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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule no 14 - Témoignages du 6 décembre 2016


OTTAWA, le mardi 6 décembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loiS-3, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription), se réunit aujourd'hui, à 9 h 1, pour procéder à l'étude article par article du projet de loi.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Bonjour. Je voudrais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent la séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, ici même, dans la salle, ou sur le Web. Dans l'intérêt de la réconciliation, je voudrais souligner que nous nous réunissons sur les terres traditionnelles des peuples algonquins.

Je m'appelle Lillian Dyck. J'ai le plaisir, l'honneur et le privilège de présider le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. J'invite maintenant mes collègues sénateurs à se présenter.

Le sénateur Watt: Charlie Watt, Nunavik.

La sénatrice Lovelace Nicholas: Sénatrice Lovelace, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Lankin: Frances Lankin, de l'Ontario.

Le sénateur Maltais: Sénateur Maltais, du Québec..

Le sénateur Oh: Sénateur Oh, de l'Ontario.

La sénatrice Beyak: Sénatrice Lynn Beyak, de l'Ontario.

Le sénateur Tannas: Scott Tannas, de l'Alberta.

Le sénateur Patterson: Dennis Patterson, du Nunavut.

La présidente: Aujourd'hui, nous terminons notre étude du projet de loiS-3, mais, avant que nous ne passions à l'étude article par article, je vais demander au greffier de lire le nom des membres du comité, au cas où nous aurions à procéder à des votes.

Mark Palmer, greffier du comité: L'honorable sénatrice Dyck, l'honorable sénatrice Beyak, l'honorable sénatrice Lovelace Nicholas, l'honorable sénateur Maltais, l'honorable sénatrice Martin, l'honorable sénateur Meredith, l'honorable sénateur Moore, l'honorable sénateur Oh, l'honorable sénateur Patterson, l'honorable sénatrice Raine, l'honorable sénateur Sinclair, l'honorable sénateur Tannas, l'honorable sénateur Carignan, C.P., et l'honorable sénateur Harder, C.P.

La présidente: Avant que nous ne procédions à l'étude article par article, est-ce que quelqu'un a des questions concernant la procédure établie?

Le sénateur Patterson: Madame la présidente, je voudrais présenter une motion concernant le projet de loi, et je voudrais donner une explication avant de le faire.

En tant que critique du projet de loiS-3, j'ai du mal à trouver comment procéder aujourd'hui, et d'autres sénateurs m'ont fait part de leurs difficultés à traiter le projet de loi dans le délai — avouons-le — hâtif dont nous disposions pour l'étudier.

J'ai examiné attentivement tous les témoignages que nous avons entendus au cours des quatre dernières séances du comité, passé en revue les mémoires qui avaient été soumis et écouté le témoignage présenté durant l'étude préliminaire effectuée simultanément à l'autre endroit. Au bout du compte, la grande majorité des témoins ont semblé adresser un conseil clair au comité: n'adoptez pas le projet de loi et prenez le temps de bien faire les choses.

Je voudrais souligner que, même les demandeurs dans le litige qui a suscité la création du projet de loi — l'affaire Descheneaux, ont également adressé le même conseil au comité.

J'ai recensé de nombreuses lacunes dans le projet de loi, à la lumière de l'ensemble de la preuve, et j'ai décrit ces problèmes dans un document que je suis disposé à vous communiquer. Je devrais mentionner que nous avons été incapables de faire traduire les extraits de témoignage et d'autres citations à temps pour la séance.

Je voudrais distribuer le document ce matin. Certaines parties ne sont qu'en anglais, pour l'instant, mais leur traduction est en cours. Si tout le monde accepte que certaines parties du document soient fournies en anglais, madame la présidente, il pourrait vous être remis ce matin.

La présidente: Le comité accepte-t-il que nous procédions à la distribution du document?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Patterson: Merci.

Le document décrit les divers problèmes que j'ai recensés et présente ce que je crois être des citations convaincantes à l'appui de ma position.

