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La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre

Projet de loi modificatif--Douzième rapport du Comité de l'agriculture et des forêts--Ajournement du débat

31 octobre 2023


L’honorable Robert Black [ + ]

Propose que le rapport soit adopté.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du 12e rapport du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, qui porte sur le projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.

Je suis heureux de vous informer que nous avons tenu sept réunions. Nous avons entendu 24 témoins et avons reçu 21 mémoires. J’ajoute que, en comparaison, l’autre endroit n’a tenu que cinq réunions de comité sur le projet de loi.

Je vais vous présenter un résumé de ce qui s’est passé au cours des sept réunions sur le sujet.

Trois amendements ont été proposés, et un seul a été adopté pendant l’étude article par article. L’amendement adopté, qui a été présenté par le sénateur Dalphond, limite le projet de loi à l’équipement qui sert au séchage du grain, en excluant le chauffage et le refroidissement des granges, des serres et d’autres structures.

Lorsque cet amendement a été proposé, ma collègue du Groupe des sénateurs canadiens, la sénatrice Burey, a invoqué le Règlement. Elle a fait valoir qu’apporter un tel amendement au projet de loi C-234 irait à l’encontre de ses principes et buts originaux, ce qui rendait l’amendement irrecevable. Après un débat sur le recours au Règlement, j’ai déclaré l’amendement irrecevable, à titre de président. Cependant, la décision du président a été rejetée par le vote suivant : 5 pour, 7 contre et 2 abstentions. L’amendement a ensuite été débattu, mis aux voix et adopté par le vote suivant : 7 pour, 6 contre et 1 abstention.

Par ailleurs, le rapport inclut maintenant quatre observations, une cinquième ayant été retirée parce qu’elle était très semblable à une autre qui a été approuvée.

Honorables collègues, je retire maintenant mon chapeau de président du comité, et je me concentre de nouveau sur mon point de vue de sénateur nommé au Sénat pour son expérience dans le secteur agricole. Comme vous le savez, je profite de toutes les occasions qui s’offrent à moi pour mettre en lumière cette industrie d’une importance cruciale. Je porte donc, maintenant, mon fameux chapeau d’agriculteur.

Je dirais, d’entrée de jeu, que je trouve qu’il est difficile de présenter ce rapport. Je suis extrêmement déçu — à titre de président du comité et de personne qui défend l’agriculture depuis toujours — de devoir d’abord déposer puis dénoncer ce rapport.

Comme je l’ai dit, chers collègues, le projet de loi comportait deux parties — le chauffage et le refroidissement des bâtiments et structures, et le séchage des grains —, mais il n’en comporte plus qu’une. L’amendement présenté par notre collègue de la métropole qu’est Montréal a été adopté et intégré au rapport, ce qui a pour effet d’éliminer la moitié du projet de loi puisqu’il exclut le chauffage et le refroidissement des bâtiments et des structures.

Je suis d’avis, comme les gens de l’industrie, que cet amendement va à l’encontre de l’intention initiale du projet de loi, celle d’alléger le coût de la taxe sur le carbone pour les agriculteurs. Dans sa forme actuelle, le projet de loi crée un précédent injuste au sein de notre industrie. Les agriculteurs canadiens travaillent sans relâche pour produire les aliments qui nourrissent le Canada et le monde, et ils affrontent des conditions de plus en plus difficiles.

Le comité s’est fait dire à maintes reprises combien le secteur avait besoin d’un allégement de la taxe sur le carbone, en particulier à l’approche des mois les plus froids, lorsque les agriculteurs devront chauffer leurs granges, leurs serres, et cetera. Les changements climatiques, les pénuries de main-d’œuvre, les perturbations commerciales et les effets durables de la pandémie de COVID-19 font des ravages dans le secteur agricole. En outre, l’augmentation des coûts de production associés aux intrants, aux fournitures, à la machinerie et au transport a déjà une incidence sur les produits agricoles de base.

Notre pays doit faire tout son possible pour soutenir les exploitations agricoles et veiller à ce qu’elles puissent continuer à prospérer malgré ces défis importants. Retirer du projet de loi le chauffage et la climatisation des granges et des autres structures va à l’encontre de cet objectif.

Bien qu’il existe des solutions de rechange plus écologiques pour le chauffage et la climatisation des bâtiments d’élevage, les difficultés auxquelles se heurte actuellement le secteur ne permettent pas aux producteurs de disposer du capital nécessaire pour s’offrir ces options plus vertes, car elles nécessitent des investissements astronomiques généralement amortis sur 20 ans ou plus.

La transition vers des pratiques agricoles plus durables et plus respectueuses de l’environnement est un objectif que nous partageons tous, y compris l’industrie. Toutefois, nous devons également comprendre que cette transition nécessite du temps et des investissements importants pour mettre en place les infrastructures nécessaires et développer les technologies de remplacement.

Qui plus est, les témoins qui ont comparu lors des audiences du Comité de l’agriculture et des forêts ont insisté sur le fait que les technologies émergentes, qui offriraient des solutions de rechange, en sont à au moins huit ans de la viabilité commerciale. Je me permets de le répéter : il faudra au moins huit ans pour que ces solutions de rechange soient viables sur le plan commercial.

Le projet de loi C-234 comprend une disposition de caducité pour réévaluer le contexte dans huit ans, ce qui justifie une telle exemption. Soit dit en passant, chers collègues, un des autres amendements qui a été rejeté par le comité visait à ramener cette disposition de caducité à trois ans, même si les témoins ont indiqué clairement au comité qu’une période de trois ans n’était pas assez longue pour que de telles technologies soient viables.

De toute évidence, l’industrie a appuyé la disposition de caducité de huit ans qui a fait l’objet d’un amendement à l’autre endroit. Faute de solutions de rechange viables pour le chauffage et le refroidissement, les répercussions de l’amendement qui a éliminé la moitié du projet de loi ne se limitent pas la compétitivité des agriculteurs et des éleveurs mais ils mettent également en péril l’efficacité et la durabilité de leurs activités parce qu’elles les forcent à payer des dizaines de milliers de dollars au titre de la taxe sur le carbone. Par conséquent, les agriculteurs disposent de moins de capital pour investir dans leurs activités et pour continuer à faire baisser leur empreinte carbone au moyen, par exemple, de l’innovation.

