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La « nouvelle » OTAN et l’évolution du maintien de la paix :

conséquences pour le Canada

Rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères

Président : L’honorable Peter Stollery

Vice-présidente : L’honorable Raynell Andreychuk

Septième rapport

Avril 2000


 LISTE DES MEMBRES

L’honorable Peter Stollery, président (depuis novembre 1999)
L’honorable John B. Stewart, président (jusqu’en novembre 1999)
L’honorable Raynell Andreychuk, vice-présidente 

et 

Les honorables sénateurs :

Norman Atkins Consiglio DiNino
Roch Bolduc Jerahmiel Grafstein
*Bernard Boudreau, c.p. (ou Dan Hays) Rose-Marie Losier-Cool
Pat Carney, c.p. * John Lynch-Staunton (ou Noël Kinsella)
Eymard G. Corbin Nick Taylor
Pierre De Bané, c.p.

 

* Membres d’office 

Les honorables sénateurs Beaudoin, Christensen, Finnerty, Forrestall, Graham, Johnson, Kenny, Lewis, Mahovlich, Meighen, Milne, Perry, Poy, Prud’homme, Robertson, Roche, Rompkey, Spivak et Whelan, faisaient partie du Comité ou ont participé aux travaux de la présente étude. 

Line Gravel
Greffière du Comité


 ORDRE DE RENVOI

Extrait des Journaux du Sénat du jeudi 2 mars 2000.

L'honorable sénateur Stollery propose, appuyé par l'honorable sénateur Cook,

Que par dérogation aux ordres adoptés par le Sénat le jeudi 14 octobre 1999, le mercredi 17 novembre 1999 et le jeudi 16 décembre 1999, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, autorisé à examiner pour en faire rapport les ramifications pour le Canada : 1. de la modification apportée au mandat de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et au rôle du Canada dans l’OTAN depuis la dissolution du pacte de Varsovie, de la fin de la guerre froide et de l’entrée récente dans l’OTAN de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque; et 2. du maintien de la paix, surtout la capacité du Canada d’y participer sous les auspices de n’importe quel organisme international dont le Canada fait partie, soit habilité à présenter son rapport final au plus tard le 14 avril 2000;

Que le Comité conserve les pouvoirs nécessaires à la diffusion des résultats de son étude contenus dans son rapport final, et ce jusqu’au 28 avril 2000; et

Que le Comité soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer son rapport auprès du greffier du Sénat, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

La motion, mise aux voix, est adoptée.

Le greffier du Sénat
Paul Bélisle


Avant-propos

Lorsque la guerre froide a effectivement pris fin en 1989, l’OTAN existait depuis quarante ans. Pendant toutes ces années, son rôle a consisté à protéger l’Europe occidentale contre une possible agression des pays du Pacte de Varsovie. La menace se faisant désormais moins pressante, l’Alliance a dû soudainement se trouver une nouvelle raison d’être. Dès la fin des années 90, non seulement l’OTAN s’était-elle donnée une nouvelle mission de maintien de la paix très différente de son rôle initial de défense collective, mais elle avait accueilli dans ses rangs certains de ses ex-adversaires. Ces changements correspondent à une transformation de ce qui constitue la principale menace à la sécurité mondiale. Depuis la fin de la guerre froide, les troubles internes et les guerres civiles ainsi que la menace pour la paix posée par le terrorisme et par les États parias sont devenus gravement préoccupants. De même, les motifs humanitaires retiennent beaucoup plus l’attention lorsque vient le temps de justifier les interventions de l’ONU et même celles de l’OTAN. Parallèlement, l’Union européenne a continué à prendre de l’ampleur en tant qu’entité politique et économique. C’est ainsi qu’est né le concept de l’Identité européenne de sécurité et de défense.

Dans ce contexte, le Sénat a adopté une résolution le 26 mars 1999 portant « que le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères soit autorisé à examiner pour en faire rapport les ramifications pour le Canada de la modification apportée au mandat de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et au rôle du Canada dans l'OTAN depuis la dissolution du pacte de Varsovie, la fin de la guerre froide et l'entrée récente dans l'OTAN de la Hongrie, de la Pologne et de la République tchèque; et du maintien de la paix, surtout la capacité du Canada d'y participer sous les auspices de n'importe quel organisme international dont le Canada fait partie ».

Pour s’acquitter de son mandat, le Comité a tenu des audiences à Ottawa de même qu’une série d’entrevues dans les capitales européennes, au siège des Nations Unies à New York, et à Washington (D.C.). À cet égard, nous remercions tous les témoins pour leurs précieux conseils, et nous sommes particulièrement reconnaissants aux ambassadeurs du Canada en poste dans les villes où nous nous sommes rendus pour l’aide qu’ils nous ont fournie et pour l’appui précieux et éclairé de leur personnel.

