Les changements apportés au programme des travailleurs étrangers temporaires ne s’attaquent pas au fond du problème : sénatrice Omidvar
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L’annonce faite récemment par le gouvernement fédéral sur les plafonds imposés concernant certains travailleurs étrangers temporaires ne s’attaque pas au fond du problème. Cette mesure ne permettra pas de réaliser les réformes structurelles dont a besoin de toute urgence le Programme des travailleurs étrangers temporaires, ou PTET.
Bien que les préoccupations quant à l’incidence de l’immigration temporaire sur l’économie qui sont à l’origine de la décision soient valides, les restrictions imposées représentent en fait un moyen d’intervention limité face à un problème complexe; en effet, elles ne permettent pas de s’attaquer aux enjeux plus profonds en cause.
Il est essentiel de mettre en place une stratégie plus exhaustive. Cette stratégie doit tenir compte des besoins diversifiés des industries, des droits et du bien-être des travailleurs ainsi que des répercussions économiques à long terme de nos politiques en matière d’immigration. Sans une telle approche, nous risquons de créer davantage de problèmes au lieu d’apporter des solutions.
Il y a cinquante ans, quand le PTET a été mis en place pour la première fois, il était devenu urgent pour le Canada de trouver de la main-d’œuvre. La réponse du gouvernement fédéral a été de mettre en place ce qui devait être une mesure temporaire permettant aux employeurs de faire venir des travailleurs étrangers pour occuper des emplois lorsqu’ils ne pouvaient pas trouver de citoyens canadiens qualifiés pour doter ces postes. Le PTET a fonctionné, mais peut-être trop bien.
Le Canada a fini par dépendre de plus en plus de cette main-d’œuvre étrangère, mais, parallèlement, nous n’avons pas développé un sens des responsabilités à l’égard de ces travailleurs. Les travailleurs migrants qui essaient de se retrouver dans un système d’immigration prêtant à confusion et complexe se heurtent à des obstacles majeurs. À leur arrivée, on les prive des droits fondamentaux que tous les Canadiens tiennent pour acquis. Ces individus jouent un rôle essentiel au sein de notre économie; pourtant, ils ne profitent pas des droits les plus fondamentaux au travail.
Les employeurs sont aussi confrontés aux limites de ce système désuet. Ils ont leurs propres luttes bureaucratiques à mener et doivent composer avec de longs délais et des frais administratifs de plus en plus élevés. On se retrouve alors avec une main-d’œuvre qui arrive souvent trop tard; les entreprises se trouvent ainsi en manque d’effectif à des moments où elles ont le plus besoin d’aide. Nous nous retrouvons finalement avec un système qui repose davantage sur l’inertie et les habitudes que sur un véritable but précis.
Le gouvernement a promis de revoir en profondeur le PTET dans les prochains mois. Il existe trois moyens de procéder pour améliorer ce programme.
Premièrement, nous avons instamment besoin de créer une commission indépendante sur le travail des migrants, chargée de gérer la politique en matière de main-d’œuvre migrante. Cette nouvelle entité permettrait de coordonner les besoins des employeurs, des travailleurs et des organismes gouvernementaux en veillant à ce que les politiques soient justes et efficaces.
S’inspirant du modèle de la Commission de l’assurance-emploi, l’entité proposée regrouperait des représentants du gouvernement, des employeurs ainsi que des travailleurs. Elle recueillerait des données, donnerait suite aux signalements d’abus et agirait à titre d’autorité centrale pour superviser le système. Une telle surveillance indépendante est essentielle pour garantir un traitement juste des travailleurs migrants et répondre en même temps aux besoins des employeurs.
Il existe un autre élément important, soit la nature restrictive des permis de travail liés à un employeur, qui empêche les migrants de travailler pour tout autre employeur. Non seulement cela expose-t-il les travailleurs à un risque d’exploitation plus grand, mais cela limite également la marge de manœuvre des employeurs lorsqu’il s’agit de répondre aux besoins saisonniers.
Les employeurs doivent investir des sommes considérables pour recruter et soutenir les travailleurs étrangers; toutefois, la structure rigide du système actuel de délivrance des permis vient souvent nuire à leurs efforts. Des employeurs m’ont fait part de leurs frustrations par rapport au fait qu’il arrive que des employés n’aient rien à faire dans une usine, car il n’y a pas suffisamment de produits à transformer, tandis que l’on gaspille des produits dans une autre usine par manque de travailleurs.
