Rencontre avec le sénateur Stan Kutcher
Pédopsychiatre de renom, le sénateur Stan Kutcher a mis en place des programmes d’éducation à la santé mentale destinés aux écoles, publié plus de 400 articles et diffusé ses connaissances dans plus d’une vingtaine de pays. Il s’efforce maintenant de mettre au service du Sénat son expérience en recherche, en enseignement et en élaboration de politiques publiques. Il œuvre également à promouvoir l’amélioration des connaissances en santé mentale sur la Colline du Parlement.
La santé mentale est l’une des nombreuses causes que défend le sénateur de la NouvelleÉcosse depuis sa nomination à la Chambre rouge, en 2018. En plus de son travail comme législateur et membre de comités, il s’exprime sur la guerre en Ukraine, la COVID longue (en anglais seulement), les changements climatiques, enrichissant par le fait même les recherches scientifiques du Canada (en anglais seulement), et même sur la riche histoire de sa province de résidence.
Il siège au Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie, au Comité sénatorial des pêches et des océans et au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir.
D’où vient votre intérêt pour la santé mentale des adolescents?
Lors de mes études universitaires, j’ai eu la chance de travailler durant l’été dans une école de formation professionnelle auprès de jeunes détenus. Ces jeunes avaient été condamnés pour toutes sortes d’infractions, allant de petits vols à des homicides. Affecté au service des loisirs, j’ai créé un programme d’excursion en canot pour les jeunes. Je me souviens très bien d’avoir assisté, pendant que nous installions notre campement, à un coucher de soleil spectaculaire.
Les jeunes s’exclamaient : « Quel “foutu” de coucher de soleil! Quel “foutu” de coucher de soleil! » C’est à ce momentlà que j’ai réalisé qu’ils n’avaient pas les mots pour exprimer ni comprendre ce qu’ils ressentaient. Je me suis alors demandé d’où leur venait cette lacune et j’ai été frappé de constater à quel point ces jeunes étaient différents des autres. Cette expérience m’a particulièrement marqué.
Au début de mes études en psychiatrie, je m’intéressais énormément aux vécus des gens. Plutôt que de voir mes patients comme des malades, je les voyais comme des personnes. Plus j’écoutais leurs témoignages, plus je me rendais compte que les symptômes qui évoluaient vers une maladie mentale – qu’il s’agisse de schizophrénie, de bipolarité ou de grave dépression – avaient tous débuté à l’adolescence.
À partir de ce momentlà, j’ai poursuivi mes études en pédopsychiatrie à l’étranger. À mon retour au Canada, j’ai transformé l’unité de psychiatrie pour adolescents de l’hôpital Sunnybrook en centre de recherche sur les maladies mentales chez les enfants.
Vous siégez au sein de plusieurs comités sénatoriaux. Y a-t-il des projets de loi ou des travaux de comité qui vous ont particulièrement marqué?
J’ai proposé des amendements au projet de loi C-83, un projet de loi de réforme du système pénitentiaire visant à améliorer les interventions et les soins de santé en santé mentale offerts aux détenus sous responsabilité fédérale. Je revenais à mon point de départ, dans le système correctionnel, exactement là où j’ai commencé ma carrière.
J’ai également eu le privilège de parrainer le projet de loi S5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé. Cette mesure législative a nécessité beaucoup d’efforts, mais quelle que soit la forme qu’elle prendra, elle contribuera énormément à la compréhension et à la réduction de l’impact des toxines environnementales sur la santé humaine.
À titre de membre du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, j’ai également participé à l’élaboration du projet de loi C39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). J’espère que ce projet de loi nous amènera à poser un regard compatissant sur la fin de vie des patients qui endurent des souffrances intolérables et à traiter les personnes atteintes de troubles de santé mentale de la même manière que les personnes atteintes d’autres maladies.
Enfin, j’ai aussi présenté le projet de loi S-251, qui abrogerait un article du Code criminel qui autorise les enseignants, les parents et les tuteurs à employer la force envers les élèves ou les enfants confiés à leurs soins. À mon avis, il est ahurissant qu’une telle disposition soit encore en vigueur au Canada.
Vous participez à beaucoup d’activités de S’ENgage comme la simulation du Sénat. Quelle est votre expérience?
