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Projet de loi sur la lutte contre l’ingérence étrangère

Troisième lecture--Rejet de la motion d'amendement

19 juin 2024


Son Honneur la Présidente [ - ]

Nous reprenons donc le débat sur l’amendement. Il y a deux personnes qui ont montré un intérêt à poser une question, et il reste 19 secondes. Sénateur Woo, vous avez la parole.

Je demande cinq minutes de plus.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le consentement n’est pas accordé.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole pour parler brièvement de l’amendement proposé par le sénateur Woo au projet de loi C-70.

Je remercie le sénateur Woo pour ses observations sincères. Je remercie le sénateur Dean d’avoir parrainé le projet de loi et de l’avoir porté de façon on ne peut plus responsable, et je le remercie pour ses observations d’aujourd’hui. Je remercie également les membres du comité, qui ont étudié le projet de loi avec diligence pendant le temps qui leur était imparti.

C’est quand des personnes consciencieuses débattent vigoureusement, mais avec courtoisie de questions d’importance que le Sénat donne toute sa mesure, comme c’est le cas aujourd’hui.

Je sais que nous nous estimons tous chanceux d’être dans un pays et de faire partie d’une institution où ce type de débat est non seulement possible, mais encouragé, et c’est un honneur pour moi d’y prendre part.

Le projet de loi C-70 a été élaboré dans cet esprit, dans le but de protéger nos institutions démocratiques et les valeurs d’ouverture et de transparence qui font du Canada le pays qu’il est.

Nous ne devons pas tenir la démocratie pour acquise. Nous ne devons pas ignorer le fait que certaines puissances étrangères, entre autres, aimeraient que notre démocratie se détériore et se corrompe, et qu’elles s’emploient activement à obtenir ce résultat. Il nous incombe de protéger les personnes qui sont venues au Canada en quête de sécurité et de liberté contre les tentacules des régimes qu’elles ont fuis.

Chers collègues, je suis convaincu que nous sommes tous sur la même longueur d’onde à cet égard. Notre débat d’aujourd’hui, en particulier en ce qui concerne cet amendement, porte sur la façon d’y parvenir.

Les citoyens doivent exiger que les lois dénotent vigilance et réflexion, surtout lorsqu’elles concernent la sécurité nationale, afin que l’on ne résolve pas certains problèmes en en créant involontairement d’autres. C’est ce que le sénateur Woo tente d’éviter dans ce cas-ci, et je l’en remercie à nouveau.

L’un des principaux objectifs du projet de loi C-70 consiste à protéger les membres des communautés de la diaspora. La dernière chose que nous souhaitons tous, c’est d’alimenter la suspicion et la persécution de concitoyens canadiens sur la base de leur origine nationale ou ethnique. Les réserves exprimées par le sénateur Woo sont sérieuses et légitimes; ne les prenons pas à la légère.

Nous venons tous dans cette enceinte avec des perspectives façonnées par nos antécédents et par notre expérience. Éclairer le processus législatif de ces perspectives constitue un acte de civisme patriotique envers le Canada.

À cette fin, je vais maintenant vous faire part de mon point de vue sur cet amendement.

Chers collègues, en résumé, je ne peux pas l’appuyer.

Comme nous l’avons entendu, l’amendement propose de supprimer l’expression « en collaboration avec » dans deux parties du projet de loi, comme l’a expliqué le sénateur Woo dans ses observations. Permettez-moi de m’y arrêter tour à tour.

Le premier de ces endroits, c’est la Loi sur la protection de l’information, une loi qui existe depuis longtemps et que le projet de loi C-70 propose de modifier. Le projet de loi C-70 créerait ou élargirait plusieurs infractions à cette loi relatives à toute activité commise « sur l’ordre d’une entité étrangère [...] en collaboration avec [elle] ou pour son profit ».

Il s’agit notamment du recours à l’intimidation, à des menaces ou à la violence, tel qu’il est décrit aux articles 20 et 20.1 proposés; de la perpétration d’un acte criminel pour une entité étrangère, tel qu’il est décrit à l’article 20.2 proposé; et du fait de se livrer à une conduite subreptice ou trompeuse portant atteinte aux intérêts canadiens, tel qu’il est décrit à l’article 20.3 proposé.

À l’article 20.4 proposé, le projet de loi érige également en infraction le fait de se livrer, sur l’ordre d’une entité étrangère ou en collaboration avec elle, à une conduite subreptice ou trompeuse en vue d’influer sur un processus politique ou gouvernemental ou certains autres processus.

