Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 26 - Témoignages du 7 mai 2015


OTTAWA, le jeudi 7 mai 2015

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 35, pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général (sujet : le conflit au Yémen).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international continue d'étudier, dans le cadre de son mandat, les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général.

Aujourd'hui, nous étudions le sujet du conflit au Yémen. Nous accueillons plusieurs témoins d'Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada. Tout d'abord, Carol McQueen, directrice, Direction des relations des États du Golfe, ensuite, Colleen Mapendere, directrice adjointe, Direction des relations des États du Golfe, et enfin, Hibo Robleh, chargée de dossiers pour le Koweït, Oman, le Yémen et Bahreïn.

Lorsque nous ne menons pas d'étude approfondie, nous nous penchons à l'occasion sur des questions et surtout des enjeux de crise qui pourraient avoir des effets sur le rôle du Canada dans les relations internationales multilatérales, mais également bilatérales et régionales; ainsi, le Yémen a joué un rôle crucial relativement aux problèmes de sécurité et de développement dans cette région. Nous vous avons donc demandé de nous fournir des renseignements et une mise à jour, d'un point de vue canadien, sur les enjeux que vous surveillez et sur votre évaluation de la situation, dans la mesure où vous le pouvez, et les sénateurs vous poseront ensuite des questions.

J'aimerais vous souhaiter la bienvenue au comité. Je présume, madame McQueen, que vous livrerez l'exposé. Les autres témoins vous aideront-ils seulement à répondre aux questions?

Carol McQueen, directrice, Direction des relations des États du Golfe, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Ils m'aideront à répondre aux questions.

Madame la présidente et honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invitée aujourd'hui pour vous parler de la situation actuelle au Yémen.

[Français]

Je suis très heureuse de comparaître devant votre comité afin de vous présenter un exposé sur le Yémen.

[Traduction]

Permettez-moi d'abord de vous fournir quelques renseignements d'ordre général sur le Yémen. Il s'agit du pays le plus pauvre de la région du Golfe et il n'est pas membre du Conseil de coopération du Golfe, une organisation régionale qui s'occupe de politique et de sécurité et qui réunit les monarchies du Golfe riches en ressources énergétiques — Bahreïn, le Koweït, l'Oman, le Qatar, l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

Il s'agit d'un petit pays arabe peu peuplé, divisé à parts égales entre la secte chiite zaydite, dans le Nord et le Nord- Ouest, et la secte sunnite shafi, dans le Sud et le Sud-Est. Il a une histoire tumultueuse, marquée par les soulèvements de différents groupes, comme les rébellions des Houthis dans le Nord et celles des militants sécessionnistes dans le Sud.

[Français]

Madame la présidente, les relations entre le Canada et le Yémen sont modestes. Le Canada n'y a pas d'ambassade, même si le Yémen en a une ici depuis 1990. Le commerce bilatéral est peu important, et les exportations du Canada vers le Yémen se chiffraient à 22 millions de dollars en 2014.

[Traduction]

Madame la présidente, en 2011, des affrontements ont eu lieu entre des manifestants inspirés par le Printemps arabe et les forces de l'ordre, lors d'une série de manifestations qui ont fait des centaines de morts dans tout le pays. À la fin de 2011, le président Saleh a alors cédé le pouvoir dans le cadre d'un accord négocié par le Conseil de coopération du Golfe et, en 2012, l'ancien vice-président Hadi a accédé à la présidence après des élections non contestées.

À l'automne 2014, les rebelles houthis ont assiégé la capitale Sanaa pour exprimer leur mécontentement à l'égard du nouveau modèle fédéral, alléguant que celui-ci regroupe leurs territoires dans une région pauvre en ressources et se traduira par leur marginalisation. Après des jours de manifestations, les Houthis et le gouvernement du Yémen ont conclu un accord de partenariat national pour la paix, sous la médiation de l'envoyé spécial des Nations Unies, M. Jamal Benomar. Cependant, cet accord n'a pas tenu et les tensions ont rejailli de plus belle.