Il s’agit, selon moi, d’un programme incroyable. J’ai eu le privilège d’aller à la rencontre des élèves dans les écoles. Ils n’ont absolument aucune idée de ce qu’est le Sénat.
Certains adultes non plus ne savent pas ce qu’est le Sénat!
C’est exactement ce que j’allais dire! Des organisations pour adultes comme les clubs Rotary ou Lions, ou n’importe quel autre cercle philanthropique au pays, devraient créer l’équivalent du programme S’ENgage. Nous pourrions rejoindre beaucoup d’adultes qui n’ont absolument aucune idée de ce qu’est le Sénat ou, pire encore, qui voient ce que fait le Sénat d’un très mauvais œil.
Vous prenez souvent la parole pour dénoncer la guerre en Ukraine. Vos parents sont arrivés ici comme réfugiés ukrainiens durant la Seconde Guerre mondiale. Quelle part a occupé la culture ukrainienne dans votre éducation?
Je n’ai pas grandi dans un milieu ukrainien. Ce sont mes parents et mes grandsparents qui m’ont transmis mon héritage ukrainien.
Mes parents venaient tous deux d’Ukraine, mais ils se sont rencontrés au Canada. Ils avaient tout perdu. Ma mère est débarquée au Quai 21, à Halifax, avec ses parents et son frère. Ils n’avaient que 500 $ en poche et ne parlaient pas l’anglais.
Mon père est venu seul au Canada. Il étudiait à l’école de médecine lorsque la guerre a éclaté en Ukraine. Capturé par les Allemands, il a d’une certaine manière survécu par luimême à la guerre. Il a survécu aux bombardements de Dresden, qui s’apparentaient à ceux qui pleuvent sur Bakhmout aujourd’hui.
Je fais ce que je peux par l’intermédiaire de mon rôle de sénateur pour faire savoir à quel point il est important que l’Occident soit solidaire de l’Ukraine. Il n’en va pas uniquement des intérêts de l’Ukraine. Il en va des valeurs fondamentales sur lesquelles repose notre système démocratique et auxquelles s’attaque la Russie. Je ne suis ni ministre des Affaires étrangères ni ministre de la Défense. Je n’ai pas les pouvoirs d’un ministre, mais j’essaie de promouvoir toute l’aide possible pour l’Ukraine.
Avez-vous toujours des contacts avec votre famille en Ukraine?
Ma famille et moi sommes en contact avec certains membres de ma famille. Nous sommes incapables de joindre certains proches depuis l’invasion. Nous n’avons aucune idée de ce qui leur est arrivé. Même si je n’avais pas de famille en Ukraine ni de lien avec ce pays, je ferais tout de même tout ce que je peux pour dénoncer la situation afin que le Canada et d’autres pays soient plus solidaires.
Qu’est-ce que la plupart des Canadiens ignorent à votre sujet?
Apparemment, je suis naturellement doué pour le polo. Il y a quelques années, ma femme et moi avons assisté à un match de polo organisé par un club en Argentine. Après le match, il était possible de monter sur un cheval de polo pour faire un essai. Je n’allais pas passer à côté de cette occasion. Je ne fais pas d’équitation, mais je suis monté sur le cheval avec le bâton de polo et c’est comme si j’avais joué au polo toute ma vie. L’instructeur m’a dit : « Ce n’est certainement pas la première fois que vous jouez au polo », ce à quoi j’ai répondu : « C’est à peine si je suis déjà monté à cheval! ».
Vous avez déménagé en NouvelleÉcosse pour devenir chef du département de psychiatrie de l’Université Dalhousie. Pourquoi avez-vous décidé de vous installer dans cette province?
Les enfants adoraient la Nouvelle-Écosse. Le mode de vie y était très différent de celui que nous avions à Toronto. Les gens se parlent dans la rue.
Vivre dans les Maritimes, c’est faire partie de quelque chose de plus grand que soi. C’est un sentiment difficile à décrire. Il faut être poète pour trouver les bons mots.
Qu’est-ce que la plupart des Canadiens devraient savoir au sujet de la NouvelleÉcosse?
Compte tenu de sa superficie, la NouvelleÉcosse occupe une place de choix pour ce qui est de la musique, de la culture, des sciences et des arts.
