banque signe avec le gouvernement du Canada une entente quinquennale qui établit une cible d’inflation guidant la conduite de la politique monétaire. La dernière entente conclue en 2016 doit être renouvelée en 2021. Cette entente prévoit que la banque mène ses activités de manière à cibler un taux d’inflation de 2 p. 100, soit le taux médian d’une fourchette qui varie entre 1 et 3 p. 100. En pratique, la Banque du Canada utilise le taux d’intérêt directeur de manière à stimuler ou à contracter l’activité économique afin d’atteindre un taux d’inflation moyen de 2 p. 100. La banque procède à l’annonce du taux directeur à date fixe, comme vous le savez, soit huit fois par année.
Cela dit, et je le répète, la loi ne fait aucunement mention de l’objectif principal de la politique monétaire ni de l’entente quinquennale que la Banque du Canada conclut avec le gouvernement. Elle ne spécifie pas non plus d’obligations de transparence qui expliqueraient comment et pourquoi la banque centrale décide du taux directeur.
Or, il en est tout autrement dans d’autres pays.
Je suis désolé, sénatrice, mais votre temps de parole est écoulé. Voulez-vous disposer de cinq minutes de plus?
Oui, s’il vous plaît.
Le consentement est-il accordé?
Merci, monsieur le Président.
De nos jours, une politique monétaire qui cible exclusivement l’inflation ne suffit pas.
C’est pourquoi la Banque de réserve de la Nouvelle-Zélande, par exemple, a décidé d’élargir le mandat de la politique monétaire et d’y ajouter la poursuite de l’emploi maximum. En effet, comme la politique monétaire est un outil puissant et que l’inflation n’est plus l’ennemi numéro un, pourquoi ne pas préciser qu’elle vise la prospérité économique, et notamment le plein emploi durable?
En réalité, depuis 2008, la politique monétaire au Canada, comme en Nouvelle-Zélande et ailleurs dans le monde, vise déjà à soutenir la croissance de l’emploi. Pourquoi ne pas le préciser officiellement?
En effet, l’approche équilibrée et responsable qui règne actuellement à la Banque du Canada mérite certainement d’être enchâssée dans la loi et dans l’entente que la banque conclut avec le gouvernement.
C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le mandat de la Banque de réserve de la Nouvelle-Zélande a été revu. Dans une récente allocution, John McDermott, gouverneur adjoint de la Banque de réserve de la Nouvelle-Zélande, a expliqué ainsi l’adoption d’un mandat dual, et je cite :
« Qu’en est-il de l’adoption d’un mandat « dual »? La Banque a toujours tenu compte de ce qui se passe dans le marché du travail, ce qui est encouragé par notre approche de plus en plus flexible. Depuis longtemps, nous rencontrons les entreprises et les organismes partout au pays, nous évaluons régulièrement les données disponibles sur le marché du travail et nous tenons à discuter de l’évolution de ce marché. Ainsi, mon sentiment actuel est que, dans une vaste mesure, les changements sont un moyen d’assurer la durabilité de la flexibilité de notre approche. »
Officialiser la poursuite d’un mandat dual serait rassurant pour la population canadienne, qui pourrait entreprendre avec plus d’assurance tous les investissements nécessaires pour s’adapter aux changements et aux risques auxquels nous sommes tous maintenant confrontés. Cela nécessiterait peut-être une collaboration plus étroite entre la politique monétaire et la politique fiscale, mais cela en vaut la peine.
En conclusion, chers collègues, comme vous pouvez le constater, la question que j’ai posée au début de ce discours mérite certainement qu’on s’y attarde. Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce pourrait assurément amorcer une discussion avec tous les intéressés sur cette question fort importante.
Je vous remercie de votre attention.
Je voudrais remercier la sénatrice Bellemare d’avoir soulevé cette question, qui est très importante à mes yeux et qui a besoin d’être modernisée. C’est dommage que ce ne soit pas dans le cadre d’une motion qui demanderait au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce d’effectuer une recherche, ce qui serait essentiel et souhaitable. Je ferai mes recherches.