Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 27 - Témoignages du 27 mai 2015
OTTAWA, le mercredi 27 mai 2015
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 17, pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général (sujet : l'accord-cadre sur le nucléaire iranien).
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international étudie les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général. Le sujet d'aujourd'hui est l'accord-cadre sur le nucléaire iranien. Les membres du comité se souviendront que nous avons étudié le programme nucléaire de l'Iran, mais aussi son bilan en matière des droits de la personne. Le sujet de l'accord-cadre est d'actualité, étant donné qu'il n'est pas finalisé; c'est l'occasion pour les hauts fonctionnaires d'Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada de nous faire le point sur la situation.
Nous accueillons aujourd'hui Mme Sabine Nolke, directrice générale, Direction générale de la non-prolifération et de la réduction de la menace à la sécurité, ainsi que Mme Carole McQueen, directrice, Direction des relations des États du Golfe. Nous sommes ravis que vous ayez répondu rapidement et que vous soyez en mesure de faire le point sur l'accord-cadre sur le nucléaire iranien. Bienvenue au comité. Ce n'est pas votre première comparution, si bien que vous savez comment nous procédons. Je vous laisse donc la parole pour vos remarques préliminaires, après quoi nous passerons aux questions.
Sabine Nolke, directrice générale, Non-prolifération et réduction de la menace à la sécurité, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Merci beaucoup, madame la présidente. Si vous le permettez, je suggérerais que ce soit ma collègue, Carole McQueen, qui brosse un tableau d'ensemble de la situation politique en Iran, avant que je ne m'attarde plus particulièrement à l'accord-cadre sur le nucléaire. J'espère que cela vous convient.
La présidente : Je vous en prie.
Carol McQueen, directrice, Direction des relations des États du Golfe, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Merci, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Je suis heureuse de prendre la parole aujourd'hui et de vous donner un aperçu de la situation politique générale en Iran.
Le régime iranien consiste en une structure autoritaire complexe où plusieurs factions se disputent le pouvoir et l'influence. Toutefois, le guide suprême iranien, l'ayatollah Khamenei, continue d'exercer le pouvoir politique ultime en Iran. Il utilise fréquemment sa position pour équilibrer les diverses factions, de manière à assurer la survie du régime et à maintenir son contrôle.
Le Conseil des gardiens de la Constitution d'Iran, un groupe de religieux conservateurs ayant des liens étroits avec le guide suprême, est chargé de valider les candidatures présidentielles et parlementaires. Par conséquent, même les candidats prétendument modérés, comme le président Rouhani, sont en fait des initiés du régime qui ont reçu l'approbation du guide suprême et du Conseil des gardiens. Ceux qui menaceraient le contrôle du régime sont exclus des postes d'autorité. À titre d'exemple très médiatisé, mentionnons l'emprisonnement, qui se poursuit, des principales personnalités politiques derrière le Mouvement vert iranien, qui a surgi en 2009, dans la foulée de protestations généralisées contre la corruption politique en Iran.
Madame la présidente, l'évolution des négociations nucléaires au cours des deux dernières années montre que le président Rouhani s'est vu accorder une certaine latitude par le guide suprême afin de résoudre l'impasse sur la question. Son mandat consiste à obtenir la levée des sanctions internationales, qui ont gravement affaibli l'économie iranienne.
[Français]
Même dans un accord nucléaire, il est très improbable que la détresse économique de l'Iran prenne fin avec la levée des sanctions. Il faudra des années et des dizaines de milliards de dollars d'investissements dans le secteur iranien de l'énergie pour que le pays soit en mesure d'atteindre les sommets d'autrefois en exportation de pétrole. En outre, l'Iran est un pays miné par la mauvaise gestion économique et la corruption. Les monopoles d'État sont de la compétence du Guide suprême et du Conseil des gardiens de la Révolution islamique, et exercent un contrôle important sur des sections entières de l'industrie et de la production nationale. Ces monopoles servent à détourner les recettes publiques pour les verser dans les coffres du régime.
[Traduction]
De plus, la situation intérieure reste inquiétante en raison de violations graves et systématiques des droits de la personne par l'imposant appareil de sécurité du régime, qui comprend la police, la magistrature et le Basij, la section volontaire du Corps de la garde révolutionnaire de l'Iran, qui sont tous étroitement liés au guide suprême. Le taux d'exécution a bondi à la suite des élections présidentielles de 2013, et il maintient un rythme élevé. Plus de 340 exécutions ont eu lieu jusqu'à présent cette année, pour une troublante moyenne de 6 exécutions par jour entre le 6 et le 29 avril. Ces données font de l'Iran le deuxième pays du monde où l'on pratique le plus grand nombre d'exécutions.
[Français]
Madame la présidente, les femmes sont victimes de discrimination grave en droit et en pratique, ce qui aggrave les problèmes comme les mariages d'enfants, les mariages précoces et les mariages forcés, et limite leur participation pleine et égale à la vie politique et économique. Le sort des groupes minoritaires n'est guère mieux. Les communautés ethniques et religieuses minoritaires de l'Iran sont régulièrement victimes d'harcèlement, d'arrestations arbitraires et d'emprisonnement, et sont soumises à de graves restrictions à l'emploi et à l'éducation.
[Traduction]
Le gouvernement continue d'interdire la liberté d'expression, d'association et de réunion, en plus de réprimer les médias. Les militants des droits de la personne, les avocats, les journalistes et les utilisateurs moyens des médias sociaux — bref tous ceux qui pourraient contester le discours du régime — font l'objet de harcèlement, d'arrestations et de détentions arbitraires. Des Iraniens ont fait face à des accusations criminelles pour des messages publiés sur les médias sociaux, dont six jeunes condamnés à recevoir des coups de fouet pour avoir publié une vidéo dans laquelle ils dansent au son de la chanson populaire Happy.
Madame la présidente, malgré l'offensive de charme engagée à l'international par le ministre des Affaires étrangères Zarif et par le président Rouhani, la politique étrangère de l'Iran est commandée par les extrémistes du Corps des gardiens de la révolution islamique, ou CGRI, dont le commandant, Qasem Soleimani, est proche du guide suprême. L'hégémonie régionale et la déstabilisation sont les objectifs de politique étrangère de l'Iran. Le soutien de l'Iran envers la Syrie, en collaboration avec son représentant, le Hezbollah, une entité figurant sur la liste des organisations terroristes du Canada, a servi à renforcer le régime d'Assad et à prolonger le conflit, qui a fait plus de 200 000 morts et des millions de déplacés syriens. L'ingérence de l'Iran en Syrie se manifeste aussi par la participation de plus en plus intense du régime en Irak, où l'armement par l'Iran des milices chiites freine l'unification du pays, cruciale pour vaincre le groupe terroriste État islamique en Irak et au Levant, ou EIIL. Il semble aussi que l'Iran offre un soutien économique et militaire limité aux Houthis du Yémen.