De plus, nous avons été soutenus par un personnel de recherche compétent et diligent, notamment par MM. Peter Berg, Wolfgang Koerner, David Goetz et David Murphy, et avons bénéficié de l’aide inestimable de MM. Jim Mitchell et Nigel Chippindale, du Sussex Circle, pour la rédaction du rapport. Comme toujours, le Comité a pu compter sur la compétence du personnel du Bureau de la traduction, soit Mmes Dominique March, Marielle Papineau et Huguette Pellerin et M. Paul-André Gravelle, traducteurs, et Mme Yolande Guibord, réviseure. Enfin, nous sommes grandement redevables à la greffière du Comité, Mme Line Gravel, de son efficacité et de son soutien indéfectible ainsi que son adjointe administrative Louise Archambeault.

L’essentiel de l’étude a été menée sous la direction du sénateur John B. Stewart, ex-président du Comité. Même après sa retraite en novembre 1999, celui-ci a continué à nous faire profiter de ses précieux conseils. Son savoir et son dévouement exceptionnels manqueront au Comité.

Peter Stollery
président


Table des matières

Introduction

Contexte de l’étude
La démarche du Comité

Chapitre II : Le Canada et l’« ancienne » OTAN

La nature de l’OTAN durant la guerre froide
L’expérience du Canada dans l’« ancienne » OTAN
Conclusions

Chapitre III : La « nouvelle » OTAN

La fin de la guerre froide
Refaçonner l’OTAN
Le nouveau concept stratégique
L’OTAN et l’Union européenne
L’élargissement de l’OTAN
Considérations futures pour le Canada et l’OTAN
Conclusions et recommandations

Chapitre IV : La « nouvelle » OTAN – Questions d’ordre juridique

La légalité des opérations « hors zone »
La légalité des opérations ne découlant pas de l’article 5
La légalité de l’approche unilatérale et les solutions de rechange
Conséquences globales
Conclusions et recommandations

Chapitre V : Le Kosovo

Historique du conflit
La réaction de l’OTAN : opération Force alliée
Les suites
Réflexions et considérations
Conclusions

Chapitre VI : La sécurité humaine et le nouveau maintien de la paix

Le Canada et le concept de sécurité humaine
Le nouveau maintien de la paix
Prendre la sécurité humaine comme point de départ de la politique
Conclusions et recommandations

Chapitre VII : L’Identité européenne de sécurité et de défense

L’évolution de l’IESD
Un rôle permanent pour les États-Unis
Les conséquences pour le Canada
Conclusions et recommandations

Chapitre VIII :Le Parlement et les engagements militaires du Canada

Participation accrue du Canada aux opérations de l’ONU et de l’OTAN
Le droit et la pratique au Canada
Comparaisons
La possibilité d’un rôle accru pour le Parlement
Conclusions et recommandations

Chapitre IX : Le mot de la fin

ANNEXE I :GLOSSAIRE

ANNEXE II : TÉMOINS


Introduction

La présente étude a été entreprise en avril1999 par le Comité sénatorial des affaires étrangères. Conformément au mandat qui lui avait été confié par le Sénat(1), le Comité s’était fixé deux objectifs qui peuvent brièvement se résumer de la façon suivante :

déterminer l’impact du nouveau mandat et de la nouvelle composition de l’OTAN sur le rôle du Canada au sein de l’Alliance;

déterminer quel devrait être le rôle du Canada dans les futures missions de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU ou de l’OTAN.

Ces objectifs ont guidé le Comité tout au long de ses travaux, mais notre perception des enjeux a évolué au fur et à mesure que l’étude avançait.

 

Contexte de l’étude

Lorsque le Comité a commencé ses travaux, il était entendu qu’aucun examen approfondi de la politique du Canada à l’égard de l’OTAN ne s’imposait. Avec ses 50 ans d’existence, l’OTAN était l’une des alliances les plus efficaces jamais formées pour la sécurité, et les mérites du maintien de la paix en tant que vocation de sécurité pour le Canada nous apparaissaient inattaquables.

Nos hypothèses peuvent s’expliquer en partie par le fait que le Canada a entrepris des examens importants de sa politique étrangère et de sa politique de défense il y a quelques années à peine. Ces examens ont été menés en 1993-1994 par deux comités mixtes spéciaux du Sénat et de la Chambre des communes, dont faisaient partie plusieurs de nos membres actuels. Dans l’examen de la défense, on ne remettait pas sérieusement en question la participation du Canada à l’OTAN et, sauf pour une réduction de l’effectif et quelques fermetures de bases et de quartiers généraux, le rôle des Forces canadiennes demeurait essentiellement inchangé. Du côté de la politique étrangère, on estimait en général qu’après l’effondrement de l’Union soviétique, le Canada devait tendre la main aux anciennes républiques soviétiques et aux pays du Pacte de Varsovie. C’est pourquoi l’on a axé les efforts davantage sur des notions plus générales de sécurité mondiale que sur la sécurité militaire et que l’on a recommandé de maintenir la « tradition multilatérale » du Canada.

De plus, les événements en arrière-plan de notre étude actuelle n’étaient pas encore entièrement compris à l’époque des deux examens en question. En fait, certains étaient tout juste en train de se dérouler, notamment les tristes expériences en Somalie et au Rwanda, qui sont d’une importance toute particulière pour les Canadiens. On se souviendra que, dans le premier cas, des crimes avaient été commis par nos propres soldats, et dans le second, un commandant canadien compétent et bien intentionné n’avait pu disposer des pouvoirs et des ressources nécessaires pour mettre fin à un horrible massacre. Le premier événement suscitait des interrogations sur le commandement et le leadership dans les Forces canadiennes, le second révélait de graves lacunes, des incuries même, dans les institutions des Nations Unies.