Cela nous amène au deuxième changement. Nous devons éliminer progressivement – sur une période de trois ans – les permis liés à un employeur donné pour les remplacer par des permis propres à un secteur ou à une région, ce qui permettrait de mieux répondre aux besoins du marché du travail. L’annonce faite par le gouvernement n’aborde pas ce problème; cette politique continuera donc de faire du tort autant aux migrants qu’aux employeurs.
Par ailleurs, le système d’inspection qui devait, au départ, protéger les travailleurs ne porte pas ses fruits. Les employeurs sont souvent informés à l’avance des inspections, ce qui leur laisse le temps de dissimuler les actes répréhensibles, empêchant ainsi que des mesures soient prises à l’encontre des contrevenants. Certains employeurs vivent également de la frustration face aux lacunes en matière d’application de la loi; ils ont l’impression que les employeurs contrevenants salissent la réputation des nombreux employeurs qui suivent les règles.
Troisièmement, il est essentiel que le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les administrations municipales, qui sont tous responsables des inspections, travaillent ensemble pour simplifier le processus d’inspection, faire des visites inopinées et renforcer la mise en application des normes du travail.
Il est temps de s’attaquer au fond du problème. Lorsque le gouvernement fédéral sera rendu à la prochaine vague de changements au PTET, il devra prendre des mesures énergiques. Nous ne pouvons nous permettre de garder en place un système qui est un échec à la fois pour les travailleurs et pour les employeurs.
Nous devons revoir ce système dépassé pour nous assurer que les travailleurs migrants profitent des droits et des mesures de protection qu’ils méritent et que les employeurs ont accès à la main-d’œuvre essentielle dont ils ont besoin sans être gênés par des obstacles bureaucratiques inutiles. C’est l’avenir du marché du travail canadien qui en dépend.
La sénatrice Ratna Omidvar est la présidente du Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie qui a produit le rapport intitulé Agissons maintenant : Des solutions pour la main-d’œuvre temporaire et migrante du Canada. Elle représente l’Ontario au Sénat.
Cet article a été publié dans The Globe and Mail le 2 octobre 2024.
Avis aux lecteurs : L’honorable Ratna Omidvar a pris sa retraite du Sénat du Canada en novembre 2024. Apprenez-en advantage sur son travail au Parlement.
L’annonce faite récemment par le gouvernement fédéral sur les plafonds imposés concernant certains travailleurs étrangers temporaires ne s’attaque pas au fond du problème. Cette mesure ne permettra pas de réaliser les réformes structurelles dont a besoin de toute urgence le Programme des travailleurs étrangers temporaires, ou PTET.
Bien que les préoccupations quant à l’incidence de l’immigration temporaire sur l’économie qui sont à l’origine de la décision soient valides, les restrictions imposées représentent en fait un moyen d’intervention limité face à un problème complexe; en effet, elles ne permettent pas de s’attaquer aux enjeux plus profonds en cause.
Il est essentiel de mettre en place une stratégie plus exhaustive. Cette stratégie doit tenir compte des besoins diversifiés des industries, des droits et du bien-être des travailleurs ainsi que des répercussions économiques à long terme de nos politiques en matière d’immigration. Sans une telle approche, nous risquons de créer davantage de problèmes au lieu d’apporter des solutions.
Il y a cinquante ans, quand le PTET a été mis en place pour la première fois, il était devenu urgent pour le Canada de trouver de la main-d’œuvre. La réponse du gouvernement fédéral a été de mettre en place ce qui devait être une mesure temporaire permettant aux employeurs de faire venir des travailleurs étrangers pour occuper des emplois lorsqu’ils ne pouvaient pas trouver de citoyens canadiens qualifiés pour doter ces postes. Le PTET a fonctionné, mais peut-être trop bien.
Le Canada a fini par dépendre de plus en plus de cette main-d’œuvre étrangère, mais, parallèlement, nous n’avons pas développé un sens des responsabilités à l’égard de ces travailleurs. Les travailleurs migrants qui essaient de se retrouver dans un système d’immigration prêtant à confusion et complexe se heurtent à des obstacles majeurs. À leur arrivée, on les prive des droits fondamentaux que tous les Canadiens tiennent pour acquis. Ces individus jouent un rôle essentiel au sein de notre économie; pourtant, ils ne profitent pas des droits les plus fondamentaux au travail.
