Vingt ans plus tard — le sénateur Joyal demeure déterminé à faire progresser le Canada
Avis aux lecteurs : L’honorable Serge Joyal, C.P., est retraité du Sénat du Canada depuis février 2020. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.
Né à Montréal, le sénateur Serge Joyal est entré en politique à titre de député libéral en 1974, puis il est devenu ministre du Cabinet du premier ministre Pierre Elliott Trudeau.
Au début des années 1980, il est nommé secrétaire parlementaire du président du Conseil du Trésor, ministre d’État et secrétaire d’État du Canada. Il a fondé le Comité mixte permanent des langues officielles et a coprésidé le Comité mixte spécial sur la Constitution du Canada, chargé de revoir le texte original de la Charte canadienne des droits et libertés.
En 1997, le premier ministre Jean Chrétien a recommandé la nomination de Serge Joyal au Sénat du Canada.
Collectionneur d’art et mécène, celui-ci a publié également plusieurs ouvrages et articles autant en droit qu’en histoire ou encore en lien avec la politique culturelle, et il est un ardent défenseur de la langue française.
Comment compareriez-vous vos 20 années au Sénat à votre travail politique antérieur en tant que député?
Je suis juriste de profession. Je m’intéresse beaucoup à la compréhension du droit, mettant l’accent à la fois sur sa mise en œuvre et sur l’impact transformateur que celui-ci aura sur la société à plus long terme. J’étais convaincu que le Sénat me donnerait l’occasion de m’engager davantage dans des questions de cette nature. Pour moi, cela signifiait d’abord et avant tout poursuivre mon engagement à faire évoluer l’application de la Charte des droits et libertés.
J’ai été très heureux de servir à titre de député élu. Cependant, le fait d’être nommé à un siège au Sénat permet de jouir d’une plus grande indépendance. Les gouvernements, les premiers ministres et les questions brûlantes du jour changent, mais mon engagement à défendre mes objectifs est demeuré le même. Le Sénat m’a permis de mettre à profit mon expérience et mes connaissances, au même titre qu’un cuisinier pratique son art, élabore une recette, équilibre les ingrédients. En développant une méthodologie de réflexion, en élargissant les sujets d’intervention, on devient, au fil des ans, plus sage, on accumule une expérience réelle et on maîtrise davantage les sujets.
En fin de compte, que retiendra-t-on de ce chapitre de l’histoire canadienne?
Je pense que ce sera incontestablement la Charte des droits et libertés.
La Charte est maintenant pleinement intégrée à la définition de ce que nous sommes en tant que citoyens. Les Canadiens se sont approprié la Charte. Ils savent qu’ils ont des droits et des libertés, que les tribunaux sont indépendants, et que les plaintes peuvent être portées devant les tribunaux. Ils peuvent intenter des poursuites contre leur propre gouvernement, comme je l’ai fait dans le passé. Je le fais actuellement devant la Cour suprême dans une question de privilège parlementaire qui implique le président de l’Assemblée nationale du Québec.
Au cours de votre mandat au Sénat, avez-vous rencontré d’autres parlementaires qui sont aussi activement engagés dans notre système de justice?
Je ne crois pas. C’est assez inhabituel qu’un parlementaire en fonction vote sur une mesure législative et se présente ensuite devant les tribunaux pour la défendre ou la contester. J’utilise en fait tous les outils de mon coffre à outils. Je me souviens d’avoir débattu d’un article de la Charte avec un témoin devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et, à la fin, comme nous avions un désaccord, je lui ai dit tout de go : « On se revoit en cour ».
Je l’avais aussi fait en tant que député. J’ai poursuivi le gouvernement du premier ministre Pierre Trudeau même lorsque j’étais dans son caucus. Pendant deux ans, il ne m’a pas parlé, mais, plus tard, nous sommes redevenus amis. J’ai pris charge de la rédaction de la Charte en 1980, et éventuellement je suis entré au Cabinet. Mais ce n’est pas parce que vous vous battez pour vos principes que vous vous faites nécessairement des ennemis jurés. Les gens respectent quelqu’un qui défend ses idées et ses valeurs.
Pouvez-vous mentionner une loi ou un enjeu dont vous avez récemment parlé?
Je suis récemment intervenu au sujet du projet de loi C-25, qui vise à créer au Canada des conseils d’administration au sein desquels il y a un équilibre homme-femme. Vous savez que ce n’est que récemment que les femmes ont vraiment brisé le plafond de verre en politique, en devenant premières ministres à l’Île-du-Prince-Édouard, au Québec, en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta.
Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, Bombardier construisait l’avion de la CSeries avec principalement des hommes au Conseil. La société prétendait que son modèle d’affaires exigeait ce déséquilibre. Puis, elle a vendu les droits de cet avion à Airbus en Europe, et soudainement 50 % des postes de direction sont occupés par des femmes parce que c’est la loi dans ces pays. C’est le même produit! Pourquoi est-ce bon en Europe — en Allemagne, en France et aux Pays-Bas — mais pas ici?
Cela fait 50 ans que la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme a conclu que les femmes devaient aussi être au sommet du pouvoir économique. Et bien, lorsqu’un projet de loi vous donne l’occasion d’avancer, d’évaluer, vous sautez sur la glace et vous essayez de marquer un but, c’est-à-dire de modifier la loi pour que, comme société, le droit à l’égalité des hommes et des femmes soit mieux respecté.
L’exclusion continue des peuples autochtones est une autre question à laquelle nous devons nous attaquer activement, et de front.
Est-ce que le gouvernement du Canada devrait offrir son pardon à Louis Riel?
Oui. En fait, j’ai commandé une œuvre d’art mettant en vedette Louis Riel et elle est exposée dans la Salle des peuples autochtones au Parlement! Lorsque je présidais le comité responsable de la Charte, j’ai aussi insisté pour inclure les Métis dans la définition des peuples autochtones dans la constitution.
Je sympathise complètement avec la cause autochtone. Nous avons la chance d’avoir un lien avec ces peuples. De plus, la réconciliation en continu qui est maintenant nécessaire s’inscrit parfaitement dans notre tradition fédérale, à savoir créer un espace et une société dans lesquels peuvent cohabiter différents peuples, deux langues officielles, les langues autochtones et plusieurs cultures diverses.
L’un des objectifs doit être de rétablir l’usage des langues autochtones : vous savez, je suis ce que je suis parce que je parle français. Si vous ne maîtrisez pas votre propre langue, il est difficile de définir votre identité, vos racines ancestrales, votre spiritualité, votre imagination, et votre vision du monde.
Je pense aussi que les peuples autochtones devraient devenir vraiment maîtres sur leur propre territoire. Tant que nous essayons de contourner cette question, rien ne changera. Ils doivent devenir souverains sur leur territoire. Cela leur rendrait la dignité qui leur a été enlevée à la suite de l’établissement des colons européens.
Il s’agit certainement d’un nouveau modèle de souveraineté qu’il faut inventer, et nous l’inventerons probablement à la manière des Britanniques plutôt qu’à celle des Français : nous ne concevrons pas un système théoriquement parfait; nous le ferons graduellement, en abordant les problèmes d’actualité un à un et en trouvant des solutions raisonnables au fur et à mesure que nous progressons. L’important est d’avoir une direction claire et de s’y consacrer.
À quels enjeux consacrerez-vous vos deux dernières années au Sénat?
Je pense que nous devrions nous pencher sérieusement sur la montée du populisme d’aujourd’hui. Le Sénat peut réfléchir sérieusement en cette période de turbulences que le monde traverse. Les sénateurs devront réfléchir en profondeur à la vulnérabilité croissante du système démocratique chez nos partenaires traditionnels que sont les États-Unis, l’Angleterre, la France et d’autres pays européens.
Les députés tirent leur légitimité de la confiance du peuple. Un faux commentaire sur internet ou une fausse nouvelle, ou une allégation, qui vous fait mal paraître peut compromettre vos engagements tout à fait honnêtes; nous n’avons pas encore trouvé de moyen pour compenser cela, ce qui vulnérabilise la démocratie. Il suffit d’observer, au sud de la frontière, l’enquête russe et la propagation d’information manipulatrice. Qui a dit que la Russie ne tentera pas la même chose au Canada à la prochaine élection?
Je crois que nous avançons en terrain glissant. Nous commençons à peine à comprendre à quel point cela peut détruire notre système de valeurs et de nos principes.
Nous devons donc organiser et ouvrir un débat public sur cette question. C’est ainsi que l’on fait sortir les démons et les mauvais génies de la bouteille : en en discutant. Le système doit prendre conscience que nous faisons face à un problème inédit.
J’en suis donc aux premières étapes de la création d’un forum au Sénat pour discuter de la montée du populisme. Nous ne résoudrons pas tout, mais nous pouvons amorcer la conversation en vue de mieux maîtriser les défis qui nous confrontent et qui fragilisent nos valeurs de liberté, d’égalité et de dignité.
Avis aux lecteurs : L’honorable Serge Joyal a pris sa retraite du Sénat du Canada en janvier 2020. Apprenez-en advantage sur son travail au Parlement.