Chers collègues, dans tous ces cas, la personne doit participer à une activité malveillante. À première vue, ces dispositions ne criminalisent pas la simple association avec une entité étrangère. Elles visent plutôt les personnes qui ont des intentions malveillantes et qui utilisent la menace, la violence, l’intimidation ou la tromperie. Quiconque est impliqué dans ce type d’activité doit faire l’objet de poursuites.

Le gouvernement n’estime pas que ces dispositions sont trop générales ou ambiguës. Comme je l’ai mentionné, l’article 20 de la Loi sur la protection de l’information contient déjà une disposition — c’est celle dont j’ai parlé plus tôt — qui est en vigueur depuis de nombreuses années. Il a toujours inclus les mots « en collaboration avec ». Il n’y a là rien de nouveau. En plus, il y a un aspect important du projet de loi C-70 qui élimine toute ambiguïté dans la loi actuelle.

Je m’explique. L’article 20 actuel, qui est en vigueur, interdit de recourir à des « menaces, [à des] accusations ou [à de la] violence » pour inciter quelqu’un à faire quelque chose de préjudiciable au Canada « sur l’ordre d’une entité étrangère ou d’un groupe terroriste, en collaboration avec lui ou pour son profit ». C’est ce que prévoit la loi actuelle. Le projet de loi C-70 remplacerait les mots « menace » et « accusation » par le terme « intimidation », mieux compris en droit pénal canadien, notamment dans le contexte de l’extorsion.

Ce n’est pas une analogie inutile en ce qui concerne certaines des infractions en cause. On parle d’infractions qui s’apparentent à l’extorsion, quoiqu’elles ne visent pas un gain monétaire, mais des fins hostiles d’ingérence dans nos processus démocratiques.

Comme je l’ai dit, cette disposition, qui est actuellement en vigueur, comprend l’expression « en collaboration avec ». Ainsi, l’amendement proposé par le sénateur Woo affaiblirait la loi existante, ce qui serait forcément contraire à l’intention du gouvernement, qui vise à rendre le libellé plus dissuasif et à autoriser les poursuites en cas d’activité malveillante impliquant une entité étrangère.

Je vais maintenant passer au deuxième sujet que viserait l’amendement proposé, à savoir la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère.

Cette nouvelle loi ne porte pas sur les activités malveillantes. Elle porte simplement sur la transparence. Le projet de loi C-70 exigerait que les gens qui tentent d’influer sur les processus politiques ou démocratiques au Canada « sous l’autorité d’un commettant étranger ou en association avec lui » le fassent inscrire au registre.

Chers collègues, on ne sous-entend pas que de telles activités sont intrinsèquement mauvaises, et on ne tente pas de les empêcher ou de les limiter. L’objectif du gouvernement est simplement de veiller à ce que les Canadiens sachent d’où proviennent les messages politiques et qui en sont les auteurs. Il s’agit du même concept que le Registre des lobbyistes, qui n’interdit pas les activités de lobbying; il favorise simplement la transparence.

La suppression des mots « en collaboration avec », comme le propose cet amendement, créerait une faille importante dans l’obligation d’enregistrement et irait donc à l’encontre de l’objectif de transparence.

En matière de communications politiques, les relations entre les acteurs étrangers et les personnes au Canada ne sont généralement pas explicites au point d’impliquer des contrats écrits ou des instructions précises. Il peut arriver, par exemple, qu’un régime étranger finance un groupe de réflexion au Canada. Dans un tel cas, le régime n’oriente pas nécessairement les actions ou les communications précises du groupe de réflexion, mais les Canadiens ont au moins le droit de savoir qui finance ce groupe, peu importe ses positions passées et actuelles ou leur origine.

Ainsi, un agent d’un pays étranger pourrait approcher un universitaire canadien et l’encourager à faire certaines déclarations publiques ou à publier certains articles, sans lui donner d’instructions explicites. En vertu du projet de loi C-70, l’universitaire serait libre de le faire. Il lui suffirait d’être transparent à ce sujet. L’amendement proposé, en revanche, le dispenserait de cette obligation de transparence.

Chers collègues, les acteurs étrangers peuvent être très habiles pour trouver des faiblesses dans nos lois et les exploiter. En supprimant l’expression « en collaboration avec » et en limitant le registre aux situations où il existe des instructions explicites de la part d’un commettant étranger, nous viderions ce nouveau registre de sa substance avant même qu’il ne soit créé.

