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Le rapport du Comité sénatorial sur l’Arctique vise à habiliter les habitants du Nord : sénateur Patterson

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C’est avec une grande perplexité que j’ai lu les observations de Heather Exner-Pirot (en anglais seulement) dans le High North News à propos du rapport sur le Nord canadien, qui a été publié en juin dernier par le Comité sénatorial sur l’Arctique.

Sa critique du rapport — c’est-à-dire qu’il fait du gouvernement fédéral la solution miracle à tous les problèmes — laisse entendre qu’elle n’a lu que le résumé des recommandations.

Ses commentaires font abstraction du contexte qui est fourni dans le rapport.

L’étude du comité visait à recommander des politiques au gouvernement fédéral, qui doit élaborer un cadre stratégique sur le Nord. (Il convient de rappeler qu’un comité sénatorial ne peut que soumettre des recommandations au gouvernement fédéral.) Par conséquent, le gouvernement fédéral est le principal destinataire du rapport.

Cela dit, nous n’avions pas l’intention de siéger dans une salle de comité à Ottawa pour atteindre cet objectif. Tous les membres du comité tenaient absolument à entendre directement les habitants du Nord.

C’est pourquoi nous nous sommes rendus à Kuujjuaq, Iqaluit, Baker Lake, Cambridge Bay, Yellowknife, Inuvik et Whitehorse. Nous voulions que le comité aille à la rencontre des citoyens de ces communautés pour nous permettre de bien représenter leurs points de vue à Ottawa.

Ces travaux, qui ont aussi inclus de nombreux témoignages de fonctionnaires, de politiciens et d’universitaires qui étudient le Nord depuis des années, ont mené à la production de notre rapport intitulé Le Grand Nord : Un appel à l’action pour l’avenir du Canada.

En d’autres mots, le rapport reflète l’expertise et l’expérience des gens qui vivent dans le Nord, l’étudient et défendent ses intérêts. Comme nous l’avons indiqué au début du rapport, nous sommes d’accord avec les témoins qui ont souligné que le nouveau cadre fédéral doit être conçu dans le Nord, par le Nord et pour le Nord.

En fait, on peut lire textuellement dans le rapport que nous voyons le nouveau cadre comme une occasion « de s’éloigner de l’approche uniformisée suivie par le gouvernement fédéral pour l’élaboration de politiques » (p. 22; les italiques ont été ajoutés).

D’autres preuves sont-elles nécessaires?

La deuxième recommandation porte sur le transfert des pouvoirs. Nous sommes d’avis que le gouvernement fédéral devrait habiliter les gouvernements du Nord à assumer des rôles dans la prestation de programmes fédéraux à leurs résidants et qu’il devrait transférer aux gouvernements locaux, territoriaux et autochtones la gestion des programmes et des services fédéraux (p. 23, 84 et ailleurs).

Nous avons présenté cette recommandation justement parce que les habitants du Nord veulent s’éloigner de l’approche colonialiste de longue date selon laquelle le gouvernement fédéral assume entièrement la gouvernance de l’Arctique.

Par exemple, une entente de transfert des pouvoirs devrait être mise en œuvre au Nunavut d’ici 2023. Le territoire devrait donc accroître son indépendance par rapport au gouvernement fédéral (p. 19).

Selon les études, ces changements sont positifs. Le Yukon a profité de retombées économiques et politiques depuis la conclusion de son accord sur le transfert des pouvoirs avec le gouvernement fédéral en 2003. Depuis, la croissance de son PIB a dépassé celle de certaines autres régions du Canada (p. 22).

Toutefois, le Yukon, en tant que territoire, ne possède pas tous les pouvoirs d’une province, ce qui l’empêche d’avoir recours aux outils financiers que les provinces utilisent pour amasser des fonds en vue de faire des investissements à grande échelle.

Cette situation freine le potentiel de croissance des trois territoires.