Bien des gens croient que le Canada s’arrête à Montréal ou à Québec. Les provinces de l’Atlantique sont souvent reléguées au second plan. Au Sénat, j’essaie de m’assurer que les comités entendent plus de spécialistes du Canada atlantique. J’aimerais qu’on accorde beaucoup plus d’attention à l’apport incroyable que peut apporter la Nouvelle-Écosse – et toute la région atlantique – au Canada.
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La santé mentale est l’une des nombreuses causes que défend le sénateur de la NouvelleÉcosse depuis sa nomination à la Chambre rouge, en 2018. En plus de son travail comme législateur et membre de comités, il s’exprime sur la guerre en Ukraine, la COVID longue (en anglais seulement), les changements climatiques, enrichissant par le fait même les recherches scientifiques du Canada (en anglais seulement), et même sur la riche histoire de sa province de résidence.
Il siège au Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie, au Comité sénatorial des pêches et des océans et au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir.
D’où vient votre intérêt pour la santé mentale des adolescents?
Lors de mes études universitaires, j’ai eu la chance de travailler durant l’été dans une école de formation professionnelle auprès de jeunes détenus. Ces jeunes avaient été condamnés pour toutes sortes d’infractions, allant de petits vols à des homicides. Affecté au service des loisirs, j’ai créé un programme d’excursion en canot pour les jeunes. Je me souviens très bien d’avoir assisté, pendant que nous installions notre campement, à un coucher de soleil spectaculaire.
Les jeunes s’exclamaient : « Quel “foutu” de coucher de soleil! Quel “foutu” de coucher de soleil! » C’est à ce momentlà que j’ai réalisé qu’ils n’avaient pas les mots pour exprimer ni comprendre ce qu’ils ressentaient. Je me suis alors demandé d’où leur venait cette lacune et j’ai été frappé de constater à quel point ces jeunes étaient différents des autres. Cette expérience m’a particulièrement marqué.
Au début de mes études en psychiatrie, je m’intéressais énormément aux vécus des gens. Plutôt que de voir mes patients comme des malades, je les voyais comme des personnes. Plus j’écoutais leurs témoignages, plus je me rendais compte que les symptômes qui évoluaient vers une maladie mentale – qu’il s’agisse de schizophrénie, de bipolarité ou de grave dépression – avaient tous débuté à l’adolescence.
À partir de ce momentlà, j’ai poursuivi mes études en pédopsychiatrie à l’étranger. À mon retour au Canada, j’ai transformé l’unité de psychiatrie pour adolescents de l’hôpital Sunnybrook en centre de recherche sur les maladies mentales chez les enfants.
Vous siégez au sein de plusieurs comités sénatoriaux. Y a-t-il des projets de loi ou des travaux de comité qui vous ont particulièrement marqué?
J’ai proposé des amendements au projet de loi C-83, un projet de loi de réforme du système pénitentiaire visant à améliorer les interventions et les soins de santé en santé mentale offerts aux détenus sous responsabilité fédérale. Je revenais à mon point de départ, dans le système correctionnel, exactement là où j’ai commencé ma carrière.
J’ai également eu le privilège de parrainer le projet de loi S5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé. Cette mesure législative a nécessité beaucoup d’efforts, mais quelle que soit la forme qu’elle prendra, elle contribuera énormément à la compréhension et à la réduction de l’impact des toxines environnementales sur la santé humaine.
À titre de membre du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, j’ai également participé à l’élaboration du projet de loi C39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). J’espère que ce projet de loi nous amènera à poser un regard compatissant sur la fin de vie des patients qui endurent des souffrances intolérables et à traiter les personnes atteintes de troubles de santé mentale de la même manière que les personnes atteintes d’autres maladies.
Enfin, j’ai aussi présenté le projet de loi S-251, qui abrogerait un article du Code criminel qui autorise les enseignants, les parents et les tuteurs à employer la force envers les élèves ou les enfants confiés à leurs soins. À mon avis, il est ahurissant qu’une telle disposition soit encore en vigueur au Canada.
Vous participez à beaucoup d’activités de S’ENgage comme la simulation du Sénat. Quelle est votre expérience?
Il s’agit, selon moi, d’un programme incroyable. J’ai eu le privilège d’aller à la rencontre des élèves dans les écoles. Ils n’ont absolument aucune idée de ce qu’est le Sénat.
Certains adultes non plus ne savent pas ce qu’est le Sénat!