Cela n’a pas empêché la plupart des Canadiens de continuer à croire au maintien de la paix et à y voir une mission toute indiquée pour les Forces armées canadiennes. Ainsi, aux yeux des Canadiens, le meurtre de Shidane Arone en Somalie est une tragique anomalie dans le comportement des troupes canadiennes. Quant aux événements du Rwanda, beaucoup y ont vu le résultat malheureux des actes d’une institution internationale dépassée par une situation qu’elle ne pouvait ni prédire ni maîtriser.

Les événements des Balkans ont confirmé la principale leçon de ceux du Rwanda, soit que l’inertie bureaucratique, les priorités politiques divergentes et l’absence de volonté politique peuvent être tout aussi meurtrières que n’importe quelle arme sur le champ de bataille(2). Contrairement à la situation du Rwanda, où les faits nous étaient communiqués au compte-gouttes, le « facteur CNN »(3) nous rendait immédiatement accessibles les conflits en Bosnie et au Kosovo, même s’il ne permettait pas toujours de les comprendre. Le conflit au Kosovo, qui se déroulait au moment même où se tenaient les audiences, a suscité d’importantes prises de conscience chez les membres du Comité. Nous n’avions pas l’intention de polariser les discussions sur le Kosovo, ni de traiter cette tragédie comme une étude de cas. Mais, en écoutant nos témoins et en préparant nos questions, nous avons adopté le Kosovo comme point de mire naturel.

Nous avons vite constaté que les rôles actuels de rétablissement de la paix et d’imposition de la paix divergeaient complètement du rôle de maintien de la paix que le Canada défendait depuis des décennies(4). Cette dernière action suppose qu’il y a une paix à maintenir. Elle sous-entend qu’il existe une démarcation géographique entre les parties au conflit et qu’un règlement pourra être négocié lorsque les belligérants seront soit épuisés, soit dans une impasse. Les Nations Unies pourront alors s’interposer entre les factions avec leur consentement.

Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé au Rwanda, en Somalie et dans les Balkans, où les Nations Unies sont intervenues pendant que le conflit faisait rage et sans le plein consentement de toutes les parties. En ex-Yougoslavie, il n’y avait pas toujours de démarcation géographique entre les belligérants, et souvent, il était même difficile d’identifier les acteurs politiques. En essayant de protéger les civils et d’apporter une aide humanitaire, les forces de l’ONU sont entrées immanquablement en conflit avec ceux qui tentaient d’accaparer le pouvoir ou de le conserver.

Par ailleurs, il nous fallait garder à l’esprit que les rédacteurs de la Charte des Nations Unies voulaient avant tout empêcher les actes d’agression d’un État contre un autre. À l’opposé, les conflits mondiaux d’aujourd’hui sont dans une large mesure des guerres civiles, toujours plus difficiles à résoudre. Dans de telles situations, les préceptes de sécurité collective sur lesquels reposent à la fois l’ONU et l’OTAN n’ont qu’une utilité limitée.

Ces dernières années, nous avons vu le concept du maintien de la paix se transformer, passant d’un modèle classique de prévention des hostilités entre États (ou entre collectivités à l’intérieur des États) à un effort plus ambitieux de protection des droits fondamentaux de la personne dans les situations de conflit. Ce nouveau concept de maintien de la paix repose dans une large mesure sur les principes de « sécurité humaine » et d’ « intervention humanitaire », qui sont eux-mêmes en pleine évolution. Ils ont d’ailleurs des implications importantes pour le Canada et pour son rôle dans le monde.

 

La démarche du Comité

Lorsque nous nous sommes penchés sur ces points et sur d’autres points connexes, les questions suivantes sont apparues comme les principales auxquelles il fallait répondre :

Dans le cas d’une intervention du Canada, sous l’égide de l’ONU ou de l’OTAN, dans le conflit intérieur d’un État :

Quel rôle le Parlement devrait-il jouer dans la détermination de l’approche du Canada?

Quels critères devraient déterminer la participation du Canada?

Sous quelle égide le Canada devrait-il exiger que l’intervention se fasse?

Quels sont les liens entre l’OTAN et l’ONU?

Comment le Canada devrait-il envisager la « nouvelle » OTAN et l’Identité européenne de sécurité et de défense (IESD)?

Quelle incidence le concept de sécurité humaine a-t-il sur la politique étrangère du Canada?

Nous nous sommes rendu compte également que le contexte qui permettrait de répondre à ces questions était en constante évolution et que la politique était en train de se définir, explicitement ou de facto, au moment même où se déroulait notre étude. Nous avons constaté que, malgré la fin de la guerre froide, les engagements et la politique de défense du Canada jouent un rôle plus important que jamais dans la politique étrangère canadienne. En particulier, les nouveaux concepts liés à la sécurité humaine sont devenus primordiaux dans la politique de défense et la politique étrangère du Canada, et nous sommes devenus un chef de file dans ce domaine à l’échelle internationale.

