Aller au contenu

Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture

25 mai 2021


L’honorable Brent Cotter [ + ]

Honorables sénateurs, je suis porte-parole pour ce projet de loi, mais je crois que j’en fais davantage la promotion que la critique. Cela dit, je suis heureux de prendre la parole au sujet du projet de loi.

Comme le sénateur Wells a présenté ce projet de loi et son objet de façon à la fois concise et détaillée, il y a quelques semaines, je ne vais pas tenter de reprendre son exposé bien réfléchi. J’aimerais parler de cinq aspects en particulier, mais je peux seulement parler de trois d’entre eux à cette étape de l’étude du projet de loi.

Premièrement, j’aimerais parler d’une question de principe, soit les problèmes que posent les paris sportifs dans le contexte du droit pénal canadien. Deuxièmement, j’aimerais faire des observations liées au premier aspect sur l’intégrité des sports et les positions adoptées par les grandes ligues de sport professionnel par rapport aux paris. Troisièmement, j’aimerais parler du fait que les jeux, plus précisément les jeux de hasard, présentent des risques sociaux, et des façons dont ce projet de loi pourrait atténuer ou limiter ces risques au lieu de les aggraver. Quatrièmement, j’aimerais parler des possibilités offertes par ce projet de loi pour bâtir des relations constructives entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Cinquièmement, on retrouve l’importante occasion que cet amendement propose aux particuliers, aux entreprises et aux communautés, surtout aux communautés autochtones. Je pourrai remettre à plus tard certains de ces éléments de mes observations, afin de permettre à d’autres de prendre la parole ce soir.

D’abord, il y a la nature du droit pénal. À l’école de droit, tout le monde étudie le droit pénal. Une des premières choses qu’on nous enseigne, c’est que le droit pénal traite principalement du malum in se et l’interdit essentiellement, c’est-à-dire les choses qui sont mal en elles-mêmes. Je vous demande de penser aux éléments graves qui relèvent du droit pénal, comme la fraude, le trafic de drogue, l’agression sexuelle, le meurtre, le vol et ainsi de suite — vous voyez ce que je veux dire. On utilise surtout le droit pénal pour cibler et pour punir les types nuisibles, néfastes et graves de comportements antisociaux que notre société dénonce.

À presque tous les points de vue, l’interdiction des paris sportifs ne s’approche pas de ce critère. D’ailleurs, son histoire est à la fois inhabituelle et éloignée de la norme du droit pénal, ou du malum in se. Le sénateur Wells a souligné l’évolution des positions du Code criminel du milieu des années 1980, en plus de la restructuration et des loteries conçues à ce moment-là, mais j’aimerais remonter plus loin dans l’histoire pour parler de l’interdiction touchant les événements sportifs en général.

Cette prohibition était le fruit d’une époque où les paris et certaines épreuves qui ont été arrangées faisaient l’objet d’une désapprobation morale. L’illégalité générale de nombreuses formes de paris, dont les paris sportifs, a été maintenue jusque dans les années 1980, où un éventail de modifications visant la libéralisation, que le sénateur Wells a mentionnées, ont été adoptées. Du même coup, on a créé un espace pour les paris dans le cadre de loterie à grande échelle ainsi que pour la génération de revenus pour les provinces.

En lien direct avec les questions que nous étudions aujourd’hui, en 1985, nous sommes passés de la considération des paris sportifs comme étant un crime à leur légalisation pour autant que l’on parie sur deux épreuves sportives ou plus à la fois. Toutefois, parier sur une seule épreuve, autrement qu’entre amis, est demeuré illégal. Quand on dit « illégal », on ne parle pas de la traversée d’une rue au mauvais endroit ou d’un excès de vitesse. On dit qu’il s’agit d’une infraction criminelle pour laquelle, si l’on se fait prendre et que l’on est reconnu coupable, on obtient un casier judiciaire. Pensons-y un instant. Permettez-moi de vous donner quatre exemples.

Mon grand-père était un homme décent, très croyant et extrêmement compétitif. Il dirigeait une petite entreprise de plomberie et de chauffage dans la mégapole de Kamsack, en Saskatchewan, et gagnait un revenu modeste, mais suffisant pour subvenir aux besoins de sa famille. Comme la plupart des plombiers, c’était un excellent athlète. Il a joué au hockey pour les Thistles de Kenora à l’époque où Kenora était la plus petite communauté à avoir remporté la coupe Stanley. Dans son excellent livre sur le hockey et la coupe Stanley, notre ancien premier ministre a brièvement évoqué cette histoire. Moi, et certainement mon grand-père, aurions souhaité qu’il en dise plus à ce sujet. Étant donné l’amour de mon grand-père pour le sport, il lui arrivait, lorsqu’il en avait les moyens, de parier sur l’issue de compétitions sportives, mais, ce faisant, il n’a jamais pensé qu’il commettait un crime.

Dans un contexte plus large et plus moderne, comme le sénateur Wells nous l’a dit, les Canadiens parient 13,5 milliards de dollars chaque année en dehors du cadre légal des paris sportifs. On parle de dizaines de milliers de Canadiens qui commettent des crimes. On parle de membres de nos propres familles, pour parler franchement, qui commettent chaque jour ou chaque semaine des actes criminels.

Au cours de la dernière décennie, j’ai donné un cours sur les sports et le droit à la faculté de droit de Saskatoon. Lorsque nous avons abordé la question des paris sportifs, j’ai demandé aux étudiants d’indiquer anonymement s’ils faisaient des paris sportifs en ligne sur une seule épreuve. Ce sont des avocats en herbe. Environ la moitié d’entre eux ont répondu que oui. J’ai posé la question anonymement parce que je leur demande en fait d’avouer un crime, mais aucun d’entre eux ne pense qu’il s’agit d’un crime, du moins pas de la manière dont nous concevons le droit pénal. Beaucoup se posent la même question que celle soulevée par le sénateur Wells : comment le fait de parier sur un seul jeu à la fois peut-il constituer un crime, alors que le pari sur deux ou trois jeux en même temps est parfaitement légal?

Quatrième et dernier exemple : lorsque les maires de Regina et de Winnipeg parient l’un contre l’autre sur le vainqueur du Banjo Bowl entre les Blue Bombers et les Roughriders — que, malheureusement, les Blue Bombers gagnent la plupart du temps —, le pari consistera peut-être à demander au perdant de porter le chandail de l’autre équipe ou de payer le dîner. Nous applaudissons à cela comme un geste de renforcement de la communauté, une déclaration de loyauté. Si ces mêmes maires pariaient 20 $ sur le même match auprès d’une agence de paris en ligne, ils commettraient une infraction pénale.