C’est exactement ce que j’allais dire! Des organisations pour adultes comme les clubs Rotary ou Lions, ou n’importe quel autre cercle philanthropique au pays, devraient créer l’équivalent du programme S’ENgage. Nous pourrions rejoindre beaucoup d’adultes qui n’ont absolument aucune idée de ce qu’est le Sénat ou, pire encore, qui voient ce que fait le Sénat d’un très mauvais œil.
Vous prenez souvent la parole pour dénoncer la guerre en Ukraine. Vos parents sont arrivés ici comme réfugiés ukrainiens durant la Seconde Guerre mondiale. Quelle part a occupé la culture ukrainienne dans votre éducation?
Je n’ai pas grandi dans un milieu ukrainien. Ce sont mes parents et mes grandsparents qui m’ont transmis mon héritage ukrainien.
Mes parents venaient tous deux d’Ukraine, mais ils se sont rencontrés au Canada. Ils avaient tout perdu. Ma mère est débarquée au Quai 21, à Halifax, avec ses parents et son frère. Ils n’avaient que 500 $ en poche et ne parlaient pas l’anglais.
Mon père est venu seul au Canada. Il étudiait à l’école de médecine lorsque la guerre a éclaté en Ukraine. Capturé par les Allemands, il a d’une certaine manière survécu par luimême à la guerre. Il a survécu aux bombardements de Dresden, qui s’apparentaient à ceux qui pleuvent sur Bakhmout aujourd’hui.
Je fais ce que je peux par l’intermédiaire de mon rôle de sénateur pour faire savoir à quel point il est important que l’Occident soit solidaire de l’Ukraine. Il n’en va pas uniquement des intérêts de l’Ukraine. Il en va des valeurs fondamentales sur lesquelles repose notre système démocratique et auxquelles s’attaque la Russie. Je ne suis ni ministre des Affaires étrangères ni ministre de la Défense. Je n’ai pas les pouvoirs d’un ministre, mais j’essaie de promouvoir toute l’aide possible pour l’Ukraine.
Avez-vous toujours des contacts avec votre famille en Ukraine?
Ma famille et moi sommes en contact avec certains membres de ma famille. Nous sommes incapables de joindre certains proches depuis l’invasion. Nous n’avons aucune idée de ce qui leur est arrivé. Même si je n’avais pas de famille en Ukraine ni de lien avec ce pays, je ferais tout de même tout ce que je peux pour dénoncer la situation afin que le Canada et d’autres pays soient plus solidaires.
Qu’est-ce que la plupart des Canadiens ignorent à votre sujet?
Apparemment, je suis naturellement doué pour le polo. Il y a quelques années, ma femme et moi avons assisté à un match de polo organisé par un club en Argentine. Après le match, il était possible de monter sur un cheval de polo pour faire un essai. Je n’allais pas passer à côté de cette occasion. Je ne fais pas d’équitation, mais je suis monté sur le cheval avec le bâton de polo et c’est comme si j’avais joué au polo toute ma vie. L’instructeur m’a dit : « Ce n’est certainement pas la première fois que vous jouez au polo », ce à quoi j’ai répondu : « C’est à peine si je suis déjà monté à cheval! ».
Vous avez déménagé en NouvelleÉcosse pour devenir chef du département de psychiatrie de l’Université Dalhousie. Pourquoi avez-vous décidé de vous installer dans cette province?
Les enfants adoraient la Nouvelle-Écosse. Le mode de vie y était très différent de celui que nous avions à Toronto. Les gens se parlent dans la rue.
Vivre dans les Maritimes, c’est faire partie de quelque chose de plus grand que soi. C’est un sentiment difficile à décrire. Il faut être poète pour trouver les bons mots.
Qu’est-ce que la plupart des Canadiens devraient savoir au sujet de la NouvelleÉcosse?
Compte tenu de sa superficie, la NouvelleÉcosse occupe une place de choix pour ce qui est de la musique, de la culture, des sciences et des arts.
Bien des gens croient que le Canada s’arrête à Montréal ou à Québec. Les provinces de l’Atlantique sont souvent reléguées au second plan. Au Sénat, j’essaie de m’assurer que les comités entendent plus de spécialistes du Canada atlantique. J’aimerais qu’on accorde beaucoup plus d’attention à l’apport incroyable que peut apporter la Nouvelle-Écosse – et toute la région atlantique – au Canada.