Le dernier discours du Trône, par exemple, précisait que : « Le gouvernement accordera une importance accrue à la sécurité humaine dans sa politique étrangère » et que « le gouvernement continuera (…) de veiller à ce que les forces canadiennes soient en mesure d’appuyer le rôle du Canada pour contribuer à la sécurité dans le monde… ».

Ainsi, le nouveau concept de maintien de la paix prend de plus en plus d’importance dans l’orientation de la politique étrangère du Canada. Il a une grande portée sur les relations traditionnelles de défense et de sécurité du Canada, notamment sur notre rôle actuel et futur au sein de l’Alliance de l’OTAN et aux Nations Unies.

 

Structure du rapport

Le Comité croit que le Sénat voudra examiner les répercussions que ces changements dans le monde et ces nouveaux concepts auront sur la politique canadienne.

À cette fin, et pour l’exécution de son mandat, le Comité a examiné les points suivants :

les origines et l’évolution du rôle du Canada à l’OTAN jusqu’à la fin de la guerre froide;

la transformation de l’OTAN dans les années 90 et les répercussions des nouveaux concepts stratégiques sur le rôle du Canada;

les aspects juridiques des nouveaux rôles de l’OTAN, en particulier pour ce qui est des opérations incompatibles avec la perspective traditionnelle de la défense collective;

les événements qui sont survenus au Kosovo et les leçons à en tirer pour la « nouvelle » OTAN et le rôle qu’y joue le Canada;

les répercussions du passage des concepts traditionnels de la sécurité des États au nouveau concept de sécurité humaine;

l’Identité européenne de sécurité et de défense (IESD) et ses conséquences possibles pour le Canada et l’Alliance;

le rôle du Sénat et de la Chambre des communes dans les engagements militaires du Canada à l’étranger et les façons de l’améliorer.

À partir de là, le Comité a formulé les conclusions et les recommandations qui figurent dans les différents chapitres du présent rapport.

Les membres du Comité savent que certaines de leurs recommandations pourraient se révéler difficiles à mettre en œuvre, compte tenu tant de la politique en vigueur que de la capacité du Canada de déployer des forces militaires en application de cette politique. Mais ils croient aussi que le Parlement doit absolument faire un examen attentif du nouvel environnement de sécurité et une évaluation honnête de la place qu’y occupe le Canada pour déterminer ce que ces nouvelles réalités devraient signifier pour la politique de défense et la politique étrangère du Canada.


Chapitre II : Le Canada et l’« ancienne » OTAN

Pendant cinquante ans, l’appartenance à l’OTAN a été l’un des piliers de la politique étrangère canadienne. Au cours des quarante premières années, l’objectif principal de l’Alliance et de la contribution du Canada est demeuré le même, soit assurer la sécurité de l’Occident en cas de confrontation avec les pays du Pacte de Varsovie.

La fin de la guerre froide a presque tout changé en ce qui concerne l’OTAN et les autres aspects de la politique étrangère, comme nous l’expliquons au chapitre III. Mais tout d’abord, il est important de revoir brièvement les origines de l’OTAN et du rôle que le Canada y joue, en partie pour saisir l’importance des changements survenus au cours des dix dernières années, et en partie également pour démontrer que « l’ancienne » organisation et ses objectifs ne sont pas complètement disparus, tout comme les préoccupations de vieille date concernant la contribution et la capacité d’intervention militaire du Canada. Ce sont là des points qui seront examinés plus loin dans le présent rapport.

 

La nature de l’OTAN durant la guerre froide

Le Traité de l’Atlantique Nord a été signé initialement par 12 États membres à Washington, le 4 avril 1949. Quatre autres pays d’Europe se sont joints à l’Alliance entre 1952 et 1982, ce qui complétait la composition de « l’ancienne » OTAN.(5)

L’OTAN est d’abord et avant tout une alliance militaire. Pourtant elle est, et a toujours été, davantage qu’un simple accord de défense collectif au sein duquel les membres s’engagent à s’entraider si l’un d’eux fait l’objet d’une attaque. C’est aussi une alliance politique qui, non seulement, crée un lien entre différents pays autrefois adversaires, mais réunit dans le même giron l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale. Et c’est une communauté de valeurs et d’objectifs en faveur de la démocratie, de la liberté individuelle et de la règle de droit - les valeurs fondamentales de la civilisation occidentale.

 

Article 2 : Une vaste alliance

La portée de la doctrine de l’Alliance est exprimée à l’article 2 du Traité de Washington, qu’on a fini par baptiser l’« article canadien » :

Les parties contribueront au développement de relations internationales pacifiques et amicales en renforçant leurs libres institutions, en assurant une meilleure compréhension des principes sur lesquels ces institutions sont fondées et en développant les conditions propres à assurer la stabilité et le bien-être. Elles s’efforceront d’éliminer toute opposition dans leurs politiques économiques internationales et encourageront la collaboration économique entre chacune d’entre elles ou entre toutes.