On peut se demander quelle importance on accorde à ces crimes. J’ai mené des recherches approfondies sur cette question. À notre connaissance, même si les Canadiens dépensent 13,5 milliards de dollars en paris sportifs illégaux chaque année, personne n’a été accusé au criminel au cours des 20 dernières années au Canada. Personne. Personne ne fait l’objet de poursuites judiciaires, ce qui en dit long sur ce que nous pensons de cette pratique, mais cela ne change pas le fait qu’elle demeure un crime au titre du Code criminel. Vous demanderez peut-être pourquoi il en est ainsi. Je tenterai de répondre à ce point ainsi qu’à un autre point, et je vais garder mes autres observations pour un peu plus tard.

La réponse semble être que cette absurdité juridique repose moins sur le droit pénal et plus sur les préoccupations historiques entourant le jeu et l’intégrité des sports, surtout les sports professionnels en Amérique du Nord. Il s’agit de mon deuxième point. Nous avons tous eu un certain rapport avec le sport, que ce soit sous forme de loisir pour rester en santé ou sous forme de compétition en tant qu’amateurs ou passionnés de sports. Certains ont eu une carrière sportive honorable, comme les sénateurs Smith, Petitclerc, Marty Deacon et de nombreux autres, qui ont servi honorablement au Sénat. Notre enthousiasme contagieux pour le sport est bien rendu dans la déclaration de Jerry Seinfeld :« Je pourrais regarder du sport même si mes cheveux étaient en feu. »

Pour beaucoup, c’est un moyen de s’évader. Le célèbre présentateur sportif Howard Cosell a un jour décrit le sport comme « le rayon des jouets de la vie humaine ». C’est une déclaration pleine d’autodérision. Cosell lui-même est devenu riche et célèbre en tant qu’éminent journaliste sportif.

En fait, le monde du sport est chose sérieuse pour ceux qui gravitent autour du sport, en particulier le sport professionnel moderne. Les grandes ligues sportives d’Amérique du Nord sont des entreprises de plusieurs milliards de dollars. Le sport professionnel génère des centaines de milliers d’emplois dans toute l’Amérique du Nord, et des milliers de ces emplois se trouvent au Canada. Certains sont extrêmement bien rémunérés, comme nous le savons, mais des milliers sont de bons emplois de base, qu’il s’agisse d’emplois au sein d’équipes sportives ou d’employés d’organisations médiatiques qui assurent la diffusion ou de personnes qui vendent du maïs soufflé et des hot-dogs dans les tribunes. Pour nombre de personnes, beaucoup de choses dépendent donc du bon fonctionnement de ces entreprises sportives. J’en viens à ce que je voulais dire.

Pour que tous les sports prospèrent, en particulier à une époque où l’engagement des supporters est important, les athlètes doivent posséder un certain niveau de talent, mais aussi avoir confiance dans l’intégrité des compétitions elles-mêmes. Ce dernier aspect fondamental a été une préoccupation des dirigeants des grandes ligues sportives au cours du siècle dernier en Amérique du Nord.

Voici maintenant quelques éléments d’histoire. L’enjeu de l’intégrité dans le sport nord-américain a pris une ampleur considérable et légitime il y a une centaine d’années, en 1919, quand le scandale des Black Sox a presque détruit la Ligue majeure de baseball des États-Unis. Un groupe de joueurs des White Sox de Chicago avait probablement accepté de l’argent pour perdre intentionnellement des parties éliminatoires pendant la Série mondiale. Bien que les joueurs aient été acquittés, ces magouilles ont eu de profondes conséquences pour le baseball et, pendant les décennies qui ont suivi, pour toutes les grandes ligues sportives en Amérique du Nord.

Du côté du baseball, on cherchait désespérément de nouveaux leaders aux principes solides. On a même tenté de persuader le président sortant des États-Unis de devenir commissaire de la Ligue majeure de baseball.

Le scandale des Black Sox a eu tellement de résonance dans le monde du sport professionnel, même encore aujourd’hui, que lorsqu’un film d’actualités au sujet du procès des Black Sox a été découvert l’an dernier — au Yukon, croyez-le ou non —, plus de 100 ans après les événements en question, ce fut un événement international pour le sport. Dans les livres et les films, l’un des joueurs des Black Sox, Shoeless Joe Jackson, a été immortalisé par l’auteur canadien W.P. Kinsella dans son ouvrage intitulé Shoeless Joe et le film à grand succès Fields of Dreams. L’anxiété entourant l’intégrité des équipes de sports au cours des décennies de croissance qu’ont connues les principaux sports professionnels de l’Amérique du Nord, a rendu les dirigeants d’organisations sportives soucieux de veiller avec vigilance sur l’intégrité de leur sport respectif et, naturellement, méfiants de la manière dont les paris sur les épreuves sportives pouvaient entacher cette intégrité.

Plus on isolait les sports des paris pris sur les résultats des épreuves sportives et de la tentation de convaincre des joueurs ou d’autres personnes de truquer l’issue de ces épreuves, plus on était assuré de cette intégrité. Cela aide à expliquer le raisonnement derrière l’interdiction visant les paris sur une seule épreuve sportive au Canada et l’opposition que les grandes ligues ont exprimée à ce sujet par le passé.

Comme le sénateur Wells l’a mentionné, du point de vue du parieur, il est difficile de gagner un pari lorsqu’il faut prédire l’issue de plusieurs parties, mais par ailleurs — et c’est encore plus important pour les dirigeants d’organisations sportives —, on estimait qu’il était beaucoup plus difficile de truquer plusieurs parties qu’une seule. L’interdiction visant les paris sur une seule épreuve sportive a donc permis — du moins en surface — de promouvoir l’intégrité en rendant les pratiques malhonnêtes presque impossibles, du moins chez ceux qui parient de façon légale.

Les dirigeants d’organisations sportives ont fini par admettre que les paris sur une seule épreuve sportive se pratiquent couramment et dans le secret, la plupart du temps dans des lieux clandestins qui ne sont pas contrôlés par les forces de l’ordre. Par conséquent, autoriser les paris sur les matchs d’équipes sportives ouvertement, au grand jour, en quelque sorte, ne peut pas être pire que la situation actuelle, et ce serait probablement mieux.

Ces commissaires de ligues sportives ont aussi admis qu’ils peuvent contribuer à créer des régimes de paris sportifs plus réglementés et plus équitables en prenant des mesures pour offrir aux agences de paris et aux parieurs de meilleures informations à jour sur les matchs et leurs résultats. Cette transparence se trouve à protéger l’intégrité du produit sur le terrain. C’est plus juste pour les parieurs, qui sont presque tous des amateurs de sport et qui le demeureraient seulement s’ils peuvent avoir confiance dans l’intégrité du match et de l’information sur les matchs sportifs.