La taxe sur le carbone retarde et empêche les investissements dans des solutions qui permettraient de faire des gains d’efficacité essentiels et qui amélioreraient la performance environnementale du secteur.

Comme je l’ai déjà dit, nous ne sommes qu’à quelques semaines de l’hiver, et les agriculteurs du pays devront donc commencer à chauffer davantage leurs étables, leurs serres et d’autres bâtiments. C’est une période cruciale pour le secteur agricole en raison du temps froid qui arrive. Pendant cette période, il faut bien sécher les récoltes pour atteindre le taux d’humidité requis afin de les empêcher de se gâter.

Il faut aussi chauffer les bâtiments où vivent les poulets à griller, les poules pondeuses, les jeunes veaux laitiers, les porcs et d’autres animaux de la ferme pour les garder en santé pendant l’hiver; c’est donc également une question de bien-être des animaux. Or, ce projet de loi amendé exclut le chauffage et le refroidissement de ces bâtiments de l’exonération de la taxe sur le carbone, ce qui revient essentiellement à éliminer la moitié du projet de loi.

Honorables collègues, ce n’est pas la première fois qu’on présente un projet de loi ayant un objectif similaire au Canada. Les deux Chambres ont tenté à maintes reprises d’offrir un répit aux agriculteurs par rapport à la taxe sur le carbone, ce qui souligne à quel point cette question et les problèmes importants qui s’y rattachent sont importants pour notre pays. D’ailleurs, c’est la deuxième fois qu’un projet de loi de cette nature est adopté à l’autre endroit et renvoyé à cette vénérable Chambre de second examen objectif, et ce pourrait bien être la deuxième fois que l’industrie ne parvient pas à profiter de ces mesures, et ce, même si leurs représentants dûment élus ont appuyé et adopté ce genre de projet de loi à deux reprises.

Depuis environ une semaine, j’ai entendu, chers collègues — et je suppose que vous avez tous entendu également — des centaines de citoyens, de consommateurs d’agriculteurs et de producteurs canadiens, parmi tant d’autres, exprimer leur extrême déception face à ce rapport et au fait que le projet de loi a été vidé de sa substance et de son objet fondamental.

Voici ce que des représentants de l’Association canadienne des bovins ont dit à ce sujet.

Au nom des 60 000 fermes d’élevage de bovins et parcs d’engraissement du Canada, y compris les 7 500 éleveurs d’animaux reproducteurs, nous vous demandons de soutenir l’agriculture canadienne en votant contre les amendements proposés et en permettant que le projet de loi, dans sa forme originale, soit déposé à l’étape de la troisième lecture et adopté sans tarder.

Une personne parlant au nom des Producteurs de grains du Canada, qui représente plus de 65 000 producteurs, a affirmé ceci :

Je vous demande de rejeter l’amendement proposé par le comité qui exclurait le chauffage et le refroidissement des bâtiments. En plus de retarder davantage l’adoption de cette mesure législative cruciale, alors que l’hiver approche, l’amendement ne tient pas compte des réalités technologiques actuelles.

Enfin, voici ce qu’a déclaré Larry Davis, un producteur de cultures commerciales.

Cet amendement modifie non seulement l’objet du projet de loi, qui avait obtenu l’appui de plusieurs partis à la Chambre des communes, mais il menace aussi son adoption en y causant des retards considérables et en renvoyant la mesure législative à l’autre endroit.

Honorables collègues, il ne s’agit là que d’un petit échantillon de ce que m’ont dit des citoyens de notre grand pays la semaine dernière. Il est évident que le secteur agricole est très déçu de ce rapport. De plus, il est déçu de nos collègues qui n’ont jamais assisté à une seule séance du comité pour entendre des témoins sur la nécessité de cette exemption, mais qui y ont cependant été parachutés uniquement pour l’étude article par article du projet de loi.

Les agriculteurs, les éleveurs et les transformateurs doivent demeurer concurrentiels au sein de l’économie canadienne. La taxe sur le carbone les touche de façon disproportionnée, et ce, en dépit du fait qu’ils sont les gardiens de la terre et qu’ils jouent un rôle essentiel dans notre pays.

Par ailleurs, le secteur agricole joue un rôle primordial dans la préservation de l’environnement et dans la lutte contre les changements climatiques au Canada. De fait, de nombreux agriculteurs emploient activement diverses méthodes de séquestration du carbone afin d’améliorer la productivité de leurs terres, de les protéger, et de continuer à produire les aliments de qualité que nous consommons toute l’année. Or, nous ne cessons de nous intéresser uniquement à l’empreinte carbone de ce secteur, et non à ce que font les agriculteurs et les producteurs afin de stocker et de séquestrer le carbone, contribuant ainsi à l’atténuation des changements climatiques.

Des témoins ont indiqué au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts que de nombreux intervenants du secteur agricole participent déjà activement à la lutte contre les changements climatiques. Par exemple, Paul Maurice, agriculteur à Tiny, en Ontario, a déclaré ce qui suit :

Nous dirigeons un élevage de 35 000 poules pour produire des poulets de chair. Nous faisons également la culture commerciale de 900 acres de maïs, de soja, de céréales et de foin, dans le comté de Simcoe, en Ontario. Je reconnais que nous faisons tous partie du problème, mais les agriculteurs font de leur mieux pour faire partie de la solution. Malgré ce que beaucoup voudraient nous faire croire, nous ne sommes pas les coupables. Les pratiques de gestion exemplaires que nous intégrons à nos activités d’exploitation compensent amplement l’empreinte de carbone que beaucoup croient que nous créons. On semble faire abstraction du stockage de carbone qui s’effectue dans nos récoltes et, subséquemment, dans nos sols. Les agriculteurs sont constamment à l’affût de méthodes de production plus efficaces afin de demeurer concurrentiels dans le marché agricole intérieur et international.