Ainsi, même si les partisans canadiens de l’OTAN reconnaissaient que le principal but explicite de l’Alliance serait d’assurer la défense collective, ils savaient qu’il faudrait y associer des objectifs politiques et économiques pour en assurer le succès.(6) Même au début, l’aspect politique prenait le pas sur l’aspect économique, étant donné qu’il y avait déjà le Plan Marshall pour aider à reconstruire l’industrie européenne.

Les thèmes de l’article 2, souvent réitérés en 1948 par le secrétaire d’État aux Affaires extérieures, Louis St-Laurent, ont été plus tard repris par le secrétaire d’État américain, Dean Acheson. Lors d’audiences du Sénat américain sur le Traité de l’Atlantique Nord en 1949, M. Acheson a fait valoir que « l’idée maîtresse du traité n’est pas statique » et que « le Traité de l’Atlantique Nord est beaucoup plus qu’un dispositif de défense. C’est l’affirmation de nos valeurs morales et spirituelles communes ». M. Acheson et d’autres témoins gouvernementaux ont soutenu à ces audiences que ce qu’ils proposaient différait grandement des alliances militaires passées.(7) En d’autres occasions cependant, M. Acheson a affirmé que l’article 2 était « le moins essentiel ».

Le Traité différait des alliances militaires antérieures en ce qu’il reposait sur un appui déclaré en faveur de « la démocratie, la liberté individuelle et la primauté du droit »(8). Pour certains pays, dont le Canada, l’élargissement du mandat de l’OTAN par l’inclusion de l’article 2 était essentiel pour inciter les législateurs à entériner le traité. Inutile de dire que c’est la menace soviétique, et non la persuasion morale, qui a finalement convaincu la plupart des signataires d’adhérer à l’Alliance. Pourtant, comme l’article 2 n’engageait les signataires à aucune mesure précise, sa présence, semble-t-il, apportait quelque chose à chacun sans qu’il ne leur en coûte rien apparemment.

 

Article 5 : La défense collective

L’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord concerne la défense collective(9). Les parties signataires y ont convenu qu’« une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties » et que chacune d’elles « assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord ».(10)

On dit souvent de l’article 5 qu’il implique une riposte « automatique » de la part des États membres en cas d’hostilités. Cette hypothèse ne correspond toutefois pas à une interprétation stricte. Toute action jugée nécessaire est en réalité « laissée à la discrétion de chaque partie, et la force armée n’est perçue que comme une option possible »(11). C’est la façon dont les forces américaines ont été déployées en Europe qui a donné à l’article 5 son vrai sens. Au début des années 50, les États-Unis ont déployé des forces militaires et des armes nucléaires plus avant en Europe, surtout en Allemagne, faisant ainsi en sorte que toute attaque soviétique contre un allié de l’OTAN soit immédiatement perçue comme une attaque contre les États-Unis.(12)

Les stratégies ont évolué au fil des ans, passant d’abord de la menace de « riposte nucléaire massive » à une « riposte graduée ». Par contre, le déploiement de forces américaines est resté inchangé(13). Pendant de nombreuses années, comme il en est question ci-dessous, le Canada a beaucoup contribué à cette stratégie de déploiement.

 

La menace soviétique

À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l’alliance avec l’Union soviétique s’est rapidement dissoute. Lors de nos audiences, des témoins nous ont rappelé que, derrière les inquiétudes grandissantes inspirées par les Soviétiques, se profilait le fait que les dirigeants occidentaux n’avaient pas tardé à constater que « l’Organisation des Nations Unies ne pouvait pas s’acquitter de son mandat initial qui était d’assurer leur sécurité collective contre des agressions internationales ». Le coup d’État de février 1948 en Tchécoslovaquie, le blocus de Berlin plus tard la même année et d’autres affrontements Est-Ouest témoignant des ambitions belliqueuses de Moscou, sont venus renforcer cette conviction. L’une des fonctions de l’OTAN consistait donc à faire en sorte que l’Allemagne de l’Ouest demeure solidement liée à l’alliance politique et militaire occidentale. Tout en étant conçue comme une organisation défensive, l’OTAN devait ainsi assurer la sécurité collective « en poursuivant les mêmes objectifs politiques autant qu’en déployant des armes et des armées ».(14)

La création d’un commandement militaire unifié qui ferait profiter la sécurité européenne à la fois des technologies et des pouvoirs militaires conventionnels, ainsi que du parapluie nucléaire des États-Unis a été d’une importance particulière. Cela répondait à deux objectifs fondamentaux. D’abord, on établissait « le principe voulant qu’une agression soviétique contre des pays membres de l’OTAN ne soit jamais considérée comme un incident isolé ou de portée locale ». Ensuite, « cela donnait aux pays d’Europe occidentale la puissance militaire voulue pour résister aux pressions que l’Union soviétique pourrait exercer pour qu’ils s’alignent avec elle-même s’ils n’étaient pas occupés par des forces soviétiques ». La Finlande en est un bel exemple. Tout en étant un pays démocratique de caractère essentiellement occidental, elle se trouvait, vu la forte présence militaire soviétique à ses frontières, dans l’orbite soviétique.(15)

 

Souplesse des arrangements de l’OTAN

La simplicité du libellé et le manque de détails sont deux éléments importants du Traité de l’Atlantique Nord. « Le Traité ne prévoit ni stratégie militaire précise, ni obligation de créer une structure bureaucratique ou une organisation militaire autre que le Conseil de l’Atlantique Nord et un Comité de défense, tous les deux prévus par l’article 9 »(16). Le Traité offre donc une latitude considérable pour des réformes et des nouveaux mécanismes de coopération. L’intérêt national et l’inertie sont les seules choses qui limitent les possibilités de changement, pas le Traité.

