Le discours du Trône
Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat
5 novembre 2024
Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom de l’honorable sénateur Plett, et je demande le consentement du Sénat pour qu’il reste ajourné à son nom après mon intervention d’aujourd’hui.
Honorables sénateurs, le consentement est-il accordé?
Il en est ainsi ordonné.
Honorables sénateurs, si je prends la parole aujourd’hui, c’est parce qu’un discours du Trône devrait présenter une vision pour tout le pays et pour tous les citoyens de toutes les régions. J’ai quelques points à soulever concernant ma région du pays.
L’agriculture n’est pas un domaine facile. Dame Nature est une patronne cruelle. Les grèves dans le secteur ferroviaire et les fermetures de ports font fondre les marges bénéficiaires déjà infimes. Les taxes sur le carbone et les plafonds d’émissions sont des mesures punitives qui font disparaître des emplois. Tout cela se produit alors que le monde a plus que jamais besoin de ce que le Canada produit.
Depuis l’époque de la Seconde Guerre mondiale, où le Canada s’est porté à la défense de ses alliés en Grande-Bretagne et en Europe et les a nourris, l’agriculture est ce qui donne un sens à l’abondance dont nous jouissons. Aujourd’hui, il y a encore des guerres à l’étranger et le monde a toujours besoin de ce que le Canada produit.
Pourquoi les gouvernements, et même le Sénat, semblent-ils déterminés à rendre encore plus difficile un secteur d’activité déjà difficile? Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que la réglementation interminable des produits agricoles et du bétail qui nourrissent les Canadiens et le reste du monde semble conspirer à rendre le prix de ces produits si élevé qu’ils ne sont nullement concurrentiels, ce qui mène les agriculteurs canadiens à la faillite. Il semble délibéré, voire mesquin, de cibler les agriculteurs en leur imposant des restrictions peu plausibles sur l’utilisation d’engrais ou un fardeau réglementaire indu pour les maux que causent les changements climatiques alors qu’ils font plus que quiconque pour sauver notre air, nos sols et nos grands espaces.
Les militants pour le climat, y compris ceux qui font partie du Cabinet, ferment trop souvent les yeux sur la réalité et semblent insensibles aux particularités géographiques, au climat, à la taille des exploitations agricoles, aux nouvelles technologies, aux conflits commerciaux, et aux pratiques actuelles qui placent le secteur agricole canadien à l’avant-garde des pratiques durables à l’échelle mondiale.
Pourquoi font-ils cela? Est-ce parce que, comme l’a fait remarquer un ministre, l’Ouest canadien ne vote pas pour les libéraux? Est-ce simplement en raison de préjugés urbains? Les sénateurs sont désignés par la Constitution comme étant la voix des régions. Or, de plus en plus, nous donnons l’impression que nous ne sommes pas les amis des agriculteurs. Nous sommes coupables d’ignorance volontaire. Nous appuyons toutes sortes de projets de loi qui semblent découler d’une nette intention de rendre la vie plus difficile aux agriculteurs, qu’il s’agisse d’un projet de loi qui punit l’agriculteur qui veut léguer ses terres à la prochaine génération, ou d’un projet de loi qui remplace les aliments que nous avons déjà par des versions fabriquées en laboratoire. J’ai l’impression de devoir constamment expliquer que les aliments ne proviennent pas du magasin.
Il y a plusieurs années, le Sénat a failli adopter un projet de loi qui aurait déclaré que le pain était malsain. Visait-on le blé entier ou les sept grains? Le projet de loi a soulevé des questions concernant la responsabilité juridique et les répercussions sur le commerce. Imaginez les conséquences que nous aurions subies si nous avions ensuite essayé d’exporter un produit que nous avions déclaré malsain. Chaque année, nous expédions quelque 22 mégatonnes de blé vers plus de 65 pays. Nous sommes l’un des plus grands exportateurs de blé au monde. Les conséquences auraient été désastreuses pour les céréaliers.
En 2023, le secteur agroalimentaire employait 2,5 millions de personnes, ce qui signifie qu’il était responsable d’un emploi sur neuf et générait 150 milliards de dollars. Ce montant représente 7 % de notre produit intérieur brut. À eux seuls, les producteurs du secteur agricole primaire, qui ne constituent qu’un maillon de la chaîne alimentaire, sont responsables d’un quart de million d’emplois et de 1,4 % du PIB. Le Canada compte environ 190 000 exploitations agricoles sur plus de 60 millions d’hectares, quoique je pense toujours en acres et en sections, et ce que ces terres produisent permet de tout financer, allant des autoroutes aux soins de santé, en passant par les logements.