Comme je l’ai mentionné, les agriculteurs trouvent des stratégies de réduction des émissions de carbone ainsi que des moyens novateurs de produire des aliments pour le Canada et le reste de la planète. Par exemple, on utilise des déchets de carbone pour produire des biocarburants, notamment grâce à la construction de digesteurs anaérobies. Les producteurs laitiers et d’autres partout au pays se servent de cette innovation. Pourtant, ils ne sont pas reconnus pour cela.

Les agriculteurs sont des gens progressistes et déterminés à utiliser des technologies novatrices afin de faire progresser l’industrie. Les agriculteurs comprennent l’importance de l’innovation et des progrès dans leur lutte contre les changements climatiques, mais on ne peut soutenir leurs efforts dans cette lutte en limitant leur capacité financière et en les forçant à porter le fardeau d’une taxe injuste sur leurs moyens de subsistance.

Le projet de loi C-234, dans son état initial, offrait une solution pratique qui aurait soulagé les agriculteurs sans compromettre nos objectifs environnementaux. Cette exemption aurait eu un important effet positif sur l’agriculture canadienne. Elle aurait contribué à réduire le coût des intrants pour les agriculteurs, leur permettant ainsi d’investir plus facilement dans de nouvelles technologies et infrastructures pour améliorer leur efficacité et leur compétitivité — et réduire leur empreinte carbonique. Elle aurait également encouragé la croissance et le développement du secteur agricole, qui est essentiel au bien-être économique et social de notre pays, en particulier dans le contexte de l’augmentation continue de notre population. Il faut que les agriculteurs soient en mesure de croître, d’innover et de se développer pour continuer à nourrir les Canadiens et le monde entier.

En outre, l’exemption prévue dans le projet de loi initial aurait été conforme à l’engagement du gouvernement de soutenir les petites entreprises et les localités rurales. En exonérant les carburants utilisés pour l’agriculture, le gouvernement aurait reconnu les défis uniques auxquels ces groupes sont confrontés et il aurait pris des mesures pour y répondre. Cependant, le rapport qui nous est présenté, qui supprime les exemptions pour le chauffage et le refroidissement des bâtiments, des structures et des serres, risque de miner ces objectifs.

Au bout du compte, ce sont les agriculteurs qui sont pénalisés. Ce sont eux qui abordent l’hiver avec des centaines de milliers de dollars de déficit alors qu’ils tentent de maintenir leurs exploitations et leurs familles à flot pour nous nourrir, vous et moi, ainsi que nos familles et le monde entier.

Si la rentabilité d’un propriétaire d’entreprise est touchée, il fera tout en son pouvoir pour réduire les coûts et éviter la faillite. Comment pouvons-nous nous attendre à ce que les agriculteurs voient leurs coûts augmenter et leur rentabilité menacée sans qu’ils refilent ces hausses de coûts aux consommateurs? Sauf que les agriculteurs ne peuvent pas le faire, parce qu’ils sont des preneurs de prix, pas des décideurs de prix.

Chers collègues, je suis certain que vous avez entendu l’annonce faite la semaine dernière par le premier ministre, selon laquelle le gouvernement doublera le taux complémentaire de la remise sur la pollution dans les régions rurales et qu’il accordera une pause de trois ans de la tarification fédérale du carbone sur les livraisons de mazout dans toutes les régions où la redevance fédérale sur les combustibles est en vigueur. En tant que sénateur qui soulève des questions et des préoccupations liées aux milieux ruraux, j’ai été très heureux d’entendre cette annonce et je sais qu’elle aidera de nombreux Canadiens des régions rurales qui ont du mal à payer leurs factures, à chauffer leur maison et à nourrir leur famille.

Pourtant, les agriculteurs — qui, bien entendu, se trouvent dans des régions rurales — ne bénéficieront pas de cet avantage pour le chauffage et la climatisation de leurs installations agricoles.

Cela aurait été et demeure une exemption essentielle dont les agriculteurs ont besoin dès maintenant pour survivre et continuer à nous nourrir.

Pourquoi accablons-nous les éleveurs et les producteurs de taxes, qui atteignent parfois des dizaines de milliers de dollars, voire beaucoup plus dans certains cas, et limitons-nous leur capacité d’adopter des technologies à l’avenir? Pourquoi nuisons-nous à notre sécurité alimentaire nationale et à notre souveraineté alimentaire? Pourquoi causons-nous cette douleur aux agriculteurs et les retardons-nous davantage?

Cela dit, chers collègues, en tant que sénateur que bon nombre de mes honorables collègues viennent questionner au sujet de l’agriculture, je me tourne vers vous pour vous prier de voter contre ce rapport. Faites-le pour les agriculteurs. Faites-le pour les producteurs de votre région. Faites-le pour que l’augmentation des coûts ne continue pas à faire monter en flèche le coût des aliments. Quelle que soit votre raison, je vous demande de rejeter ce rapport, de revenir à la version initiale du projet de loi et de le renvoyer sans amendement à l’autre endroit rapidement pour que les agriculteurs n’aient pas à assumer le fardeau de la taxe sur le carbone.

Cela dit, je vais enlever mon chapeau d’agriculteur et remercier les analystes de la Bibliothèque du Parlement, la greffière et tous les membres du personnel du comité de leur aide.

L’honorable David M. Wells [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape du rapport à titre de parrain au Sénat du projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Je tiens à remercier le comité et son président, le sénateur Black, de leur travail important sur ce projet de loi.

Bien qu’il ne soit pas rare de prendre la parole à l’étape du rapport, il est important de le faire à ce moment précis de la vie du projet de loi C-234, car nous sommes saisis d’un amendement du comité qui vise à modifier l’esprit et l’objet du projet de loi et, essentiellement, à le torpiller. Un projet de loi amendé doit être renvoyé à l’autre endroit, où le gouvernement peut contrôler le stade et le rythme de progression du projet de loi, le laisser traîner et, par conséquent, ne pas le faire adopter.

Cependant, après avoir entendu tous les arguments, j’espère que les sénateurs comprendront que ce projet de loi vise à aider nos producteurs d’aliments et qu’il respecte l’objectif de la taxe sur le carbone. Un vote contre le rapport, ce que je demande au Sénat de faire, permettrait que le projet de loi original, non amendé, soit examiné et débattu par l’ensemble du Sénat, où tout amendement peut être présenté et débattu par tous à l’étape de la troisième lecture.