Cette simplicité et ce manque de détails ont permis à l’Alliance de se développer et de s’adapter pour pouvoir atteindre ses objectifs. Aux dires de la plupart des observateurs, c’est là l’une des forces de l’Organisation. Cependant, l’absence de règles formelles signifiait également que la direction de l’Organisation risquait d’être dominée par ses membres les plus puissants et que les processus n’étaient pas toujours aussi transparents que beaucoup le souhaitaient. La souplesse a permis à un petit groupe de faire comme il l’entendait, alors que les autres (dont souvent le Canada) attendaient dans l’antichambre qu’on les informe. Néanmoins, en travaillant avec des pays tels que le Portugal, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, le Canada a pu accroître son influence, surtout durant les premières années de l’Accord atlantique.

La nature du processus de décision de l’Alliance est devenue un sujet de préoccupation au cours de l’enquête du Comité. Les membres du Comité ne sont toujours pas convaincus qu’il soit aussi démocratique et équitable qu’on le prétend. Ils en ont conclu que, dans une alliance démocratique formée de participants volontaires, il faudrait que chacun soit présent à la table lorsque de grandes décisions se discutent.

 

L’expérience du Canada dans l’« ancienne » OTAN

Selon le professeur Robert Bothwell, la participation du Canada à la création de l’OTAN était motivée par trois grandes préoccupations : d’abord, la nécessité « d’entraîner les Américains dans une relation normale avec le reste du monde » afin d’assujettir ce qui était devenu la puissance occidentale dominante aux contraintes des relations multilatérales; ensuite, le besoin de sécurité qui, en 1949, était dicté autant par des considérations idéologiques que militaires, la nécessité de freiner la montée du communisme étant l’une d’elles; enfin, le désir d’établir une grande diversité de liens politiques, économiques et culturels avec l’Europe.(17)

Le Canada estimait également nécessaire de contribuer à maintenir l’engagement des États-Unis en Europe à un moment où de fortes pressions s’exerçaient en faveur d’un retrait; en fait, les pressions isolationnistes d’après-guerre se sont aussi fait sentir au Canada. De même, le Canada était favorable à la création d’une alliance qui allait lier solidement l’Allemagne de l’Ouest en reconstruction aux trois grandes puissances occidentales, à savoir les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France.

 

Premières contributions

Le Canada a participé activement, dès le départ, tant à la défense de l’Europe occidentale qu’à la projection d’une vision atlantiste. Au cours des premières années de l’Alliance, sa contribution militaire à la sécurité européenne a été considérable. Plus fort économiquement, le Canada était devenu, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une grande puissance militaire. On nous attribuait « une obligation de défendre l’Europe de l’Ouest qui dépassait même celle des Européens, auxquels on ne pouvait guère demander plus que de se défendre eux-mêmes et de défendre leur entourage immédiat pendant la première décennie de l’Alliance ». Nous avons accepté cette obligation en prenant la résolution, comme les Américains, d’assumer la responsabilité non seulement de notre propre défense, mais d’en étendre le « parapluie » à nos alliés européens. Notre présence militaire en Europe en est venue à prendre une grande importance politique et opérationnelle.(18)

En 1953, le Canada affectait plus de 8 % de son PIB à la défense, ce qui représentait un accroissement énorme par rapport à 1,4 % en 1947. Pendant la dernière année de la guerre de Corée, le ratio du budget de la défense par rapport au PIB plaçait le Canada au 4e rang des pays membres de l’OTAN. Le budget de la défense représentait alors 45 % de toutes les dépenses fédérales. Par surcroît, le Canada maintenait un Programme d’entraide pour l’Europe grâce auquel, par exemple, la Grande-Bretagne pouvait disposer d’avions de combat avancés, des F-86 Sabre. À partir de 1951, les Forces canadiennes déployées en Europe comprenaient un groupe-brigade bien équipé et une division aérienne qui a fini par compter 12 escadrilles comprenant 240 aéronefs. À un certain moment, l’ARC disposait en Europe d’avions de combat plus avancés que même les Forces aériennes des États-Unis, ce qui a poussé un général américain à faire remarquer au sujet de l’effort militaire dans ce théâtre en 1953  que « la plus forte contribution […] à l’expansion de la défense aérienne de l’Europe occidentale est venue du Canada ».(19)

Il était bien sûr impossible de maintenir une présence aussi forte. Le coût en était simplement trop élevé, sans compter que le Canada avait aussi d’importantes responsabilités en ce qui a trait à la défense de l’Amérique du Nord dans le cadre du NORAD. De plus, le redressement des pays européens allait inévitablement entraîner une diminution de la contribution du Canada. Nos alliés, et même les Canadiens, ont toutefois souvent tendance à oublier l’ampleur de cet engagement initial lorsque la question de la contribution actuelle du Canada à l’OTAN revient sur le tapis.