Articles connexes
Étiquettes
Nouvelles des comités
Vingt ans plus tard — le sénateur Joyal demeure déterminé à faire progresser le Canada
Avis aux lecteurs : L’honorable Serge Joyal, C.P., est retraité du Sénat du Canada depuis février 2020. Apprenez-en davantage sur son travail au Parlement.
Né à Montréal, le sénateur Serge Joyal est entré en politique à titre de député libéral en 1974, puis il est devenu ministre du Cabinet du premier ministre Pierre Elliott Trudeau.
Au début des années 1980, il est nommé secrétaire parlementaire du président du Conseil du Trésor, ministre d’État et secrétaire d’État du Canada. Il a fondé le Comité mixte permanent des langues officielles et a coprésidé le Comité mixte spécial sur la Constitution du Canada, chargé de revoir le texte original de la Charte canadienne des droits et libertés.
En 1997, le premier ministre Jean Chrétien a recommandé la nomination de Serge Joyal au Sénat du Canada.
Collectionneur d’art et mécène, celui-ci a publié également plusieurs ouvrages et articles autant en droit qu’en histoire ou encore en lien avec la politique culturelle, et il est un ardent défenseur de la langue française.
Comment compareriez-vous vos 20 années au Sénat à votre travail politique antérieur en tant que député?
Je suis juriste de profession. Je m’intéresse beaucoup à la compréhension du droit, mettant l’accent à la fois sur sa mise en œuvre et sur l’impact transformateur que celui-ci aura sur la société à plus long terme. J’étais convaincu que le Sénat me donnerait l’occasion de m’engager davantage dans des questions de cette nature. Pour moi, cela signifiait d’abord et avant tout poursuivre mon engagement à faire évoluer l’application de la Charte des droits et libertés.
J’ai été très heureux de servir à titre de député élu. Cependant, le fait d’être nommé à un siège au Sénat permet de jouir d’une plus grande indépendance. Les gouvernements, les premiers ministres et les questions brûlantes du jour changent, mais mon engagement à défendre mes objectifs est demeuré le même. Le Sénat m’a permis de mettre à profit mon expérience et mes connaissances, au même titre qu’un cuisinier pratique son art, élabore une recette, équilibre les ingrédients. En développant une méthodologie de réflexion, en élargissant les sujets d’intervention, on devient, au fil des ans, plus sage, on accumule une expérience réelle et on maîtrise davantage les sujets.
En fin de compte, que retiendra-t-on de ce chapitre de l’histoire canadienne?
Je pense que ce sera incontestablement la Charte des droits et libertés.
La Charte est maintenant pleinement intégrée à la définition de ce que nous sommes en tant que citoyens. Les Canadiens se sont approprié la Charte. Ils savent qu’ils ont des droits et des libertés, que les tribunaux sont indépendants, et que les plaintes peuvent être portées devant les tribunaux. Ils peuvent intenter des poursuites contre leur propre gouvernement, comme je l’ai fait dans le passé. Je le fais actuellement devant la Cour suprême dans une question de privilège parlementaire qui implique le président de l’Assemblée nationale du Québec.
Au cours de votre mandat au Sénat, avez-vous rencontré d’autres parlementaires qui sont aussi activement engagés dans notre système de justice?
Je ne crois pas. C’est assez inhabituel qu’un parlementaire en fonction vote sur une mesure législative et se présente ensuite devant les tribunaux pour la défendre ou la contester. J’utilise en fait tous les outils de mon coffre à outils. Je me souviens d’avoir débattu d’un article de la Charte avec un témoin devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et, à la fin, comme nous avions un désaccord, je lui ai dit tout de go : « On se revoit en cour ».
Je l’avais aussi fait en tant que député. J’ai poursuivi le gouvernement du premier ministre Pierre Trudeau même lorsque j’étais dans son caucus. Pendant deux ans, il ne m’a pas parlé, mais, plus tard, nous sommes redevenus amis. J’ai pris charge de la rédaction de la Charte en 1980, et éventuellement je suis entré au Cabinet. Mais ce n’est pas parce que vous vous battez pour vos principes que vous vous faites nécessairement des ennemis jurés. Les gens respectent quelqu’un qui défend ses idées et ses valeurs.
Pouvez-vous mentionner une loi ou un enjeu dont vous avez récemment parlé?
Je suis récemment intervenu au sujet du projet de loi C-25, qui vise à créer au Canada des conseils d’administration au sein desquels il y a un équilibre homme-femme. Vous savez que ce n’est que récemment que les femmes ont vraiment brisé le plafond de verre en politique, en devenant premières ministres à l’Île-du-Prince-Édouard, au Québec, en Ontario, en Colombie-Britannique et en Alberta.
Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, Bombardier construisait l’avion de la CSeries avec principalement des hommes au Conseil. La société prétendait que son modèle d’affaires exigeait ce déséquilibre. Puis, elle a vendu les droits de cet avion à Airbus en Europe, et soudainement 50 % des postes de direction sont occupés par des femmes parce que c’est la loi dans ces pays. C’est le même produit! Pourquoi est-ce bon en Europe — en Allemagne, en France et aux Pays-Bas — mais pas ici?
Cela fait 50 ans que la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme a conclu que les femmes devaient aussi être au sommet du pouvoir économique. Et bien, lorsqu’un projet de loi vous donne l’occasion d’avancer, d’évaluer, vous sautez sur la glace et vous essayez de marquer un but, c’est-à-dire de modifier la loi pour que, comme société, le droit à l’égalité des hommes et des femmes soit mieux respecté.
L’exclusion continue des peuples autochtones est une autre question à laquelle nous devons nous attaquer activement, et de front.
Est-ce que le gouvernement du Canada devrait offrir son pardon à Louis Riel?
Oui. En fait, j’ai commandé une œuvre d’art mettant en vedette Louis Riel et elle est exposée dans la Salle des peuples autochtones au Parlement! Lorsque je présidais le comité responsable de la Charte, j’ai aussi insisté pour inclure les Métis dans la définition des peuples autochtones dans la constitution.
Je sympathise complètement avec la cause autochtone. Nous avons la chance d’avoir un lien avec ces peuples. De plus, la réconciliation en continu qui est maintenant nécessaire s’inscrit parfaitement dans notre tradition fédérale, à savoir créer un espace et une société dans lesquels peuvent cohabiter différents peuples, deux langues officielles, les langues autochtones et plusieurs cultures diverses.
L’un des objectifs doit être de rétablir l’usage des langues autochtones : vous savez, je suis ce que je suis parce que je parle français. Si vous ne maîtrisez pas votre propre langue, il est difficile de définir votre identité, vos racines ancestrales, votre spiritualité, votre imagination, et votre vision du monde.
Je pense aussi que les peuples autochtones devraient devenir vraiment maîtres sur leur propre territoire. Tant que nous essayons de contourner cette question, rien ne changera. Ils doivent devenir souverains sur leur territoire. Cela leur rendrait la dignité qui leur a été enlevée à la suite de l’établissement des colons européens.
Il s’agit certainement d’un nouveau modèle de souveraineté qu’il faut inventer, et nous l’inventerons probablement à la manière des Britanniques plutôt qu’à celle des Français : nous ne concevrons pas un système théoriquement parfait; nous le ferons graduellement, en abordant les problèmes d’actualité un à un et en trouvant des solutions raisonnables au fur et à mesure que nous progressons. L’important est d’avoir une direction claire et de s’y consacrer.
À quels enjeux consacrerez-vous vos deux dernières années au Sénat?
Je pense que nous devrions nous pencher sérieusement sur la montée du populisme d’aujourd’hui. Le Sénat peut réfléchir sérieusement en cette période de turbulences que le monde traverse. Les sénateurs devront réfléchir en profondeur à la vulnérabilité croissante du système démocratique chez nos partenaires traditionnels que sont les États-Unis, l’Angleterre, la France et d’autres pays européens.
Les députés tirent leur légitimité de la confiance du peuple. Un faux commentaire sur internet ou une fausse nouvelle, ou une allégation, qui vous fait mal paraître peut compromettre vos engagements tout à fait honnêtes; nous n’avons pas encore trouvé de moyen pour compenser cela, ce qui vulnérabilise la démocratie. Il suffit d’observer, au sud de la frontière, l’enquête russe et la propagation d’information manipulatrice. Qui a dit que la Russie ne tentera pas la même chose au Canada à la prochaine élection?
Je crois que nous avançons en terrain glissant. Nous commençons à peine à comprendre à quel point cela peut détruire notre système de valeurs et de nos principes.
Nous devons donc organiser et ouvrir un débat public sur cette question. C’est ainsi que l’on fait sortir les démons et les mauvais génies de la bouteille : en en discutant. Le système doit prendre conscience que nous faisons face à un problème inédit.
J’en suis donc aux premières étapes de la création d’un forum au Sénat pour discuter de la montée du populisme. Nous ne résoudrons pas tout, mais nous pouvons amorcer la conversation en vue de mieux maîtriser les défis qui nous confrontent et qui fragilisent nos valeurs de liberté, d’égalité et de dignité.
Avis aux lecteurs : L’honorable Serge Joyal a pris sa retraite du Sénat du Canada en janvier 2020. Apprenez-en advantage sur son travail au Parlement.