Désastre et détermination : les héros de l’incendie de la Colline du Parlement en 1916
En février 2019, le Sénat s’est installé dans l’édifice du Sénat du Canada, une ancienne gare ferroviaire construite en 1912. Le Sénat siégera dans cet emplacement temporaire durant la réhabilitation de l’édifice du Centre, qui est sa demeure permanente.
Bien que l’édifice du Centre soit fermé en raison des travaux, les Canadiens peuvent quand même découvrir ses œuvres d’art et son architecture en effectuant une visite virtuelle immersive du Sénat.
Lorsque le précurseur de l’actuel édifice du Centre a brûlé dans la nuit du 3 février 1916, le pays a subi un choc existentiel.
Sept personnes étaient mortes. Le Parlement avait perdu son siège. Des milliers de documents historiques, ainsi que des trésors parlementaires remontant au début des années 1800, avaient été détruits. Tout cela à une époque où le Canada sacrifiait des milliers de ses jeunes hommes à une guerre exténuante qui ne montrait aucun signe de fin.
En l’espace de trois heures, le pays avait apparemment tout perdu – ses symboles d’identité nationale, sa sécurité, sa confiance, son sens de l’identité.
« Ce fut l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire du Canada, a expliqué Mark Bourrie, avocat et historien d’Ottawa, auteur du livre Canada’s Parliament Buildings. Le monde que nous connaissions tous était en ruine. »
Bravoure, sacrifice et résilience
Toutefois, au milieu du chaos et de la destruction, des gens se sont distingués par leur bravoure, leur esprit de sacrifice et leur résilience.
Parmi les héros de l’incendie de 1916 qui ont risqué leur vie pour sauver leurs collègues et récupérer ce qu’ils pouvaient du bâtiment, il y avait des pompiers, des policiers et des soldats. Il y avait aussi des héros parmi les effectifs parlementaires, notamment des greffiers, des pages, des hauts fonctionnaires, des bibliothécaires et du personnel d’entretien.
L’incendie s’est déclaré peu avant 21 h. Francis Glass, député de la Nouvelle-Écosse, se trouvait dans la salle de lecture de la Chambre des communes lorsqu’il a aperçu des flammes. Il a appelé à l’aide et un policier s’est précipité pour éteindre le feu avec un extincteur. Cependant, au lieu d’éteindre le feu, le jet a dispersé des braises partout, enflammant des journaux accrochés à des chevilles le long des murs.
« La pièce était prête à s’enflammer comme de la paille, a indiqué Johanna Mizgala, conservatrice d’art de la Chambre des communes. Elle était tapissée de boiseries fraîchement vernies, avec des journaux et des magazines partout. »
L’alarme a retenti à 20 h 57. Les pompiers stationnés sur la Colline sont arrivés sur les lieux en moins de trois minutes. D’autres divisions de pompiers d’Ottawa ont répondu rapidement à l’appel, rejointes par des soldats qui s’entraînaient au parc Lansdowne.
Mais ce fut peine perdue. Les flammes jaillissaient de la salle de lecture et commençaient à se propager dans l’édifice, qui était à l’époque un dédale de petites pièces reliées par d’étroits couloirs bordés de pins blancs.
« Les couloirs menant aux deux chambres avaient des cagibis en bois où les gens accrochaient leurs chapeaux et manteaux de fourrure, a raconté Mme Mizgala. Vous parlez d’une boîte d’allumage. »
Glass a alerté ses collègues juste au moment où les flammes entraient dans la Chambre des communes, où 20 députés participaient à une séance nocturne. Les députés sont sortis de la Chambre en titubant dans des nuages de fumée étouffants.
Le feu a mis une heure et demie de plus à atteindre le Sénat, ce qui a permis au personnel de l’extrémité est du bâtiment de mettre sur pied une opération de sauvetage mouvementée. Sous la direction du gentilhomme huissier du bâton noir, un lieutenant-colonel de l’armée, le personnel du Sénat a sauvé ce qu’il pouvait des flammes qui s’approchaient.
« Ils ont formé une chaîne pour prendre ce qu’ils pouvaient et le jeter par les portes », a relaté M. Bourrie.
Tout ce qui pouvait être sauvé a été entassé dans la neige, y compris des meubles, des livres, des ornements en laiton et en argent, ainsi que des effets personnels provenant des appartements du Président du Sénat. Certaines pièces cérémonielles, dont la masse du Sénat et le fauteuil du Président, ont été sauvées. D’autres, dont le bâton d’orateur de l’huissier du bâton noir, ont disparu. De nombreuses œuvres d’art, dont une collection de portraits des Présidents du Sénat et une peinture du roi George III ont pu être épargnées.