Revenons au Nunavut. Nous avons appris que son industrie de la pêche extracôtière a connu une croissance exponentielle au cours des trois dernières décennies, générant des recettes de plus de 100 millions de dollars. Cependant, l’Arctic Fishery Alliance, une entreprise détenue par des Inuits, a signalé que les prises de poissons faites en mer sont débarquées au Groenland ou à Terre-Neuve, d’où elles sont exportées, en raison du manque d’infrastructure maritime (p. 37).

Le résultat? L’économie du Nunavut perd des millions de dollars.

Nous pouvons donc rejeter l’affirmation de Mme Exner-Pirot selon laquelle nous croyons que le gouvernement fédéral est une véritable panacée. Comme nous l’avons démontré, dans de nombreux cas, nous sommes plutôt d’avis que le gouvernement fédéral devrait tout simplement laisser le champ libre.

Mme Exner-Pirot affirme également que demander plus d’investissements dans le Nord canadien est devenu un simple réflexe dans ce dossier et que la région reçoit déjà d’énormes subventions.

Étant donné que les territoires ne disposent pas des mêmes outils que les provinces pour recueillir des fonds en vue d’investir dans l’infrastructure, il n’est pas surprenant que le gouvernement fédéral subventionne les gouvernements du Nord.

Ce n’est pas surprenant non plus que ces subventions semblent importantes – on ne peut pas faire grand-chose avec un dollar dans le Nord. Un sac de farine coûte 17 $ à Iqaluit. On peut donc aisément s’imaginer que tout grand projet d’infrastructure sera beaucoup plus cher que son équivalent dans le Sud du Canada.

Par conséquent, il est vrai que le rapport demande des investissements fédéraux dans l’infrastructure. Comme les témoins nous l’ont expliqué, c’est une nécessité. Ces sommes ne serviront pas à accroître la dépendance économique de la région envers Ottawa. Au contraire, elles donneront au Nord les moyens d’agir.

Les propos désinvoltes de Mme Exner-Pirot voulant que nous mesurions le développement du Nord avec des indicateurs propres au Sud sont aussi déconcertants.

Utilisons-nous des indicateurs du Sud lorsque nous disons que les habitants du Nord devraient vivre dans des maisons bien construites au lieu de logements surpeuplés qui favorisent la formation de moisissures et accroissent les risques de maladies respiratoires comme la tuberculose (p. 45)?

Utilisons-nous des indicateurs du Sud lorsque nous disons que les habitants du Nord devraient avoir accès à des aliments sains à prix abordables (p. 41 et ailleurs)?

Utilisons-nous des indicateurs du Sud lorsque nous disons que les habitants du Nord devraient avoir accès à de bonnes écoles et à Internet haute vitesse (p. 48)?

Mme Exner-Pirot affirme qu’il y a une absence de curiosité intellectuelle par rapport à ce que nous pourrions faire différemment dans le Nord.

Notre expérience indique tout le contraire.

Je vis à Iqaluit. L’avenir du Nord est donc celui de mon coin de pays.

Nous avons fait appel à des universitaires qui sont animés par une grande passion pour le Nord et qui cumulent des décennies d’expérience.

Plus important encore, nous avons écouté les habitants du Nord afin de bien comprendre les changements nécessaires pour concrétiser le plein potentiel de la région.

Je reconnais l’expertise de ces personnes. Je ne suis pas prêt à balayer du revers de la main ce qu’elles nous ont dit.

Notre rapport est le leur. Il reflète les voix des habitants du Nord qui cherchent à prendre en main leur destin, une chose que beaucoup de gens du Sud tiennent pour acquise.

J’aimerais donc donner un simple conseil à Mme Exner-Pirot et à tous ceux qui veulent en savoir plus sur le Nord : lisez le rapport.

 

Le sénateur Dennis Glen Patterson est le président du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Il représente le Nunavut au Sénat.

Cet article a été publié le 5 août 2019 dans le journal High North News (en anglais seulement).