Cette perspective en pleine évolution, combinée à la libéralisation des paris sportifs légaux aux États-Unis à partir de 2018, ainsi qu’à l’occasion de profiter de certains avantages économiques restreints découlant de ces développements, a mené les dirigeants de toutes les grandes ligues sportives en Amérique, ainsi que les ligues elles-mêmes, à accepter ce changement.

Permettez-moi de lire un communiqué conjoint que les commissaires de cinq grandes ligues sportives ont publié l’année dernière :

La National Basketball Association, la Ligue nationale de hockey, la Ligue majeure de baseball, la Major League Soccer et la Ligue canadienne de football appuient une modification proposée aux lois fédérales du Canada qui permettrait aux provinces d’offrir des paris sur des événements sportifs individuels. Les paris sportifs offrent aux amateurs une autre façon enthousiasmante de participer aux sports qu’ils aiment.

Ce sont les commissaires qui s’expriment ici.

Puisqu’un marché légal et réglementé de paris sportifs au Canada s’avérerait bénéfique aussi bien pour les sports que pour les amateurs, nous souhaitons une action rapide pour en faire une réalité. Les paris sportifs existent déjà de façon illégale au Canada. La création d’un cadre juridique aiguillerait les consommateurs à partir des marchés illicites non réglementés vers un marché légal et sûr. La réglementation des paris sur les événements sportifs individuels permettrait d’offrir aux consommateurs des mesures de protection solides, de même que des garanties protégeant encore davantage l’intégrité des sports.

Ce communiqué comporte deux passages clés. Le message voulant que ce changement s’avère bénéfique pour les sports s’adresse essentiellement à nous.

Il y a aussi le fait qu’un marché réglementé offrirait aux consommateurs des mesures de protection solides et des garanties protégeant l’intégrité des sports.

Chacun d’entre nous a peut-être son point de vue par rapport à ce projet de loi, mais les dirigeants des grandes ligues sportives, qui, de loin, ont le plus à perdre, appuient cette modification et sont convaincus qu’elle ne compromet pas l’intégrité de leur sport, ce qui constituait la préoccupation fondamentale ayant mené à la structure de la loi de 1985.

Selon les dirigeants des grandes ligues sportives, cette préoccupation fondamentale s’est érodée, et si eux approuvent cette modification, qui sommes-nous pour nous y opposer? À tout le moins, cela devrait nous faire réaliser que la structure de notre loi actuelle n’est plus nécessaire. Il s’agit d’un appel à passer de la criminalisation à la réglementation. Il a fallu 100 ans à ces ligues pour en arriver à réaliser que c’est la meilleure voie. Nous devrions faire de même.

J’aimerais parler brièvement des problèmes entourant le jeu compulsif. Il y a au moins deux décennies, à l’époque où les casinos ont commencé à faire leur apparition au Canada, dans les années 1990, j’avais moi-même des préoccupations concernant le risque que pose, pour certaines personnes, l’accès trop facile au jeu. À titre de sous-procureur général de la Saskatchewan, j’ai participé à l’époque à la négociation du pacte original concernant le jeu chez les Premières Nations du Canada. Cela a mené à l’établissement de casinos exploités par des Premières Nations en Saskatchewan. J’ai siégé au conseil des gouverneurs aux côtés de l’actuel grand chef Perry Bellegarde pendant un certain nombre d’années.

Les conclusions que j’ai tirées de ces travaux et du travail accompli auprès du grand chef Bellegarde, d’autres leaders des Premières Nations et des organismes gouvernementaux de réglementation me permettent de croire qu’il est possible de mettre en place un régime robuste et responsable de paris qui permettrait de limiter ces risques et de les réduire au minimum.

Il est vrai qu’il existe des risques, mais si nous voulons principalement sortir du marché noir ce type de paris — ce qui est notre objectif, à mon avis — cette modification législative nous aidera à cerner les personnes à risque et à les soutenir pour qu’elles puissent vaincre leur dépendance. La légalisation et l’encadrement réglementaire par les provinces constituent une solution bien meilleure et plus humaine, une approche de santé publique face à ce problème et à ce groupe de parieurs, une solution qui est préférable au statu quo.

Une façon de voir la situation est la suivante : des gens ont des problèmes de jeu présentement, et le crime organisé, qui occupe une place prépondérante dans le marché des paris illégaux, n’offre pas de programmes de paris responsables. En fait, c’est probablement le contraire.

Dans l’ensemble, si j’ai l’occasion, je reviendrai sur les avantages économiques, mais je voudrais souligner deux ou trois points importants avant de conclure.

Il s’agit d’un projet de loi bien simple fondé sur des principes et dont les objectifs sont sensés. Les avantages qu’il apporterait dépassent largement les inconvénients. Le pari sportif comporte des risques, mais ces risques existent déjà présentement, et rien n’est fait pour y répondre. Le projet de loi corrigera cette situation.

À l’heure actuelle, les investissements dans le jeu responsable ou compulsif au Canada avoisinent 125 millions de dollars par année. Ces investissements augmenteraient avec l’adoption de ce projet de loi, qui s’adresse surtout au domaine des paris sportifs. Ce projet de loi jouit d’un vaste appui dans toutes les circonscriptions où il s’avère pertinent, et il a été appuyé presque à l’unanimité par les représentants élus de tous les partis politiques de l’autre endroit. Nous devrions appuyer ce projet de loi pour permettre aux Canadiens de bénéficier des avantages qu’il propose. Merci.

L’honorable Ratna Omidvar [ + ]

J’ai une question pour le sénateur Cotter, s’il accepte d’y répondre.

Le sénateur Cotter [ + ]

Avec plaisir.

La sénatrice Omidvar [ + ]

Merci, sénateur Cotter. Je souscris à presque tout ce que vous avez dit. Il faut mettre au jour cette pratique et modifier le Code criminel pour que les gens agissent dans le cadre de la loi.

Vous avez parlé de jeu responsable, et je tiens à mettre l’accent sur ce point. Y a-t-il quelque chose dans le projet de loi ou la réglementation qui nous aideraient à déterminer qui est à risque ou à recueillir des données sur ces personnes? Les recherches que j’ai effectuées auprès du Conseil du jeu responsable m’ont permis de constater que les jeunes sont à risque, bien sûr, de même que les Autochtones, les Asiatiques du Sud et les autres Asiatiques.

Le projet de loi, dans sa forme actuelle, ou la réglementation proposée prévoient-ils la possibilité de recueillir des données sur l’âge, le sexe, la race et l’ethnicité ou s’agit-il d’une question que le comité doit examiner?