La dernière crise a commencé en janvier 2015, lorsque les rebelles houthis ont encerclé le palais présidentiel ainsi que les résidences des principaux ministres dans la capitale, Sanaa. En signe de protestation, le président Hadi ainsi que le premier ministre Bahah et les membres de son Cabinet ont démissionné. Les Houthis ont alors dissous le Parlement et ont imposé une nouvelle structure de gouvernance au Yémen, sonnant le glas du processus de négociations en cours sous la médiation de M. Benomar.

Quelques semaines après son assignation à résidence, le président Hadi s'est enfui pour se réfugier à Aden. Toutefois, en mars 2015, les tensions se sont accentuées après que des avions non identifiés, probablement associés aux forces fidèles à l'ancien président Saleh, ont bombardé la résidence du président Hadi à Aden. Ce dernier a alors décidé de fuir le pays et de se réfugier en Arabie saoudite, où il a demandé une intervention militaire au Yémen pour freiner l'avancée des rebelles houthis.

Le 25 mars, l'Arabie saoudite a lancé l'opération Tempête décisive et a commencé une série de frappes aériennes avec l'aide d'une coalition formée de pays partenaires du Conseil de coopération du Golfe, comme Bahreïn, le Koweït, les Émirats arabes unis et le Qatar, de même que de l'Égypte, de la Jordanie, du Maroc et du Soudan. L'Oman n'a pas participé. La campagne visait d'importantes cibles militaires sous le contrôle des Houthis. De manière générale, la communauté internationale, y compris le Canada, était favorable à l'intervention militaire dirigée par l'Arabie saoudite, et les États-Unis et le Royaume-Uni coordonnent leurs efforts avec ceux de l'Arabie saoudite et de leurs partenaires pour assurer un soutien relatif à la logistique et au renseignement. Le 27 mars, le ministre Nicholson a fait une déclaration dans laquelle il se dit favorable à l'intervention militaire menée par l'Arabie saoudite et ses partenaires du Conseil de coopération du Golfe, qui vise à défendre la frontière de l'Arabie saoudite et à protéger le gouvernement légitime du Yémen, et presse les Houthis de cesser leurs interventions militaires sans tarder. Dans sa déclaration, le Canada s'est dit préoccupé par la détérioration de la situation actuelle au Yémen et exhorte toutes les parties à reprendre les négociations.

L'ingérence accrue et plus directe de l'Iran dans le conflit qui sévit au Yémen, par l'apport d'un soutien financier et militaire aux Houthis, risque de créer un autre front dans la ligne de faille régionale entre l'Iran et l'Arabie saoudite, ce qui prolongera assurément la crise et nuira à la possibilité d'un règlement négocié.

Après presque un mois de bombardements quotidiens, la coalition a annoncé la fin de l'opération Tempête décisive et le début d'une nouvelle phase sous le nom de code Espoir restauré, qui se concentre sur la lutte contre le terrorisme, la sécurité, l'aide humanitaire et la recherche d'une solution politique à la crise. Toutefois, depuis l'annonce de cette nouvelle initiative le 21 avril, les frappes aériennes se poursuivent.

[Français]

Le Yémen demeure l'un des plus grands refuges qui sont sûrs pour les militants islamiques au Moyen-Orient, y compris pour la filiale yéménite d'Al-Qaïda, l'AQAP. Depuis le début des interventions militaires de l'Arabie saoudite, l'AQAP a renforcé sa capacité de mener des activités au Yémen, compte tenu de l'instabilité du pays et du fait que la communauté internationale est plutôt préoccupée par la maîtrise des rebelles houthi.

[Traduction]

L'intervention militaire saoudienne préoccupe vivement les organisations d'aide internationales en raison du grand nombre de civils victimes des frappes aériennes et d'affrontements sur le terrain. Selon des estimations prudentes, depuis le 19 mars 2015, plus de 1 000 personnes ont été tuées, quelque 4 300 ont été blessées et plus de 150 000 personnes ont été déplacées. La communauté internationale est de plus en plus préoccupée par la crise humanitaire. Le 30 avril, le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, a fait une déclaration dans laquelle il appelle à un cessez-le-feu et à une pause humanitaire, en plus d'exhorter toutes les parties à protéger les civils et les infrastructures civiles, et à autoriser l'acheminement, en toute sécurité, de l'aide humanitaire indispensable. Le 10 avril, le ministre Paradis a annoncé une contribution de 11,5 millions de dollars aux secours d'urgence apportés actuellement par différentes organisations humanitaires expérimentées au Yémen.