Il suffit de jeter un coup d'œil sur le bilan des droits de la personne de l'Iran et ses politiques régionales belligérantes, puis de les comparer au discours prometteur que le président Rouhani présente au monde, pour constater l'écart entre ce que le régime dit et ce qu'il fait. La profonde méfiance du Canada à l'égard des intentions à long terme de l'Iran signifie que le Canada restera sceptique quant à toutes les promesses que fera l'Iran relativement à son programme nucléaire dans le cadre d'une éventuelle entente.
[Français]
Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Mme Nolke : Je vous remercie de l'invitation à comparaître devant votre comité pour discuter des négociations nucléaires en cours entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies , y compris l'Allemagne (les P5+1), et l'Iran, et plus particulièrement de l'accord politique annoncé le 2 avril à Lausanne, en Suisse.
Toutefois, avant de discuter du Cadre de Lausanne, j'aimerais faire le point sur cette question et la situer brièvement dans son contexte.
[Traduction]
Depuis plus d'une décennie, le Canada et d'autres pays aux vues similaires sont vivement préoccupés par les intentions de l'Iran dans le domaine nucléaire. La découverte d'un réacteur nucléaire à eau lourde non déclaré à Arak, et la découverte d'installations d'enrichissement d'uranium clandestines à Natanz en 2002, puis à Fordou en 2009, montrent que ce pays ne respecte pas ses obligations en vertu du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP, ni celles énoncées dans son accord de garanties généralisées avec l'Agence internationale de l'énergie atomique, l'AIEA. Or, l'Iran avait l'obligation de déclarer ces installations nucléaires. Ces cas de non-respect et d'autres violations font douter de sa sincérité lorsqu'il prétend que son programme nucléaire répond à une finalité exclusivement pacifique.
En 2010, ce pays a commencé à enrichir de l'uranium à 20 p. 100. Toutefois, il convient de noter qu'il est beaucoup plus difficile d'enrichir de l'uranium à 20 p. 100 à partir d'un niveau naturel de 0,7 p. 100, que de 20 à 90 p. 100, soit le niveau nécessaire pour fabriquer des armes nucléaires. L'Iran n'a pas démontré qu'il avait besoin d'uranium enrichi à 20 p. 100. Qui plus est, les centrifugeuses utilisées pour enrichir l'uranium à partir de son niveau naturel peuvent servir à produire de l'uranium à usage militaire.
Les antécédents de l'Iran, notamment son influence néfaste sur la région, suscitent de vives préoccupations. Le Canada estime que ce pays constitue l'une des menaces les plus graves pour la paix et la sécurité internationales, en partie en raison du non-respect persistant par le régime iranien de ses obligations dans le domaine nucléaire.
Depuis très longtemps, cette situation est un important obstacle à la non-prolifération. Les pourparlers du groupe P5+1 — c'est-à-dire la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Allemagne — avec l'Iran ont commencé en 2006, et ils ne sont que la dernière d'une série d'initiatives pour y remédier. Ces pourparlers se sont enlisés pendant la dernière partie du mandat de l'ancien président Ahmadinejad, qui était au pouvoir de 2005 à 2013, mais depuis l'investiture du président Rouhani, en août 2013, ils ont repris avec une nouvelle vigueur. Toutefois, selon nous, cette reprise n'est attribuable qu'au marasme économique actuel en Iran, à cause des sanctions internationales, y compris celles imposées par le Canada, les États-Unis, l'Union européenne et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous sommes convaincus qu'il faut tout mettre en œuvre, sur le plan diplomatique, pour remédier à la situation et faire en sorte que l'Iran n'acquière jamais la capacité de fabriquer des armes nucléaires.
En novembre 2013, l'Iran et le groupe P5+1 ont conclu un accord provisoire historique, à savoir le Plan d'action conjoint ou PAC. Il visait à donner au groupe P5+1 et à l'Iran la latitude et le temps nécessaires pour négocier un accord global qui garantisse, de manière vérifiable, la finalité exclusivement pacifique du programme nucléaire iranien. L'accord fixait des limites temporaires aux activités nucléaires iraniennes, en échange d'une suspension limitée et réversible des sanctions. Il était également assorti d'un régime de suivi et de vérification très strict pour s'assurer que l'Iran respecte ses engagements.
Le PAC a pris effet en janvier 2014. Sa durée initiale était de six mois. Sa durée d'application a été prolongée une première fois en juillet 2014, puis une deuxième fois en novembre 2014. À l'heure actuelle, le groupe P5+1 s'attend à ce qu'un accord global soit conclu d'ici le 30 juin 2015. Pour beaucoup, le PAC constituait une étape décisive, car il s'agissait de la première avancée importante depuis une décennie dans ce dossier. L'AIEA continue de confirmer que l'Iran respecte ses engagements en vertu du PAC, en présentant des rapports mensuels de mise en œuvre.
Selon nous, seuls des résultats tangibles et vérifiables permettront de déterminer si l'Iran est vraiment résolu à répondre aux préoccupations suscitées par son programme nucléaire. Dans cette optique, le Canada a récemment versé une contribution de 3 millions de dollars à l'AIEA pour l'aider à surveiller le respect par l'Iran de ses engagements aux termes du PAC. À ce jour, le Canada a versé 4 millions de dollars pour la mise en œuvre du PAC. Des hauts responsables américains ont d'ailleurs exprimé leur vive reconnaissance pour cette contribution.
[Français]
En fait, il existe deux volets distincts, mais qui sont connexes pour tenter de régler la question nucléaire iranienne. Outre le processus des P5+1, des efforts se poursuivent au titre du Cadre de coopération entre l'Agence internationale de l'énergie atomique et l'Iran, conclu en novembre 2013. Ce mécanisme est une façon pour l'agence de s'acquitter de sa mission, soit la vérification des garanties juridiques.
Par le passé, des démarches similaires ont échoué, notamment à cause du refus de coopérer de l'Iran. L'agence a recueilli une quantité substantielle de renseignements permettant de conclure que les activités de recherche nucléaire de l'Iran, pendant au moins les deux dernières décennies, comportaient de possibles dimensions militaires.