Chers collègues, ce projet de loi vise à mieux protéger le Canada contre l’ingérence étrangère et la répression transnationale, de même qu’à promouvoir la transparence en matière de communication et d’influence politiques. Le projet de loi C-70, considéré dans son ensemble, améliore la boîte à outils de nos agences nationales de sécurité et de renseignement pour les aider à contrer ces phénomènes de plus en plus répandus. Toute une série d’outils pourraient être utilisés, depuis les exigences de transparence jusqu’aux sanctions administratives pécuniaires, en passant par les enquêtes et les poursuites judiciaires, selon le contexte.

De même, le nouveau commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère disposerait d’une série d’outils, allant de la formulation de conseils et d’avertissements à la transmission de dossiers aux autorités chargées de l’application de la loi. En d’autres termes, ce projet de loi n’est pas un instrument sans raffinement. Il s’agit d’un instrument très nuancé, d’une approche nuancée face à une question nuancée et difficile.

Comme je l’ai dit au début, je suis sensible aux préoccupations du sénateur Woo. Nous savons tous que des projets de loi bien intentionnés peuvent avoir des conséquences inattendues, en particulier dans le domaine de la sécurité nationale.

Je rappelle toutefois aux sénateurs que nous avons pris des mesures importantes ces dernières années pour renforcer la surveillance et la reddition de comptes à cet égard. Nous disposons maintenant d’institutions comme le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, qui n’existaient pas lorsque les lois antiterroristes ont été adoptées il y a plusieurs années.

Légiférer dans ce domaine consistera toujours à essayer de trouver le bon équilibre : protéger les libertés civiles tout en protégeant notre sécurité et nos institutions nationales. Le gouvernement pense que le projet de loi atteint un tel équilibre et, comme le montre le vote qui a eu lieu à l’autre endroit, les députés sont entièrement d’accord.

L’autre endroit est aussi d’avis que ces nouvelles dispositions législatives devraient être mises en place avant les prochaines élections, et lui renvoyer le projet de loi à ce moment de la session nuirait à l’atteinte de cet objectif.

Je crois savoir que le Comité de la sécurité nationale du Sénat a discuté de la possibilité de poursuivre l’étude du projet de loi C-70. Le sénateur Dean y a fait allusion. Le comité pourrait entre autres examiner les répercussions du projet de loi et étudier sa mise en œuvre, à notre retour à l’automne. Du point de vue du gouvernement, ce serait une entreprise très valable, en plus d’être une bonne façon de respecter la volonté de l’autre endroit et de la population de répondre aux menaces émergentes dans les meilleurs délais, tout en jouant notre rôle de sénateurs avec la diligence nécessaire et avec vigilance.

Encore une fois, je tiens à remercier le sénateur Woo de sa contribution à l’étude de ce projet de loi. Sénateur Woo, je suis persuadé que vous participerez avec enthousiasme aux travaux futurs du comité sur le projet de loi C-70 et les questions connexes. Le Sénat bénéficierait certainement de votre participation.

Pour l’instant, cependant, j’encourage les sénateurs à s’opposer à cet amendement et à appuyer le projet de loi dans sa forme actuelle. Merci de votre attention.

Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Gold?

Le sénateur Gold [ - ]

Oui, bien sûr.

Je vous remercie de votre discours. Je l’ai bien aimé. Avant de poser ma question, permettez-moi de dire que les exemples que vous avez énumérés et qui, selon vous, ne seraient pas couverts par la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère si l’on supprimait les mots « en collaboration avec » sont, je pense, déjà couverts par la définition d’« arrangements », dont j’ai parlé de manière plus détaillée lors de mon intervention.

Toutefois, ma question concerne la Loi sur la protection de l’information, loi dans laquelle — comme vous le signalez à juste titre — l’expression « en collaboration avec » figure depuis longtemps.

Vous nous rappelez également que de nouvelles infractions sont créées, mais vous passez sous silence le fait que l’une de ces nouvelles infractions se rapporte à l’ingérence politique. Ce n’est pas le fait de participer à la politique fédérale, provinciale, municipale ou autochtone, ou encore de poser sa candidature à un conseil scolaire, qui constitue une infraction, mais de le faire subrepticement.

Ma question, sénateur Gold, est donc de savoir comment nous pouvons être sûrs que l’expression « en collaboration avec » ne sera pas utilisée pour stigmatiser, pénaliser, criminaliser un Canadien qui participe à un processus politique dans sa collectivité simplement parce qu’il est soupçonné d’être « en collaboration avec » un État étranger. Comme vous le savez, la peine encourue est l’emprisonnement à perpétuité.

Le sénateur Gold [ - ]

Je vous remercie de votre question. Elle est importante. Je suis persuadé que l’intention du gouvernement dans cette mesure législative est très claire. Il ne vise pas à stigmatiser des députés qui participent en toute légitimité au processus législatif.