Pour la quatrième fois de son existence, le portrait en pied de la reine Victoria, qui se trouve maintenant dans l’édifice du Sénat du Canada, a été sauvé. Comme le tableau était trop encombrant pour être transporté par les portes du Sénat, la toile fut découpée de son cadre. Par une coïncidence remarquable, l’employé du Sénat qui a aidé à sauver le portrait, A. H. Todd, était le neveu d’Alpheus Todd, le fonctionnaire du Parlement qui l’avait récupéré quelques décennies plus tôt lorsqu’une foule avait incendié le Parlement de la Province unie du Canada, à Montréal.
Todd, l’aîné des deux, était devenu le bibliothécaire en chef du Parlement et avait joué un rôle important dans la protection de la Bibliothèque du Parlement contre l’incendie. Lorsque la construction de la Colline du Parlement commençait en 1859, il avait insisté pour que la bibliothèque soit munie de nombreuses mesures de protection contre les incendies, notamment un long couloir et des portes en fer ignifugées la séparant du bâtiment principal. Lorsque le feu a envahi l’édifice du Parlement, le bibliothécaire Michael MacCormac a réagi en quelques secondes en fermant les portes en fer, empêchant ainsi les flammes d’entrer.
L’incendie a fait sept victimes. Randolph Fanning, un employé de la poste, Alphonse Desjardins, un ouvrier d’entretien de la chaufferie et son neveu, un agent de police également nommé Alphonse Desjardins, se sont fait écraser par l’effondrement d’une tour de ventilation alors qu’ils aidaient leurs collègues à évacuer.
Florence Bray et Mable Morin, invitées de l’épouse du Président de la Chambre des communes, Albert Sévigny, ont succombé à l’inhalation de la fumée avant que les pompiers ne puissent les atteindre. Elles ont hésité lorsque l’alarme initiale a retenti, sont retournées dans la suite de leur hôte pour récupérer leurs fourrures et ont été rapidement prises au piège par les flammes qui se propageaient rapidement.
L’incendie a fait deux victimes parmi les parlementaires. Bowman Brown Law, député de Yarmouth (Nouvelle‑Écosse), et Jean-Baptiste Laplante, greffier adjoint de la Chambre des communes, sont restés coincés dans les étages supérieurs de l’édifice et ont succombé à la chaleur et à la fumée.
Perte et rétablissement
Le soleil s’est levé le lendemain matin sur un Parlement dévasté et incrusté de glace.
« La perte que le pays a ressentie a dû être presque inimaginable, a expliqué M. Bourrie. Quelque chose d’essentiel à l’âme du Canada avait soudainement disparu. »
L’héroïsme de la nuit précédente, cependant, semblait donner au Parlement une nouvelle détermination. Dès le lendemain, les affaires reprenaient.
Le Sénat et la Chambre des communes ont commencé immédiatement à tenir des séances dans des salles de fortune dans l’Édifice commémoratif Victoria d'Ottawa qui abrite aujourd’hui le Musée canadien de la nature. La Chambre, ayant perdu sa masse dans l’incendie, a pu se réunir lorsque le Sénat lui a prêté la sienne.
Bien qu’il y ait eu des rumeurs selon lesquelles le feu avait été délibérément allumé, un rapport de la Commission royale a établi qu’un cigare mal éteint ou une défectuosité électrique étaient les causes probables. Les faiblesses de la conception du bâtiment – lambris secs, couloirs pleins de courants d’air et absence de portes et d’escaliers de secours – ont aggravé la destruction.
En quelques semaines, le gouvernement a décidé de reconstruire. L’édifice du Centre sera plus grand et plus grandiose que son prédécesseur, et intégrera les dernières technologies de prévention des incendies. Son intérieur serait principalement en pierre plutôt qu’en bois. La construction était en cours dès l’été.
« Ils avaient une volonté farouche de ne pas s’avouer vaincus. Il fallait s’occuper des affaires du gouvernement et restaurer le sens de l’identité du pays », a dit M. Bourrie.
« C’est pourquoi cet incendie est si important. Il ne s’agit pas seulement d’un bâtiment qui brûle. Symboliquement, l’édifice du Centre incarne le Parlement en soi. »