Madame la présidente, je ne pense pas que nous puissions faire fi des appels à des consultations significatives, car le projet de loi modifie de façon importante l'accès aux droits pour des milliers de gens de partout au pays. J'ai trouvé cela consternant, et je pense que nous avons tous trouvé qu'il était consternant — et je reconnais les excuses de la ministre — que le gouvernement n'ait pas cru bon dialoguer avec les parties au litige dès le tout début.

Je suis également très préoccupé par la courte période qui nous a été accordée pour étudier le projet de loi. En raison de l'urgence présumée du projet de loi, je suis entré chez moi plus tôt d'un voyage d'observation pour un comité, et j'ai annulé un autre engagement à l'extérieur du pays afin de prendre part à l'étude accélérée du projet de loi.

À ce moment-là, je me suis demandé — et je pense l'avoir mentionné dans mon discours sur le projet de loi présenté au Sénat — comment on peut s'opposer à l'égalité des sexes. Mais, pendant que j'écoutais nos témoins, je suis devenu de plus en plus convaincu que le projet de loi vise en fait l'égalité des sexes seulement pour certaines personnes, malgré le titre «élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription».

Selon moi, le projet de loi doit faire l'objet de nombreuses modifications. Je crois qu'il faudra tenir davantage de consultations — et nous avons entendu parler des lacunes au chapitre des consultations, qui ont été décrites clairement — et qu'il faut accorder plus de temps aux organisations de professionnels et aux experts juridiques et en la matière afin qu'ils puissent se pencher sur toutes les conséquences potentielles du projet de loi.

Si le titre du projet de loi est conservé, nous devons nous assurer que toutes les iniquités fondées sur le sexe — pas seulement celles qui sont simples ou connues, comme l'a laissé entendre la ministre — sont éliminées. Chers collègues, à mon avis, cela veut dire s'assurer qu'il n'y a aucune distinction entre les descendants matrilinéaires et patrilinéaires.

Nos témoins ont présenté plusieurs situations hypothétiques qui donnent à penser que la discrimination fondée sur le sexe perdurerait après l'adoption du projet de loi. Les membres du comité savent peut-être que, même au cours des derniers jours, pas mal de personnes et d'organisations réputées ont communiqué des préoccupations au sujet du projet de loi et du fait de permettre son adoption sous sa forme actuelle.

Un certain débat a eu lieu quant à l'exactitude des interprétations des témoins, et je reconnais cela. Toutefois, je soutiens que le comité n'a ni l'obligation ni le temps de vérifier tous les scénarios présentés et d'effectuer des recherches détaillées à leur sujet. Je crois qu'il a l'obligation de rendre des comptes au Sénat, qu'il ait été convaincu ou non par le témoignage des témoins, afin d'appuyer ou de rejeter le projet de loi. Pour ma part, je penche vers la dernière option.

À la lumière de l'ensemble de la preuve dont nous disposons, je crois qu'il y a des doutes quant au fait que le projet de loi peut donner les résultats promis. Comme je l'ai dit, il vise à éliminer toutes les iniquités fondées sur le sexe.

Je sais que la ministre a fait une distinction claire durant sa comparution en mettant l'accent sur le fait qu'il élimine toutes les iniquités fondées sur le sexe connues, mais, le 22 novembre 2016, la sous-ministre adjointe Joëlle Montminy a déclaré ce qui suit:

C'est ici qu'intervient le projet de loiS-3 qui propose des modifications à la Loi sur les Indiens pour se conformer à la décision de la Cour dans l'affaire Descheneaux, ainsi qu'un objectif visant à éliminer les inégalités fondées sur le sexe.

Voilà la déclaration à laquelle je revenais continuellement pendant que j'examinais tous les témoignages subséquents, alors la distinction de la ministre m'a surpris, du fait qu'elle a été formulée tard dans nos délibérations.

Je l'affirme avec une hésitation considérable, car je reconnais qu'il s'agit d'un projet de loi gouvernemental qui a été présenté au Sénat, mais je crois que nous devons respecter la volonté des élus de l'autre endroit, et je crois vraiment que la bonne chose à faire pour le gouvernement, c'est de retirer le projet de loi et de demander une prorogation. Je ne pense pas que cette initiative devrait être prise à la légère, mais je crois que nous avons l'obligation, en tant que sénateurs indépendants — et le Sénat est de plus en plus indépendant — de prendre la parole et d'agir lorsque nous voyons un projet de loi — surtout un qui porte sur des droits de la personne et des droits prévus dans la Charte — de souligner ses lacunes.

