Préserver le passé : Des conservateurs préparent les peintures de guerre historiques de la Chambre du Sénat pour leur déménagement
Normalement, la Chambre du Sénat, dans l’édifice du Centre, bourdonne d’activité lorsque les greffiers, les pages et les sénateurs vaquent à leurs fonctions lors des débats. Cependant, en mai et juin 2019, elle était remplie d’échafaudages, de leviers et d’énormes chevalets. On se serait cru dans l’atelier de Léonard de Vinci et non à la Chambre haute du Canada.
Dans le cadre des travaux de réhabilitation de la Colline du Parlement, huit tableaux monumentaux illustrant des scènes de guerre ont été retirés avec grande précaution de leur foyer permanent au Sénat, dans l’édifice du Centre. (La Chambre du Sénat a elle-même été déménagée dans un nouvel endroit que l’on désigne maintenant comme l’édifice du Sénat du Canada – une ancienne gare érigée au centre-ville d’Ottawa en 1912.)
Ces scènes de la Première Guerre mondiale ornaient les murs du Sénat depuis 1921, au départ à la suite d’une entente avec le Musée des beaux-arts du Canada, puis avec le Musée canadien de la guerre, lorsque la garde des tableaux lui a été transférée en 1971. Les tableaux demeureront au Musée de la guerre jusqu’à la fin des travaux de rénovation de l’édifice du Centre, projet qui devrait durer au moins dix ans.
Au nombre des scènes, on compte entre autres le premier débarquement de soldats canadiens en France, des villes en ruine sur le front de l’Ouest, des soldats épuisés en permission et des réfugiés qui rentrent dans leurs foyers détruits.
Ces toiles font partie d’une collection de près de 1 000 œuvres commandées par le Fonds de souvenir de guerre canadien, une grande idée du magnat de la presse, Max Aitken, qui a grandi au Nouveau-Brunswick et qui, en 1917, s’est vu décerner le titre de lord Beaverbrook.
Les dirigeants de ce fonds, le premier programme officiel d’art militaire du Canada, ont dépêché des artistes et des photographes sur le front de l’Ouest pour saisir des moments historiques vécus par les 425 000 Canadiens qui ont porté les armes sur des champs de bataille dont les noms nous sont aujourd’hui familiers, notamment Ypres, la Somme, la crête de Vimy et Passchendaele.
En 1921, le Parlement a demandé qu’on accroche certaines de ces toiles dans l’édifice du Centre. Elles y sont restées jusqu’à tout récemment à titre d’hommage pictural à l’héroïsme et au sacrifice consenti par les Canadiens au cours de cette guerre qui devait mettre fin à toutes les guerres.
Le groupe de travail consultatif sur les œuvres d’art du Sénat, constitué par les sénatrices Patricia Bovey et Nicole Eaton et par le sénateur Serge Joyal, a supervisé le déménagement de la collection.
« Ces tableaux sont d’importants trésors qui évoquent une époque centrale de l’histoire canadienne, notamment le moment où le Canada est devenu une nation à proprement parler, » a expliqué la sénatrice Bovey, historienne de l’art et ancienne directrice du Musée des beaux-arts de Winnipeg. « Ils revêtent également une importance primordiale pour le Sénat et je me réjouis que le Sénat, l’Institut canadien de conservation, le Musée canadien de la guerre et les professionnels de la conservation travaillent en partenariat pour préserver cette partie de notre patrimoine. »
« Ces toiles témoignent des sacrifices consentis par les Canadiens au cours de la Première Guerre mondiale. Elles rendent hommage aux héros méconnus, notamment les membres du service vétérinaire, les ingénieurs et les simples soldats qui figurent au nombre de ceux dont la voix doit être entendue au Sénat, » a souligné le sénateur Joyal, historien et collectionneur d’œuvres d’art. « Elles illustrent le devoir, le service et le sacrifice. »
Compte tenu de leur âge et de leurs dimensions – plus de trois mètres de largeur et deux mètres de hauteur –, ces toiles ont posé un défi particulier aux spécialistes de Legris Conservation, société établie à Ottawa et chargée du déménagement.
« Comme ces toiles ornent les murs du Sénat depuis près d’un siècle, il n’est pas étonnant qu’elles soient un peu friables, » a indiqué le conservateur David Legris. « Nous devions faire preuve de précaution. Voilà pourquoi nous avons prévu huit semaines pour effectuer le travail, soit à peu près quatre jours par toile, » a-t-il précisé.
Le travail a débuté par la rédaction d’un rapport complet sur l’état de conservation des tableaux. Les conservateurs ont évalué chaque tableau pour déceler notamment toute décoloration du vernis et les craquelures dans la peinture et pour vérifier l’intégrité du support de la toile.