J’aimerais toutefois souligner, si je le peux — vous faites référence à l’article 20.4 proposé —, que même s’il conserve les mots « en collaboration avec », une lecture attentive montre que, contrairement aux autres articles, on a éliminé l’expression « pour son profit ». C’est en raison de l’éventail de normes que l’on pourrait satisfaire. Dans le cadre d’une enquête ou d’une poursuite, la plus simple est « pour son profit », car elle est assez claire. C’est précisément parce que la barre n’est pas assez haute que le gouvernement l’a retirée de cet article, contrairement aux articles qui portent sur l’intimidation, les menaces, la violence, etc., afin qu’il soit plus difficile de mettre la main sur les individus qui ont une conduite trompeuse ou subreptice.

Il est parfois très difficile d’être certain qu’une personne est dirigée, car un mauvais acteur étranger compétent ne laissera que très peu de traces écrites, voire aucune. L’expression « en collaboration avec » est une question factuelle sur laquelle il faudra se pencher.

Dans son ensemble, ce projet de loi m’inspire confiance. Je fais confiance aux procédures qui sont mises sur pied, au nouveau poste de commissaire, au bon sens et, soit dit en passant, aux dispositions juridiques — la révision judiciaire, entre autres — qui sont prévues dans le projet de loi.

Votre question est tout à fait légitime, mais le projet de loi vise à circonscrire davantage les efforts dans le but de réduire et d’atténuer les risques que vous avez soulignés.

En 2021, comme vous le savez, M. O’Toole, l’ancien chef du Parti conservateur, a allégué que certains Canadiens d’origine chinoise — qui étaient aussi des utilisateurs d’une application servant à discuter de sujets politiques — étaient des agents de l’État chinois parce qu’ils accusaient M. O’Toole d’être dur envers la Chine. De manière plus précise, ces utilisateurs disaient que M. O’Toole voulait pratiquement rompre les relations diplomatiques avec la Chine.

À l’heure actuelle, le Parti conservateur, les médias et les commentateurs ont adopté ce point de vue politique sur certains Canadiens en se fondant sur les déclarations de M. O’Toole, soit dit en passant. Ils considèrent que c’est une preuve d’association avec l’État chinois et, par conséquent, d’être des agents étrangers.

Selon ce projet de loi, je serais porté à croire que ces personnes pourraient être poursuivies parce qu’elles agissent au nom de ou « en collaboration avec » un État étranger de façon subreptice ou trompeuse.

Pourriez-vous commenter cette situation, je vous prie?

Le sénateur Gold [ - ]

L’avocat en moi est très réticent à la commenter, mais je passerai un peu par-dessus ma réticence, sénateur Woo. Je pense qu’il est peu probable que ce genre de situation soit visé par la loi. Ce n’est pas la lecture que je fais du projet de loi. Quand on le regarde dans son ensemble et qu’on regarde ses objectifs globaux, qu’on tient compte des nombreux éléments consignés dans les comptes rendus du Sénat et de l’autre endroit, on voit que les intentions du gouvernement ne vont pas dans ce sens. En tout respect, je ne crois pas que ce genre de situation soit visé, et je ne crois pas qu’il devrait l’être.

L’honorable Denise Batters [ - ]

Sénateur Gold, je vous remercie de votre discours. Je souhaite aborder quelques éléments juridiques supplémentaires.

Selon moi, c’est en fait une bonne chose que l’expression « en collaboration avec » soit utilisée dans une loi fédérale importante. Le sénateur Woo a donné un exemple tiré du Code criminel, et vous en avez aussi fourni quelques-uns. Autre point positif, l’expression « en collaboration avec » a déjà été interprétée dans la jurisprudence fédérale, y compris par la Cour suprême du Canada, comme le sénateur Woo l’a mentionné. Outre le Code criminel, il y a probablement d’autres lois fédérales qui emploient aussi l’expression « en collaboration avec ».

Dans le contexte de la législation fédérale, c’est une bonne chose d’employer une expression qui figure dans d’autres lois et qui a déjà été bien interprétée par les tribunaux.

De plus, dans le cas lié au Code criminel que le sénateur Woo a mentionné, il semble que la Cour suprême du Canada n’ait pas jugé pas que l’expression « en collaboration avec » avait une portée excessive.

Croyez-vous, comme moi, que l’ensemble de ces éléments contribuent à la valeur de l’expression « en collaboration avec » et font en sorte que sa portée ne serait pas jugée excessive?