J'ai entendu l'explication du gouvernement concernant les raisons pour lesquelles il croit qu'une prorogation ne changerait rien à la discussion, et, honnêtement, je ne suis pas d'accord avec son raisonnement. Je crois qu'il se fonde sur des hypothèses et que nous ne pouvons pas prendre de décision à l'égard d'un projet de loi qui aura une incidence très importante sur les Premières Nations et sur les droits des femmes en nous fondant sur des hypothèses.

Je souhaite remercier les membres du comité, la marraine du projet de loi et les témoins ministériels, qui ont tous consacré du temps et de l'énergie à la discussion très intense sur le projet de loi et à son étude. Je pense que les transcriptions des séances du comité montreront que nous avons travaillé de bonne foi et que nous avons fait preuve de diligence raisonnable relativement au projet de loi, et je reconnais le travail acharné et le temps que tout le monde a investi à cet égard. Toutefois, les témoignages solides que j'ai entendus — et je crois que, ce que nous avons entendu, c'est que le projet de loi est profondément lacunaire — m'incitent à croire que le gouvernement — pas le Sénat — doit prendre le temps de le corriger.

Merci de m'avoir donné la possibilité de présenter ces explications.

Sur ce, madame la présidente, je souhaite maintenant proposer que le comité rende compte du projet de loiS-3 au Sénat en formulant la recommandation selon laquelle il ne devrait pas être étudié plus avant au Sénat.

La présidente: Merci. Nous pouvons maintenant procéder au débat.

La sénatrice Lankin: En tant que marraine du projet de loi, je vais prendre un instant pour répondre à certaines des questions qu'a soulevées le sénateur Patterson. Laissez-moi dire que j'apprécie la réflexion qui a été investie dans la position du sénateur Patterson et dans la recommandation qui est présentée. Vous ne serez peut-être pas surpris d'apprendre que je ne suis pas d'accord avec lui, et je vais exposer les raisons de ce désaccord.

Toutefois, je veux dire que je pense que la situation dans laquelle nous nous trouvons tous, au Sénat, à la Chambre des communes et à l'exécutif du gouvernement — en vue de traiter de bonne foi avec les peuples autochtones — est essentielle en ce moment et pour nos relations à venir. Il faudrait y réfléchir très attentivement au moment où nous pesons le pour et le contre des arguments.

Il me semble évident qu'il n'y a pas clairement de bonnes et de mauvaises façons de procéder à ce sujet, et je nous exhorterais à réfléchir attentivement à la relation qui est en train d'être établie, aux besoins à combler et aux années passées d'inaction qui nous ont amenés dans cette situation — et c'est une situation malheureuse —, ainsi qu'au rôle du Sénat en ce qui a trait à un texte de loi gouvernemental et à la volonté de la chambre des élus du Parlement.

Laissez-moi en arriver aux arguments qu'a présentés le sénateur Patterson.

Tout d'abord, monsieur le sénateur Patterson, je pense que vous présentez un argument selon lequel la position écrasante adoptée par les groupes qui se sont présentés pour témoigner devant le comité était qu'il devrait y avoir un report et que nous devrions prendre des mesures pour tenter de contraindre le gouvernement, d'une manière ou d'une autre, à demander une prorogation et à prendre le temps de tenir d'autres consultations non seulement sur les iniquités «fondées sur le sexe», mais aussi sur un certain nombre d'autres problèmes, si vous écoutez tous les témoignages.

Je veux demander aux sénateurs de remonter dans le temps et d'essayer de se souvenir des raisons pour lesquelles les gens ont avancé qu'il devrait y avoir une prorogation, car elles étaient très différentes, et, en fait, elles se contredisent. Je pense que c'est important pour comprendre où le gouvernement s'est retrouvé en traçant sa voie stratégique pour l'avenir.