L’agriculteur Roger Chevraux a bien résumé la situation :

Je suis un agriculteur de quatrième génération, et ma ferme familiale existe depuis plus de 110 ans. Mon fils et moi, nous cultivons du canola, du blé et de l’orge brassicole sur 5 000 acres près de Killam, en Alberta.

Cet amendement exclut les éleveurs de bétail et les serriculteurs et, s’il est adopté, il renverrait le projet de loi à la Chambre des communes, ce qui le torpillerait et annulerait ainsi l’aide financière grandement nécessaire qui y est prévue.

Les agriculteurs, les éleveurs et les maraîchers demandent simplement que le gaz naturel et le propane — des carburants à teneur réduite en carbone utilisés dans les exploitations agricoles, essentiellement dans les granges pour le chauffage et le refroidissement — fassent l’objet de la même exemption à la taxe sur le carbone que l’essence et le diésel.

Chers collègues, l’objet de ce projet de loi est simple. Il vise à remédier à une omission législative en créant des exemptions à la taxe sur le carbone pour les carburants de transition à faible taux d’émission utilisés dans les pratiques agricoles essentielles telles que le séchage des grains, le chauffage et le refroidissement des étables et des serres, le floconnage et l’irrigation. La taxe pénalise les agriculteurs, les éleveurs et les maraîchers canadiens qui utilisent deux principaux carburants de transition, soit le propane et le gaz naturel, lorsqu’il n’y a actuellement pas d’autre solution de rechange viable.

Il ne s’agit pas d’un débat sur la taxe sur le carbone. Nous voulons motiver les agriculteurs à passer un jour à des combustibles sans émission de carbone. Les personnes qui cultivent la terre en sont aussi les principaux intendants et ils veulent être aussi respectueux de l’environnement et efficaces que possible. Pour qu’ils le soient, il faut encourager les agriculteurs, les éleveurs et les producteurs à utiliser des combustibles plus propres comme le propane et le gaz naturel. Ce qui est paradoxal au sujet de l’exemption fiscale actuelle, c’est que les combustibles à fortes émissions, notamment l’essence et le diésel, sont exonérés, mais pas les carburants à faibles émissions, comme le propane et le gaz naturel. Il est absurde d’imposer une taxe qui vise à favoriser des changements de comportements sur un produit que l’on souhaite voir adopter.

Chers collègues, si nous voulons nous éloigner des combustibles qui génèrent le plus d’émissions de carbone, comme le charbon et le diésel, et passer à des combustibles carboneutres, comme l’énergie solaire, l’énergie éolienne, l’hydroélectricité, l’énergie marémotrice et quelques autres combustibles sans émission de carbone, il faut procéder par étapes. Ces étapes comprennent des combustibles à faibles émissions comme l’essence et même des combustibles qui génèrent moins d’émissions comme le propane et le gaz naturel. C’est ce dont nous parlons ici.

J’ai visité beaucoup de fermes et de ranchs depuis que je suis le parrain de ce projet de loi au Sénat. Un éleveur de volailles de l’Alberta m’a dit qu’il fait déjà tout ce qu’il peut pour rendre son entreprise moins coûteuse et plus efficiente. Il possède huit poulaillers, et il doit y maintenir la température dans une plage bien précise. Chers collègues, il s’agit de poulaillers, et donc de poulets. Si la température dépasse la plage prescrite, les poulets vont mourir en 15 minutes environ. Si la température descend sous la plage prescrite, les poulets vont survivre pendant quelques heures, mais c’est tout.

On ne peut donc pas dire qu’il a le choix. Il doit agir d’une certaine manière, et la seule dont il dispose compte tenu de la technologie actuelle consiste à chauffer les poulaillers l’hiver, où il peut faire jusqu’à -30 ou -40 degrés Celsius, et à les climatiser l’été, où il peut faire jusqu’à 30 ou 40 degrés Celsius. Cet éleveur a déjà pris plusieurs mesures, comme isoler ses poulaillers, installer des écrans thermiques sur la façade ensoleillée des poulaillers afin qu’ils absorbent les rayons du soleil, ce qui réduit l’incidence sur les poulaillers, et construire en béton. Il fait tout ce qu’il peut pour réduire sa consommation de combustible et garder ses animaux en vie.

L’amendement vise essentiellement à rendre les granges inadmissibles à l’exemption, plutôt que le séchage du grain, qui est également important, mais qui relève d’un autre secteur des activités agricoles. Ces granges permettent de garder en vie les bovins, les poulets et les porcs et d’assurer leur confort pendant l’été et l’hiver, car ici, au Canada, nous passons d’un extrême à l’autre.

L’autre enjeu crucial par rapport aux exploitations agricoles, c’est que, par leur nature même, elles sont éloignées et situées dans des régions rurales. Les agriculteurs n’ont pas toujours une réserve de carburant à portée de main, sauf peut-être du propane, qui peut être livré sur la ferme dans un réservoir. De nombreuses exploitations agricoles situées dans les régions rurales et éloignées n’ont pas accès au gaz naturel. L’objectif est non seulement de changer les comportements — ce que les Canadiens font déjà —, mais aussi de reconnaître les difficultés concrètes que vivent des agriculteurs, des éleveurs et des producteurs et de veiller à assurer une transition en douceur vers des sources d’énergie plus propre et plus durable.

Chers collègues, si nous amendons ce projet de loi, il faudra le renvoyer à l’autre endroit, où il mourra au Feuilleton. C’est le but de cet amendement. Il n’avait pas à porter sur les granges, il aurait pu proposer de changer le titre du projet de loi. Le changement aurait apporté un amendement et le résultat aurait été le même. Cependant, l’amendement adopté avec un certain nombre d’abstentions et de débats vigoureux est celui qui élimine les granges de toute l’équation. C’est bien beau pour les séchoirs à grains, mais pas pour les agriculteurs et les éleveurs du Canada qui doivent garder leurs animaux en vie et veiller à leur bien-être.