C'est ce que nous révèle officiellement l'indice de la mise au point d'explosifs nucléaires. Ces dimensions englobent 12 domaines séparés dont chacun peut être considéré comme un élément essentiel à la mise au point d'une arme nucléaire ou comme facilitant celle-ci. Dans l'ensemble, l'agence a su démontrer de manière convaincante, notamment dans plusieurs rapports du directeur général, que l'Iran poursuivait systématiquement un programme de recherche et de développement lié aux armes nucléaires.
Nous souscrivons pleinement aux conclusions techniques de l'agence. S'agissant du Cadre de coopération en tant que tel, l'Iran tarde toujours à collaborer avec l'agence et ne semble pas vouloir coopérer avec celle-ci ni à répondre aux préoccupations concernant les dimensions militaires possibles de son programme nucléaire.
Par conséquent, même si les P5+1 et l'Iran s'entendent sur une solution diplomatique plus large aux termes de leurs pourparlers, le Canada est fermement convaincu qu'il ne faut pas reléguer ces questions au second plan. Pour la crédibilité et l'intégrité du régime mondial de non-prolifération, il est essentiel que l'Iran apporte une réponse satisfaisante aux préoccupations suscitées par les dimensions militaires possibles. Il doit démontrer que ses scientifiques et ingénieurs ont cessé la recherche et le développement liés aux armes nucléaires.
Pour cela, il doit autoriser l'accès aux documents, aux scientifiques, aux sites et au matériel visé, tel que demandé par l'agence. Le Canada continuera d'insister pour que l'agence bénéficie d'un tel accès.
[Traduction]
Maintenant, parlons du cadre de Lausanne. Le 2 avril, les membres du groupe P5+1, sous la direction de l'Union européenne, ont annoncé qu'ils avaient conclu une entente politique avec l'Iran concernant les principaux paramètres sur lesquels se fonderait un plan d'action conjoint global. Il reste à savoir si l'on pourra parachever et entériner un tel plan avant le 30 juin. Il y a encore beaucoup à faire. Au cours de la troisième semaine d'avril, les réunions entre le groupe P5+1 et l'Iran ont repris en vue de rédiger un plan éventuel et ses annexes techniques. Il est probable qu'elles se poursuivent jusqu'à la date butoir du 30 juin.
D'après le document d'information américain diffusé le 2 avril, si le cadre de Lausanne sert de fondement à un plan d'action conjoint global et que l'Iran le met en œuvre de bonne foi, le temps d'acquisition de l'arme nucléaire par l'Irak sera accru d'au moins un an, pendant 10 ans. Je fournirai des précisions à ce sujet un peu plus loin.
La capacité d'enrichissement de l'Iran diminuera considérablement à cause de la réduction du nombre de centrifugeuses installées et opérationnelles, et de sa réserve d'uranium enrichi.
L'installation d'enrichissement souterraine de Fordou sera réorientée vers la recherche nucléaire, et il sera interdit d'y enrichir de l'uranium pendant au moins 15 ans.
Le réacteur à eau lourde d'Arak sera reconfiguré pour contrer les risques de prolifération.
L'Iran mettra en œuvre le protocole additionnel à son accord de garanties avec l'AIEA, et celle-ci pourra inspecter le cycle complet du combustible à l'uranium, depuis les mines et les usines jusqu'à l'élimination du combustible nucléaire épuisé.
Les sanctions économiques et nucléaires unilatérales des États-Unis et de l'Union européenne seront levées, tout comme celles du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il est probable que cela se fasse par étape, à mesure que l'Iran s'acquittera de ses engagements.
Enfin, les sanctions américaines contre l'Iran, à cause de son soutien au terrorisme et de ses violations graves des droits de la personne, seront maintenues.
L'un des grands objectifs du groupe P5+1 consiste à accroître le temps dont disposent l'AIEA et la communauté internationale pour détecter une activité suspecte, prendre une décision et agir si l'Iran décide soudainement de faire des efforts de façon rapide pour acquérir l'arme nucléaire. Le temps d'acquisition est le temps dont a besoin l'Iran, à partir du moment où il décide de fabriquer une arme nucléaire, pour produire les matières fissiles nécessaires à cette fin, soit de l'uranium enrichi ou du plutonium à usage militaire. L'objectif déclaré du groupe P5+1 est un temps d'acquisition d'au moins un an pour l'Iran. Selon eux, si le Plan d'action conjoint global est parachevé et entériné conformément aux modalités énoncées dans le cadre de Lausanne, il sera possible d'accroître ce délai d'au moins un an, voire plus, par comparaison au délai actuel de deux à trois mois.
[Français]
Même si un plan d'action global est envisageable, il convient de rappeler que le comportement antérieur de l'Iran n'est pas de nature à susciter la confiance. En conséquence, le suivi et la vérification s'avéreront essentiels pour s'assurer que l'Iran utilise son savoir-faire nucléaire à des fins exclusivement pacifiques.
À titre de principal organisme mandaté pour surveiller les activités nucléaires à l'échelon international, l'Agence internationale de l'énergie atomique continuera à jouer le rôle central à cet égard.
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
[Traduction]
Si j'ai dépassé le temps qui m'était alloué, j'en suis désolée, mais ce sont des questions complexes.
La présidente : Merci. Je ne crois pas que votre déclaration ait été trop longue. L'information fournie nous est très utile.
J'aimerais poser quelques questions à Mme McQueen en vue d'obtenir quelques précisions. À propos des droits de la personne, le cas des baha'is est une source de préoccupations pour les Canadiens. Je crois que des leaders baha'is sont emprisonnés depuis maintenant sept ans. Auriez-vous des observations là-dessus? Comment le comportement des Iraniens a-t-il évolué vis-à-vis de la communauté baha'ie?
Mme McQueen : Nous n'avons pas constaté d'amélioration. Depuis l'élection du président Rouhani, nous n'avons observé aucune amélioration dans le dossier des baha'is. Comme vous l'avez dit, certains de leurs leaders sont emprisonnés. Les baha'is ne peuvent pas aller à l'université. Ils n'ont pas la liberté de pratiquer leur religion, et cetera. Pour résumer, la situation ne s'est pas améliorée, et c'est pourquoi le gouvernement du Canada continue de s'exprimer haut et fort à ce sujet. Il a d'ailleurs fait une déclaration publique le jour du septième anniversaire.
La présidente : Madame Nolke, le Canada ne fait pas partie de l'équipe de négociation avec l'Iran. Comment, dans ce cas, le gouvernement reçoit-il de l'information? Quel rôle le Canada joue-t-il?