Nous avons des innovateurs et des entrepreneurs extraordinaires comme Murad Al-Katib, un bon Saskatchewanais qui dirige l’entreprise multimilliardaire mondiale AGT Food and Ingredients Inc. qui exporte des produits alimentaires dans le monde entier, y compris des lentilles, pour nourrir les populations croissantes et souvent sous-alimentées de l’Asie du Sud-Est. Voilà ce que fait l’agriculture.
L’année dernière, le Sénat a eu l’occasion d’adopter le projet de loi C-234 et d’accorder aux agriculteurs une exemption absolument essentielle de la taxe sur le carbone applicable sur le gaz et le propane utilisés pour chauffer les dépendances et les bâtiments agricoles et pour sécher le grain, un processus extrêmement coûteux. Certains des arguments avancés par quelques sénateurs trahissaient leur ignorance de ce qu’est l’agriculture moderne, et, en fin de compte, nous avons vidé le projet de loi de sa substance et l’avons renvoyé mourir à l’autre endroit. Maintenant, on a mis en place une nouvelle série de règles punitives sur l’utilisation de l’énergie, qui ont été détaillées hier, qui, une fois de plus, pénalisent les agriculteurs et qui aboutiront sans aucun à des batailles judiciaires coûteuses.
Un autre projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-293, dont le Sénat est actuellement saisi, vise l’élevage industriel, notamment les enceintes de mise aux enchères, sous le couvert de la préparation en cas de pandémie. Il donne aux fonctionnaires de nouveaux pouvoirs considérables pour fermer des installations agricoles. Des agriculteurs de la Saskatchewan comme Breeanna Kelln affirment que le projet de loi C-293 vise l’élevage industriel en l’associant injustement aux pandémies et aux maladies, des liens qui n’ont pas encore été étayés par des données scientifiques, mais qui placent son exploitation dans une situation encore plus précaire.
Il y a ensuite le projet de loi C-275, Loi modifiant la Loi sur la santé des animaux afin d’imposer des amendes aux intrus. Ce projet de loi est très utile pour les agriculteurs qui doivent faire face aux conséquences coûteuses de la présence de manifestants qui pensent probablement sauver des animaux, mais qui, en réalité, contaminent et endommagent les fermes, voire mettent les animaux en danger. Une fois de plus, le Sénat a apporté des amendements au projet de loi, élargissant par le fait même la portée juridique à un point tel que les familles et les employés des exploitations agricoles risquent d’être considérés comme des intrus aux termes de la loi. Le problème, c’est que les activistes sont ravis, car cela rend le projet de loi presque impossible à appliquer.
Le projet de loi C-282, présenté par le Bloc québécois, vise à protéger le système québécois de gestion des quotas et de l’offre applicables aux produits laitiers, mais ces mesures risquent également de compromettre les futures négociations de libre-échange pour l’ensemble du Canada, y compris des accords tels que l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, ou ACEUM. Encore une fois, nous nous retrouvons devant un projet de loi qui divise la communauté agricole et exacerbe les tensions régionales déjà fortes dans ce pays.
En outre, il y a le projet de loi C-280, à l’étude au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Il s’agit d’un projet de loi visant à offrir une certaine protection financière aux producteurs de produits frais ayant une courte durée de conservation. Là aussi, les amendements du Sénat saperont l’intention réelle de cette mesure législative en accordant une plus grande priorité aux acteurs au haut de la chaîne d’approvisionnement plutôt qu’à ceux dont les produits sont périssables. Ce projet de loi risque également de restreindre notre accès aux marchés américains.
Le projet de loi S-243 vise directement les secteurs de l’énergie et de l’agriculture en réclamant un financement plus contraignant pour les fermes et les entreprises agricoles pour des raisons environnementales. Les fermes fonctionnent à crédit. Sans cela, les exploitations agricoles ne peuvent pas fonctionner; aucune entreprise n’y arrive.