 

Le rôle de défense et le multilatéralisme

La position stratégique du Canada a toujours été unique, non seulement au sein de l’OTAN mais aussi dans le monde. Aucun autre État, de notre taille surtout, ne se trouve en pareille situation. Nous jouxtons une superpuissance avec laquelle nous entretenons d’étroites relations économiques et qui, dans une large mesure, garantit notre sécurité. Il nous est rarement venu à l’idée de nous lancer seuls, c’est-à-dire sans nos principaux alliés, dans des aventures militaires.

Ces réalités ne sont pas sans conséquence pour la planification militaire et l’activité diplomatique canadiennes. En temps normal, les États peuvent jauger leurs programmes militaires par rapport à la capacité d’un ou de plusieurs ennemis potentiels. Cela n’a pas été notre cas. Les programmes et les activités de défense du Canada ont longtemps eu pour objet la réalisation de nos objectifs en matière de sécurité internationale grâce à une politique d’alliance. Dans le contexte des intérêts nationaux du Canada, c’est le désir de maintenir son influence auprès de ses alliés qui justifie en grande partie sa politique de défense. Ce rôle d’influence a souvent été considérable; en fait, aux dires de certaines des personnes interrogées à Bonn, si le Canada n’avait pas été membre de l’OTAN, l’Alliance n’aurait peut-être pas survécu.

 

Les attentes économiques créées par la participation à l’OTAN

Le Canada s’est fait dire pendant des années, tant par ses dirigeants que par ses alliés, que sa participation à l’OTAN se traduirait par des retombées économiques grâce à l’ouverture des marchés européens aux produits canadiens. Un engagement militaire solide était perçu comme le sésame non seulement de la diplomatie mais aussi des échanges commerciaux. Sur ce dernier plan du moins, la situation a changé. Il semble maintenant que les attentes initiales au sujet des avantages que le Canada pourrait retirer de sa participation à l’OTAN, du point de vue de ses échanges commerciaux avec les pays de l’UE, aient été exagérées. Tandis que le Canada exporte chaque année pour plus de 23 milliards de dollars en biens et services à destination des pays de l’UE, cela ne représente que 1,7 % des importations de l’UE; comparativement, 20 % des importations de l’UE proviennent des États-Unis et 63 %, des membres de l’UE.

 

Les études antérieures réalisées par le Comité montrent toutefois que le mouvement des investissements entre le Canada et l’Europe sont importants, 20 % des investissements du Canada à l’étranger étant faits dans des pays de l’UE et 20 % des investissements étrangers faits au Canada provenant de l’UE(20). De même, le Canada et l’UE ont chacun environ 50 milliards de dollars en immobilisations dans l’économie de l’autre; dans le cas du Canada, les immobilisations de l’UE représentent à peu près le tiers de celles appartenant à des intérêts américains.

Par conséquent, au moment de l’examen par le Comité des relations commerciales du Canada, les membres ont été surpris d’entendre de la bouche de représentants de l’Union européenne que le Canada n’avait aucune importance économique aux yeux des Européens.(21) Ce jugement ne semble pas conforme à l’esprit de l’article 2 ni à la réalité économique.

Le Comité a conclu que les dirigeants européens considèrent la sécurité et le commerce transatlantique comme deux choses tout à fait distinctes, devant être abordées séparément.(22) Ils semblent tenir pour acquis que le Canada continuera de participer à l’OTAN et à ses missions s’il le juge souhaitable pour la sécurité et la défense de son propre territoire.

 

Le manque d’influence, source de frustration

Même s’il a toujours été un loyal partisan de l’OTAN, le Canada a éprouvé des contretemps dès le départ. L’objectif sous-jacent était le désir d’influer sur les décisions concernant tant la sécurité que les questions plus vastes qu’englobe l’article 2. En 1948, avant même la conclusion des pourparlers sur la création de l’Alliance, le premier ministre W.L. Mackenzie King, mécontent qu’on tienne son accord pour acquis dans les discussions sur la riposte au blocus de Berlin, a refusé que le Canada participe au pont aérien.(23)

Au milieu des années 50, craignant d’être exclu du cercle fermé des décideurs que formaient la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis, le Canada s’est joint aux Norvégiens et aux Italiens pour réclamer la démocratisation du processus de décision. Ces initiatives n’ont guère eu de résultats. Selon le professeur Bercuson, lorsque le gouvernement Trudeau a décidé, en 1968, de réorienter la politique étrangère en matière de détente et de réduire notre contribution militaire à l’Alliance, le Canada a été encore plus marginalisé au sein de l’OTAN.(24) Mais ce n’était pas l’avis de tout le monde à l’époque : des documents du Cabinet, déclassifiés récemment, révèlent qu’en 1969, M. Donald Macdonald, ministre de la Défense nationale, avait déclaré que même le retrait complet de nos forces de l’Europe ne nuirait ni à la crédibilité ni à l’influence du Canada(25). Pour plusieurs témoins, le principal effet de la décision du Canada a été d’amener de l’eau au moulin des partisans d’une réduction des efforts américains(26)