Pour terminer, madame la présidente, je tiens à souligner que seul un retour à la table des négociations permettra de trouver une solution durable à la crise au Yémen. Le Canada exhorte les Houthis à mettre fin à leurs interventions militaires et soutient les efforts que déploient les Nations Unies et ses alliés au sein du Conseil de coopération du Golfe pour rallier toutes les parties afin qu'elles trouvent une solution pacifique à l'impasse actuelle. Ce qui importe le plus, c'est que le Canada est solidaire du peuple yéménite en cette période difficile.

[Français]

Madame la présidente et honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de m'avoir accordé votre temps et votre écoute attentive. Je reste à votre disposition pour répondre à vos questions ou pour vous fournir tout complément d'information.

Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente : Merci, madame McQueen. J'aimerais seulement formuler un commentaire auquel vous pouvez peut- être répondre. Le Yémen est le résultat de nombreuses discussions politiques internationales qui visaient, il y a longtemps, à créer le Yémen à partir de deux pays. De nombreuses disputes non résolues à l'époque ont continué de s'aggraver.

Dans quelle mesure le conflit d'aujourd'hui est-il le résultat de ces problèmes non résolus entre les différentes parties, et dans quelle mesure le conflit découle-t-il de nouveaux problèmes émergents qui ont polarisé l'Arabie saoudite et l'Iran, autrement dit, les dynamiques politiques d'aujourd'hui?

Mme McQueen : Je dirais qu'il s'agit d'une combinaison de ces deux situations. Oui, certains des problèmes sous- jacents du pays qui existent depuis le début — les mouvements sécessionnistes dans le Sud, le grand nombre de tribus dans le pays — sont tous des facteurs qui ont rendu difficile l'unification de l'État du Yémen, et tous ces éléments persistent aujourd'hui.

L'Arabie saoudite a également participé à des conflits précédents avec le Yémen et certainement en ce qui concerne la question des Houthis, et les Houthis et l'Arabie saoudite se sont déjà fait la guerre. Ce sont des éléments qui compliquent la situation actuelle.

Manifestement, les tensions présentes en Arabie saoudite et en Iran représentent un élément un peu plus récent sur le plan historique, et elles compliquent également le processus de résolution du conflit.

La sénatrice Ataullahjan : J'ai quelques questions. J'ai lu un article du New York Times dans lequel le secrétaire d'État américain, John Kerry, affirme que la crise humanitaire qui sévit au Yémen s'aggrave de jour en jour et où il parle de la possibilité d'un cessez-le-feu, afin qu'on puisse livrer l'aide humanitaire dans la région.

À votre avis, un cessez-le-feu est-il possible à ce stade? Nous observons des pénuries de combustible et les aéroports sont bombardés, et les organismes d'aide ont donc beaucoup de difficultés à se déplacer.

Mme McQueen : Merci d'avoir posé la question. Oui, nous avons entendu cette nouvelle de dernière heure selon laquelle le secrétaire d'État John Kerry a certainement convaincu l'Arabie saoudite de permettre la livraison de l'aide humanitaire. Nous appuyons certainement cette initiative, car nous reconnaissons que la situation humanitaire du pays est difficile.

Je ne peux pas prévoir comment les choses tourneront, mais la situation sur le terrain est très difficile. À mon avis, le vrai défi sera de convaincre toutes les parties sur le terrain d'accepter ce cessez-le-feu. C'est tout ce que je peux dire en ce moment.