Mme Nolke : Évidemment, le groupe P5+1 nous informe publiquement de l'état d'avancement des négociations. Dans ma déclaration liminaire, j'ai parlé de la note d'information américaine, que je peux transmettre volontiers au comité, si cela peut vous intéresser. Cette note d'information recense les divers aspects d'une entente éventuelle qu'envisagent les États-Unis. Ce dossier est en partie public. Bien entendu, les membres du P5+1 émettent des commentaires individuellement et publiquement, ce que nous suivons de très près.
Évidemment, le gouvernement s'intéresse tout particulièrement au rôle que joue l'AIEA pour ce qui est de vérifier l'acquittement d'obligations actuelles et futures, ce qui nous amène à rester en contact avec nos alliés. Ces échanges se font par des voies de communication informelles, dont certaines sont très confidentielles, mais nous discutons bel et bien avec nos alliés de l'état des négociations.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Je vous souhaite la bienvenue. C'est toujours plaisant de vous revoir. Je lisais un article hier à ce sujet rédigé par Jeremy Kinsman, un ancien ambassadeur canadien de longue date. Il écrit que selon l'entente, l'Iran sera soumis à un régime d'inspection international le plus exhaustif et intrusif de l'histoire. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation? Comme vous êtes très au courant de ce qui se passe dans le monde, y a-t-il eu, par le passé, ce même genre d'inspection dans d'autres pays en matière d'armes nucléaires?
[Traduction]
Mme Nolke : Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question. Nous ne savons pas encore quelles seront les modalités de l'accord. Nous avons une idée de ce que souhaitent nos alliés, mais les détails techniques, notamment ceux qui concernent les inspections et la réduction des matériaux, n'ont pas encore été arrêtés. Nous ne savons pas ce que comprendra l'accord définitif. Ce serait ma première mise en garde.
La seconde, c'est que rien n'est accepté avant que tout soit accepté. Les thèmes examinés à Lausanne et les sujets, accords et engagements qui ont été validés dans le Plan d'action conjoint de 2013 pourraient prendre une forme différente dans l'accord définitif. L'accord regroupera tous ces éléments.
Je ne suis pas clairvoyante. Je ne peux pas vous dire dans quelle mesure un accord serait plus ou moins onéreux que les dispositions actuelles. À la lumière de ce que nous ont dit nos alliés sur les éléments d'un accord éventuel, je peux vous dire que cet accord sera bel et bien rigoureux. Surtout si l'Iran se conforme à ses obligations à l'endroit de l'AIEA en vertu du TNP et d'un protocole supplémentaire, on peut s'attendre à ce que ces mécanismes de conformité soient les mêmes pour tous. Par le passé toutefois, l'Iran ne s'est pas conformé, ce qui pourrait donner lieu à une surveillance plus étroite par l'AIEA et à un accord plus rigoureux, mais c'est parce que les portes ne lui ont pas toujours été ouvertes. D'après nos observations, l'accord pourrait ne pas être plus rigoureux, mais les parties vont y porter une attention minutieuse. Le Canada a grandement contribué à ce que l'AIEA puisse contrôler le respect de cet accord.
L'AIEA est en Iran une fois par mois, c'est-à-dire qu'elle rend des comptes une fois par mois. Elle est plus active en Iran, mais c'est en raison des négociations en cours et de la volonté que l'Iran se conforme à ses engagements.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Madame McQueen, vous avez sûrement beaucoup d'expérience au sein des Nations Unies, notamment en ce qui concerne la prévention des conflits. Tout à l'heure, vous avez mentionné la date limite du 30 juin, qui est d'ailleurs connue depuis longtemps. Il reste seulement un mois pour finaliser l'entente. Êtes-vous sûre que l'entente sera conclue à la date prévue?
Mme McQueen : Je pense que la question s'adresse à Mme Nolke.
[Traduction]
Mme Nolke : Encore une fois, sauf votre respect madame la sénatrice, je n'ai pas de boule de cristal. L'engagement qu'ont pris nos alliés et, je crois, le gouvernement iranien, c'est d'en arriver à un accord d'ici la fin juin. Ils ont établi cette date butoir et ils s'emploient à la respecter.
Par le passé, il a fallu reporter les négociations à deux reprises. Aurons-nous un accord cette fois-ci? Je ne sais pas, mais nous sommes optimistes. En tout cas, le groupe P5+1 a une grande volonté politique. J'ignore si l'Iran a cette même volonté d'en arriver à un accord utile, efficace et contrôlable et s'il est aussi résolu que le groupe P5+1. Oui, à l'heure actuelle nous sommes optimistes, mais nous l'avons été par le passé aussi.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Madame la présidente, je m'inscris pour un deuxième tour.
[Traduction]
Le sénateur Dawson : Qui dit diplomatie, dit négocier avec ses ennemis. Il ne faut donc pas s'étonner que nous soyons en pourparlers diplomatiques avec un pays qui n'a pas toujours été considéré un ami. Que le groupe P5+1 ou le groupe 3+3, quel que soit leurs noms, négocient avec l'Iran ne me rend pas mal à l'aise. Au sujet de la transparence et des armes de destruction massive, ces mêmes partenaires étaient en négociation avant la guerre en Irak. Nous étions censés trouver des armes de destruction massive, qui évidemment n'existaient pas.
Je crois que c'est mieux de négocier avec un pays que de l'envahir. La guerre en Irak, c'était une erreur, quoi qu'en disent ceux qui souhaitent réécrire l'histoire. La diplomatie, c'est l'art de négocier avec son ennemi.
Vous avez dit que la date butoir était à la fin du mois de juin, mais cette date n'est en fait pas si importante, sachant que rien ne se passe le 1er juillet, sauf la fête du Canada. Si un accord n'est pas conclu avant la fin du mois de juin, je ne crois pas que ce soit dramatique. Bien que le gouvernement ne participe pas aux négociations aussi activement qu'il le devrait, je crois qu'il faut encourager les nations qui y prennent part. Nos six alliés sont très importants. Nous devrions les encourager à poursuivre les pourparlers. Quitte à me répéter, la diplomatie, ce n'est pas négocier avec nos bons amis au sud de la frontière. C'est négocier avec ceux qui nous causent des ennuis.
[Français]
J'aimerais que vous reveniez sur la date butoir. Qu'arrivera-t-il si l'entente n'est pas conclue d'ici au 30 juin? Il n'y a pas de mécanisme pour retirer tout le monde de la table de négociations, si je comprends bien.