Le sénateur Cotter [ + ]

Je répondrai avec plaisir. Je vais tenter de vous donner une réponse en trois volets, sénatrice Omidvar.

Premièrement, il s’agit en fait d’une modification au Code criminel, qui, en général, n’est pas utilisé à des fins de réglementation, mais plutôt à des fins de sanction. Le projet de loi donne aux provinces l’occasion et la responsabilité de réglementer les paris sur une seule épreuve sportive dans leur territoire. Je crois que c’est le premier point.

Selon les conversations entourant l’établissement des casinos et les pratiques de jeu responsables, les provinces et les exploitants d’établissements de jeu ont pris tout un éventail d’engagements afin de répondre aux attentes en matière de jeu responsable. C’est dans leur intérêt. Rendre leurs clients dépendants au jeu et les acculer à la faillite n’est pas dans leur intérêt et la réaction serait brutale. La chose suscite donc de la sympathie.

À cet égard, les chefs de file du jeu responsable, y compris le Centre du jeu responsable, que vous connaissez, ont mené de vastes recherches pour comprendre les formes de jeu et les formes de comportements. Les paris sportifs sont une toute autre chose. Ils attirent des gens différents. Certains points que vous avez fait valoir concernant les plus jeunes gens sont avérés. Fait intéressant, ce sont souvent des jeunes gens plus instruits, surtout de jeunes hommes. Les paris sportifs comportent une dimension particulière. Un parfait exemple est celui où je parie sur les Roughriders lors du Banjo Bowl. Je suis trop investi émotionnellement dans les Roughriders de la Saskatchewan pour prendre des décisions judicieuses en matière de paris. Cela se produit couramment avec les paris sportifs. Toutefois, les responsables des paris ont déjà fait les recherches, et une part importante des 125 millions de dollars y est d’ailleurs consacrée.

Je ne peux pas commenter les paris sportifs et leurs liens particuliers avec les communautés racialisées d’intérêts. Il existe une gamme de vulnérabilités. Je serais mal à l’aise de les classer en utilisant ces catégories. Je crois qu’on peut constater une tendance plus marquée dans certaines communautés — qui peuvent être racialisées — au sein desquelles se trouve une certaine culture du jeu et des paris; ce pourrait être un aspect de la question. J’espère que cela vous est utile. Je suis impressionné par le degré de dévouement à l’ensemble de l’initiative et par les parties qui prévoient d’investir dans la prévention et dans la recherche, de mettre l’accent sur les communautés plus vulnérables et de reconnaître la valeur des investissements consentis par le gouvernement du Canada — qui en tirera davantage de recettes fiscales — et par les provinces dans le renforcement des mesures visant à tenir compte des vulnérabilités de certaines personnes sur le plan de la santé mentale. J’espère que cela vous est utile.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Avez-vous une autre question, madame la sénatrice?

La sénatrice Omidvar [ + ]

J’aimerais simplement avoir une petite précision pour mieux comprendre. Si j’ai bien compris, sénateur, la cueillette des données sera du ressort des provinces, qui feraient le nécessaire. Il n’y aurait aucune façon d’avoir un portrait de la situation dans l’ensemble du Canada. Ou serait-ce possible?

Le sénateur Cotter [ + ]

Je crois qu’il y a actuellement beaucoup de coordination parmi les entités responsables des jeux dans les différentes provinces. C’est toutefois une question de réglementation provinciale. À ma connaissance, il y a actuellement une excellente coopération interprovinciale et interterritoriale dans le secteur des jeux. Ainsi, un organisme national s’occupe de l’accréditation des casinos. L’accréditation de tous les casinos des Premières Nations de la Saskatchewan se fait selon ce système national, qui comporte des volets de recherche et de cueillette de renseignements sur les problèmes liés au jeu et permet d’élaborer des stratégies pour les régler.

La sénatrice Omidvar [ + ]

Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Souhaitez-vous participer au débat, sénateur Woo?

Votre Honneur, je souhaite demander le consentement du Sénat pour que nous entendions ce soir tous les sénateurs qui ont exprimé le désir d’intervenir, de manière à clore ce sujet et, je l’espère, à voter pour que ce dossier soit confié au comité.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Honorables sénateurs, le consentement est-il accordé?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Honorables sénateurs, je prends brièvement la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-218. Je remercie le sénateur Wells d’avoir présenté ce projet de loi d’initiative parlementaire et tous les sénateurs qui ont prononcé des discours jusqu’à maintenant.

Je n’ai pas abordé l’étude de ce projet de loi comme une personne qui a beaucoup d’expérience ou de connaissances du monde des paris sportifs. J’ai fait un pari de 2 $ sur une course de chevaux à l’ancien hippodrome Blue Bonnets, à Montréal, à la fin des années 1960. Mon bon ami était propriétaire d’un cheval, et j’ai parié que celui-ci terminerait parmi les trois premiers. À ma grande surprise, j’ai gagné. En empochant mes gains, j’ai décidé de mettre fin à ma carrière de parieur sur une bonne note. Cinquante ans plus tard, je suis fier de dire que j’ai fait de l’argent avec mon seul et unique pari.

Cependant, j’ai lu le projet de loi C-218, dont nous sommes saisis et qui a été adopté à l’autre endroit par un nombre impressionnant de députés de tous les partis, et j’en comprends la raison d’être. En fait, le gouvernement avait proposé le projet de loi C-13, qui visait les mêmes objectifs, mais qui, pour des raisons de procédure, n’a pas progressé à l’autre endroit. Le gouvernement s’est engagé à faire en sorte que ceux qui pratiquent les jeux de hasard puissent le faire de manière sûre et réglementée.

Comme nous l’avons entendu, les lois actuelles sur les paris sur une seule épreuve sportive ont permis au crime organisé de générer des profits et ont également créé des disparités économiques au sein des collectivités. Les modifications proposées au Code criminel dans le projet de loi C-218 permettront aux provinces et aux territoires de réglementer ce secteur et d’en améliorer la transparence pour favoriser le jeu responsable. Les modifications proposées seraient très avantageuses pour les collectivités frontalières dont les casinos sont en concurrence avec les casinos américains dans les États qui ont récemment modifié leurs lois pour permettre les paris sur une seule épreuve sportive.

Honorables sénateurs, l’industrie du jeu est un important employeur et générateur de revenus et d’emplois dans l’ensemble du Canada. Elle génère chaque année plus de 9 milliards de dollars de revenus pour les gouvernements et les organismes de bienfaisance, et elle verse plus de 6,7 milliards de dollars en salaires annuellement. Cependant, l’industrie des paris sur une seule épreuve sportive, qui représente 14 milliards de dollars, se déroule dans la clandestinité et elle compte souvent des éléments criminels. Cette importante somme d’argent ne contribue pas à l’économie ni au bien-être des collectivités et des employés. Ce sont des dollars qui contribuent à financer des éléments criminels dans les sociétés, et ce, au détriment de tous.