La sénatrice Attaullahjan : Vous avez mentionné que l'Oman ne s'était pas allié à l'Arabie saoudite à cet égard. En parlant à certains des parlementaires de l'Oman, j'ai eu l'impression qu'ils joueraient peut-être un rôle de médiation pour les convaincre de s'asseoir à la table pour discuter. Je présume que cela ne s'est pas produit. Nous avons observé que des pays comme le Pakistan, auquel l'Arabie saoudite a demandé de participer à la force de combat, avaient décidé de ne pas le faire. Le parlement a dit non, malgré les liens étroits entre l'Arabie saoudite et le Pakistan.

Nous avons également entendu parler du rôle joué par Al-Qaïda et l'EIIL dans ce conflit. Y a-t-il une part de vérité dans les rumeurs selon lesquelles les bombardements actuels ont renforcé Al-Qaïda ou ont étendu son influence?

Mme McQueen : Oui, et comme vous le savez, l'Oman joue un rôle assez intéressant dans le Golfe, car il parvient à maintenir de bonnes relations avec l'Iran et l'Arabie saoudite et il a parfois été en mesure de mener des discussions ou de faciliter les choses. L'Oman a certainement affirmé qu'il serait prêt à accueillir les négociations, mais jusqu'ici, d'après ce que nous comprenons, on envisagerait deux possibilités, c'est-à-dire de tenir les négociations à Riyad, en mai, ou de passer par l'entremise de l'ONU, par exemple un peu plus loin. Je ne crois donc pas que des discussions sont en cours avec l'Oman en vue d'un cessez-le-feu.

En ce qui concerne Al-Qaïda, oui, c'est absolument le cas — selon nos renseignements, la situation instable actuelle a permis à Al-Qaïda de gagner un peu de terrain. Ses membres ont saisi une ville sur la côte de la mer Rouge et ils ont également capturé certaines pièces d'équipement militaire abandonnées, et cetera. Il s'agit certainement d'une situation que nous surveillons attentivement et qui nous préoccupe beaucoup.

Le sénateur Wells : J'aimerais remercier les témoins de comparaître devant le comité aujourd'hui. J'aimerais vous poser une question au sujet du gouvernement des Houthis. Il semble qu'il ne profite pas d'un appui général dans le pays. Est-il lié d'une façon ou d'une autre aux groupes terroristes qui mènent leurs activités au Yémen?

Mme McQueen : Les Houthis collaborent actuellement avec l'ancien président Saleh. Il est difficile de connaître avec certitude l'étendue de l'appui qu'ils reçoivent dans le pays. Dans certaines régions du Nord, on soutient ardemment ce groupe.

Malheureusement, le président Hadi n'est pas nécessairement très populaire au Yémen et selon moi, la population tente peut-être de trouver une façon d'échapper au problème, mais elle ne sait pas nécessairement comment y arriver.

Les Houthis ont déjà été l'une des parties qui s'opposent à Al-Qaïda. En ce moment, nous n'avons pas de renseignements sur une collaboration. Colleen, avez-vous des renseignements? Non.

Le sénateur Wells : Quel est l'allié le plus proche du gouvernement des Houthis? Est-ce l'Iran?

Mme McQueen : Je dirais que dans le contexte actuel, étant donné son isolation, oui, l'Iran est son plus proche allié.

Le sénateur Wells : À votre avis, quelles seraient les ramifications produites par le fait que son plus proche allié soit l'Iran, un pays opposé à la plupart des désirs de l'Occident et les possibilités d'interventions en vue d'instaurer, je n'ose même pas dire la paix, mais disons une situation plus calme au Yémen?

Mme McQueen : Nous sommes certainement préoccupés de voir que l'Iran a augmenté son aide militaire et son appui aux Houthis. C'est très inquiétant et cela démontre également la mesure dans laquelle l'Iran est souvent prêt à intervenir dans les conflits d'un autre pays. Nous pensons donc que cela pourrait rendre le conflit plus difficile à résoudre.

La sénatrice Eaton : J'aimerais poursuivre les questions du sénateur Wells. Le Yémen est-il vraiment un terrain de bataille entre l'Iran et l'Arabie saoudite pour remplir le vide laissé par ce grand espace appelé l'Irak? N'est-ce pas plutôt un petit champ de bataille pour les chiites et les sunnites modérés? Parce qu'il y a aussi les salafistes, c'est-à-dire des sunnites radicaux, et il me semble qu'une grande partie de l'Arabie saoudite est composée de sunnites modérés, à l'exception des salafistes et des wahhabites. Le Yémen est-il un petit terrain de bataille sur lequel les différentes puissances se battent pour déterminer les dirigeants du Moyen-Orient?