L'exposé que nous avons entendu fait allusion à un certain nombre de personnes — les parties au litige et d'autres — qui ont affirmé qu'il reste du travail à faire en ce qui a trait aux amendements au projet de loi qui devraient être apportés à court terme et ne pas être reportés à l'étape 2 des consultations. Nous pouvons parler de l'avocat des plaidants, M.Schulze, et de la lettre qu'il a récemment envoyée à la sous-ministre adjointe, qui nous a été distribuée à tous. Il a exposé quatre éléments qui, selon lui, devraient être inclus dans le projet de loi et a affirmé que nous devrions demander une prorogation afin d'ajouter ces quatre éléments. Dans cette lettre, il admet qu'aucun des quatre éléments ne porte sur la discrimination fondée sur le sexe. Il importe de se le rappeler. Il admet aussi qu'aucun n'a fait l'objet d'un jugement d'un tribunal qui a cherché à les établir en tant que violations de la Charte. Ils pourraient en être ou non. Notre travail consiste à étudier le projet de loi qui nous est présenté du point de vue de ses conséquences liées à la Charte, pas de nous attacher à l'ensemble de la Loi sur les Indiens. Ce pourrait être un autre exercice très utile à faire pour nous, mais on peut présumer que c'est à cela que servira l'étape 2 du processus.

Donc, dans sa lettre, M.Schulze reconnaît ces deux faits. Je crois que c'est essentiel, et je dirais même qu'en fait cela contredit son argument en faveur d'une prolongation de notre examen.

MmePalmater, Sharon McIvor et, dans une lettre plus récente, Shelagh Day, de l'Alliance féministe pour l'action internationale, ont présenté des arguments très convaincants de vive voix et aussi par écrit, lorsqu'elles se sont adressées à nous au sujet de cette question de la date limite de 1951. Je reconnais que c'est une question épineuse, mais, je le répète, si nous nous y attardons, cette question concerne le statut de la famille, l'âge et des années de dissension. Dans l'affaire McIvor, le tribunal lui-même a refusé de se pencher sur la date limite de 1951 et a déclaré que rien ne prouve qu'il soit possible de soutenir une personne qui est aujourd'hui victime de discrimination et dont la cause est fondée sur la Charte ni d'invoquer la Charte pour contester la date limite de 1951. Est-ce qu'une personne née à la fin des années 1800, il y a cinq générations, aurait même le droit d'invoquer la Charte? Cela n'a jamais été remis en question, mais cette décision permet de croire le contraire.

Qu'est-ce que cette date limite? Combien de temps faut-il pour comprendre les enjeux des différences culturelles, le droit des individus à ce chapitre et la nature de la discrimination, quelle qu'elle soit? Une différence de traitement, cela n'est pas nécessairement de la discrimination aux termes de la Charte. C'est le tribunal qui l'a dit.

Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas chercher à régler cet enjeu. Est-ce que cela veut dire que nous devrions chercher à le régler sans organiser les vastes consultations proposées à l'étape deux? Si vous admettez cela, et si vous reconnaissez qu'il ne s'agit pas simplement de discrimination fondée sur le sexe, cela ne devrait pas empêcher le projet de loi d'aller de l'avant et de traiter des dispositions sur la discrimination fondée sur le sexe qui ont fait l'objet de la décision Descheneaux.

On a beaucoup parlé de l'appel et de l'orientation incidente donnée par le tribunal, qui voudrait qu'on s'attaque à d'autres enjeux de façon que ces enjeux ne dégénèrent pas et ne soient pas constamment soumis aux tribunaux.

J'ai distribué un document qui expose le contenu de la décision Descheneaux, mais aussi de l'orientation, incidente. Cette orientation incidente visait à ce que des mesures allant au-delà de la simple réglementation soient prises. Et c'est ce que fait le présent projet de loi. Il inclut deux dispositions qui ne se trouvaient pas dans la décision Descheneaux, dans une partie de la décision, mais qui concernent clairement la discrimination fondée sur le sexe.