Le sénateur Gold [ - ]

Je vous remercie de votre intervention. Je suis d’accord, sénatrice Batters. Je ne m’étendrai pas sur le sujet; je pense que vous l’avez très bien exprimé. Je suis d’accord.

Je veux soulever la question de l’interférence électorale touchant M. O’Toole et, je dirais, M. Chiu, qui a été mentionnée à plusieurs reprises dans cette enceinte et qui a mené à un projet de loi d’initiative parlementaire relatif à un registre des agents d’influence étrangers.

À l’époque, sur les réseaux sociaux chinois, des Canadiens ont critiqué ce projet de loi, ce qui a mené à un déclin politique à l’approche des élections de 2021. Les agences du renseignement — les personnes qui mèneront les enquêtes — les avaient spécifiquement étiquetés comme étant influencés par un État étranger. Ne pourraient-ils pas être poursuivis au titre de la loi que nous mettons en place? Ils ont été étiquetés par les agences du renseignement comme étant sous l’influence d’un État étranger et participant au débat politique canadien pour s’opposer à un projet de loi particulier d’un député ou pour s’opposer au chef d’un parti qu’ils considèrent comme anti-chinois.

Il ne s’agit pas ici de décider si nous devrions être pour ou contre la Chine. Il s’agit d’un débat sur le droit des Canadiens d’avoir des opinions politiques, en particulier durant une campagne électorale. Est-ce que le projet de loi à l’étude criminaliserait cela?

Le sénateur Gold [ - ]

Encore une fois, en tant que leader du gouvernement, je pense qu’il ne serait pas convenable que je me prononce sur des situations hypothétiques. Je rappelle que, selon le libellé de la disposition, on parle d’avoir une conduite subreptice ou trompeuse, sur l’ordre d’une entité étrangère ou en collaboration avec elle, en vue d’exercer une influence. Voilà pour le premier point.

Pour ce qui est du deuxième point, les sénateurs se rappellent peut-être des longues discussions que nous avons eues sur le projet de loi C-59, que j’ai eu le privilège de parrainer dans cette enceinte, il y a de cela de nombreuses années, et pendant lesquelles on a souligné que la différence entre le renseignement et la preuve pose constamment problème au sein de notre système judiciaire. Même si le Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS, peut faire enquête, cela ne veut pas forcément dire qu’il en résultera des éléments de preuve viables, et encore moins des éléments de preuves pouvant mener à des poursuites.

Encore une fois, je crois que votre question est hypothétique, et je ne crois pas que le projet de loi, tel qu’il est rédigé, présente les risques que vous décrivez.

L’honorable Tony Dean [ - ]

Honorables sénateurs, je serai bref. Je vais faire suite aux observations déjà faites au sujet de notre collègue, le sénateur Woo : personne ne peut démêler des lois complexes et indéchiffrables aussi bien que notre bon ami, et c’est un véritable don. Je remercie le sénateur Woo d’avoir porté ces idées et cette proposition à notre attention.

Le sénateur Woo estime que la formulation du texte, pour le dire simplement, ratisse trop large. D’après mon interprétation et l’intention de ce projet de loi, je pense qu’un registre est en effet destiné à ratisser large. C’est son objectif. Je pense qu’il a deux objectifs : ratisser large pour dresser un portrait de la situation puis examiner qui sont les acteurs et les personnes qui n’ont peut-être pas choisi de s’inscrire au registre. C’est un outil intéressant qui est utilisé dans d’autres contextes réglementaires.

La discussion sur le champ d’application est d’une importance cruciale, et je suis heureux que nous l’ayons. Ce qui me préoccupe, c’est que la solution proposée par le sénateur Woo réduirait le champ d’application et irait trop dans l’autre sens, si je puis m’exprimer ainsi, et que nous nous retrouverions avec un nombre relativement faible de personnes inscrites, ce qui irait à l’encontre de l’un des objectifs du registre.

Voilà ce qui me préoccupe, et c’est pour cette raison que je ne suis pas enclin à appuyer l’amendement, même s’il m’est pénible de le faire, je l’admets.

Comme le sénateur Woo l’a mentionné, il y aura un commissaire. Ce commissaire, espérons-le, sera nommé sans tarder, et nous aurons un rôle à jouer dans cette nomination. Je suppose que ce commissaire traitera très rapidement des questions comme les déplacements des parlementaires et de ce que j’appellerais le groupe des préoccupations hors sujet qui ont été soulevées dans ce contexte. Ces préoccupations sont fondées, mais je pense qu’il est facile d’y répondre.