Un autre agriculteur que j’ai visité dans le Sud de l’Alberta m’a dit que lorsque la taxe sur le carbone atteindra 170 $ la tonne, elle lui coûtera à elle seule un demi-million de dollars par année. C’est de l’argent qui pourrait être dépensé pour acquérir des technologies perfectionnées et modernes ou pour faire l’essai de la climatisation solaire dans l’une de leurs granges. Voilà l’effet des coûts supplémentaires, qui n’apportent aucun avantage à la ferme ou à l’environnement. Le gouvernement appelle cela un signal du marché. Les agriculteurs, les éleveurs et les producteurs croient que le seul signal que cela enverra, ce sera celui d’une augmentation des coûts pour eux et d’une augmentation des prix pour le consommateur. S’il y avait une exemption pour le diésel et l’essence pour les moteurs à combustion interne qui font fonctionner des appareils de chauffage ou des refroidisseurs, ne serait-ce pas aussi un signal du marché?

Honorables collègues, des agriculteurs, des éleveurs et des cultivateurs écoutent ce débat. Ils savent très bien ce qui s’est passé au comité et ce qui est en jeu à cette étape du processus législatif au Sénat, et ils savent quel est le but de l’amendement. Après avoir appris ce qui s’était passé au comité, Merv Erb, un agriculteur ontarien, a dit ceci :

J’ai vu ce qui est arrivé au comité par rapport au projet de loi C-234. Nous devons maintenant assumer des coûts épouvantables pour sécher le maïs. Nous pourrions nous retrouver de nouveau avec une saison des récoltes catastrophique comme en 2018-2019. Le projet de loi C-234 aurait accordé un répit dont nous avons cruellement besoin. Maintenant, le Sénat est en train de le vider de sa substance.

Au comité, le sénateur Dalphond, porte-parole de ce projet de loi au Sénat, s’est demandé pourquoi les agriculteurs auraient besoin d’un allègement pour le gaz naturel et le propane, étant donné que le prix de ces combustibles est actuellement plus bas que par le passé. Eh bien, il y a 10 ans, le baril de pétrole coûtait plus de 100 $. Quatre ans plus tard, il coûtait moins de 30 $. Les agriculteurs devraient-ils donc passer au pétrole parce qu’il est moins cher? Aujourd’hui, le baril de pétrole coûte 83 $. Si le projet de loi C-234 repose sur le principe d’équité, alors il devrait s’appuyer sur ce principe et non sur un facteur aussi variable que le cours du disponible.

Je tiens à expliquer clairement les raisons de mon opposition au rapport du comité. Le rejet du rapport ne ferait pas avorter le projet de loi. Il signifierait simplement que le Sénat n’accepte pas le rapport du comité et les amendements qui y sont proposés. Le projet de loi C-234 passerait alors à l’étape de la troisième lecture sous sa forme non modifiée, et tout amendement, y compris les amendements adoptés au comité, pourrait être proposé à l’étape de la troisième lecture afin que le Sénat tout entier puisse les étudier. Tel est notre processus. C’est un processus juste, et nous pouvons tous participer à la discussion. Si vous jugez que l’amendement visant à retirer les granges des bâtiments admissibles à cette exemption en vaut la peine, alors vous seriez entièrement libres de l’appuyer.

Chers collègues, en appuyant le rapport, vous adoptez cet amendement, ce qui coûtera un milliard de dollars aux agriculteurs, aux éleveurs et aux cultivateurs qui, autrement, pourraient investir cet argent pour accroître la durabilité et l’efficacité de leurs activités d’exploitation, prendre de l’expansion et embaucher plus de gens. N’est-ce pas ce que nous souhaitons pour n’importe quelle entreprise?

Chers collègues, nous entendons souvent au Sénat que notre travail consiste à améliorer les projets de loi. Voilà notre travail. Si ce rapport est adopté et le projet de loi est modifié, nous aurons manqué à notre promesse d’améliorer les projets de loi. Éviscérer le projet de loi ne l’améliore pas.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Est-ce que le sénateur Wells accepterait de répondre à une question?

Le sénateur Wells [ + ]

Bien sûr, sénateur Dalphond.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Sénateur Wells, vous avez affirmé que l’adoption du rapport ne change rien; des amendements peuvent être présentés à l’étape de la troisième lecture. Si le rapport est adopté, vous pourrez présenter une motion pour supprimer l’amendement du projet de loi. Pourquoi voulez-vous donc le tuer à l’étape du rapport et ne pas en débattre pleinement, comme nous le faisons normalement, à l’étape de la troisième lecture? Nous aurons alors tous l’occasion de prendre part au débat.

En tant que parrain, vous disposerez alors de 45 minutes pour expliquer votre amendement et convaincre vos collègues qu’il mérite d’être admis et doit être adopté. C’est à ce moment-là que nous, les porte-parole, aurons 45 minutes pour expliquer pourquoi il ne doit pas être adopté.

Pourquoi ne débattons-nous pas selon les règles normales? Cela ne vous empêchera pas de présenter un amendement. Si le rapport est adopté tel quel, cela ne vous empêchera pas de présenter un amendement. Je ne comprends pas.

Le sénateur Wells [ + ]

Merci. Je m’explique.

La possibilité de rejeter un rapport et les amendements qui l’accompagnent au comité fait partie des règles normales, comme vous le savez. C’est une option que nous pouvons choisir. Si votre amendement est valide et mérite d’être étudié par le Sénat, il devrait, selon moi, être débattu sur cette base. Si vous souhaitez présenter l’amendement de nouveau à l’étape de la troisième lecture, où tout le monde à l’occasion d’en débattre et d’en discuter, je pense que c’est l’endroit approprié pour le faire.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que vice-présidente du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, que sénatrice de l’Alberta et que personne profondément préoccupée par les répercussions des changements climatiques sur la province et le pays qu’elle aime. Les trois dernières années nous ont fait comprendre comme jamais auparavant que les changements climatiques ne sont pas une crise existentielle hypothétique de l’avenir : ils se produisent en ce moment même, en temps réel. Les agriculteurs, plus que tous les autres Canadiens, voient de leurs propres yeux les répercussions des changements climatiques chaque jour.