Les gouvernements provinciaux et fédéral et les groupes autochtones du Canada demandent depuis de nombreuses années au gouvernement de légaliser les paris sur une seule épreuve sportive. À l’heure actuelle, la plupart des provinces et des territoires ont conclu des accords avec des communautés ou organisations autochtones pour leur permettre de se prêter à des jeux de hasard ou de partager les profits. Nous avons la responsabilité d’écouter les peuples et les communautés autochtones concernant ces questions importantes et les répercussions négatives et bénéfiques possibles de cette industrie sur les peuples et les communautés autochtones. Une certaine forme de réglementation est nécessaire, et le projet de loi C-218 offre cette solution.

Comme vous le savez, le Code criminel interdit actuellement toutes les formes de jeux et de paris, à moins qu’une forme particulière de jeu ne soit expressément autorisée. En vertu de l’article 207 du Code criminel, les provinces et les territoires sont autorisés à octroyer des licences pour un large éventail de loteries, y compris les paris sur le résultat de plus d’une épreuve sportive — par exemple, les paris sur le résultat de plusieurs matchs de football. Toutefois, certains types de jeux de hasard continuent d’être exclus des loteries autorisées. L’une de ces exclusions empêche une province ou un territoire d’organiser des paris sur le résultat d’une seule épreuve sportive, comme la Coupe Grey ou la Coupe Stanley. Le projet de loi C-218 permettrait aux provinces et aux territoires de réglementer les paris sur une seule épreuve sportive en supprimant cette exclusion de la définition d’une loterie autorisée.

Comme d’autres l’ont souligné, les paris sur une seule épreuve sportive sont maintenant légaux dans plusieurs États des États-Unis, ce qui a amené les grandes ligues sportives à modifier leur position et à choisir d’appuyer la légalisation de ces paris, un changement qui accroît la concurrence parmi les différentes options de jeux offertes au Canada. Pour leur part, les ligues canadiennes sont largement en faveur des paris sur une seule épreuve sportive. Le 8 juin 2020, les commissaires de la National Basketball Association, de la Ligue nationale de hockey, de la Ligue majeure de baseball, de la Ligue majeure de soccer et de la Ligue canadienne de football ont publié une déclaration conjointe à l’appui des changements qu’il faudra apporter au Code criminel pour que les provinces puissent offrir des paris sur une seule épreuve sportive.

Au cours de l’étude du projet de loi C-218 à l’autre endroit, des représentants de l’industrie des courses de chevaux nous ont mis en garde contre le fait que dans sa forme actuelle, le projet de loi aurait de graves répercussions sur le système de paris collectifs utilisé par cette industrie et entraînerait de nombreuses pertes d’emplois dans tout le Canada. C’est l’Agence canadienne du pari mutuel qui réglemente tous les paris sur les courses de chevaux au Canada. Les paris collectifs sont un système dans lequel tous les paris d’un type particulier sont regroupés. Les taxes et un pourcentage pour l’établissement sont déduits de la cagnotte, et le reste de l’argent est partagé entre tous les paris gagnants. Les systèmes de paris collectifs sont actuellement réglementés par l’Agence pour les courses de chevaux en direct. Cette dernière relève du ministre de l’Agriculture et réglemente les paris sur les courses de chevaux dans tout le Canada. Sa seule source de financement est un prélèvement sur tous les paris faits par le biais du système des paris collectifs.

Un amendement au projet de loi C-218 a été adopté à l’autre endroit pour que le système de paris collectifs demeure sous la réglementation de l’Agence canadienne du pari mutuel. Cela rend l’industrie des paris sportifs à la fois compétitive et sûre pour ceux qui s’y adonnent.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-218 propose une façon sécuritaire, légale et prudente de mettre en place des mesures d’aide pour les personnes aux prises avec des problèmes, sans qu’il y ait d’impact négatif sur les sports correspondants. Je souligne que l’industrie est un employeur important pour des milliers de Canadiens et qu’elle génère des retombées économiques de plusieurs milliards de dollars pour les collectivités, les provinces et le pays. Je crois que le projet de loi dont nous sommes saisis reflète une approche équilibrée, prudente et sûre pour l’industrie. Encore une fois, je remercie le sénateur Wells d’avoir présenté ce projet de loi et j’offre l’appui du gouvernement au projet de loi C-218, pour qu’il soit adopté rapidement par le Sénat.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ + ]

Honorables sénateurs, je parlerai brièvement du projet de loi C-218 à l’étape de la deuxième lecture afin d’apporter quelques bémols quant aux effets de la légalisation du pari sportif unique.

Indéniablement, cette légalisation rapportera plus d’argent aux Trésors provinciaux puisque ce terrain est occupé par des sites étrangers ou tout simplement illégaux.

En toute transparence, je suis toutefois méfiante face aux jeux de hasard et d’argent. J’ai toujours jugé qu’il s’agissait d’une forme de taxation sournoise des personnes les plus démunies de notre société. D’ailleurs, le chercheur Christian Jacques, du Centre québécois d’excellence pour la prévention et le traitement du jeu de l’Université Laval, confirme que, toutes proportions gardées, il y a plus de joueurs qui sont issus des classes populaires que des classes aisées.

Ce qui m’a toujours inquiétée et qui me préoccupe encore aujourd’hui, c’est le risque de dépendance, le risque de jeu pathologique.

Tout comme pour l’alcool, on a laissé tomber progressivement la prohibition des jeux d’argent. Les loteries, les jeux et les paris en ligne sont des monopoles de gouvernements provinciaux, mais la situation varie d’une province à l’autre. Il y aurait une ambiguïté dans le Code criminel, dont chaque province aurait une interprétation différente, d’où les approches différentes en matière de licence. La Saskatchewan, par exemple, accorde une licence aux casinos privés, alors que le Québec en garde le monopole. L’Ontario, enfin, veut délivrer des licences à des sites privés étrangers de jeu en ligne sur son territoire pour avoir sa part des revenus.

Les gouvernements provinciaux, qui doivent se préoccuper de l’intérêt public, font la promotion du « jeu responsable » avec toutes les contradictions que ce vocabulaire implique. Loto-Québec m’a fait parvenir une liste d’au moins 25 mesures destinées aux joueurs qui perdent le contrôle, comme l’auto-exclusion ou la baisse sur demande du montant maximum que le parieur peut dépenser. Il faut toutefois noter que tous les clients de Loto-Québec ont le droit de jouer jusqu’à 9 999 $ par semaine, ce qui m’apparaît très élevé pour le commun des mortels.

