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Le lien entre la prospérité et l'immigration

Interpellation--Suite du débat

10 mars 2020


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer l’interpellation sur l’immigration et son lien avec la prospérité passée, présente et future du Canada, comme le préconise ma respectée collègue, la sénatrice Omidvar. Cette question revêt un intérêt particulier pour les Albertains et les Edmontoniens que je suis fière de représenter.

Edmonton aime se présenter comme une ville de festivals. À mon avis, aucun festival n’illustre mieux la ville que l’Edmonton Heritage Festival, qui dure trois jours. Chaque mois d’août, des centaines de milliers d’Edmontoniens affluent au parc Hawrelak, au cœur de la vallée verte et luxuriante de la rivière, pour célébrer la danse, la musique, l’artisanat et la cuisine de leurs cultures d’origine.

L’an dernier, il y avait 70 pavillons distincts dans le parc, représentant plus de 100 pays et cultures d’origine, aussi divers que la Mongolie, le Pérou, le Zimbabwe, l’Iran et l’Australie. Y a-t-il un autre endroit au monde où l’on peut grignoter un bolani afghan, tout juste sorti du grill, accompagné d’une bière libérienne à l’ananas et au gingembre, tout en regardant un numéro de danse d’un groupe K-pop?

Je ne suis pas une personne religieuse mais, au festival, je vis parfois des moments qui me semblent presque sacrés : quand je vois un groupe de grands-mères assises à une table de pique-nique, vêtues de saris éblouissants fuchsia et émeraude, qui avalent des perogies recouverts de montagnes de crème sûre; quand je vois les jeunes bénévoles du pavillon de la Jamaïque courir sur l’herbe et éclater de rire à la vue de leurs amis au visage tacheté par le sucre à glacer de leurs énormes beignes croates; quand je m’étends sur l’herbe pour digérer tout le pancit philippin que j’ai dégusté, que je ferme les yeux et que j’entends le rythme entraînant de la salsa qui joue au pavillon guatémaltèque et se mêle au son des pas rythmés des danseurs irlandais, de l’autre côté de la colline. Dans ces moments-là, le parc Hawrelak devient mon temple, un espace sacré où je peux savourer toute la beauté, la saveur, la richesse et la diversité d’une Edmonton moderne et multiculturelle à son meilleur. Le festival combine alors cosmos et cosmopolite.

Beaucoup d’Edmontoniens sont, comme moi, les enfants ou les petits-enfants d’immigrants. L’immigration continue d’ailleurs de bâtir et d’enrichir cette ville délicieusement polyglotte. Les immigrants sont même l’une des forces les plus dynamiques de notre économie en 2020.

Selon Statistique Canada, plus d’un quart de la main-d’œuvre d’Edmonton est composée d’immigrants et, dans certains secteurs, la proportion est beaucoup plus grande. Le personnel hospitalier d’Edmonton, des concierges aux médecins, compte 31 % d’immigrants, et celui des maisons de soins infirmiers et des foyers pour personnes âgées compte 52 % d’immigrants. À Edmonton, ce n’est pas seulement le secteur des soins de santé qui dépend de la main-d’œuvre immigrante. En effet, les immigrants composent plus de 30 % des travailleurs des banques, du secteur manufacturier et des transports.

Soulignons que les statistiques de Calgary, notre ville jumelle au sud, sont encore plus frappantes. Les immigrants représentent plus du tiers de la main-d’œuvre de Calgary, et plus de 60 % du personnel des foyers de soins. À Calgary, 47 %, soit près de la moitié des ingénieurs — et à Calgary, il y a beaucoup d’ingénieurs — sont des immigrants. Il en va de même pour 33 % de tous les Calgariens qui travaillent dans le secteur des services professionnels ou techniques. Le secteur énergétique de Calgary n’est pas le seul à dépendre de la main-d’œuvre immigrante, car plus de 40 % des travailleurs de l’industrie du tourisme, laquelle est cruciale pour Calgary, sont aussi des immigrants.

Bref, en Alberta, les hôpitaux, les banques, les universités, les hôtels, les restaurants, les serres de cannabis et l’industrie énergétique ne pourraient pas fonctionner sans le talent, l’esprit d’entreprise et le dévouement des nouveaux, et pas si nouveaux, Canadiens.