Avis aux lecteurs : L’honorable Dennis Glen Patterson a pris sa retraite du Sénat du Canada en décembre 2023. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

C’est avec une grande perplexité que j’ai lu les observations de Heather Exner-Pirot (en anglais seulement) dans le High North News à propos du rapport sur le Nord canadien, qui a été publié en juin dernier par le Comité sénatorial sur l’Arctique.

Sa critique du rapport — c’est-à-dire qu’il fait du gouvernement fédéral la solution miracle à tous les problèmes — laisse entendre qu’elle n’a lu que le résumé des recommandations.

Ses commentaires font abstraction du contexte qui est fourni dans le rapport.

L’étude du comité visait à recommander des politiques au gouvernement fédéral, qui doit élaborer un cadre stratégique sur le Nord. (Il convient de rappeler qu’un comité sénatorial ne peut que soumettre des recommandations au gouvernement fédéral.) Par conséquent, le gouvernement fédéral est le principal destinataire du rapport.

Cela dit, nous n’avions pas l’intention de siéger dans une salle de comité à Ottawa pour atteindre cet objectif. Tous les membres du comité tenaient absolument à entendre directement les habitants du Nord.

C’est pourquoi nous nous sommes rendus à Kuujjuaq, Iqaluit, Baker Lake, Cambridge Bay, Yellowknife, Inuvik et Whitehorse. Nous voulions que le comité aille à la rencontre des citoyens de ces communautés pour nous permettre de bien représenter leurs points de vue à Ottawa.

Ces travaux, qui ont aussi inclus de nombreux témoignages de fonctionnaires, de politiciens et d’universitaires qui étudient le Nord depuis des années, ont mené à la production de notre rapport intitulé Le Grand Nord : Un appel à l’action pour l’avenir du Canada.

En d’autres mots, le rapport reflète l’expertise et l’expérience des gens qui vivent dans le Nord, l’étudient et défendent ses intérêts. Comme nous l’avons indiqué au début du rapport, nous sommes d’accord avec les témoins qui ont souligné que le nouveau cadre fédéral doit être conçu dans le Nord, par le Nord et pour le Nord.

En fait, on peut lire textuellement dans le rapport que nous voyons le nouveau cadre comme une occasion « de s’éloigner de l’approche uniformisée suivie par le gouvernement fédéral pour l’élaboration de politiques » (p. 22; les italiques ont été ajoutés).

D’autres preuves sont-elles nécessaires?

La deuxième recommandation porte sur le transfert des pouvoirs. Nous sommes d’avis que le gouvernement fédéral devrait habiliter les gouvernements du Nord à assumer des rôles dans la prestation de programmes fédéraux à leurs résidants et qu’il devrait transférer aux gouvernements locaux, territoriaux et autochtones la gestion des programmes et des services fédéraux (p. 23, 84 et ailleurs).

Nous avons présenté cette recommandation justement parce que les habitants du Nord veulent s’éloigner de l’approche colonialiste de longue date selon laquelle le gouvernement fédéral assume entièrement la gouvernance de l’Arctique.

Par exemple, une entente de transfert des pouvoirs devrait être mise en œuvre au Nunavut d’ici 2023. Le territoire devrait donc accroître son indépendance par rapport au gouvernement fédéral (p. 19).

Selon les études, ces changements sont positifs. Le Yukon a profité de retombées économiques et politiques depuis la conclusion de son accord sur le transfert des pouvoirs avec le gouvernement fédéral en 2003. Depuis, la croissance de son PIB a dépassé celle de certaines autres régions du Canada (p. 22).

Toutefois, le Yukon, en tant que territoire, ne possède pas tous les pouvoirs d’une province, ce qui l’empêche d’avoir recours aux outils financiers que les provinces utilisent pour amasser des fonds en vue de faire des investissements à grande échelle.

Cette situation freine le potentiel de croissance des trois territoires.

