Animaux fantastiques : les créatures surnaturelles du Parlement, 1re partie
Dans le premier d’une série de quatre articles, nous examinons trois créatures surnaturelles qu’on peut apercevoir dans l’édifice du Centre, sur la Colline du Parlement.
En février 2019, le Sénat a déménagé à l’édifice du Sénat du Canada, une ancienne gare ferroviaire construite en 1912. Le Sénat occupera cet emplacement temporaire pendant la réhabilitation de l’édifice du Centre du Parlement, demeure permanente du Sénat.
Bien que l’édifice du Centre soit fermé pendant les travaux de réhabilitation, les Canadiens peuvent toujours découvrir son art et son architecture – ainsi que ceux de l’édifice du Sénat du Canada – grâce aux visites virtuelles immersives du Sénat.
Des dragons rôdent au plafond, des licornes parcourent les couloirs, et une paire de phénix complètent la ménagerie.
Ce sont quelques-unes des créatures fabuleuses gravées dans la pierre, sculptées dans les boiseries ou peintes sur les vitraux de l’édifice du Centre, sur la Colline du Parlement.
Elles sont présentes sous une forme ou une autre depuis la construction de l’édifice original du Parlement en 1865. Le style architectural dit néogothique, qui dominait à cette époque, voulait évoquer la splendeur grandiose des cathédrales du Moyen Âge, dont les voûtes, flèches et pinacles abritaient une foule de grotesques.
« Ces animaux étaient des symboles, a expliqué la conservatrice d’art de la Chambre des communes, Johanna Mizgala. Ils servaient à donner une leçon sur le bien et le mal, la moralité et l’immoralité, d’une manière abstraite mais frappante. »
C’est un message un peu plus subtil que les architectes de l’ère victorienne – comme les concepteurs de l’édifice original du Parlement – cherchaient à transmettre en incorporant ces créatures médiévales dans leurs plans. Dans le contexte du rôle législatif du Parlement, ces animaux fabuleux représentent plutôt des forces ancestrales qui, vecteurs de chaos, peuvent aussi être maîtrisées et devenir des alliés et des protecteurs.
« Ces symboles racontent de très anciennes histoires, a dit Mme Mizgala. Ils illustrent les principes fondamentaux de notre système parlementaire – l’idée que, en se réunissant, on obtient un résultat plus grand que séparément. »
Voici certaines des créatures qu’on peut apercevoir :
Le dragon
Le lion est peut-être le roi des animaux, mais 600 ans avant qu’il ne devienne le symbole de l’Angleterre, ce sont les dragons qui règnent sur les îles Britanniques et sur les royaumes qui s’y font la guerre.
Le dragon, figure familière des mythes de la Grèce antique et de la Mésopotamie, arrive en Bretagne avec les Celtes au 4e siècle avant J.-C.
Une nouvelle vague d’envahisseurs obsédés par cet animal fabuleux – les Angles, les Saxons et les Jutes – font leur apparition au 4e siècle de notre ère.
Leur héros légendaire, Sigurd, bénéficiait d’une protection surnaturelle depuis qu’il s’était baigné dans le sang du dragon qu’il avait terrassé. Et le premier héros d’épopée de l’Angleterre, Beowulf, est mort au terme d’un combat avec un dragon cracheur de feu.
Au fil des siècles, le dragon devient un symbole de protection, un archétype de bravoure et de force. Il figure sur la bannière qui accompagne le roi Alfred le Grand lors de sa victoire sur les envahisseurs vikings à la bataille d’Edington en 878. Moins heureux, Harold II, le dernier roi anglo-saxon d’Angleterre, arbore aussi le dragon à son étendard lors de la bataille d’Hastings en 1066.
« Autrefois ennemi, maintenant allié, le dragon est une créature redoutable qu’on évoque comme protecteur, et aussi pour projeter sa puissance », a expliqué Mme Mizgala.
Les dragons de la Colline du Parlement font écho à l’Angleterre d’avant la conquête normande, celle du Witan, cette assemblée des conseillers du roi où brillèrent les premières lueurs de notre monarchie constitutionnelle moderne. Aujourd’hui, le dragon rouge reste un emblème du pays de Galles, une des régions dont la culture a nourri la fondation du Dominion du Canada.
La licorne
Si le dragon l’emporte en ancienneté sur le lion, la licorne et le lion sont des rivaux – et souvent des alliés – depuis presque aussi longtemps. Dans la mythologie babylonienne, le lion, symbole de l’été, régnait par la force et la domination. Il chassait la licorne, évocation du printemps, qui, elle, fondait son pouvoir sur l’harmonie et la coopération.
Créature fabuleuse, la licorne a peut-être des origines historiques. En effet, l’historien grec Ctésias, qui a parcouru l’Empire perse au 5e siècle avant J.-C., a fait le récit d’un « âne sauvage » qui, selon lui, avait le corps blanc, la tête couleur de pourpre et une corne unique. On croit aujourd’hui qu’il décrivait peut‑être ainsi le rhinocéros indien.
Au Moyen Âge, la licorne devient le symbole de la pureté et du courage, mais aussi d’une force sauvage et irrépressible.
Elle arrive au Canada par le chemin de l’Écosse, où elle est un signe héraldique depuis des siècles. En 1603, le roi Jacques VI d’Écosse hérite du trône anglais à la mort de sa cousine, la reine Élizabeth Ire, qui ne laisse pas d’enfants. Devenu Jacques 1er d’Angleterre, il réunit la licorne écossaise et le lion anglais sur ses armoiries.
Sur la Colline du Parlement, la licorne figure souvent en face du lion, une chaîne d’or au cou.
« Ennemis traditionnels, le lion et la licorne sont réunis sur les armoiries du Canada, où ils soutiennent l’écu », a dit Mme Mizgala.
Phénix
Le phénix – ce magnifique oiseau d’or qui se consume dans les flammes et renait de ses cendres – est un symbole de renaissance et de réinvention dont les origines remontent au 8e siècle avant J.-C., en Grèce.
Les premiers chrétiens se sont approprié cette image percutante, dans laquelle ils voyaient une allégorie de la résurrection du Christ.
Dans le contexte de la Colline du Parlement, le phénix symbolise l’incendie de 1916 qui a détruit l’édifice original du Parlement et la renaissance, à peine quatre ans plus tard, de l’édifice du Centre. Mais la métaphore va plus loin.
« Le Parlement repose sur les fondations que sont la législation, la tradition et l’usage, a expliqué Mme Mizgala, mais nous restons libres de les remettre en question et de les changer. Le phénix représente donc la capacité du Parlement de se réinventer. »
Intégré à l’édifice du Centre tout juste après la fin de la Première Guerre mondiale, le phénix évoque, essentiellement, l’idée du recommencement.
« C’était une période de bouleversement pour le pays, qui venait de vivre l’hécatombe de la guerre et l’incendie de 1916, a dit Mme Mizgala. Quelle serait notre réalité après cette immense perte de vies? Il fallait repenser entièrement notre identité. »