Pendant des années, Edmonton et Calgary, qui avaient des économies florissantes offrant pratiquement le plein emploi, mais aussi des logements relativement abordables, étaient en mesure d’attirer des immigrants sans trop d’effort. Même si les nouveaux arrivants n’atterrissaient pas en Alberta, ils finissaient souvent par s’y rendre, attirés par les perspectives économiques ou sociales.

Aujourd’hui, l’économie de l’Alberta est aux prises avec de sérieux problèmes, et ceux-ci semblent encore plus graves cette semaine en raison de l’effondrement des cours mondiaux du pétrole. Lundi, ils ont chuté de 25 %, plongeant les Albertains dans un état de choc. Les taux de chômage sont à la hausse. Nous ne baignons plus dans l’opulence. Pourtant, et c’est paradoxal, l’Alberta a besoin d’immigrants maintenant plus que jamais.

En cette période difficile, l’Alberta a besoin de personnes fortes, aventureuses et courageuses. Nous avons besoin de travailleurs immigrants, mais, surtout, nous avons besoin du talent et des compétences des immigrants, de leurs capitaux, de leurs investissements et de leur sens de l’entrepreneuriat.

À l’heure où Edmonton et Calgary peinent à s’ajuster à la nouvelle situation financière et aux nouveaux impératifs mondiaux, il est essentiel que l’Alberta, ses grandes villes, ainsi que ses plus petites collectivités, soient en mesure d’attirer de nouveaux arrivants qui peuvent jouer un rôle pour appuyer, développer et diversifier son économie. Il pourrait aussi bien s’agir d’agriculteurs d’origine néerlandaise qui ouvrent des serres à Lacombe, ou de confectionneurs de savons d’origine syrienne qui créent une gamme de produits de beauté à Calgary, ou bien d’ingénieurs iraniens qui mettent au point de nouvelles formes de télécommunications à Edmonton.

En dépit du taux de chômage à Edmonton, qui s’élève à 8 %, la ville est aux prises avec des pénuries d’emplois dans certains grands secteurs. Par ailleurs, la main-d’œuvre à Edmonton est vieillissante. Même si l’âge médian des habitants d’Edmonton est le plus bas de toutes les grandes villes du Canada, le pourcentage des travailleurs dans cette ville qui ont moins de 55 ans baisse constamment.

Les entrepreneurs et les propriétaires de petites entreprises d’Edmonton vieillissent aussi. Selon Statistique Canada, 36 % des Edmontoniens qui s’affichent comme travailleurs autonomes ont plus de 55 ans. Selon les estimations de Statistique Canada, quelque 23 000 propriétaires d’entreprise à Edmonton prendront leur retraite prochainement. Edmonton a besoin d’une nouvelle génération d’entrepreneurs pour stimuler la croissance dans des industries clés. Les résultats de recherches menées sur des dizaines d’années révèlent que les immigrants sont plus susceptibles de démarrer leur propre entreprise et de devenir des entrepreneurs que les personnes nées au Canada.

Qu’il s’agisse d’un restaurant géré par un père ou une mère de famille ou d’une société d’informatique de pointe, les entreprises d’Edmonton ont besoin d’un nouvel élan entrepreneurial, d’une nouvelle vision et de nouveaux capitaux d’investissement pour assurer leur réussite.

Non loin de là, Calgary doit aussi faire face à des difficultés semblables. Selon Statistique Canada, depuis 2010, le nombre de travailleurs âgés d’au moins 55 ans a augmenté de 62 % dans cette ville. Autrement dit, plus de 170 000 travailleurs ont plus de 55 ans à Calgary, tandis que le nombre de Calgariens âgés de 20 à 24 ans a diminué de 4,4 %.

À Calgary, plus d’un travailleur sur cinq dans les secteurs des services professionnels, scientifiques et techniques a plus de 55 ans, ce qui comprend 6 800 ingénieurs, directeurs techniques et ingénieurs technologues. Un travailleur sur quatre dans le secteur de la santé a également plus de 55 ans. Ici, au Sénat, nous savons tous que 55 ans représentent la nouvelle trentaine et que d’avoir plus de 55 ans ne signifie pas la fin de sa vie professionnelle. Tout de même, compte tenu des données démographiques, Calgary a besoin de sang neuf, de jeunes compétents et dynamiques, et l’immigration pourrait être la réponse.