[Traduction]
Mme Nolke : Je crois être d'accord avec vous sur toute la ligne. C'était Yitzhak Rabin, je crois, qui avait dit : « On ne fait pas la paix avec ses amis, mais avec ses ennemis. » Il va sans dire qu'une solution diplomatique est dans l'intérêt de tous. Le gouvernement appuie vivement une solution diplomatique.
À propos de la date du 30 juin, l'histoire nous montre que ces dates ne sont pas fixes. L'accord du 2 avril, par exemple, devait être conclu au plus tard le 31 mars. À deux reprises, les négociations ont été prolongées.
Oui, la diplomatie a certainement un rôle à jouer. C'est dans l'intérêt de tous, et nous accueillons à bras ouverts le soutien et les efforts de nos collègues du groupe P5+1 à cet égard. Comme je l'ai déjà indiqué, nous appuyons leurs efforts grâce à des mesures d'aide très concrètes. Je suis d'accord à 100 p. 100.
Le sénateur Dawson : Vous avez piqué notre intérêt lorsque vous avez dit qu'il y a des procédures de négociation en coulisse. Chaque fois que ces voies sont ouvertes et que vous pouvez nous envoyer de l'information sur vos progrès, nous serions heureux de la recevoir. C'était des plus intéressant.
Mme Nolke : Comme vous le savez sans doute, en diplomatie, on parle beaucoup derrière des portes closes, et il arrive qu'on dise des choses qui ne sont pas encore prêtes à être publiées. Nos alliés ont été très ouverts et francs.
Les États-Unis se sont exprimés très publiquement sur l'évolution de cet accord, et je crois qu'ils vont dans la bonne direction.
Le sénateur Dawson : Aujourd'hui, mon collègue a affirmé que certaines choses ne sont pas censées être dites, mais qu'il semble y avoir des fuites d'information. Si jamais vous mettez la main sur une de ces informations, nous aimerions en prendre connaissance.
Mme Nolke : Tout ce qui est public vous sera certainement communiqué.
Le sénateur Dawson : Semi-public.
La présidente : Nous allons vous laisser poursuivre ces négociations.
Je crois que la diplomatie vaut tant pour nos amis que nos ennemis. Cela fait sans doute partie intégrante de la diplomatie. Chaque fois que l'on peut, on devrait recourir aux circuits diplomatiques. Nous pourrions même en faire un tout nouveau sujet de discussion : la diplomatie.
La sénatrice Ataullahjan : J'ai deux questions. D'aucuns croient que les milices appuyées par l'Iran sont les plus aptes à devenir des combattants de l'État islamique, puisque les forces irakiennes n'ont pas eu beaucoup de chance. Mais n'est-ce pas contraire à ce que nos alliés recherchent, car cela ne ferait qu'étendre l'influence de l'Iran dans cette région?
Mme McQueen : Merci de la question. Heureusement, je suis également responsable du dossier de l'Irak; donc, je connais le sujet plutôt bien.
En effet, nous estimons que le soutien de l'Iran aux milices chiites en Irak pourrait être très délétère à long terme, au risque même d'alimenter des violences sectaires. Le problème avec l'Irak, c'est qu'il y a en fait deux types de milices chiites. D'une part, il y a les milices chiites qui existaient avant le conflit, lesquelles sont fortement soutenues, dirigées et armées par l'Iran. D'autre part, il y a des forces de mobilisation populaire, qui ont vu le jour depuis le début de la crise de l'EIIS.
Le gouvernement essaie de faire la distinction entre ces deux groupes et de rassembler les unités de mobilisation populaire sous le contrôle du gouvernement irakien, afin qu'elles puissent aider les sunnites et les autres groupes à lutter contre l'EIIS à long terme et à peut-être constituer ensemble une garde nationale ou une armée intégrée. Voilà la théorie, mais bien entendu, la pratique est très différente, et il est très difficile de faire la distinction entre ces deux groupes.
Nous nous inquiétons énormément de la situation à Ramadi, qui est tombée aux mains de l'EIIS il y a quelques semaines, car cela démontre bien la faiblesse des forces de sécurité irakiennes, c'est-à-dire l'armée irakienne. Il sera d'autant plus difficile d'essayer de recruter des combattants sunnites dans une structure appartenant au gouvernement.
Nous craignons également que l'influence de l'Iran en Irak prenne de l'ampleur dans les régions sunnites, ce qui rendrait d'autant plus difficile la tâche de trouver une solution à long terme au conflit.
La sénatrice Eaton : Et pour compliquer les choses encore davantage, le gouvernement irakien est chiite, n'est-ce pas? L'absence d'une vision inclusive à l'égard des sunnites faisait partie du problème, n'est-ce pas? La situation est-elle toujours la même?
Mme McQueen : Il importe de distinguer entre le gouvernement irakien actuel et celui de M. Maliki, l'ancien premier ministre. Malheureusement, le premier ministre Maliki, un chiite, a fait adopter de nombreuses politiques qui ont marginalisé les sunnites et alimenté le mécontentement, suscitant des problèmes.
Le nouveau gouvernement irakien du premier ministre al-Abadi déploie des efforts concrets pour que le gouvernement soit plus inclusif. Certains postes sont même clairement attribués, au sein du gouvernement irakien. Ainsi, le premier ministre est un chiite, le président est un Kurde, le président de la Chambre, un sunnite. On voit, pour tous les ministères, un effort réel de représentativité.
Aujourd'hui, on ne peut plus dire qu'il s'agit d'un gouvernement chiite, même si les chiites sont majoritaires parmi les parlementaires, par exemple. Dans une certaine mesure, ils occupent plus de postes.
La sénatrice Ataullahjan : Avec l'ayatollah Khomeini bien en selle, vous dites que la plupart des dirigeants du Mouvement vert sont incarcérés. Ce mouvement est-il par conséquent éliminé, ou y a-t-il encore des militants?
Mme McQueen : C'est une excellente question. Je trouve incroyable et admirable à la fois, en Iran, la mesure dans laquelle des réseaux de militants travaillent à la défense des droits de la personne pour favoriser le changement. Ils existent certainement. Il y a des sympathisants des dirigeants incarcérés, et il y a même un député qui a prononcé au Parlement un discours demandant leur libération; on voit donc des vestiges de ce mouvement. Mais en fait, je dois malheureusement dire qu'avec la répression par les forces de sécurité depuis les événements de 2009, il n'y a pas de mouvement populaire parce que les gens ont trop peur pour agir.