Au bout du compte, ce qui me préoccupe, c’est ce qu’il resterait si nous adoptions cet amendement, comment les choses fonctionneraient à l’intérieur de ce dispositif et quels seraient les liens avec d’autres éléments d’un ensemble d’instruments qui est envisagé pour se débarrasser de l’ingérence étrangère.

Voilà. Mes observations étaient brèves et directes, et je vais m’en tenir à cela. Merci, sénateur Woo.

Merci, sénateur Dean, pour votre intervention. Estimez-vous que le registre devrait contenir les noms des députés et des sénateurs qui participent aux activités d’associations parlementaires et d’associations commerciales et de conseils bilatéraux et multilatéraux — il y en a des centaines —, dans le cadre desquelles ils ont pour mission d’avoir des interactions avec des commettants étrangers et de ramener des idées? Le registre devrait-il aussi contenir les noms des ONG culturelles et civiles qui ont des liens intrinsèques avec des gouvernements étrangers?

Le sénateur Dean [ - ]

À mon avis, une fois que le commissaire sera en poste, nous collaborerons avec lui pour concevoir et définir les paramètres de la réglementation, et j’estime que c’est dans le cadre de cette démarche qu’il conviendra de prendre ce genre de décision, car la chose est, honnêtement, trop complexe pour nous. Du moins, elle l’est trop pour moi.

J’estime qu’il faudra prendre ce genre de décision plus tard. Je répète que nous participerons au choix du commissaire. Il sera très important de choisir la bonne personne. Les règlements, les approches et les processus associés à l’application de cette disposition seront primordiaux.

Je rappelle que le comité a souligné l’importance d’exercer une surveillance, car cela nous concerne tous en tant que parlementaires. Merci.

Merci, sénateur Dean.

Vous savez que d’autres pays surveillent nos décisions relatives à ce registre visant à accroître la transparence et à lutter contre l’ingérence étrangère. Par exemple, la Géorgie, qui essaie d’instaurer une loi sur les agents étrangers, a un très seuil élevé. Pour qu’un organisme non gouvernemental soit tenu de s’inscrire au registre, il doit tirer 20 % de son financement d’une source étrangère.

Sénateur Dean, comment réagiriez-vous si un pays qui, disons, a peu d’égards pour les pratiques libérales du Canada, adoptait une loi utilisant le même libellé vague et informe que le projet de loi C-70 pour obliger toute personne ayant une relation avec le gouvernement du Canada, avec une entité financée par lui ou avec une entité ayant des liens avec lui à s’inscrire à son registre?

Comment réagiriez-vous?

Le sénateur Dean [ - ]

Eh bien, en premier lieu, sénateur Woo, je ne qualifierais pas les expressions « en association avec » et « en collaboration avec » de vagues et informes. Nous comprenons ce que cela veut dire. Cela veut dire, au premier sens, faire quelque chose avec quelqu’un. Faire quelque chose avec une autre personne, c’est le faire « en association avec » ou « en collaboration avec » elle.

Cela dit, je suis frappé par cet aspect, comme je l’ai été plus tôt, lorsque nous avons parlé de Charte canadienne et de la liberté d’association, et je pense que c’est également important.

Sinon, pour ce qui est des questions hypothétiques au sujet de ce que d’autres pays pourraient faire et des liens avec le sujet qui nous occupe, il serait difficile d’y répondre. Je ne suis pas prêt à m’aventurer sur ce terrain.

L’honorable Rebecca Patterson [ - ]

Sénateur Dean, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Dean [ - ]

Certainement.

La sénatrice Patterson [ - ]

Merci.

Nous discutons de la partie du libellé où il est écrit « en collaboration avec » sans parler du reste du contexte, qui concerne notamment l’intention. Je voudrais également revenir sur les observations du sénateur Boehm au sujet des paramètres qui encadrent nos actions lorsque nous participons à des activités parlementaires ou diplomatiques. C’est là qu’intervient la question de savoir dans l’intérêt de qui nous agissons.

Au cours des discussions et du débat que nous avons menés dans le peu de temps qui nous est imparti pour étudier le projet de loi, quelqu’un a-t-il mentionné que les personnes qui agissent légitimement dans l’intérêt supérieur du Canada allaient être visées par cette loi? Cela revient à ce que je disais plus tôt; on ne peut pas prendre la partie « en collaboration avec » de façon isolée sans tenir compte de la partie qui dit « en vue de ».

Cette question a-t-elle été abordée pendant les discussions?

Le sénateur Dean [ - ]

Si j’ai bien compris le principe, il est vrai que les personnes qui agissent en toute légalité répondraient à certains des critères et devraient s’inscrire, et c’est très bien ainsi.