Mme McQueen : D'après ce que je comprends, les luttes historiques qui se sont déroulées au Yémen ne sont pas d'origine sectaire, mais plutôt d'origine tribale ou politique et elles concernent les ressources, et cetera. Par exemple, nous avons rencontré le chargé d'affaires yéménite au Canada et d'autres Yéménites qui parlent des chiites et des sunnites qui fréquentent les mêmes mosquées au Yémen. Il s'ensuit que le problème découle de la ligne de fracture sectaire entre l'Arabie saoudite et l'Iran. En particulier, l'Iran tente de profiter de ce type de situation pour aggraver les choses, mais en son centre, le conflit yéménite n'était pas un conflit sectaire.

La sénatrice Eaton : Cela revient donc au contrôle du Golfe, n'est-ce pas? C'est un élément assez important. Si les Houthis gagnent, pouvons-nous présumer que l'Iran aurait effectivement le contrôle du Golfe, contrairement au Yémen et à l'Arabie saoudite?

Mme McQueen : Eh bien, le Canada s'oppose certainement à ce que les Houthis contrôlent le Yémen. Nous pensons qu'il faut négocier un règlement regroupant toutes les parties et qu'il faut remettre au pouvoir un gouvernement légitime au Yémen. Toutefois, oui, ce serait préoccupant si les Houthis parvenaient à prendre le contrôle du pays.

La sénatrice Eaton : Si vous étiez John Kerry et d'autres personnes qui demandent un cessez-le-feu et un règlement politique, ne devriez-vous pas dans ce cas non seulement obtenir la participation de l'Arabie saoudite aux négociations, mais également celle de l'Iran? Ne s'agit-il pas des gens qui fournissent des armes aux diverses tribus et qui les soutiennent?

Mme McQueen : Je crois que l'article du New York Times auquel on a fait référence plus tôt mentionne également que M. Kerry rencontrera M. Zarif vendredi au sujet de négociations sur la question nucléaire et il se peut qu'ils discutent également du Yémen. Mais je ne sais rien d'autre.

Le sénateur Demers : Je vous remercie de cette excellente présentation. Ce sont là d'excellentes questions. C'est très intéressant. Je ne les aborderai pas toutes. Cependant, pouvez-vous négocier avec ces gens? Est-ce possible? Il semble y avoir conflit après conflit. M. Kerry est là-bas. Nous comprenons le rôle du Canada dans l'équation. Croyez-vous que vous pouvez vous asseoir et négocier une solution politique au Yémen? Je ne sais pas. Je ne suis pas négatif, mais il semble qu'on ne peut tout simplement pas parler avec ces gens. J'espère que ma question a du sens, mais vous ne semblez pas vraiment pouvoir vous asseoir pour trouver une solution. Qu'en pensez-vous? Beaucoup de gens souffrent de ce qui se passe.

Mme McQueen : Je vous remercie de cette question. Je suis également responsable des relations avec l'Irak, donc je sais qu'il y a énormément de conflits au Moyen-Orient qui semblent insolubles et difficiles. Dans tous les cas, nous disons que la solution à long terme passe par un accord négocié politiquement. La diplomatie est la seule façon d'y arriver, mais c'est très difficile. Je pense que pour le Yémen, au moins, il y a un précédent à l'ONU, où l'on a réussi à rassembler les parties pour qu'elles se parlent et s'organisent pour avoir du temps afin de travailler toutes ensemble. Même si c'est très difficile, il faut essayer.

La présidente : Avant de commencer le deuxième tour, nous voyons les tensions au Yémen comme un conflit qui concerne le Yémen et l'Arabie saoudite. Mais depuis les côtes de l'Afrique, on peut presque voir le Yémen de Djibouti. On y observe beaucoup de va-et-vient, de trafic de biens illégaux et de criminalité sur de petits bateaux. Il y a donc peut-être un autre problème d'immigration chaotique et de déstabilisation dans la région du Golfe pour ce qui est du transport, du commerce et des relations internationales.