La sénatrice Ataullahjan : Pardonnez mon ignorance, mais vous avez dit que l'Iran venait au deuxième rang pour le nombre d'exécutions. Quel pays compte le plus grand nombre d'exécutions?
Mme McQueen : La Chine.
La sénatrice Eaton : Ce sont des questions tout aussi simplistes. Où l'Iran trouve-t-il son uranium?
Mme Nolke : Je voulais demander aux experts des confirmations pour éviter de vous induire en erreur. L'Iran a ses propres sources, ses propres mines, et c'est pourquoi l'accord doit suivre tout le cycle du combustible nucléaire, de l'extraction jusqu'à l'élimination.
Il y a de nombreuses années, l'Iran importait aussi une partie de son uranium de l'Afrique du Sud, et nous croyons qu'il reste une bonne part de ces stocks, mais l'Iran a ses propres mines.
La sénatrice Eaton : À quels autres usages peuvent servir les réserves d'uranium enrichi?
Mme Nolke : C'est la grande question. D'après les rapports de l'AIEA, il n'y a pas de raison de garder de l'uranium enrichi à 20 p. 100. Pour les usages pacifiques, le cycle d'enrichissement oscille entre 3 et 5 p. 100. Nous parlons ici de réacteurs nucléaires et de production énergétique. Aux yeux de l'AIEA, l'enrichissement à 20 p. 100 n'a pas d'autres usages que les préparatifs pour un enrichissement de qualité militaire.
La sénatrice Eaton : Et l'Iran en a des réserves?
Mme Nolke : Oui, il en a.
La sénatrice Eaton : Est-ce que l'accord prévoit l'élimination de ces stocks, ou leur confinement?
Mme Nolke : Je suis désolée, ce sont des questions extrêmement techniques et je ne suis pas une experte en combustible nucléaire...
La présidente : Votre collègue pourrait peut-être répondre à la question technique. Veuillez nous indiquer votre nom et votre titre et, si possible, répondre aux questions techniques.
Mme Nolke : Voilà une très bonne idée, merci.
Peter Cahill, agent principal des politiques (Vérification nucléaire), Direction de la non-prolifération et du désarmement, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Merci, madame la présidente. Je m'appelle Peter Cahill et je travaille pour la Direction de la non-prolifération et du désarmement au sein du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement.
Il y a différents stocks d'uranium sous différentes formes et à des niveaux d'enrichissement divers, en commençant par l'uranium brut qui doit être concentré et broyé à l'usine. L'Iran a de l'uranium enrichi à 20 p. 100, sous forme d'hexafluorure d'uranium, soit une forme gazeuse qui doit être enrichie par centrifugation. En vertu du Plan d'action conjoint, l'Iran l'a converti par exemple en oxyde d'uranium, qui doit être reconverti en forme gazeuse aux fins d'enrichissement. Les stocks enrichis à 20 p. 100 doivent donc être entreposés sous forme d'oxyde d'uranium, dont une partie est convertie en combustible pour les réacteurs, mais pas tout. Après avoir servi de combustible dans un réacteur, le produit est irradié, et il est pratiquement impossible de l'enrichir à nouveau sans risque.
L'Iran a aussi des réserves d'uranium faiblement enrichi, disons jusqu'à 5 p. 100. Selon leur fiche d'information, les États-Unis exigent une réduction de 10 000 à environ 300 kilogrammes. Il faudrait donc réduire ces réserves. C'est la réserve qui compte le plus, parce que la quantité est suffisante, compte tenu de l'enrichissement déjà fait, pour qu'on puisse rapidement convertir ce combustible en uranium de qualité militaire. Il faudrait le réduire de 97 p. 100 en faisant le contraire de l'enrichissement, soit en l'affaiblissant, ou alors en le vendant à d'autres pays qui pourraient en faire un combustible pour leurs réacteurs. Les réserves sont nombreuses.
Le Plan d'action conjoint a pratiquement réglé le cas des réserves enrichies à 20 p. 100, qui sont maintenant dans des états où il faudrait une reconversion pour leur enrichissement. Ces réserves font l'objet d'un suivi. Mais les réserves d'uranium faiblement enrichi seraient également surveillées, si l'accord devait être conclu selon les modalités de la fiche d'information des États-Unis.
Le sénateur Oh : Merci pour les renseignements importants que vous nous donnez. Savez-vous si, pendant les négociations, il a été question de sanctions économiques pour les Iraniens? Je pense que c'est très important pour eux.
Mme Nolke : L'élimination des sanctions fera partie intégrante de l'accord final. C'est envisagé dans l'accord-cadre, aussi. C'est la raison pour laquelle l'Iran se présente à la table de négociation, et c'est ce qui le motive.
La mesure dans laquelle ces sanctions seront éliminées dépendra de la teneur de l'accord éventuel. Il y a divers niveaux de sanctions. Les États-Unis, le Canada et l'Union européenne ont des sanctions unilatérales, mais il y en a d'autres, imposées par le Conseil de sécurité de l'ONU, qui ont une portée mondiale. La teneur de l'accord déterminera quelles sanctions seront levées. Une levée partielle des sanctions a déjà été accordée dans le cadre du Plan d'action conjoint : certains actifs ne font plus l'objet d'un gel, et cela a été fait dans le but d'encourager l'Iran à poursuivre les négociations.
Quelles sanctions seront levées, et quand? Tout dépend de l'accord final.
Le sénateur Oh : D'après mes sources, les Iraniens riches vivent une vie normale et confortable comme la nôtre, et ils conduisent des voitures rapides et luxueuses.
Mme Nolke : Les sanctions du Conseil de sécurité de l'ONU visent précisément le programme nucléaire iranien : les efforts d'approvisionnement, la technologie, les composantes, les matériaux, et cetera. Le gros des sanctions internationales se limite strictement au programme nucléaire.
Les sanctions unilatérales imposées par le Canada, les États-Unis et l'Union européenne visent d'autres régions, mais elles n'ont pas une portée mondiale. Oui, il est vrai que certains membres de la société iranienne peuvent encore se procurer des biens de luxe auprès de ceux qui n'ont pas imposé ce genre de sanctions à leur pays.
La sénatrice Cordy : J'ai trouvé vos commentaires, à la fin de votre déclaration liminaire, très diplomatiques, quand vous avez dit que le comportement antérieur de l'Iran n'est pas de nature à encourager la confiance. C'est une façon diplomatique de le dire.