Ainsi, en cette période de crise en Alberta, nous avons grandement besoin d’une stratégie nationale de l’immigration qui ne se concentrerait pas seulement sur les grandes villes comme Toronto, Vancouver et Montréal. Il nous faut une stratégie nationale de l’immigration qui soutient toutes les provinces du pays, y compris l’Alberta, dans le but d’attirer et de retenir les nouveaux arrivants dont elles ont besoin pour croître et prospérer. La stratégie doit aussi aider les nouveaux arrivants à tirer pleinement parti de leur formation et de leurs talents, en plus de reconnaître leurs études et leurs diplômes.

Voici quelques exemples de ce qu’une telle approche pourrait représenter en Alberta.

Selon les données fédérales, l’Alberta accuse toujours un retard par rapport à d’autres provinces en ce qui concerne l’attrait d’étudiants étrangers. Entre 2007 et 2016, le nombre d’étudiants étrangers ayant des permis d’études valides au Canada a augmenté de 130 %, en passant de 179 146 à 412 101 personnes. Cependant, au cours de cette même période, le pourcentage d’étudiants étrangers en Alberta n’a augmenté que d’environ 80 %. C’est évidemment une hausse marquée, mais elle est bien inférieure à 130 %.

Disons-le autrement : en date du 31 décembre 2016, l’Alberta accueillait seulement environ 5,7 % des étudiants étrangers du Canada, même si sa part de la population nationale était de plus du double. J’aimerais que cette interpellation nous aide à comprendre pourquoi les établissements d’enseignement postsecondaires de l’Alberta réussissent moins bien à attirer les meilleurs cerveaux de la planète, les scientifiques, les ingénieurs, les médecins, les intellectuels et les artistes de demain, ceux-là même qui pourraient aider notre province et notre pays à continuer d’avancer, pendant leurs études, mais aussi après, si jamais ils décident de rester.

Voici un autre exemple : il y a une population de langue française de plus en plus importante à Edmonton. Selon le recensement de 2016, plus de 27 000 citoyens d’Edmonton ont déclaré avoir le français comme première langue officielle parlée. En outre, le recensement a permis de découvrir que près de 7 000 citoyens d’Edmonton ont déclaré parler français et anglais — mieux que moi, je l’espère —, ce qui fait de cette ville, selon Statistique Canada, un des centres urbains canadiens comptant la population bilingue — qui parle français et anglais — la plus importante à l’extérieur du Québec. Voilà une réalité démographique qui m’a surprise, en vérité.

L’immigration francophone, en particulier celle qui provient d’Afrique, favorise la vitalité francophone d’Edmonton, mais les nouveaux arrivants n’ont souvent pas accès aux services en français dont ils ont besoin une fois qu’ils arrivent dans cette ville. J’aimerais que les manières dont le gouvernement fédéral pourrait appuyer davantage les immigrants francophones à l’extérieur du Québec fassent l’objet d’une enquête.

Voici un autre exemple. J’aimerais que cette interpellation s’intéresse de vraiment très près au Programme des travailleurs étrangers temporaires et au Programme des aides familiaux résidants, dont l’économie albertaine est largement tributaire. J’aimerais savoir si ces deux programmes servent vraiment les intérêts des travailleurs, des employeurs et de l’économie albertaine. J’aimerais avoir l’assurance que les travailleurs qui viennent ici grâce à eux ne sont pas laissés à eux-mêmes ou pris en otage par des employeurs irresponsables et sans scrupules. Comment offrir à ceux qui ont déjà prouvé leur éthique professionnelle et leur intégrité et montré qu’ils savent s’adapter à la réalité canadienne un moyen sûr et simple d’obtenir leur résidence permanente, voire leur citoyenneté?

Je pourrais continuer encore longtemps, mais je ne veux pas vous accabler d’exemples et je vois que le temps file.

Nous devons nous sortir de l’esprit l’idée que nous faisons une immense faveur à ces gens en les autorisant à venir s’installer ici. Nous devons plutôt comprendre que l’immigration constitue une relation symbiotique mutuellement profitable et que le Canada a besoin de ses immigrants autant que les immigrants ont besoin du Canada.

Je remercie la sénatrice Omidvar d’avoir lancé cette interpellation. Pour l’Albertaine que je suis, elle ne pourrait pas mieux tomber. Je vous invite à vous joindre à moi au parc Hawrelak en août prochain. C’est moi qui offre les bolanis.

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