Le paradoxe, ici, c’est que le projet de loi C-218 a cheminé au Parlement en pleine pandémie, alors qu’un grand sondage réalisé par l’Institut national de santé publique du Québec montre que le nombre d’adeptes de jeux d’argent sur Internet a explosé. En effet, 20 % de Québécois ont tenté l’expérience, et 8 % d’entre eux l’essayaient pour la première fois. La fréquentation du casino en ligne de Loto-Québec a bondi de 130 %, ce qui a multiplié les risques de dépendance.

Selon le professeur Jeff Derevensky, directeur du Centre international d’étude sur le jeu et les comportements à risque chez les jeunes de l’Université McGill, il est évident que la légalisation du pari sportif unique risque d’accroître les problèmes de santé publique au Canada. Pourquoi? Parce qu’il y aura, selon lui, plus de jeunes hommes qui seront attirés par ce genre de pari, s’il est légal et encadré, que par les sites illégaux, vers lesquels certains se tournent par dépit. Il n’est pas seul : le chercheur Christian Jacques, du Centre québécois d’excellence pour la prévention et le traitement du jeu de l’Université Laval, a lui aussi beaucoup de questions et d’inquiétudes, car les documents scientifiques laissent croire que cette légalisation aura des effets délétères. Il n’y a toutefois pas consensus. Robert Ladouceur, professeur de psychologie clinique à l’Université Laval, ne craint pas les effets de cette légalisation, mais il y voit un danger potentiel si les provinces accordent des licences à des exploitants privés pour qu’ils prennent en main le pari sportif unique. Les sociétés d’État, selon le professeur, ont davantage de comptes à rendre que les entreprises privées quant à l’intégrité de leurs activités dans le domaine risqué du jeu.

Des enquêtes montrent que la légalisation récente de ce genre de paris aux États-Unis a fait bondir le nombre d’appels aux centres d’aide pour les joueurs compulsifs. Au Québec, « un peu moins de 3 % sont des joueurs considérés à risque modéré ou des joueurs pathologiques probables ». Ces derniers ont chacun un impact négatif sur cinq à sept personnes, ce qui fait grimper le taux de citoyens à risque. Quant aux paris sportifs, les problèmes de dépendance en Amérique du Nord frapperaient, selon le professeur Derevensky, entre 4 et 25 % des adultes qui s’y adonnent plus ou moins régulièrement. En outre, 12 % des adolescents auraient des problèmes liés aux paris, selon des études américaines, et ils n’ont même pas l’âge légal de jouer.

Le pari sportif sur un seul match est la forme de pari qui attire le plus les jeunes hommes. On commence d’ailleurs à documenter les effets négatifs de l’interaction entre les paris en ligne, le visionnement des sports, le pari en direct et la technologie mobile. Les chercheurs constatent que le jeu en ligne sur Internet est un vecteur pour les comportements problématiques. Le fait de parier en direct d’un téléphone mobile accélère le processus, le jeu devient instantané et immédiat, ce qui est très attirant pour les joueurs impulsifs.

Quelles seront les conséquences sociales de l’adoption du projet de loi C-218? Il faudra sans doute des mesures de prévention plus musclées. Je terminerai en posant la question suivante : si, au bout du compte, plus de jeunes Canadiens se lancent dans les paris sportifs grâce à cette légalisation, qu’aura-t-on accompli avec ce projet de loi?

J’espère donc que le projet de loi et ses conséquences potentielles seront examinés en profondeur par un comité. Merci.

L’honorable Vernon White [ + ]

Honorables sénateurs, mon premier réflexe était de ne pas prendre la parole au sujet du projet de loi à ce stade-ci, mais, ayant écouté le parrain du projet de loi ici, au Sénat, et ayant lu les débats qui ont eu lieu à l’autre endroit à son sujet, j’estimais important de mettre en lumière certains aspects qui ont été exclus des discussions. Je vais tenter de m’en tenir à quelques aspects que j’estime importants. De plus, je voulais soulever quelques aspects qui, à mon avis, devraient être étudiés par ceux qui se pencheront sur cette mesure législative au comité.

Premièrement, je tiens à mentionner que le parrain et le porte-parole de ce projet de loi ont de la crédibilité ici, ce qui sera essentiel pour nous permettre de faire cheminer le projet de loi au Sénat, idéalement en tenant dûment compte des questions qui, d’après moi, seront soulevées. Je les remercie tous les deux.

En préparant mon discours, j’ai réalisé qu’il y avait beaucoup de choses à dire au sujet des effets qu’entraînera, à mon avis, le projet de loi C-218, mais j’ai décidé de parler également de choses sur lesquelles je ne souhaite pas passer trop de temps. Par exemple, j’ai pensé aborder les impacts que l’augmentation du nombre de paris sur des épreuves sportives uniques aurait pour les familles. En vérité, il y a déjà un problème de jeu au Canada, puisque le pays arrive quatrième au monde en matière de paris. Il suffit de demander aux travailleurs sociaux et aux spécialistes des dépendances quelle part de leur travail est consacrée à la dépendance au jeu. J’avais discuté avec deux d’entre eux lorsqu’un projet de loi similaire avait été présenté au Sénat et je l’ai fait cette fois-ci également. Ils m’ont dit que, comme je viens de le souligner, les consultations relatives à la dépendance au jeu accaparent une grande partie de leur charge de travail et que leur nombre ne cesse d’augmenter.

J’ai moi-même constaté les ravages du jeu sur les collectivités et les familles. J’ai déjà arrêté des gens qui avaient commis un vol pour assouvir leur dépendance au jeu. J’ai essayé d’aider des collègues policiers, des amis et d’autres personnes qui ont réalisé le niveau de déchéance qu’elles avaient atteint en raison de cette dépendance insidieuse. Or, il y a bien longtemps que nous avons baissé les bras face à ce fléau.

Ce que je voudrais savoir c’est si faciliter l’accès à ce type de pari, comme l’a mentionné la sénatrice avant moi, aura un effet sur l’ampleur du problème. Nous avons entendu parler des énormes revenus qui seront générés pour les Canadiens — ou plutôt pour les gouvernements, les casinos et les établissements légaux où se pratiquent les paris —, mais qu’en est-il des personnes dépendantes? La sénatrice nous a expliqué qu’une taxe pourrait être créée par les gouvernements afin d’offrir de meilleurs soins de santé. Cela pourrait être une bonne idée. Peut-être serait-il judicieux d’accroître les fonds alloués pour le traitement de la dépendance aux provinces qui choisissent cette solution? C’est ce qui se fait dans certains des pays qui permettent le pari sur une seule épreuve sportive. Si nous croyons que cette mesure sera utile, assurons-nous que ce soit le cas. Si elle est utile, il faut s’assurer que le financement pour l’aide psychologique aux personnes dépendantes est bien engagé et non seulement promis.