Vous avez ajouté que le suivi et la vérification s'avéreront essentiels pour qu'on puisse s'assurer que l'Iran utilise son savoir-faire en matière nucléaire à des fins pacifiques. C'est l'AIEA qui s'occupe de la surveillance. L'agence a-t-elle les ressources nécessaires pour assurer une surveillance à long terme? C'est parce que ce serait plutôt coûteux. Le Canada a donné 1 million de dollars pour la surveillance, mais combien le tout va-t-il coûter, et est-ce que l'agence a les ressources nécessaires à long terme?
M. Nolke : C'est une excellente question. En un mot, et le directeur général Amano serait probablement d'accord avec moi, la réponse, c'est non; il leur faudra des fonds additionnels. Le mandat international de l'AIEA, qui est d'assurer la conformité et de faire le suivi des divers accords de garanties, accapare déjà la plus grande partie de son budget. Évidemment, à l'heure actuelle, étant donné l'accent qu'on doit mettre sur l'Iran, cet aspect de son travail pourrait en souffrir. C'est l'une des raisons pour lesquelles le Canada a fait des contributions à l'AIEA; ce n'était pas 1 million de dollars, mais bien 4 millions. Il y a eu un premier montant forfaitaire de 1 million de dollars, suivi d'une autre contribution de 3 millions.
C'est principalement pour que l'AIEA puisse embaucher d'autres inspecteurs. Elle a des effectifs permanents sur place, qui présentent des rapports une fois par mois. Le directeur général dépose des rapports trimestriels sur le respect des engagements qu'a pris l'Iran. Il faut pour cela des ressources, et donc, l'agence a embauché du personnel supplémentaire à cette fin. C'est, en partie, ce à quoi ont servi les fonds que nous avons versés.
Les frais de voyage, d'équipement de protection individuelle, d'analyse d'échantillons nucléaires et les coûts d'exploitation généraux ont tous augmenté. C'est pourquoi l'AIEA a lancé aux pays membres un appel de contribution supplémentaire pour pouvoir poursuivre ses activités.
La sénatrice Cordy : Quels sont les rapports entre l'AIEA, les organismes gouvernementaux ou le gouvernement lui- même? S'agit-il de rapports de soutien, ou cultive-t-on le secret? Comment cela se traduit-il sur le terrain?
Mme Nolke : Voulez-vous dire les rapports entre l'AIEA et d'autres gouvernements, comme celui du Canada?
La sénatrice Cordy : Quand l'AIEA mène ses activités de surveillance, y a-t-il un dialogue avec les organismes publics?
Mme Nolke : Il y a de vastes discussions. J'ai parlé tout à l'heure des 12 dimensions militaires possibles du programme nucléaire iranien. L'analyse de ces 12 éléments est le fruit des discussions que l'AIEA a tenues avec d'autres gouvernements qui recevaient également de l'information, des données et des conclusions d'analyses du renseignement, dans une certaine mesure. Alors oui, il y a une bonne collaboration.
La sénatrice Johnson : C'est une discussion très intéressante, et je vous en remercie. J'ai lu que les anciens secrétaires d'État américains, MM. Kissinger et Schultz, avaient exprimé leurs préoccupations à l'égard de cet accord-cadre, en le jugeant faible ou trop faible, en ce sens qu'il ne fait que restreindre temporairement la capacité nucléaire de l'Iran en échange d'une levée permanente de sanctions. Pourquoi l'Occident veut-il conclure cet accord si celui-ci est tellement bancal?
Mme Nolke : Je ne sais pas si, en ma capacité de fonctionnaire canadienne, il m'appartient de critiquer d'anciens secrétaires d'État des États-Unis. Ils voient les choses, très franchement, en noir et blanc. L'accord n'est pas de si courte durée. Certains aspects de l'accord, et j'ai parlé de la période d'acquisition, seraient contrôlés pendant au moins 10 ans, peut-être même plus. Il ne faut pas oublier que cet accord n'est pas définitif. Nous ne savons pas ce qui va se passer au bout du compte, mais d'autres activités seront surveillées pendant beaucoup plus longtemps, sur une période de 15 ou 25 ans. Ce n'est pas un accord de si courte durée. Ce n'est pas une solution temporaire. Si l'accord, en fin de compte, est assez semblable à la version actuelle, il devra être assez solide.
Mon collaborateur vient de me remettre l'échéancier proposé pour la mise en œuvre. C'est une illustration de la durée de certains aspects de l'accord. Vous pouvez voir une échéance de 25 ans, et celle de 10 ans. Cela va de 10 à 15, 20 et 25 ans, et même au-delà. Ce n'est pas un accord de courte durée; je répète qu'il faudra attendre d'en voir la version définitive.
La sénatrice Johnson : Cela n'aide pas quand les gens font ce genre de commentaires, n'est-ce pas?
Mme Nolke : En fait, ceux d'entre nous qui ne sont pas à la table de négociation n'en connaissent pas exactement toutes les dimensions, et cela comprend effectivement d'anciens fonctionnaires. Nous ne sommes pas là; nous ne sommes pas les négociateurs. Je suis sûre que certains éléments ne sont pas divulgués parce que, comme je l'ai dit, rien n'est convenu tant que tout n'est pas convenu, et cela donnera, à mon avis, un accord délicatement équilibré. Non, il n'est pas utile de faire ce genre de commentaires à l'avance.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Je fais encore référence à l'article de Jeremy Kinsman, qui a écrit que les États-Unis sont de nouveau en conflit avec les musulmans, mais que cette fois-ci ils travaillent tacitement avec leur principal antagoniste musulman, l'Iran, et cela préoccupe Israël. Selon le premier ministre israélien, il s'agit d'une mauvaise entente qui menace la survie même d'Israël. Avez-vous des commentaires à nous faire part sur les préoccupations d'Israël?
[Traduction]
Mme Nolke : Je peux certainement vous dire que les fonctionnaires israéliens ont publiquement déclaré que l'Iran doit pleinement divulguer à l'AIEA toutes les activités de son programme nucléaire qui peuvent avoir une dimension militaire. Cela signifie que l'Iran doit fournir à l'agence tous les renseignements qu'elle demande, ainsi que l'accès aux sites, aux scientifiques et à l'équipement.
J'ai parlé du manque de confiance. Le Canada et d'autres pays partagent ces préoccupations. Nous avons fait des déclarations publiques sur le fait que la vérification est un élément absolument fondamental de l'entente. Oui, Israël s'en inquiète, et à juste titre. Nous nous en inquiétons, et d'autres aussi. La vérification sera la clé.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Croyez-vous que les tensions entre Israël et l'Iran peuvent influencer les négociations en cours et à venir en ce qui concerne l'entente du 30 juin?
