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Affaires sociales, sciences et technologie

Motion tendant à autoriser le comité à étudier l'avenir des travailleurs--Suite du débat

17 mars 2021


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion no 27, une motion de notre collègue, la sénatrice Lankin, qui demande au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie de mener une étude sur l’avenir des travailleurs dans l’économie dite « à la demande ». En anglais, on parle de « gig economy ».

J’ai beaucoup réfléchi à l’origine du mot « gig ». Au départ, le mot renvoyait à un petit attelage à deux roues tiré par un seul cheval, un cabriolet léger convenable pour les déplacements rapides sur de courtes distances. On ne se servait pas d’un gig pour traverser le pays ni pour transporter une lourde cargaison de marchandises au marché. Le gig était le petit véhicule sport amusant, pas une diligence ni un chariot agricole. On l’empruntait pour le plaisir, pas pour longtemps. Dans certains cas, le mot « gig » pouvait également désigner une barque légère, étroite et rapide avançant au moyen d’avirons ou d’une voile. Toutefois, encore là, le gig était une embarcation de loisir qui ne convenait pas aux longs voyages sur l’océan.

La misogynie étant ce qu’elle est, le mot anglais « gig » a également été employé au XVIIIe siècle pour désigner une fille frivole ou dragueuse ou encore quelque chose qui tourne comme une toupie. Par contre, à la fin des années 1920, le mot anglais « gig » était généralement utilisé par les artistes de jazz pour désigner une période de travail à court terme, un spectacle, une tournée de concerts ou un contrat.

Aujourd’hui, nous donnons un autre sens à ce mot badin et vif. Il décrit des emplois précaires à court terme, qui sont souvent mal rémunérés. Il y a quelque chose de légèrement tordu et affligeant dans la mauvaise utilisation de ce terme, qui était autrefois utilisé pour décrire quelque chose un brin malicieux et joyeux, une activité amusante et occasionnelle. Il se peut que notre utilisation continue de ce mot nous empêche de voir la triste réalité de l’économie à la demande ou nous en protège un peu parce que, soyons honnêtes, en 2021, les gens n’occupent pas des petits boulots pour un peu d’argent de poche supplémentaire ou des à-côtés ou comme passe-temps. De nos jours, les gens cumulent avec peine les contrats et les emplois à temps partiel pour payer leur loyer, faire l’épicerie et acheter des manteaux et des bottes à leurs enfants. En qualifiant ces types d’emplois de « travail à la demande », on leur donne une image romantique, amusante, bohème et insouciante, alors qu’ils s’apparentent davantage au travail extrêmement pénible de l’économie industrielle, au travail à la pièce.

La COVID-19 a révélé à quel point il est difficile et contraignant de tenter de survivre ou d’améliorer son sort au moyen de contrats ou d’emplois à court terme ou à temps partiel, sans sécurité d’emploi et certainement sans assurance dentaire, assurance-médicaments ou pension. Il n’y a rien de cool ou de branché à occuper deux, trois ou quatre emplois à temps partiel simplement pour pouvoir se payer l’essentiel, encore moins lorsque ces emplois sont tous précaires ou mal payés.

Malheureusement, de nombreux types d’emplois qu’on considérait autrefois comme sûrs sont devenus des petits boulots à la demande. Si, en 1926, personne ne choisissait de devenir musicien de jazz ou vaudevilliste pour avoir une sécurité d’emploi, pour les professeurs d’université, les directeurs de publicité ou les avocats, une fois embauchés, ils avaient un travail — parfois pour la vie. De nos jours, pour bon nombre des milléniaux les plus jeunes, les carrières professionnelles qui étaient auparavant sûres se sont transformées en séries de petits boulots incertains.

Je crains que les bouleversements socioéconomiques engendrés par la COVID-19, notamment le nouveau paradigme de télétravail, ne fassent qu’exacerber l’effritement du tissu du marché du travail traditionnel.

Dans ma province, l’Alberta, notre relation amour-haine avec le travail à forfait ne date pas d’hier. Il y a une décennie, lorsque l’économie de la province était florissante, bien des gens étaient satisfaits de travailler en tant que sous-traitants indépendants plutôt que d’être des employés salariés. Ce mot, « indépendant », avait son importance pour eux. Travailler à forfait leur donnait un sentiment de liberté et de contrôle, comme les chevaliers errants de l’époque médiévale, ils n’étaient redevables à aucun maître dirigeant d’entreprise. Les contrats étaient assez payants que les gens acceptaient de ne pas avoir d’assurance-médicaments ou de sécurité d’emploi en échange d’une rémunération plus généreuse.

Beaucoup de gens du secteur albertain de l’énergie et d’autres domaines étaient heureux de décrocher un contrat lucratif à court terme, puis de passer au prochain projet, que l’on pense aux ingénieurs, aux experts-conseils en marketing, aux infirmiers ou aux travailleurs de la construction.

Toutefois, à la suite de l’effondrement des prix du pétrole et du gaz, beaucoup d’emplois de ce genre ont tout simplement disparu, et la pandémie a accentué la crise économique préexistante en Alberta. Les dernières années ont été sombres et difficiles pour beaucoup de gens de ma province. Des dizaines de milliers d’Albertains ont perdu leur emploi. L’Alberta n’a jamais eu autant besoin d’un débat sérieux sur la façon dont nous avons modelé la culture du travail dans nos collectivités.

Comme notre économie est associée aux ressources, nous avons l’habitude de traverser des cycles d’expansion et de ralentissement, que nous produisions des peaux de castor, du blé, du charbon ou du pétrole. Toutefois, l’idée troublante que la présente période de ralentissement pourrait devenir une nouvelle normalité demeure difficile à accepter.

Ce soir, je prends la parole pour soutenir la proposition de la sénatrice Lankin à la fois en tant qu’Albertaine qui s’inquiète des possibilités de relance économique dans sa province et en tant que mère qui voit sa fille et ses amis entrer sur un marché du travail où il semble parfois que tout le monde grappille ici et là pour arriver à gagner sa vie. J’espère que vous vous joindrez à moi pour exhorter le Sénat et le comité à relever le défi proposé par la sénatrice Lankin en examinant la façon avec laquelle nous avons organisé ou désorganisé le monde du travail. Merci. Hiy hiy.

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