Vu dans l’optique des espoirs que le Canada fondait au départ sur l’Alliance, il est permis de conclure que l’OTAN n’a jamais pleinement répondu à ces attentes. Le principal objectif atteint a été d’éviter un conflit armé avec l’Union soviétique en Europe. Cependant, comme l’a dit un des témoins, il est très difficile de savoir dans quelle mesure on doit cette réalisation à l’OTAN.(27)

Ce que le Comité a constaté en revanche, c’est que le Canada a perdu de son influence au sein de l’OTAN au fil des ans. Comme l’a dit le professeur Stairs, « force est de reconnaître que nos contributions militaires aux activités de l'OTAN [ …] sont à ce point réduites que l'on peut difficilement s'attendre à ce qu'elles renforcent significativement notre diplomatie, en tout cas, pas d'une façon qui compte »(28). Il vaut la peine, cependant, de se demander si en accroissant de façon appréciable sa contribution à l’OTAN, le Canada aurait plus d’influence dans la prise de décision.

Pour ce qui est de l’espoir d’assujettir les États-Unis à des relations multilatérales et d’accroître ainsi le poids du Canada, ceux qui ont abordé la question n’y croient pas. Selon le professeur Bercuson, le fait que le Canada préconise l’élargissement de l’OTAN — c’est ainsi que s’exprime actuellement cet espoir — n’a guère eu d’effet sur le poids des États-Unis dans l’Organisation(29). Néanmoins, le fait que le Canada apporte un équilibre demeure un important aspect de son rôle.

 

Critiques de la contribution et de la capacité militaire du Canada

Le président de la commission de la défense de la Chambre des communes britannique, M. Bruce George, n’a pas mâché ses mots pour critiquer l’attitude du Canada. Il trouve qu’un pays de la taille et de la stature du Canada devrait en faire bien davantage, et il reproche au Canada de jouer les poids plume et de ne pas assumer sa juste part du fardeau de l’Alliance. Il pense aussi que la décision du Canada de rapatrier les bombardiers CF-18 stationnés en Allemagne était malavisée. D’autres membres de la commission britannique de la défense ont dit que le Canada devrait accroître ses forces terrestres et réinvestir dans les blindés lourds.

L’opposition conservatrice au sein de cette commission semblait partager les vues de M. George. Toutefois, les autres personnes que nous avons rencontrées lors de nos visites étaient en général beaucoup plus indulgentes, ou du moins beaucoup moins directes, dans leurs commentaires sur la politique de défense et la politique étrangère du Canada. Néanmoins, il est clair que, dans les autres pays membres, les critiques à l’endroit des contributions du Canada à l’OTAN ne sont jamais très loin.

Certains témoins canadiens ont aussi critiqué la contribution et la capacité d’intervention du Canada au fil des ans. Le major-général (à la retraite) Lewis MacKenzie affirme que, même si tous les militaires canadiens déployés à l’étranger étaient rapatriés, le Canada n’arriverait quand même pas à répondre aux engagements qu’il a pris dans le Livre blanc sur la défense de 1994(30). D’autres soutiennent que le Canada a toujours troqué l’envoi de troupes contre un peu d’influence et que, si nous voulons exercer une influence au sein de l’OTAN, nous allons devoir augmenter nos engagements militaires. À cet égard, il ne s’agit pas simplement d’augmenter les effectifs, mais aussi de savoir s’adapter au rythme rapide du perfectionnement du matériel militaire et de fournir des unités bien équipées et entraînées capables de travailler d’égal à égal avec les Américains et d’autres forces. Beaucoup pensent encore que « contribution matérielle » et influence vont de pair.

 

Conclusions

Durant ses quarante premières années d’existence, l’OTAN a évolué, mais elle a toujours été fidèle aux objectifs initiaux de la Charte de Washington. Le Canada a vu son rôle décliner, surtout dans le domaine militaire, mais l’objectif fondamental est demeuré le même : contribuer à assurer la sécurité de tous les membres de l’Alliance contre la menace des pays du Pacte de Varsovie. Alors que la guerre froide tirait à sa fin, l’Europe a entrepris une série de transformations radicales qui ont engendré un nouvel équilibre de la sécurité et remis en question la pertinence de l’OTAN. En même temps, des pressions économiques et sociales dans presque tous les pays occidentaux ont entraîné un nouvel examen des dépenses de défense et abouti très souvent à des réductions importantes des budgets militaires. Ce fut certainement le cas au Canada.

La fin des années 80 a marqué le début de la fin de l’« ancienne » OTAN. Les années 90 ont signifié l’amorce des efforts soutenus en vue de reconstruire l’Alliance dont il est question au chapitre III. En examinant la situation du Canada dans le contexte de l’« ancienne » OTAN, le Comité a pu mieux comprendre les changements survenus depuis, ainsi que les défis auxquels font face aujourd’hui l’OTAN et le Canada.


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