Le registre n’a pas pour but de piéger les personnes qui agissent mal. Dans de nombreux cas, il demande aux personnes qui agissent correctement de s’inscrire. Je n’ai aucun problème avec une opération de ce genre où les personnes qui respectent les lois et les pratiques appropriées se retrouvent néanmoins avec l’obligation relativement légère de s’inscrire à un tel registre.

Ce processus va peut-être un peu loin, mais je préfère cela à l’inverse. Nous risquons d’avoir un processus nettement lacunaire si nous acceptons cet amendement.

La question de la sénatrice Patterson sous-entend que l’enregistrement ne serait pas requis si l’intention est d’agir dans l’intérêt du Canada.

Sénateur Dean, pouvez-vous confirmer qu’il s’agit bien d’une interprétation exacte du projet de loi? Dans l’affirmative, s’il s’agit d’inscrire uniquement les personnes qui exercent une influence malveillante, comment proposez-vous que le commissaire définisse ces critères?

Cela nous ramène à mon discours sur les points de vue concernant les critères d’enregistrement.

Le sénateur Dean [ - ]

Je dirai qu’il y a des critères d’enregistrement qui sont clairs et qui obligeront certaines personnes à s’enregistrer, et ces personnes n’encourraient pas l’une des peines liées à certaines activités prévues dans la mesure législative en raison de leurs actions.

Est-ce qu’une telle chose me pose un problème? Non, pas du tout.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ - ]

Je ne dirai que quelques mots. J’ajouterai simplement quelques observations, même si j’adhère à tout ce que le sénateur Gold a dit, ainsi qu’aux observations très pertinentes du sénateur Woo, que je respecte beaucoup.

Ce qu’il a dit pourrait être vrai dans un contexte différent, mais nous devons nous rappeler que le projet de loi ne peut pas mener au maccarthysme. Joseph McCarthy dirigeait un comité du Congrès des États-Unis qui jugeait politiquement les personnes qui étaient accusées d’être communistes, qui étaient proches du communisme ou qui avaient des opinions considérées comme communistes.

Dans le cas présent, nous créons des infractions qui seront traitées par un office de la Couronne, qui devra porter des accusations contre une personne devant les tribunaux. La personne accusée comparaîtra devant un juge, une femme ou un homme qui possède certaines compétences et qui doit agir de manière impartiale, et non dans le but d’obtenir des gains politiques, de s’attaquer à des ennemis politiques ou de remporter des victoires politiques. Il ne faut pas établir de parallèle entre le projet de loi et le danger du maccarthysme. Selon moi, il s’agit malheureusement d’une observation qui va trop loin.

Le deuxième point que je souhaite soulever est que les expressions « en association avec » et « en collaboration avec » ne sont pas nouvelles. Ce sont des concepts bien connus en droit pénal. Ces expressions figurent à plusieurs endroits dans le Code criminel et la première a été très utile dans la lutte contre les gangs, particulièrement au Québec avec les gangs de motards.

L’expression « en collaboration avec », pour sa part, est utilisée depuis 2001 dans la Loi sur la protection de l’information. C’est le premier amendement figurant sur la liste d’amendements. L’amendement concerne toutefois l’ajout de l’intimidation à cette disposition, mais pas l’expression « en collaboration avec », qui n’a rien de nouveau, qui est utilisée depuis 25 ans et qui ne pose aucun problème.

Cela dit, mon troisième et dernier commentaire porte sur l’expression « en association avec ». Comme le sénateur Woo l’a mentionné, à juste titre, la Cour suprême du Canada a dû se pencher sur ce concept dans le cadre d’un appel interjeté par la Cour d’appel du Québec en 2001. La Cour suprême n’était pas d’accord avec la Cour d’appel du Québec. Soit dit en passant, je ne faisais pas partie du groupe de juges, mais la cour était en désaccord avec la Cour d’appel du Québec sur un point : la définition de l’expression « en association avec ». La cause concernait les gangs de motards.

Pour résumer, c’est exactement là où la sénatrice Patterson voulait en venir. Au paragraphe 53 de la décision de la Cour suprême — qui a été unanime et rédigée par le juge Fish, un ancien collègue de la Cour d’appel —, on peut lire ceci :

L’expression « en association avec » doit être interprétée selon son sens ordinaire et dans le contexte de la disposition. En l’occurrence, elle est accompagnée des expressions « sous la direction » de et « au profit » de.

C’est exactement la même situation que nous avons ici.