Dans quelle mesure ces facteurs sont-ils connus et négociés? La situation est-elle perçue comme un enjeu strictement interne qui touche un petit pays? C'est un problème isolé qui a ses propres racines historiques, mais il semble arriver à un point tournant. Si l'on regarde une carte, il y a beaucoup de commerce qui passe par là. Si le chaos règne dans ce pays, des problèmes plus graves vont s'ensuivre. Cela va avoir un énorme effet domino.

Si vous êtes déjà allée à Djibouti, au Soudan et en Égypte, vous savez qu'il y a beaucoup de circulation de biens, bons et mauvais, qui s'y fait. Je suis donc très inquiète si le Yémen est instable. C'est l'une des raisons pour lesquelles ce pays a été créé au départ, c'est-à-dire pour assurer la stabilité de tout le commerce international qui passe par là.

Mme McQueen : Je ne suis pas en mesure de vous parler du point de vue de l'Afrique, parce que ce n'est absolument pas ma responsabilité, mais je pense que la communauté internationale (le Canada et d'autres pays de la région) est consciente du fait que les problèmes au Yémen représentent une grande menace pour la sécurité de la région. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles l'Arabie saoudite a réussi à obtenir le soutien de l'Égypte et d'autres pays d'importance critique, parce qu'ils comprennent qu'en effet, ces eaux revêtent une importance critique pour le commerce international.

Nous savons aussi que la coalition et les États-Unis imposent un blocus naval là-bas et qu'ils patrouillent ces eaux, assurément afin d'essayer de prévenir la propagation du conflit et de protéger ce passage naval.

La sénatrice Cordy : Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Demers. Le 25 avril, l'ONU a nommé un nouvel envoyé pour le Yémen; le précédent avait démissionné. Pour quelles raisons le dernier envoyé a-t-il démissionné? Son mandat était-il terminé ou est-il parti par frustration?

Mme McQueen : Je pense qu'on avait l'impression que l'ancien envoyé avait fait tout ce qu'il pouvait, qu'il occupait ce poste depuis quelques années déjà et qu'il avait réussi à rassembler toutes les parties au début, mais qu'au fur et à mesure que le conflit s'était envenimé, il avait perdu en efficacité. L'ONU a donc décidé de le remplacer.

Le nouvel envoyé spécial, Ismail Ould Cheikh Ahmed, est quelqu'un qui connaît bien le Yémen puisqu'il a déjà été le représentant du PNUD au Yémen. Il connaît déjà certains des acteurs, donc nous espérons que ce sera utile.

La sénatrice Cordy : C'est donc un nouveau visage et un nouveau départ.

Les États-Unis et l'Arabie saoudite ont annoncé un cessez-le-feu de cinq jours. Je pense qu'ils ont dit qu'il commencerait « bientôt », mais je ne sais pas trop quand sera ce « bientôt ». Il n'y aura ni bombardements ni tirs pendant cette période, pour faciliter l'acheminement de l'aide à la population.

Comme ils disent que ce cessez-le-feu va commencer bientôt et non immédiatement, quelles sont les chances qu'il ait effectivement lieu pour que l'aide puisse arriver? Il y a 300 000 personnes qui ont été déplacées de leurs maisons, et beaucoup de gens ont été tués. Les conditions de vie sont lamentables. L'aide que les autres pays leur envoient ne leur parvient pas; elle reste aux ports et aux aéroports.

Quelles sont les chances que ce cessez-le-feu ait effectivement lieu assez bientôt, comme ils le prétendent?

Mme McQueen : J'ai bien peur de ne pas pouvoir répondre à cette question. M. Kerry a travaillé tellement fort pour l'obtenir, parce qu'il est bien conscient, comme la communauté internationale, de la situation humanitaire épouvantable. Espérons que cela va fonctionner, parce que je conviens que ces gens ont besoin de recevoir plus d'aide et de carburant, entre autres, mais je ne peux pas vous dire si cela va bel et bien arriver. Croisons-nous les doigts.