Ainsi, quand le projet de loi C-234 nous a été présenté, j’ai été déchirée. Il était évident que les agriculteurs, qui subissaient toutes sortes de pressions économiques et commerciales, étaient touchés par la tarification du carbone comme peu de petits entrepreneurs l’étaient. Pas étonnant qu’ils aient cherché à obtenir un allégement de la taxe sur le carbone afin de les aider avec le séchage du grain ainsi que le chauffage et le refroidissement des granges, d’autant plus que le gouvernement avait déjà exempté l’essence et le diésel utilisés dans les exploitations agricoles. Pourquoi exempter le diésel, par exemple, mais pas le propane, un carburant beaucoup plus propre? Vous pouvez voir la logique dans le raisonnement qui sous-tend le projet de loi C-234.

Mais je crois aussi aux taxes sur le carbone. Il s’agit d’une façon simple et transparente d’inciter les gens à réduire leur consommation de combustibles fossiles. Elles sont plus équitables que les subventions et les remboursements. Elles ne choisissent pas les gagnants et les perdants. Elles envoient un signal de prix clair — signal que nous ressentons jusque dans nos portefeuilles. Elles modifient le comportement des consommateurs comme nul sermon vertueux, campagne de relations publiques ou discours au Sénat ne pourrait jamais le faire.

C’est donc avec un esprit ouvert que je me suis présentée aux audiences du comité sur le projet de loi C-234. Je n’avais pas encore décidé si j’allais appuyer le projet de loi ou tout amendement à celui-ci. J’ai simplement écouté les témoignages d’experts. En tant que vice-présidente, j’ai travaillé avec diligence pour veiller à ce que nous ayons une liste équilibrée de témoins, pas seulement des lobbyistes agricoles et des environnementalistes, mais aussi des universitaires et des ingénieurs indépendants. Je sais gré à tous les sénateurs membres du comité pour le travail qu’ils ont accompli afin de trouver ces témoins. Des noms ont été proposés par le sénateur Black, le sénateur Klyne, le sénateur Dalphond, le sénateur Woo et le sénateur Wells, ainsi que par moi-même.

Je les ai écoutés, comme j’ai toujours essayé de le faire dans le cadre de mon travail de journaliste, sans favoritisme ni préjugé. J’ai posé des questions difficiles, sans parti pris, et j’ai fait de mon mieux pour comprendre les avantages et les inconvénients.

J’en suis parvenue à une conclusion : une exemption pour le séchage des grains est logique. Si le blé ou le maïs fraîchement récolté n’est pas séché avant d’être stocké, il risque de pourrir et de moisir. Les grains doivent donc être séchés rapidement et entièrement. Dans les Prairies, on récolte d’énormes quantités de grains. Bien qu’ils ne soient pas nécessaires à chaque récolte, les séchoirs à grains sont absolument indispensables les années où les pluies sont abondantes et où il est essentiel de pouvoir sécher efficacement et entièrement les grains.

Bien que la technologie employée pour le séchage des grains progresse, il n’existe pas d’autre solution viable et prête à la commercialisation que des séchoirs alimentés au gaz naturel et au propane. Ce n’est pas le cas actuellement, et ce ne le sera probablement pas non plus dans trois à cinq ans.

Je me souviens également de ce qu’a dit Nicholas Rivers, professeur agrégé d’affaires publiques et internationales à l’Université d’Ottawa, qui a témoigné à titre d’expert devant le comité. Il a fait remarquer que les États-Unis n’ont pas imposé de taxe sur le carbone à leurs producteurs de grains :

La politique canadienne de tarification du carbone offre des remboursements aux grands émetteurs industriels de biens échangeables, comme les fabricants de ciment ou d’acier, afin de contrer cette préoccupation en matière de compétitivité. Les remboursements aux grands émetteurs sont fondés sur la production, comme la quantité d’acier produite, tandis que la tarification du carbone est prélevée sur les émissions. Cette conception de la politique fait en sorte que les grands émetteurs industriels continuent d’être incités à réduire leurs émissions, mais qu’ils ne sont pas désavantagés par rapport à la concurrence internationale.

Il a ajouté :

Cependant, de nombreuses fermes ne sont pas couvertes par les remboursements sur la tarification du carbone dans le secteur industriel. Il y a certaines exemptions à la tarification du carbone pour les combustibles utilisés dans les fermes, mais ces exemptions ne s’appliquent pas actuellement au combustible utilisé pour le séchage des grains ou pour le chauffage des bâtiments. Cela signifie que les céréaliculteurs doivent payer la totalité de la tarification du carbone sur le combustible utilisé pour le séchage des grains et ne reçoivent pas de remboursements fondés sur le rendement. Cependant, tout comme le ciment et l’acier, les céréales sont un produit échangeable à l’échelle internationale, et on craint à juste titre que la tarification du carbone désavantage les céréaliculteurs canadiens par rapport à leurs concurrents internationaux.

Étant donné que M. Rivers soutient les taxes sur le carbone, j’ai pensé que cet argument était particulièrement objectif et informatif.

Par conséquent, malgré mes inquiétudes — et même mes peurs — au sujet de la crise climatique, et malgré le fait que je pense que les taxes sur le carbone sont de judicieuses politiques publiques, j’ai commencé à comprendre qu’une exemption pour le séchage des grains était logique.

Toutefois, il était beaucoup moins clair qu’une exemption pour le chauffage et le refroidissement des granges, des dépendances et des autres structures était tout aussi nécessaire. Il y a toutes sortes de façons de chauffer et de refroidir les bâtiments, et il y a toutes sortes de moyens de rendre les granges et les autres bâtiments agricoles plus écoénergétiques. Les agriculteurs ont la possibilité d’avoir recours à des solutions pratiques et commercialisées pour réduire leurs coûts. Une exemption pour le séchage des grains était justifiable. Était-ce le cas pour les granges? À mon avis, c’était beaucoup moins évident.