Ces expressions ne s’excluent pas l’une l’autre. Au contraire, elles ont le même objectif et se chevauchent souvent dans leur application. Elles ont pour objet commun d’éliminer le crime organisé.

Il s’agit dans le cas présent d’éliminer l’ingérence étrangère. À cette fin, elles ciblent spécifiquement les lois qui sont liées aux organisations étrangères et en servent les intérêts. À cette fin, elles ciblent spécifiquement les infractions qui sont liées à l’intention de s’immiscer dans le processus politique au Canada.

Pour ma part, je crois que nous devrions faire confiance au système. Je fais confiance aux tribunaux. Je fais confiance à ce que nous essayons de faire ici. Ce n’est pas nouveau. J’en suis convaincu : lorsque les mots « en collaboration avec » sont accompagnés de « sous la direction de » et de « au profit de », à quel genre de projet de loi avons-nous affaire? Il s’agit des projets de loi sur l’ingérence étrangère.

Il faut lire tous ces éléments ensemble. Je sais que le sénateur Woo n’est pas obligé de me croire sur toute la ligne et qu’il ne me paie pas; je donne des conseils gratuits. Même si les conseils gratuits ne valent guère plus que leur prix, je vous dis que je ne suis pas inquiet et que je voterai contre l’amendement et pour le projet de loi.

Merci. J’ai trouvé votre intervention très enrichissante, sénateur Dalphond. Je vois que vous croyez à l’importance de préserver l’expression « en collaboration avec » lorsqu’il s’agit du Code criminel qui traite de la lutte contre les terroristes, les gangs et ainsi de suite, et vous soulevez un bon argument. J’ai déjà mentionné que la nouvelle infraction d’ingérence politique est plus délicate parce qu’il s’agit d’un comportement subreptice et trompeur. Il ne s’agit pas de participer au processus politique, mais le cas de la partie 4 du projet de loi est encore plus flagrant parce que la loi proposée utilise également l’expression « en collaboration avec », sauf qu’elle ne concerne pas les activités criminelles. Il s’agit plutôt d’activités légitimes pour lesquelles les gens sont tenus de s’enregistrer. Seriez-vous d’accord pour supprimer l’expression « en collaboration avec » dans la partie 4?

Le sénateur Dalphond [ - ]

Êtes-vous en train de me suggérer de proposer un sous-amendement à votre amendement? Dans votre discours, vous avez surtout fait référence au Code criminel et au fait que des gens seront accusés d’infractions très graves en vertu du Code criminel et emprisonnés, alors je me pose la question au sujet du droit pénal.

En ce qui concerne l’autre partie du projet de loi, qui vise la création d’un nouveau registre, si les gens ont des doutes, je crois comprendre que le commissaire aura pour mandat de fournir des informations et des lignes directrices. Je pense qu’il s’agit peut-être d’une nouvelle avenue qu’il faudrait envisager, et peut-être que certaines personnes devront s’enregistrer parce qu’elles agissent en collaboration avec un État étranger pour le profit de cet État. Toutefois, visiter Taïwan dans le cadre d’un voyage payé, ce n’est pas agir pour le profit de Taïwan ou en collaboration avec Taïwan, comme vous l’avez indiqué dans votre discours. Si vous allez en Israël dans le cadre d’un de ces voyages payés, ou encore à Taïwan — ce fut mon cas l’an dernier —, vous devez le signaler. Vous devez le signaler au conseiller sénatorial en éthique et l’indiquer sur le site Web afin que le public — que tout le monde — le sache.

Le but de l’enregistrement comme il est énoncé dans le projet de loi proposé vise à rendre public ce qui, autrement, serait caché au public. Le but n’est pas d’empêcher une personne de déclarer : « Je crois que le gouvernement de la France a tout à fait raison au sujet de cette politique, je vais me battre pour la promouvoir et je pense qu’elle devrait être intégrée dans le droit canadien. » Oui, je pourrais le faire, mais si je le faisais à l’ordre du gouvernement de la France ou dans son intérêt, je serais tenu de le divulguer. Cela ne m’empêcherait pas de le faire. J’aurais la responsabilité de rendre ma démarche publique.

Comment ne pas ratisser trop large et — c’est la deuxième partie de votre question — quelles personnes devraient s’enregistrer? C’est une question intéressante, mais je ne vais pas me prononcer. Je vais attendre que la Cour suprême énonce sa position. Merci.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ - ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Son Honneur la Présidente [ - ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

La sénatrice LaBoucane-Benson [ - ]

Quinze minutes.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le consentement est-il accordé?

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le vote aura lieu à 17 h 29. Convoquez les sénateurs.

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