Les employeurs sont aussi confrontés aux limites de ce système désuet. Ils ont leurs propres luttes bureaucratiques à mener et doivent composer avec de longs délais et des frais administratifs de plus en plus élevés. On se retrouve alors avec une main-d’œuvre qui arrive souvent trop tard; les entreprises se trouvent ainsi en manque d’effectif à des moments où elles ont le plus besoin d’aide. Nous nous retrouvons finalement avec un système qui repose davantage sur l’inertie et les habitudes que sur un véritable but précis.
Le gouvernement a promis de revoir en profondeur le PTET dans les prochains mois. Il existe trois moyens de procéder pour améliorer ce programme.
Premièrement, nous avons instamment besoin de créer une commission indépendante sur le travail des migrants, chargée de gérer la politique en matière de main-d’œuvre migrante. Cette nouvelle entité permettrait de coordonner les besoins des employeurs, des travailleurs et des organismes gouvernementaux en veillant à ce que les politiques soient justes et efficaces.
S’inspirant du modèle de la Commission de l’assurance-emploi, l’entité proposée regrouperait des représentants du gouvernement, des employeurs ainsi que des travailleurs. Elle recueillerait des données, donnerait suite aux signalements d’abus et agirait à titre d’autorité centrale pour superviser le système. Une telle surveillance indépendante est essentielle pour garantir un traitement juste des travailleurs migrants et répondre en même temps aux besoins des employeurs.
Il existe un autre élément important, soit la nature restrictive des permis de travail liés à un employeur, qui empêche les migrants de travailler pour tout autre employeur. Non seulement cela expose-t-il les travailleurs à un risque d’exploitation plus grand, mais cela limite également la marge de manœuvre des employeurs lorsqu’il s’agit de répondre aux besoins saisonniers.
Les employeurs doivent investir des sommes considérables pour recruter et soutenir les travailleurs étrangers; toutefois, la structure rigide du système actuel de délivrance des permis vient souvent nuire à leurs efforts. Des employeurs m’ont fait part de leurs frustrations par rapport au fait qu’il arrive que des employés n’aient rien à faire dans une usine, car il n’y a pas suffisamment de produits à transformer, tandis que l’on gaspille des produits dans une autre usine par manque de travailleurs.
Cela nous amène au deuxième changement. Nous devons éliminer progressivement – sur une période de trois ans – les permis liés à un employeur donné pour les remplacer par des permis propres à un secteur ou à une région, ce qui permettrait de mieux répondre aux besoins du marché du travail. L’annonce faite par le gouvernement n’aborde pas ce problème; cette politique continuera donc de faire du tort autant aux migrants qu’aux employeurs.
Par ailleurs, le système d’inspection qui devait, au départ, protéger les travailleurs ne porte pas ses fruits. Les employeurs sont souvent informés à l’avance des inspections, ce qui leur laisse le temps de dissimuler les actes répréhensibles, empêchant ainsi que des mesures soient prises à l’encontre des contrevenants. Certains employeurs vivent également de la frustration face aux lacunes en matière d’application de la loi; ils ont l’impression que les employeurs contrevenants salissent la réputation des nombreux employeurs qui suivent les règles.
Troisièmement, il est essentiel que le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les administrations municipales, qui sont tous responsables des inspections, travaillent ensemble pour simplifier le processus d’inspection, faire des visites inopinées et renforcer la mise en application des normes du travail.
Il est temps de s’attaquer au fond du problème. Lorsque le gouvernement fédéral sera rendu à la prochaine vague de changements au PTET, il devra prendre des mesures énergiques. Nous ne pouvons nous permettre de garder en place un système qui est un échec à la fois pour les travailleurs et pour les employeurs.
Nous devons revoir ce système dépassé pour nous assurer que les travailleurs migrants profitent des droits et des mesures de protection qu’ils méritent et que les employeurs ont accès à la main-d’œuvre essentielle dont ils ont besoin sans être gênés par des obstacles bureaucratiques inutiles. C’est l’avenir du marché du travail canadien qui en dépend.
La sénatrice Ratna Omidvar est la présidente du Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie qui a produit le rapport intitulé Agissons maintenant : Des solutions pour la main-d’œuvre temporaire et migrante du Canada. Elle représente l’Ontario au Sénat.
Cet article a été publié dans The Globe and Mail le 2 octobre 2024.
Avis aux lecteurs : L’honorable Ratna Omidvar a pris sa retraite du Sénat du Canada en novembre 2024. Apprenez-en advantage sur son travail au Parlement.