Quand est venu le temps d’apporter des amendements, j’ai donc longuement et mûrement réfléchi. Je savais qu’accepter l’amendement du sénateur Dalphond, qui restreignait la portée du projet de loi pour ne tenir compte que du séchage des grains, aurait pour effet de ralentir l’adoption de cette mesure, un ralentissement qui pourrait avoir des conséquences considérables et même signer l’arrêt de mort du projet de loi.

Le Sénat n’a toutefois pas pour tâche d’accepter et d’adopter des projets de loi d’initiative parlementaire sans les étudier ni les réviser. En fait, les mesures d’initiative parlementaire requièrent une étude et une réflexion plus approfondies que les autres parce que, dans bien des cas, elles n’ont pas été examinées soigneusement à l’autre endroit, où la politique partisane joue parfois un plus grand rôle qu’ici, au Sénat. Nous ne devrions pas approuver automatiquement un projet de loi d’initiative parlementaire simplement parce qu’il a obtenu assez de voix pour être adopté à l’autre endroit. Il faut l’examiner avec autant de soin, sinon plus, qu’un projet de loi du gouvernement.

D’un autre côté, pour être tout à fait franche, je craignais que le projet de loi C-234 ne soit carrément pas adopté au Sénat s’il n’était pas amendé et si on n’en réduisait pas la portée. Je sais que de nombreux sénateurs s’opposent passionnément, par principe, à toute exemption concernant la taxe sur le carbone. J’aurais peut-être adopté, moi aussi, leur position fondée sur des principes si je n’avais pas entendu les témoignages de nombreux experts au sujet du dilemme que pose le séchage des grains. Je craignais que le projet de loi soit rejeté si on n’apportait pas l’amendement.

Alors quand est venu le moment de voter sur l’amendement, j’ai fait un choix difficile et j’ai voté de manière pragmatique pour tenter de sauver le projet de loi en l’amendant. Par la suite, j’ai voté contre des amendements qui auraient réduit la période d’application de huit ans de la disposition de caducité prévue dans le projet de loi, et qui auraient rendu plus difficile le renouvellement de l’exemption à la fin de ces huit ans.

Puisque les membres du comité étaient également divisés sur la question et que mon nom se trouve vers la fin de l’alphabet, c’est moi qui a eu le vote déterminant sur chaque amendement.

Bien sûr, un compromis est une décision qui mécontente les deux camps. Bon nombre de gens m’ont dit que ma décision les a contrariés, soit parce qu’ils étaient d’avis que j’avais trahi les agriculteurs et peut-être porté un coup fatal au projet de loi, soit parce qu’ils estimaient que j’avais trahi mes principes et la planète en votant d’une manière ou d’une autre pour un projet de loi visant à annuler des taxes et pouvant être un cheval de Troie, c’est-à-dire une mesure ouvrant la porte à l’élimination définitive de la taxe sur le carbone.

Cependant, à ce moment-là, j’estimais avoir pris la bonne décision. La semaine dernière, j’étais prête à rencontrer plusieurs des principaux groupes de lobbyistes pour défendre ma décision, leur expliquer mon raisonnement et entendre leurs préoccupations. J’étais tout à fait prête à défendre ma décision jusqu’à jeudi dernier, lorsque le sénateur Housakos nous a appris, ici même, dans cette Chambre, que le gouvernement avait annoncé une nouvelle exemption spéciale de la taxe sur le carbone, soit une exemption destinée aux résidants des collectivités rurales et des petites municipalités qui s’appliquerait au mazout pendant trois ans.

On a décrit cette exemption comme un programme national qui profiterait à tous les ménages canadiens, mais c’est quelque peu spécieux. Premièrement, cette exemption ne s’appliquerait qu’aux endroits où le filet de sécurité fédéral s’applique.

Selon les chiffres de Statistique Canada, en 2021, 40 % des foyers de l’Île-du-Prince-Édouard utilisaient le mazout comme principal combustible de chauffage. En Nouvelle-Écosse, la proportion est de 33 %, et à Terre-Neuve-et-Labrador, elle est d’environ 17 %. Au Nouveau-Brunswick, la proportion est plus proche de 8 %. En Ontario, moins de 10 % des foyers utilisent le mazout comme principale source de chauffage. Qu’en est-il des Prairies? Eh bien, en Alberta et en Saskatchewan, le chiffre est pratiquement nul, selon Statistique Canada.

Je ne veux pas donner l’impression de vouloir semer la discorde et dresser les Canadiens de certaines provinces contre d’autres. C’est l’exemption qui le fait en désignant des gagnants et des perdants régionaux et en attisant le ressentiment dans toute la Confédération.

En tant que sénatrice de l’Alberta, comment suis-je censée regarder les agriculteurs de la province en face et leur dire que j’ai adopté une position de principe contre les exonérations de la taxe sur le carbone, alors que le gouvernement m’a coupé l’herbe sous le pied?

Dans le document d’information du gouvernement sur cette nouvelle politique, qui porte le titre « Faire diminuer les factures énergétiques dans tout le pays », on nous dit que l’exonération applicable au mazout de chauffage vise non seulement le chauffage des maisons, mais aussi celui des bâtiments et structures similaires, à condition qu’ils ne servent pas au chauffage industriel ou, incidemment, au séchage du grain.

On ne sait pas non plus si cette mesure s’applique aux petites entreprises. Le communiqué initial mentionne les petites entreprises. Cela fait plusieurs jours que j’essaie d’obtenir une réponse à cette question, sans succès. Cela signifie-t-il que les agriculteurs de l’Île-du-Prince-Édouard et de la Nouvelle-Écosse peuvent utiliser des combustibles exemptés pour chauffer leurs granges et leurs dépendances, quel que soit le risque d’incendie? Ce n’est pas du tout clair.

Je tiens à répéter que je suis favorable aux taxes sur le carbone. Il s’agit d’un moyen simple, direct et transparent de modifier le comportement des gens — une solution de marché pour un problème de marché. Je ne suis pas une négationniste du changement climatique. Je ne suis pas une opposante à la taxe sur le carbone. Je suis une Albertaine très frustrée et une vice-présidente très frustrée. Comment pouvons-nous soutenir l’octroi d’avantages fiscaux sur mesure à une région et pas à une autre? Comment pouvons-nous adopter un système de dérogations qui dresse les régions les unes contre les autres? Comment pouvons-nous maintenir la confiance du public dans l’équité de notre régime de taxe sur le carbone si nous choisissons des exemptions comme bon nous semble?