Dans un deuxième temps, ils ont effectué des travaux mineurs, soit de petites réparations afin de stabiliser les œuvres avant de les bouger.
« Nous avons stabilisé la peinture soulevée ou écaillée, » a expliqué M. Legris. « Nous avons ensuite appliqué du papier Japon, un papier fin, qui maintient en place les surfaces affaiblies. »
Chaque toile a ensuite été dévissée de son support de montage, descendue sur un échafaudage, puis placée sur un grand chevalet roulant pour être photographiée pour les archives.
La surface de la toile a été recouverte d’une feuille de protection en mylar avant d’être déposée face vers le bas sur un plateau pliant fait sur mesure. Le plateau était muni d’un câble et d’un treuil pour permettre de descendre lentement le tableau en position verticale et de le placer à l’horizontale.
La toile a ainsi été retirée de son châssis – le cadre qui la maintenait tendue – avant d’être roulée sur un Sonotube, un cylindre de carton vide de près d’un mètre de circonférence. Le Sonotube a permis de rouler la toile en la serrant le moins possible pour éviter de faire craqueler la surface de la peinture.
Le rouleau entier a été recouvert d’une pellicule protectrice durable Tyvek – le matériau utilisé pour couvrir les habitations en construction –, puis d’un tissu de polyester coton.
L’intérieur du cylindre Sonotube a été renforcé à l’aide de quatre disques de contreplaqué enfilés sur une tige d’aluminium. Cette tige servait à la fois de poignée pour transporter la charge de 70 kg à l’extérieur de la Chambre et de barre transversale de soutien pour l’entreposage.
« Une fois la toile roulée sur le cylindre, elle doit toujours être suspendue à l’horizontale, » a expliqué M. Legris. « Elle ne doit pas être déposée à plat à cause de son poids. »
En vue de son transport par camion jusqu’au Musée canadien de la guerre, la toile a été est placée dans une caisse d’expédition faite sur mesure.
Les huit tableaux sont actuellement entreposés en toute sécurité et feront plus tard l’objet d’une seconde évaluation, cette fois plus détaillée, de leur état de conservation. Cette analyse peut prendre des mois et permettra d’établir l’ampleur des travaux de conservation à effectuer. À cette étape, le musée lancera un appel d’offres pour les travaux de restauration.
Pour sa part, la sénatrice Eaton se réjouit que le déménagement se soit déroulé si aisément.
« Ces tableaux sont des trésors nationaux, » a-t-elle déclaré. « Il est rassurant de voir que le Sénat et ses partenaires consacrent tant d’efforts à la préservation du patrimoine canadien. »
Bien que l’édifice du Centre ait fermé ses portes pendant les travaux de réhabilitation, les Canadiennes et Canadiens peuvent continuer d’admirer l’architecture de l’édifice et les œuvres d’art qui s’y trouvent en effectuant une visite virtuelle du Sénat.
Les conservateurs retirent du mur de la Chambre du Sénat le tableau intitulé La surveillance sur le Rhin (la dernière phase) (1920), de l’artiste britannique sir William Rothenstein. Huit tableaux historiques représentant des scènes de la Première Guerre mondiale ont été déménagés au Musée canadien de la guerre en mai et juin 2019, dans le cadre des travaux de rénovations de l’édifice du Centre. (MCG 19710261-0601, Collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre)
Le déménagement de l’œuvre de James Kerr-Lawson intitulée La Halle aux draps, Ypres (1919) révèle l’espace spécialement aménagé dans le mur pour le tableau. Une niche sur mesure avait été aménagée pour chaque tableau, bordée de murs construits de tissu recouvert de stuc et de peinture afin de créer l’illusion de bordures en pierre. Ces niches créaient également une impression d’uniformité entre les tableaux de différentes dimensions. (MCG 19710261-0334, Collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre)
Les conservateurs déposent au sol le tableau Une unité vétérinaire mobile en France (1917) d’Algernon Talmage. Il a fallu six manutentionnaires pour déplacer chacun des huit tableaux qui pèse approximativement 70 kg. (CWM 19710261-0596, Collection Beaverbrook d’art militaire, Musée canadien de la guerre)
Pendant huit semaines, en mai et juin 2019, la Chambre du Sénat s’est transformée en atelier. Des échafaudages, des chevalets et des plateformes de descente de charge ont été assemblés sur le plancher de la Chambre du Sénat pour aider les conservateurs à descendre et à emballer de façon sécuritaire les huit tableaux illustrant des scènes de guerre.