Or, c’est là que le bât blesse. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis déçu qu’il s’agisse d’un projet d’initiative parlementaire et non d’un projet de loi d’initiative ministérielle. Il est important que le gouvernement ne fasse pas que percevoir des taxes et qu’il ait à rendre des comptes concernant le financement de la lutte contre les effets négatifs inévitables d’une augmentation du nombre de paris. Un projet de loi d’initiative parlementaire ne peut contenir ce genre d’exigence, parce que la Constitution prévoit que les propositions engageant des dépenses publiques ne peuvent être faites que sur recommandation royale, laquelle ne peut être obtenue que par le gouvernement pour une mesure proposée par un ministre.

Je veux maintenant parler de la plus grande préoccupation concernant le projet de loi dans sa forme actuelle. Je parle de l’intégrité du sport au pays. En adoptant la mesure législative, nous mettrions l’intégrité du sport au Canada dans une position difficile — non pas parce que nous sommes différents des autres pays, mais plutôt parce que nous sommes souvent pareils. Voyez-vous, il n’est pas seulement question de parier sur des parties de la Ligue nationale de hockey, de la NBA, de la NFL, du baseball majeur ou d’autres grandes ligues. Cela pourrait inclure — et inclura probablement — les paris sur des parties de hockey junior, de football semi-professionnel et d’autres sports de deuxième, troisième ou même quatrième niveau, comme nous le voyons actuellement dans d’autres pays qui ont des systèmes de paris sur une seule épreuve sportive.

Le fait est que le projet de loi ouvrirait les paris sur une seule épreuve sportive à toutes les fins que les provinces souhaitent. Nous savons déjà à quel point leur dépendance aux taxes peut être forte. Elles pourraient ouvrir les sports amateurs à ces paris, et en fait, c’est une chose sur laquelle je parierais. Après tout, pourquoi ne le feraient-elles pas? Il s’agit de recettes fiscales provenant de jeux d’argent et non du sport.

Je me suis penché sur 29 mémoires et sur les témoignages de 32 témoins qui ont comparu lors de l’étude de ce projet de loi au comité de la Chambre. À part les fonctionnaires du ministère, la grande majorité des témoins étaient favorables au projet de loi et représentaient des organisations qui pourraient faire des gains financiers grâce à une hausse des revenus. Cependant, j’ai entendu peu de témoignages, voire aucun, sur les effets d’une hausse des paris en ce qui a trait aux dépendances ou à la santé mentale. Personne ne doute que cette proposition soit avantageuse pour les recettes fiscales de l’État, mais nous serons jugés à la façon dont nous aideront ceux qui en souffrent.

Dans certains États des États-Unis, nous avons vu que, pour des sports amateurs, qu’il s’agisse de tennis de table, de sports électroniques ou de n’importe quelle discipline, si le gouvernement exerce un contrôle et est prêt à en tirer des bénéfices, il autorise les gens à parier sur ces épreuves. Ce sera donc aux provinces avides de recettes fiscales de décider. Dans la plupart des cas, et dans la plupart des établissements de paris clandestins, on fait des paris sur les matchs des ligues professionnelles et collégiales de football, de basketball, de baseball et de hockey, sur les courses de chevaux et de chiens, sur les sports électroniques — aussi incroyable que cela puisse paraître —, y compris le hockey et le football électronique, et j’en passe. C’est très bien. Après tout, il s’agit d’autoriser les paris sur une seule épreuve sportive et de permettre aux gouvernements du pays de recevoir des recettes fiscales qui ne sont pas perçues actuellement. Il n’est certainement pas question de se demander si nous allons propager des problèmes de dépendance et de maladie mentale.

L’élément qui porte sur l’intégrité sportive entre en jeu par rapport aux matchs truqués dont ont parlé les promoteurs de cette mesure législative. Ils parlent de la nécessité de la transparence dans les paris sportifs pour combattre cette pratique. Après tout, ce sera au grand jour que les athlètes s’affronteront et que les équipes gagneront ou perdront. Par conséquent, ce sera à ce même grand jour que nous devrions être en mesure de déterminer si les matchs sont truqués. Je ne crois pas que les athlètes voudraient tricher, mais qui sait? La NCAA, aux États-Unis, a mené un sondage auprès des joueurs de football de division 1 sur la tricherie. Parmi les répondants, 1 % ont dit avoir accepté de l’argent pour mal jouer; 2 % ont dit avoir été contactés par des gens de l’extérieur qui voulaient obtenir de l’information privilégiée; 3 % ont déclaré avoir communiqué cette information sur une partie. C’est bien sûr que certains joueurs tricheront.

Une association de joueurs a mené un sondage auprès de joueurs de soccer est-européens. Or, près de 12 % des répondants ont dit qu’on leur avait déjà demandé s’ils étaient ouverts à la perspective de truquer un match, alors que près de 24 % disent avoir eu connaissance que des matchs ont été truqués dans leur ligue. La plupart des pays visés par cette enquête permettent les paris sur une seule épreuve ou manifestation sportive. En fait, dans l’un des pays visés, 35 % des répondants ont dit qu’on leur avait déjà demandé de truquer un match, tandis que, dans un autre, 45 % ont dit qu’ils avaient eu connaissance qu’un match avait été truqué.

Tim Donaghy, ancien arbitre de basketball professionnel, a travaillé dans la NBA pendant 13 ans. Il a dû démissionner après qu’on ait rapporté qu’il était visé par une enquête du FBI en raison d’allégations concernant le fait qu’il aurait parié sur des matchs qu’il arbitrait. Il a plaidé coupable à deux infractions fédérales et a été condamné à 15 mois d’emprisonnement après avoir admis avoir pris des décisions de façon à influer sur l’écart de points lors des matchs en question. Il s’agit d’un cas important, parce que les joueurs, les entraîneurs et les arbitres n’ont pas à garantir l’issue d’un match. Dans le cas de M. Donaghy, les seules garanties qu’il a eu à donner portaient sur l’écart de pointage, c’est-à-dire que son rôle a consisté à influencer le cours de la partie de telle sorte que le vainqueur gagne par un nombre X de points.

Les matchs truqués existent et, habituellement, ce qui peut être arrangé n’est pas l’issue du match, mais l’écart de points entre les deux équipes. Par exemple, si l’équipe de soccer d’Ottawa est favorisée par trois points face à l’équipe de Toronto, c’est là-dessus que se font les paris; c’est ce qu’on appelle l’écart. Pour gagner, on peut parier que l’équipe de Toronto perdra par moins de trois buts. Si un joueur, un arbitre ou un entraîneur veut faire gagner ceux qui ont fait un tel pari, il n’a pas à essayer de changer l’issue du match. En vérité, même si la partie était truquée en ce qui concerne l’écart, cela ne se reflétera pas dans la colonne des victoires.