Le gouvernement nous a dit qu'en fait il suivait l'orientation indiquée par le tribunal, dans son opinion incidente, à l'étape 2. C'est une décision stratégique. Ce n'est pas à nous, en tant que membres d'un comité sénatorial, de révéler une décision de cette nature, une décision stratégique du gouvernement, lorsque ce gouvernement, au nom du Canada, aujourd'hui, et au nom de nous tous, a la responsabilité d'établir une relation de nation à nation et l'importance des obligations juridiques et morales en matière de consultation et d'accommodement.

Qu'est-ce que ça signifie, la consultation et l'accommodement? Il y a beaucoup à construire dans ce domaine et beaucoup à comprendre, au fil du temps. Chaque province envisage de manière différente ses obligations quant à la mise en œuvre. Le gouvernement fédéral, en l'occurrence, a mis de l'avant une formule qui, croit-il, est une bonne façon de respecter des considérations stratégiques importantes et très complexes tout en respectant l'obligation de consulter et d'accommoder.

Passons maintenant au témoignage des gens qui ont dit que nous devrions remettre cela, demander une prolongation, et organiser de vastes consultations pour étudier ces questions; leurs témoignages sont très différents de ceux de M.Schulze ou de Mmes Palmater, McIvor ou Day.

Nous avons reçu l'Assemblée des Premières Nations et son chef national. Le chef national a clairement fait savoir qu'à son avis, nous devrions demander une prolongation à très long terme et prendre le temps d'étudier avec tous les autres enjeux les enjeux touchant la discrimination fondée sur le sexe. Il a ajouté un aspect dont personne n'avait parlé, à savoir les questions territoriales et les droits fonciers des membres actuellement visés par un traité en expliquant en quoi l'arrivée de nouveaux membres dans ces bandes aura une incidence à ce chapitre. Tout cela relève d'une motivation et d'un enjeu très différents de ceux des témoins précédents, dont je viens de parler. Il y a donc deux extrêmes et, de chaque côté, des gens qui défendent la même chose, mais en visant un but final différent.

Si nous organisions de plus amples consultations sur tous les enjeux, il resterait quand même jusqu'à 35000 personnes qui n'auraient pas immédiatement accès à ces droits et il se pourrait même, au bout du compte, que cela débouche sur un débat très désagréable sur l'égalité des sexes, qui pourrait susciter la discorde et la discrimination. Cela n'est utile en rien. Encore une fois, le gouvernement cherche à orienter tous ces groupes qui défendent des intérêts ou des considérations contradictoires, et il a pris une décision stratégique. Je ne suis pas certaine de savoir si notre rôle consiste à déterminer si cette décision stratégique est une bonne ou une mauvaise décision. Nous ne l'apprécions peut- être pas. Peut-être que, personnellement, je crois qu'il existe d'autres façons d'aborder ce dossier, mais ce n'est pas le rôle de notre comité sénatorial.

J'aimerais souligner que, parmi les témoins, il y en a qui ont soutenu que nous devrions aller de l'avant. Les intervenants de l'Association des femmes autochtones du Canada ont dit très clairement qu'elles voulaient que ces autres enjeux soient réglés, qu'elles voulaient prendre part à des consultations pleines et entières, tout en reconnaissant les contraintes de temps, et qu'elles voulaient que ce projet de loi soit adopté de façon à régler le problème auquel font face ces femmes, leurs enfants et leurs descendants. Elles reviendront devant nous pour discuter d'autres enjeux, à long terme.

D'autres personnes ont dit qu'elles soutenaient le processus et l'adoption de ce projet de loi, puis le fait de passer à l'étape deux, par exemple, le Congrès des peuples autochtones et Jeanette Corbiere Lavell. Des gens d'opinion différente se demandent s'il faut faire avancer le projet de loi maintenant et mener des consultations sur les autres enjeux ou s'il n'y aurait pas des gens qui aimeraient que les consultations portent sur tous les enjeux, pour différentes raisons. Nous nous retrouvons donc face à un dilemme. C'est dans la nature des consultations entre le Canada et les peuples autochtones, et je ne crois pas que, en ce qui concerne les débats dans les collectivités, l'étape deux sera vraiment du gâteau.