Revenons au Nunavut. Nous avons appris que son industrie de la pêche extracôtière a connu une croissance exponentielle au cours des trois dernières décennies, générant des recettes de plus de 100 millions de dollars. Cependant, l’Arctic Fishery Alliance, une entreprise détenue par des Inuits, a signalé que les prises de poissons faites en mer sont débarquées au Groenland ou à Terre-Neuve, d’où elles sont exportées, en raison du manque d’infrastructure maritime (p. 37).

Le résultat? L’économie du Nunavut perd des millions de dollars.

Nous pouvons donc rejeter l’affirmation de Mme Exner-Pirot selon laquelle nous croyons que le gouvernement fédéral est une véritable panacée. Comme nous l’avons démontré, dans de nombreux cas, nous sommes plutôt d’avis que le gouvernement fédéral devrait tout simplement laisser le champ libre.

Mme Exner-Pirot affirme également que demander plus d’investissements dans le Nord canadien est devenu un simple réflexe dans ce dossier et que la région reçoit déjà d’énormes subventions.

Étant donné que les territoires ne disposent pas des mêmes outils que les provinces pour recueillir des fonds en vue d’investir dans l’infrastructure, il n’est pas surprenant que le gouvernement fédéral subventionne les gouvernements du Nord.

Ce n’est pas surprenant non plus que ces subventions semblent importantes – on ne peut pas faire grand-chose avec un dollar dans le Nord. Un sac de farine coûte 17 $ à Iqaluit. On peut donc aisément s’imaginer que tout grand projet d’infrastructure sera beaucoup plus cher que son équivalent dans le Sud du Canada.

Par conséquent, il est vrai que le rapport demande des investissements fédéraux dans l’infrastructure. Comme les témoins nous l’ont expliqué, c’est une nécessité. Ces sommes ne serviront pas à accroître la dépendance économique de la région envers Ottawa. Au contraire, elles donneront au Nord les moyens d’agir.

Les propos désinvoltes de Mme Exner-Pirot voulant que nous mesurions le développement du Nord avec des indicateurs propres au Sud sont aussi déconcertants.

Utilisons-nous des indicateurs du Sud lorsque nous disons que les habitants du Nord devraient vivre dans des maisons bien construites au lieu de logements surpeuplés qui favorisent la formation de moisissures et accroissent les risques de maladies respiratoires comme la tuberculose (p. 45)?

Utilisons-nous des indicateurs du Sud lorsque nous disons que les habitants du Nord devraient avoir accès à des aliments sains à prix abordables (p. 41 et ailleurs)?

Utilisons-nous des indicateurs du Sud lorsque nous disons que les habitants du Nord devraient avoir accès à de bonnes écoles et à Internet haute vitesse (p. 48)?

Mme Exner-Pirot affirme qu’il y a une absence de curiosité intellectuelle par rapport à ce que nous pourrions faire différemment dans le Nord.

Notre expérience indique tout le contraire.

Je vis à Iqaluit. L’avenir du Nord est donc celui de mon coin de pays.

Nous avons fait appel à des universitaires qui sont animés par une grande passion pour le Nord et qui cumulent des décennies d’expérience.

Plus important encore, nous avons écouté les habitants du Nord afin de bien comprendre les changements nécessaires pour concrétiser le plein potentiel de la région.

Je reconnais l’expertise de ces personnes. Je ne suis pas prêt à balayer du revers de la main ce qu’elles nous ont dit.

Notre rapport est le leur. Il reflète les voix des habitants du Nord qui cherchent à prendre en main leur destin, une chose que beaucoup de gens du Sud tiennent pour acquise.

J’aimerais donc donner un simple conseil à Mme Exner-Pirot et à tous ceux qui veulent en savoir plus sur le Nord : lisez le rapport.

 

Le sénateur Dennis Glen Patterson est le président du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Il représente le Nunavut au Sénat.

Cet article a été publié le 5 août 2019 dans le journal High North News (en anglais seulement).

Avis aux lecteurs : L’honorable Dennis Glen Patterson a pris sa retraite du Sénat du Canada en décembre 2023. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.

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