Il y a également eu de nombreuses règles fiscales qui visaient les entreprises agricoles. Le gouvernement a menacé le droit des familles d’agriculteurs de fractionner leur revenu aux fins de l’impôt lorsqu’il est évident qu’il s’agit d’exploitations familiales. Cela crée un chaos fiscal et davantage de dépenses de comptabilité, et maintenant, les changements rétroactifs relatifs aux gains en capital, ce qui n’est pas encore appuyé par une loi, compliquent la planification pour les petites et moyennes entreprises.
Vous l’avez peut-être vu, mais la semaine dernière, Logan Docherty, un jeune agriculteur de l’Île-du-Prince-Édouard, a fondu en larmes devant un comité de la Chambre, lorsqu’il a raconté qu’il était probablement impossible désormais de léguer la ferme à sa génération.
Il n’est pas étonnant que le secteur agricole se demande si le gouvernement comprend sa façon de fonctionner et les contributions cruciales qu’il apporte à la société, étant donné le nombre d’obstacles qu’on place sur sa route. Quand des lois bancales sont adoptées, la bataille se déplace et passe du Parlement aux tribunaux. Encore aujourd’hui, nous sommes aux prises avec des projets de loi contestés devant les tribunaux, comme les projets de loi C-48 et C-69 et maintenant le projet de loi C-59, qui a des visées d’écoblanchiment, mais qui a réellement pour effet de réduire au silence ceux qui, dans des secteurs tels que l’énergie et l’agriculture, n’osent pas tenter d’expliquer les progrès qu’ils réalisent dans le contexte des changements climatiques par crainte des contestations judiciaires. Des entreprises du secteur de l’énergie ont même fermé leur site Web de crainte de recevoir des amendes pour avoir simplement publié des faits.
L’agriculture, l’agrotechnologie et l’agroalimentaire sont des secteurs prospères et en pleine croissance, mais les coûts d’exploitation augmentent en flèche. Le coût de tous les intrants montent en flèche — des moissonneuses-batteuses de plusieurs millions de dollars aux primes d’assurance en passant par le coût des semences et des aliments pour animaux —, ce qui a de lourdes conséquences.
La dette impayée des entreprises agricoles du pays a plus que doublé depuis 20 ans. En 2022, elle s’élevait à 140 milliards de dollars et les marges bénéficiaires étaient faibles, de l’ordre de cinq cents du dollar; elles sont encore plus faibles maintenant.
Chaque fois qu’un gouvernement veut envoyer un message à un concurrent étranger, par exemple en disant non avec emphase aux véhicules électriques chinois, les producteurs de canola ou les producteurs de bœuf ou de porc finissent par en payer le prix, parce que ce sont eux qui essuient les représailles. Aucun ministre n’en paie le prix.
Les agriculteurs survivent depuis longtemps grâce à leur foi en l’avenir. Là d’où je viens, on appelle cela le « pays de l’an prochain », en espérant que l’année prochaine sera meilleure, qu’il n’y aura pas de grêle tardive, ni de pluie ou de neige au printemps, ni de nouvelles lois qui changent les règles du jeu. Pour survivre et prospérer, il faut que l’espoir l’emporte toujours sur la peur, parce que les éléments sont toujours de la partie. Dame Nature, la guerre, les accords commerciaux et, bien sûr, la politique ici au Canada feront toujours partie des risques.
Il y a deux notes optimistes et témoignages de reconnaissance de la part des Producteurs de grains du Canada pour le travail de deux députés, du Comité sénatorial des banques et du Sénat, en particulier des sénateurs Deacon et Housakos, pour les efforts qu’ils ont déployés pour faire adopter les projets de loi C-244 et C-294, le projet de loi sur le droit de réparer, qui feront gagner du temps et de l’argent aux producteurs agricoles et qui leur permettront de réparer leur équipement dans des délais raisonnables tout en protégeant comme il se doit le développement essentiel des logiciels de diagnostic et la propriété intellectuelle.
Espérons que cela incitera les provinces à suivre le mouvement.
Nous, ici, sommes la Chambre de second examen objectif. Nous savons que l’autre endroit est, de par sa nature même, accaparée par la politique électorale et les intérêts partisans. C’est son rôle. Cela signifie toutefois que la responsabilité que nous assumons est essentielle pour ceux que nous représentons : nous devons toujours prendre en considération les conséquences involontaires des projets de loi qui nous sont présentés et nous assurer, lors de l’étude des projets de loi, qu’ils ne causent pas de tort. C’est notre obligation primordiale.
Merci de votre attention, chers collègues.