Ce sera important, et, si nous le faisons comme il faut, ce sera une révolution au chapitre de ce qu'il est possible de réaliser dans l'esprit de la réconciliation. Ce n'est pas un point de départ extraordinaire, une loi qui, à mon avis, n'entre pas vraiment dans les attributions d'un comité sénatorial, puisqu'il s'agit d'examiner cette décision stratégique du gouvernement visant à trouver le moyen d'aborder ces enjeux et de déterminer lesquels vont passer à l'étape deux, vu les obligations juridiques et morales touchant la consultation et l'accommodement.

Les gens ont fait état d'un certain nombre d'enjeux qu'ils voudraient voir inclus ici, par exemple en ce qui a trait à l'adoption ou à la mention d'un parent inconnu. Ces enjeux ne sont pas liés à la discrimination fondée sur le sexe. Ils ne sont pas inclus dans la portée de ce projet de loi. C'est pourquoi aucun amendement n'a été présenté au sujet de ces enjeux, puisqu'ils auraient été déclarés irrecevables.

Cela étant, pourquoi avons-nous pris position recommandant de ne pas faire avancer le projet de loi en imposant une autre étape du processus, et demandé une prolongation de façon à pouvoir aborder des enjeux qui sont exclus de la portée du projet de loi?

En ce qui concerne l'un des enjeux, dont certains disent qu'il n'est peut-être pas lié au sexe, c'est-à-dire la date limite de 1951, il faut rappeler les enjeux touchant l'ascendance matrilinéaire, le statut familial et l'âge, et il y a les enjeux liés à la façon dont les tribunaux ont eux-mêmes traité de ces questions, déclarant qu'il s'agit de questions complexes qui ne contreviennent pas nécessairement à la Charte.

Personnellement, j'espère que l'on cherchera à régler cet enjeu ou que, à défaut, les tribunaux en soient saisis et qu'ils déterminent qu'il s'agit d'une violation de la Charte. Il faut trouver un remède, mais, encore une fois, je crois que ces enjeux échappent au mandat de notre comité et aux travaux que nous effectuons aujourd'hui.

J'ai entendu les arguments qui ont été présentés. Pour commencer, l'Association du Barreau Autochtone a relevé une erreur commise pendant la rédaction du projet de loi. Cela veut dire qu'il pourrait y en avoir beaucoup plus et que nous aurons besoin de plus de temps. J'ai même entendu des gens dire que nous devrions consulter davantage sur ce sujet. J'ai entendu des arguments différents, et divers points de vue sur la question, du même sénateur, et, à mon sens, tout cela n'aidera pas le comité à analyser cette cascade d'enjeux très ardue.

Le seul enjeu d'importance, si on parle de discrimination fondée sur le sexe, c'est la date limite de 1951. On peut discuter de l'interprétation de cet enjeu en tant qu'enjeu uniquement fondé sur le sexe. On a adopté une position de principe, en conséquence, étant donné l'obligation de consulter du gouvernement. Je ne crois pas que notre comité soit habilité, au nom du gouvernement, à annuler une politique, à tenter d'annuler une politique ou à présenter une politique.

Si nous passions à l'étude article par article — et il y a des amendements portant sur des articles spécifiques — j'aurais d'autres choses à dire, madame la présidente, touchant les détails. Cependant, pour le moment, sauf si des commentaires me portent à réagir, je ne prendrai plus la parole. Je vais en rester là. Merci.

La présidente: Merci.

Avant de commencer, je crois que ce serait une bonne idée de lire la motion encore une fois, puisque deux ou trois personnes sont arrivées après que la motion a été présentée. La motion dit:

Que le comité rende compte du projet de loiS-3 au Sénat en formulant la recommandation selon laquelle il ne devrait pas être étudié plus avant au Sénat.