Pour récapituler, les paris sportifs existent au Canada depuis assez longtemps déjà, mais, comme l’ont mentionné le parrain du projet de loi et le porte-parole de l’opposition pour ce projet de loi, notre cadre législatif oblige le parieur à parier sur au moins deux épreuves sportives, ce qui est beaucoup plus difficile à arranger comparativement aux paris sur une épreuve sportive simple. En effet, les chances d’influencer le résultat de plus d’une épreuve sont minces, puisqu’il faudrait impliquer de nombreux joueurs, entraîneurs ou arbitres, dans de multiples parties au sein de multiples équipes. C’est pratiquement impossible. Par contre, quand on parie sur une seule épreuve, il suffit d’influencer un seul joueur ou entraîneur au sein d’une seule équipe ou même un seul arbitre, non pas pour obtenir de lui que l’équipe gagne ou perde, mais pour qu’il fasse en sorte de modifier l’écart de pointage entre l’équipe gagnante et l’équipe perdante.

Dans les pays où les paris sur épreuve sportive simple sont légaux, que ce soit en Europe, en Asie, en Australie ou en Océanie, on a observé de nombreux cas dramatiques et poussés de matchs truqués de cricket, de soccer et d’autres sports, trop pour qu’on puisse les nommer tous et trop pour ne pas en tenir compte.

Je me suis entretenu avec un expert, Declan Hill, un journaliste et auteur canadien, professeur agrégé à l’Université de New Haven. Il a parlé, dans sa thèse de doctorat et dans son livre intitulé Comment truquer un match de foot?, des problèmes relatifs aux matchs truqués en Europe. En 2013, lorsque ce projet de loi a été présenté, il était l’un des seuls témoins que nous avons entendus capables de parler des épreuves arrangées. Soit dit en passant, il n’a pas été invité à témoigner à l’autre endroit lorsque ce projet de loi y a été étudié.

Declan Hill s’est penché sur les conséquences de ce phénomène et il s’est exprimé sur de nombreuses tribunes, en particulier sur la question des épreuves truquées et des conséquences sur l’intégrité du sport. Le problème des épreuves truquées, affirme-t-il, se retrouve partout où il y a des paris sur une seule épreuve sportive; c’est une réalité du sport lorsqu’on peut faire de tels paris.

Il est certes extrêmement important de mettre au jour les épreuves truquées, mais il est également important que cette pratique soit illégale. Declan Hill a déclaré catégoriquement — récemment et en lien avec les versions précédentes du projet de loi — que les épreuves truquées doivent être une priorité du gouvernement et, par conséquent, une priorité des services de police. C’est là où réside le problème, car aujourd’hui, au Canada, les épreuves truquées ne sont pas illégales. Il faut remédier à la situation lorsque la mesure législative sera adoptée. Declan Hill a écrit à ce sujet le 11 décembre 2020 dans le Globe and Mail. Le comité devra se pencher sur la question des épreuves truquées lorsqu’il proposera des modifications au Code criminel afin d’autoriser les paris sur une seule épreuve sportive.

Je ne dis pas qu’il faudrait bloquer ce projet de loi. Je dis simplement qu’il suscite des préoccupations. J’ai parlé avec les experts juridiques du Sénat; ils proposent de régler ce problème en apportant au projet de loi C-218 un petit amendement qui ajoutera au Code criminel une infraction relative aux parties truquées. Cette nouvelle infraction pourrait être ajoutée aux articles existants du Code criminel et s’inspirer de l’infraction sur la tricherie prévue dans la Gambling Act de 2005 du Royaume-Uni ou des dispositions adoptées par les États australiens lorsqu’ils ont ajouté les paris sur une seule épreuve sportive. J’ai demandé à nos experts juridiques de rédiger un amendement au Code criminel. Je peux le présenter aux membres du comité s’ils le désirent ou le présenter au Sénat à l’étape de la troisième lecture.

D’une manière ou d’une autre, quand nous modifierons le Code criminel pour autoriser les paris sur une seule épreuve sportive, il sera essentiel d’ajouter aux mêmes articles du Code criminel quelque chose à propos des parties truquées.

J’ai pensé qu’il serait intéressant de voir quelques exemples de parties truquées qui ont eu lieu en Australie.

À Melbourne en 2017, deux hommes ont été accusés d’avoir arrangé une partie de football australien. Il s’agissait d’une équipe de troisième catégorie composée de joueurs de moins de 20 ans.

En Nouvelle-Galles-du-Sud en 2019, la police a porté des accusations relatives aux produits de la criminalité contre un joueur de tennis de table australien et démantelé un consortium voué aux parties truquées. Dans ce cas, 500 000 $ ont circulé entre les athlètes et les parieurs.

En Nouvelle-Galles du Sud, la police a porté en 2020 des accusations de trucage de matchs contre cinq personnes lors d’un événement sportif électronique qui a eu lieu en mai.

Essentiellement, je crois qu’il s’agit d’un élément fondamental pour créer un projet de loi qui réglemente les paris sur une seule épreuve. Même si je ne propose pas d’amendement à ce stade, j’espère que le comité le fera lorsqu’il avancera dans son étude et fera progresser le projet de loi. Sinon, je le ferai lorsque le projet de loi reviendra du comité. Pendant que le comité étudie les modifications à apporter au Code criminel pour légaliser les paris sur une seule épreuve, j’ai confiance qu’il s’assurera aussi de rendre illégal le fait de truquer un tel événement.

J’aurais pu terminer là mon intervention, mais un autre aspect du projet de loi me dérange. J’entends toujours parler des sports professionnels qui vont adopter un système de paris sur une seule manifestation sportive, mais je pense qu’il faut aborder la possibilité d’offrir aux ligues l’option d’adhérer ou non à un tel système. Elles devraient être en mesure de contrôler leur propre participation. Il faut leur permettre de prendre elles-mêmes cette décision concernant leur sport ou leur ligue, au lieu de la laisser à un tiers qui n’aura pas à en assumer les conséquences.

Le projet de loi comporte de nombreux volets. Il peut paraître simple, mais je crois que nous n’en sommes qu’au début. J’ai des réserves à son endroit et il nous incombe de répondre aux préoccupations autant que possible et de régler les problèmes avant d’adopter le projet de loi. J’ai bon espoir que le comité offrira des solutions à ces problèmes. Encore une fois, je remercie le parrain et le porte-parole de l’opposition au sujet du projet de loi.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

Haut de page