La sénatrice Cordy : M. Kerry ne pourrait probablement pas répondre à cette question non plus, donc vous nous avez donné une réponse honnête.

La sénatrice Beyak : Je vous remercie de votre présentation, madame McQueen. Vous connaissez très bien le Moyen-Orient et vous êtes très à jour sur ce qui se passe. Je suis impressionnée par votre savoir. Je remplace un autre sénateur au comité aujourd'hui, donc je ne sais pas si votre ministère ou le comité en a déjà discuté. Je suis d'accord avec vous pour dire que la négociation est toujours la meilleure option, mais comme l'ayatollah d'Iran a affirmé publiquement, récemment comme souvent auparavant, que son seul but est de nous éradiquer de la surface de la Terre, tout comme Israël, comment peut-on commencer à négocier avec quelqu'un comme cela?

Mme McQueen : C'est une très bonne question. Je me trouve à être également responsable de l'Iran. Par exemple, dans le cas du conflit en Irak, l'Iran ne fait pas partie de la coalition contre l'EIIL et les autres, précisément pour cette raison. C'est la raison pour laquelle je présume qu'en effet, l'Iran est un acteur très problématique et qu'il ne sera probablement pas officiellement inclus dans les négociations.

La sénatrice Ataullahjan : L'ambassadeur du Yémen a demandé hier à l'ONU d'autoriser le recours à des forces terrestres étrangères pour repousser les Houthis. L'ONU a-t-elle répondu à cette demande? Il y a une idée préconçue selon laquelle on ne peut pas gagner une guerre sans présence au sol. Cette lettre pourrait-elle constituer l'assise juridique qui permettrait ce genre d'intervention?

Mme McQueen : Je suis désolée. C'est un tout nouveau rebondissement, nous sommes au courant. Nous avons vu les déclarations faites par le Yémen et la déclaration de l'Arabie saoudite, mais nous n'avons pas encore eu le temps d'analyser le tout attentivement, donc j'ai bien peur de ne pas pouvoir répondre à vos questions à ce sujet.

La sénatrice Ataullahjan : L'Iran a demandé lui aussi un cessez-le-feu à l'ONU en raison des frappes aériennes de l'Arabie saoudite. Je suppose que la situation évolue tous les jours, donc qu'il est difficile de répondre à certaines questions. Merci.

La présidente : Il y a une crise humanitaire; elle diffère quelque peu des enjeux humanitaires qui s'observent ailleurs. Dans quelle mesure analysons-nous le genre d'aide que nous pourrions apporter? Nous sommes très actifs au sein du UNHCR et de l'UNICEF. Nous participons aussi à l'émission de directives. La situation est très différente au Yémen en raison des caractéristiques démographiques et culturelles et des systèmes de soutien qui sont en place. Que pourrions-nous envisager? La simple subsistance, donc l'aide alimentaire, ou songeons-nous à des choses comme une éducation de qualité?

Mme McQueen : Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, le ministre Paradis vient d'annoncer 11,5 millions de dollars en aide humanitaire au Yémen, reconnaissant du même coup à quel point la situation y est difficile, mais je pense que nous ferions mieux de transmettre cette question à nos collègues et si nous le pouvons, de vous répondre ultérieurement.

La présidente : Il ne semble pas y avoir d'autres questions, donc nous vous remercions infiniment de votre perspective et des dernières nouvelles que vous nous avez données sur une situation très grave. Nous apprécions beaucoup l'information que nous avons reçue aujourd'hui.

Chers sénateurs, nous ne nous réunirons pas la semaine prochaine parce que nous allons essayer de mettre la touche finale à trois rapports du comité afin de les déposer rapidement. Le comité de direction va travailler très fort, et le comité aura un peu de répit, de sorte que vous pourrez recevoir ces rapports et commencer à les étudier attentivement pour que nous puissions les adopter avant la relâche d'été. Je tenais à vous en prévenir pour que vous puissiez revoir votre emploi du temps en conséquence.

(La séance est levée.)


Haut de page