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Projet de loi sur la Semaine d’appréciation de la fonction de juré

Troisième lecture--Suite du débat

9 mai 2024


Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-252, Loi instituant la Semaine d’appréciation de la fonction de juré.

Maintenant que notre ancien collègue le sénateur Boisvenu est parti à la retraite, j’ai repris ses fonctions de porte-parole de l’opposition dans ce dossier. Le projet de loi de la sénatrice Moncion ferait de la deuxième semaine de mai — c’est-à-dire cette semaine — la Semaine d’appréciation de la fonction de juré.

Je serai franche, chers collègues : alors que je me préparais à l’étude de ce texte par le Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie, j’étais sceptique. Ce ne sont pas les projets de loi d’intérêt public du Sénat qui manquent en ce moment. Nous consacrons beaucoup de temps et de ressources à leur étude, et au nombre de semaines de ceci et de jours de cela que compte déjà le calendrier, vous allez avoir du mal à me convaincre qu’il en faut absolument une de plus.

C’est dans cet esprit que j’ai assisté à la première réunion consacrée à ce projet de loi, en février, et nous avons alors reçu la sénatrice Moncion. Eh bien, chers collègues, je dois admettre que son témoignage m’a fait changer d’avis. La sénatrice Moncion a raconté avec honnêteté, franchise et candeur ses expériences de jurée et les répercussions sur son quotidien.

J’avais des questions à lui poser sur son projet de loi, et sans doute en avez-vous aussi. La sénatrice Moncion a très bien réussi à calmer mes appréhensions. J’aimerais vous faire part de ses réponses. Je vous invite également à aller voir la séance sur SenVu, si ce n’est déjà fait. C’est une heure de témoignage qui mérite amplement votre attention.

La sénatrice Omidvar a posé deux questions que je me posais moi aussi : pourquoi la sénatrice Moncion a-t-elle proposé une semaine de reconnaissance plutôt qu’une journée? Pourquoi a-t-elle choisi la deuxième semaine de mai?

La sénatrice Moncion a expliqué qu’une semaine donne plus de temps pour mener des campagnes de sensibilisation auprès du public afin de favoriser la compréhension de ce qu’implique la fonction de juré. La deuxième semaine de mai a été choisie pour correspondre à la semaine qui est déjà reconnue dans certains États — mais pas tous — des États-Unis.

La sénatrice Moncion a également fait remarquer que les tribunaux essaient de conclure les procès au mois de mai, et elle a donc fait valoir que le mois de mai pourrait être un moment approprié pour faire connaître et faire reconnaître les défis auxquels les jurés sont confrontés.

La sénatrice Cordy a ensuite demandé ce qu’une semaine de reconnaissance pourrait signifier pour les Canadiens qui ont fait partie d’un jury et pour les Canadiens qui n’ont pas fait partie d’un jury.

La sénatrice Moncion a parlé du sentiment d’aliénation qui peut découler du fait d’être juré. Elle nous a rappelé que, jusqu’à tout récemment, les jurés ne pouvaient pas parler à un psychologue ou à un psychothérapeute de leurs expériences. Elle espère qu’une semaine de reconnaissance réunira les anciens jurés. Elle a dit :

[...] le fait de faire partie d’un jury et d’entendre l’histoire d’autres personnes crée un lien entre nous. Nous avons réalisé que nous ne sommes pas les seuls à ressentir ce que nous ressentons.

La semaine serait l’occasion de conscientiser les Canadiens qui n’ont jamais eu à être jurés. La plupart des Canadiens ne savent pas ce qu’être membre d’un jury implique et c’est la même chose du côté des employeurs.

La sénatrice Moncion a mentionné les coûts associés au rôle de juré, auxquels bien des gens ne s’attendent pas. Une semaine de l’appréciation serait l’occasion de communiquer de l’information sur ces questions, ainsi que sur les éléments liés à la santé mentale, à l’accès à la justice et à l’accès à notre système judiciaire.

J’ai demandé à la sénatrice Moncion si une semaine d’appréciation de la fonction de juré ne risquait pas de décourager les gens de devenir jurés. La sénatrice m’a expliqué que, s’il y a de bons côtés à la fonction de juré, comme de se familiariser avec le système judiciaire, il y a également des conséquences. Elle a dit qu’il peut y avoir des raisons valables de ne pas devenir juré, comme la présence de problèmes de santé mentale et les contraintes financières. En étant mieux informés, les Canadiens seraient mieux outillés pour comprendre ce qu’on attend d’eux quand on les convoque pour exercer la fonction de juré.