[Traduction]
Mme Nolke : Je ne suis pas sûre de pouvoir en parler parce que nous ne sommes pas à la table de négociation.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Vous n'avez pas d'information supplémentaire sur les pourparlers à la table des négociations?
[Traduction]
Mme Nolke : Pardonnez-moi, je ne peux pas lire dans l'esprit des négociateurs pour savoir ce qui les a influencés ou ce qui les a amenés à prendre certaines décisions. Le résultat final de l'entente sera dans l'intérêt de la communauté internationale dans son ensemble, laquelle a, à maintes reprises, exprimé son inquiétude à l'égard des ambitions nucléaires de l'Iran.
La présidente : Parlons d'autres aspects. Nous semblons nous intéresser, à juste titre, à la question nucléaire. Mais dans quelle mesure est-il possible, maintenant, de soulever les questions des droits de la personne au Conseil des droits de l'homme et sur d'autres tribunes, relativement à l'Iran?
Il me semble entendre de moins en moins parler du bilan des droits de la personne, et je pense que ce n'est pas rendre service aux gens qui semblent souffrir de plus en plus. Que faisons-nous pour augmenter la pression dans le dossier des droits de la personne sur les diverses tribunes internationales, où se trouvent certains de nos alliés qui ne participent pas au dossier nucléaire, mais qui se préoccupent des normes internationales en matière de droits de la personne?
Mme McQueen : C'est une excellente question. L'Iran est, en fait, l'un des pays auxquels la communauté internationale s'intéresse de plus près sur le plan des droits de la personne, et ce, de plusieurs façons. Il y a d'abord l'Assemblée générale de Nations Unies, où le Canada dirige depuis 12 ans un débat sur une résolution de l'assemblée générale relativement à la situation des droits de la personne en Iran. Nous avons dirigé ce débat sous l'ancien président et l'actuel président, avant et pendant les négociations actuelles.
Nous n'avons pas encore reçu l'approbation ministérielle, mais nous nous attendons à pouvoir continuer ainsi à l'avenir. Donc, si une entente est signée au mois de juillet, nous travaillerons sur la résolution. Je vous dirais que nos alliés qui sont à la table de négociation, surtout nos proches alliés, appuient le processus et reconnaissent que le dossier des droits de la personne est un dossier distinct de celui du nucléaire et que nous devons continuer de l'examiner.
Le système de l'ONU a également été très important sur le plan des droits de la personne en Iran grâce à la procédure de mandat spécial. Il y a le rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits de l'homme en Iran, M. Shaheed, qui est venu ici il y a quelques semaines; vous l'avez peut-être rencontré. Il rédige un rapport, deux fois par année. Son rapport décrit quelques-unes des doléances les plus graves. Le secrétaire général de l'ONU rédige également un rapport à ce sujet.
L'an dernier, l'Iran a été soumis à l'examen périodique universel au Conseil des droits de l'homme, à Genève. J'y étais lorsque les représentants ont présenté leurs conclusions, et de nombreux pays dans la salle ont exprimé leurs inquiétudes à propos du bilan en matière de droits de la personne.
Je crois que le Canada joue un rôle de leadership très important et qu'il continue de garder le dossier au premier plan. Cependant, la réalité est la suivante. D'après ce que nous observons, et ce qui nous inquiète — et je crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles le Canada continue d'en parler vigoureusement — c'est que certains pays commencent à être influencés par l'offensive de charme du président actuel et par l'idée d'une entente. Ils se disent que l'Iran va mieux et qu'on devrait donc lui donner une chance. C'est en partie pour cela que l'Iran réussit à communiquer sa version des faits, et c'est aussi pour cela que nous croyons que notre rôle consiste à exiger des comptes de l'Iran et à montrer ce qui se passe réellement, par rapport à ce qui est raconté.
Mme Nolke : Les États-Unis ont dit clairement, y compris dans leur fiche d'information publique, qu'ils maintiendront les sanctions qui ont été imposées en raison du soutien de l'Iran au terrorisme, de son programme de missiles balistiques et de ses violations des droits de la personne. Ils ne seront pas influencés par une entente. Il n'est donc pas tout à fait vrai qu'il n'y aura plus de pression dans le dossier des droits de la personne. La pression se maintient.
La présidente : Le rapporteur a dit qu'il est extrêmement difficile de vérifier des allégations ou des plaintes et que le système des Nations Unies dépend souvent des plaintes et des ONG, et cetera.
Le rapporteur n'a pas nécessairement accès à l'information, et les individus qui se servent des nouveaux services ou d'Internet peuvent être identifiés et emprisonnés; donc, cela remet en question le système de vérification en entier. Si on ne réussit pas sur le plan des droits de la personne, comment peut-on réussir dans le dossier nucléaire? Je crois que c'est le dilemme auquel on n'a pas répondu et auquel les négociateurs font face. Jusqu'à quel point pouvons-nous assurer la vérification?
D'après ce que j'ai compris, il y aura un nouveau système de vérification, et on va peut-être alléger les sanctions, mais actuellement, on s'en va dans la mauvaise direction. On a besoin d'un système de vérification directe, légitime, et approfondie; cela ne sera pas graduel parce que la situation n'est pas reluisante, surtout dans le dossier des droits de la personne. C'est ainsi depuis le début.
Mme Nolke : Ces questions sont indissociables et, comme je l'ai dit, il y a un manque de confiance qui sévit. C'est certainement pourquoi les États-Unis ont indiqué que même si leur cadre juridique prévoit la levée de sanctions particulières découlant de cet accord, le cadre de base restera en place. En cas de non-conformité, toute sanction pourra être automatiquement rétablie.
La présidente : Merci d'avoir comparu. Votre contribution a été très utile, et vous avez fait une analyse très détaillée de la situation. Il s'agit d'une situation très grave, et nous avons là une question de politique étrangère d'une importance cruciale. Nous sommes heureux que vous ayez pris le temps de venir à notre comité pour nous donner ces renseignements.
Chers collègues, nous reprendrons nos travaux demain matin. Nous recevrons un groupe de témoins qui nous fourniront de l'information, et je demande que nous tenions ensuite une séance à huis clos de 10 minutes afin que je puisse vous parler des trois études que nous comptons terminer d'ici la fin de l'année. C'est donc à titre d'information, et je trouve important que les membres du comité soient au courant, car nous avons des contraintes de temps. Je veux que vous soyez conscients des sujets à l'étude, des problèmes et de nos objectifs.
La séance est levée.
(La séance est levée.)