Je ne vais pas vous dire comment voter au sujet de ce rapport. Je ne sais même pas comment je voterai personnellement. Je peux dire que je me sens passablement bête et trahie présentement et je n’aime pas cela. Merci. Hiy hiy.

L’honorable Pamela Wallin [ + ]

Honorables sénateurs, comme j’ai longtemps été journaliste, je ne suis pas souvent choquée ni étonnée de ce que disent les politiciens, mais qu’une ministre du gouvernement de ce pays déclare que si les gens de l’Ouest canadien votaient pour le Parti libéral, eux aussi pourraient être récompensés par une pause ou une réduction de la taxe punitive sur le carbone, cela dépasse les bornes, et les Canadiens méritent bien mieux.

Pour ceux d’entre nous qui sont assez vieux pour s’en souvenir, cela fait écho à la division et à la discorde qui ont découlé de l’imposition du Programme énergétique national ou des paroles du père du premier ministre lorsqu’il a dit : « Pourquoi devrais-je vendre votre grain? » Au rythme où vont les choses, il n’y aura pas beaucoup de grain, de lentilles ou de canola à vendre.

Je le répète, ce genre de politicaillerie sème la discorde à l’extrême. C’est injuste. Cela témoigne d’une méconnaissance de la diversité de notre pays, en particulier de ses collectivités rurales. Comme la sénatrice Simons l’a souligné, les thermopompes ne fonctionnent pas lorsqu’il fait -40 degrés, alors nous ne les utilisons pas, mais cette question pourra faire l’objet d’un débat à une date ultérieure.

Ce rapport est une gifle infligée aux agriculteurs et à tout le secteur agricole qui ont fondé leurs espoirs sur un certain répit, comme le proposait le projet de loi C-234. Or, cet allégement a maintenant été supprimé par des amendements du Sénat, qui ont pour effet de vider le projet de loi de sa substance et de priver les agriculteurs de ce répit bien nécessaire.

L’année a été sèche en Saskatchewan, sauf qu’il a plu et grêlé durant trois jours à la fin août, juste au moment de faire la récolte. Par conséquent, il faut maintenant sécher le grain.

Les agriculteurs sont partiellement exemptés de la taxe sur le carbone pour ce qui est de l’essence et du diésel, mais en ce qui concerne le gaz naturel et le propane, les carburants qu’ils utilisent pour faire sécher leur grain ou chauffer leurs granges, ils n’en sont pas exemptés. Ainsi, la culture, l’élevage, la production, le transport, la transformation, la commercialisation, la vente et la consommation des aliments coûtent plus cher.

Le projet de loi C-234 a été adopté avec l’appui de tous les partis à l’autre endroit, et je l’approuvais entièrement parce que compromettre notre production alimentaire devrait être inadmissible. Toutefois, le projet de loi a été éviscéré, alors je ne peux plus l’appuyer. J’exhorte tous les sénateurs à voter contre le rapport du comité afin de rétablir l’intention initiale du projet de loi, car traiter différemment les régions selon le parti politique qu’elles appuient aux élections est insultant.

Je dirais qu’il est également un peu bizarre que le gouvernement mine son principal argument pour justifier ses politiques en matière de lutte contre les changements climatiques. C’est sa signature. Il a toujours soutenu que cette taxe met plus d’argent dans les poches des Canadiens, que plus d’argent leur est remboursé que ce que la taxe ne leur coûte, mais de toute évidence, ce n’est pas le cas s’il admet maintenant que les gens ont besoin d’une mesure pour en atténuer l’incidence.

C’était l’objectif initial du projet de loi C-234, sa raison d’être. Les agriculteurs ne demandent pas la charité. Ils investissent leur argent dans le travail qui assure leur subsistance. Dans ma province, par exemple, les agriculteurs investissent chaque printemps plus de 11 milliards de dollars pour préparer leurs champs. Cela inclut le coût des semences, des traitements, des engrais, de la main-d’œuvre et de l’équipement.

L’ensemencement est un projet énorme quand on prend en considération la portée de toutes ses composantes, par exemple, la provenance des semences, le lieu de fabrication de la machinerie ou encore la production de l’engrais. L’ensemencement touche à tous les aspects de notre économie. Il est impossible d’en surestimer la valeur, non seulement pour notre province, mais pour tout le pays. Vient ensuite la récolte et c’est la même chose. Les retombées économiques sont tout aussi énormes.

Il y a plus de 34 000 exploitations agricoles en Saskatchewan. Cela représente 43 % des terres cultivées au Canada, d’un bout à l’autre du pays. La Saskatchewan vend plus de 18 milliards de dollars de produits agricoles à l’étranger, et la contribution du secteur au PIB de la province est supérieure à 82 milliards de dollars. On ne peut qu’imaginer où elle se situe à l’échelle du pays.

Le directeur parlementaire du budget a fourni une analyse à jour de l’exemption qui s’applique au combustible agricole admissible pour inclure le gaz naturel et le propane. L’analyse montre que les agriculteurs économiseraient près de 1 milliard de dollars d’ici à 2030 — 1 milliard de dollars en taxes. Cela fait évidemment grimper le prix de la nourriture en pleine crise de l’abordabilité. En fait, cela fait augmenter le coût de la vie.

Chers collègues, la taxe sur le carbone et la nouvelle Norme sur les combustibles propres, un autre taxe, coûtent des millions et des millions de dollars par année aux agriculteurs. Ces coûts, bien sûr, sont transférés tout au long de la chaîne d’approvisionnement à mesure que les aliments voyagent de la ferme à l’assiette. Ultimement, le consommateur, chacun d’entre nous, paie plus cher.

D’un bout à l’autre du pays, il y a des agriculteurs, des consommateurs et des entreprises qui sont anxieux et qui comptent sur nous, et nous devrions faire ce qui s’impose pour tous les Canadiens, peu importe où ils vivent ou pour qui ils votent. Merci.

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