J’ai également posé une question à la sénatrice Moncion au sujet des indemnités versées aux jurés, qui varient considérablement d’une région à l’autre du pays. Le projet de loi ne mentionne pas spécifiquement l’indemnisation, mais sans indemnisation adéquate, ce n’est pas tout le monde qui peut devenir juré. Si les provinces et les territoires en étaient plus conscients, ils seraient peut-être amenés à ajuster leurs régimes d’indemnisation afin que la participation à un jury soit accessible à tous les Canadiens.

Tous mes collègues au sein du comité ont posé des questions réfléchies et importantes à la sénatrice Moncion et aux témoins.

Nous avons entendu sept autres témoins au cours de l’étude du projet de loi S-252 : Tina Daenzer, qui a été présidente du jury au procès de Paul Bernardo en 1995 et qui est directrice des finances et cheffe d’exploitation pour la Commission canadienne des jurés; Mark Farrant, qui a été juré dans un procès pour meurtre au premier degré brutal en 2014 et a plus tard fondé la Commission canadienne des jurés; Dan Cozine, un directeur d’une école secondaire qui a été juré lors d’un procès pour meurtre et tentative de meurtre en 2016; Patrick Fleming, un employé municipal qui a été juré pendant les 10 mois qu’a duré un procès pour meurtre très médiatisé en 2014; l’honorable Patrick J. LeSage, ancien juge en chef de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, qui a présidé le procès de Paul Bernardo en 1995 et fait en sorte que les jurés bénéficient d’un soutien psychologique; Patrick Baillie, un psychologue qui a travaillé avec d’anciens jurés; et Jolene Hansell de la Criminal Lawyer’s Association.

Mme Hansell a rappelé au comité que les personnes noires, autochtones et de couleur sont surreprésentés dans le système de justice pénale, mais sous-représentées en tant que jurés dans les affaires où le défendeur fait partie d’un de ces groupes.

M. Baillie a réaffirmé le problème de la faible rémunération des jurés et a expliqué qu’il était difficile d’avoir un jury diversifié. Il a expliqué ceci :

[...] les contrats des employés syndiqués renferment souvent une clause prévoyant le versement du salaire — parfois pendant une période fixe — lorsque les employés ne sont pas au travail. Par conséquent, les jurys finissent souvent par ne comporter que des pensionnés ou des employés syndiqués. Ils ne sont donc pas nécessairement représentatifs de la communauté.

Il nous a raconté qu’il avait discuté récemment avec un ancien premier ministre et un ancien ministre de la justice à propos de la rémunération des membres d’un jury. Ils ont tous les deux affirmé qu’ils « pensaient que les failles en question avaient été réglées ». Selon lui, la Semaine d’appréciation de la fonction de juré serait un moyen efficace de rappeler aux gouvernements provinciaux et aux citoyens à l’échelle du pays les obligations qui leur échoient.

Chers collègues, aucun des témoins qui ont comparu devant notre comité n’était contre le projet de loi S-252. D’ailleurs, le comité n’a reçu aucune communication défavorable au projet de loi. Nous avons donc adopté le projet de loi sans amendement.

J’aimerais conclure avec les paroles de M. Cozine, le directeur de l’école secondaire et ancien juré de la Saskatchewan. Il nous a dit :

J’ai pris place au banc des jurés sans avoir la moindre idée de ce qui m’attendait. J’ai beaucoup appris sur le système de justice et les professionnels au sein des tribunaux, qu’il s’agisse des policiers, des avocats, des médecins, des coroners et même du juge. À ce titre, cette expérience a été très enrichissante. Or, le public a un point de vue très négatif de la fonction de juré. En instituant une telle semaine, on a la possibilité de changer cette perception. On peut ainsi mettre en évidence le fait que, même si la fonction de juré est une tâche difficile, elle peut s’avérer gratifiante : c’est une fonction au service du pays et du système de justice, ainsi qu’une expérience d’apprentissage. La semaine d’appréciation peut également sensibiliser les employeurs qui n’aident pas ou, dans certains cas, ne peuvent pas aider leurs employés qui sont appelés à faire partie d’un jury sur le plan de la rémunération, des avantages sociaux et des congés, notamment en leur accordant un congé après le procès pour leur permettre de se rétablir. Le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui sera très utile pour le système de justice, car il permettra de diffuser davantage d’informations sur les jurés, leur fonction et leur importance.

Chers collègues, les témoignages que j’ai entendus au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie m’ont persuadé qu’il faut adopter le projet de loi. J’espère que vous avez vous aussi été convaincus de l’importance de ce projet de loi et qu’il sera bientôt approuvé par le Sénat afin qu’il puisse être étudié à l’autre endroit.

Merci.

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