La sénatrice Lankin: Madame la présidente, mes collègues sénateurs vont devoir m'aider dans ce dossier, parce que je suis encore en train d'apprendre le processus. Si nous passons à l'étude étape par étape et que nous rendons compte du projet de loi, modifié ou non, est-il possible d'y inclure des observations? C'est ce que je recommanderais, puisque les membres du comité ont beaucoup à dire, d'une même voix, au sujet de la situation dans laquelle nous nous retrouvons tous, puisque c'est notre honte des actes passés qui nous amenés ici, et que nous désirons que ces problèmes soient réglés et que des solutions soient trouvées à l'étape deux.

La présidente: Oui. Merci, madame la sénatrice. Les observations sont une partie du processus normal.

Nous donnons maintenant la parole au sénateur Sinclair.

Le sénateur Sinclair: Si notre comité approuvait cette motion, quels en seraient les impacts? Cela veut-il dire que le comité ne pourra plus jamais étudier cette question, que nous ne pourrons plus présenter d'amendements ou que le Sénat sera appelé à voter pour accepter le compte rendu, mais qu'il pourrait rejeter le compte rendu et que notre comité en sera de nouveau saisi et devra y travailler?

La présidente: Merci.

Le greffier vient tout juste de confirmer que, si la motion était adoptée, nous allons devoir présenter un compte rendu — j'espère que j'ai bien compris —, que ce compte rendu faisant état de nos actions sera présenté au Sénat et que, alors, en Chambre, le Sénat pourra débattre du compte rendu et l'accepter ou le rejeter.

Le sénateur Sinclair: Et que se passera-t-il, s'il n'est pas accepté? Voilà ma question. Est-ce que cela veut dire que nous allons poursuivre nos travaux, ici?

La présidente: Non, il y aura la troisième lecture en Chambre.

Le sénateur Sinclair: Il restera en Chambre pour la troisième lecture?

La présidente: Oui.

Le sénateur Sinclair: Et à ce moment-là, il faudra examiner les amendements?

La présidente: Oui.

Le sénateur Sinclair: C'est que j'ai des amendements que j'aimerais proposer. Cela nous empêchera de proposer des amendements et de débattre du projet de loi, à ce moment-là?

La présidente: Ici et maintenant, oui, mais, selon ce qui se passera en Chambre, nous pourrions y revenir.

Le sénateur Sinclair: Je comprends. Il n'est pas possible pour le moment que notre comité étudie des amendements.

La présidente: Si la motion est adoptée, non, aucun amendement ne sera examiné.

Le sénateur Sinclair: Je m'excuse d'être arrivé en retard. J'assistais à la réunion de préparation du plumitif, et c'est pourquoi je n'ai pas entendu les arguments en faveur de la motion, s'il y en a eu. Peut-être qu'il n'y en a pas eu, mais je n'ai pas entendu les arguments en faveur.

La présidente: Oui, le sénateur Patterson a présenté des arguments. Une copie imprimée a été distribuée. Vous n'avez probablement pas de copie.

Le sénateur Sinclair: Je viens tout juste de voir un document préparé par le sénateur Patterson. S'agit-il de ce document?

La présidente: Oui, et il l'a brièvement présenté.

Le sénateur Sinclair: D'accord. Alors, j'aimerais faire quelques commentaires touchant la demande qui a été présentée selon laquelle le comité devrait cesser ses délibérations et présenter son compte rendu en recommandant que le projet de loi ne soit pas étudié plus avant au Sénat. Je crois que ce serait une terrible erreur, et cela, pour les raisons dont nous avons discuté lors de notre dernière réunion, à laquelle malheureusement tous les sénateurs ne sont pas restés jusqu'au moment où nous avons pris la parole à huis clos.

Le projet de loi a été préparé en réponse à une décision des tribunaux, qui portait sur les dispositions discriminatoires de la loi, lesquelles avaient été soulevées dans l'affaire Descheneaux qui concerne bien sûr tous les membres de la famille Descheneaux.

Lorsque cette affaire avait été abordée, à notre dernière séance à huis clos, j'avais fait valoir — et je réalise que cela ne figurait pas au compte rendu et que tout le monde n'est peut-être pas au courant — qu'il ne fait aucun doute que ce projet de loi n'abordait pas tous les enjeux liés à la discrimination fondée sur le sexe. La proposition de l'Association du Barreau Autochtone visait à s'attaquer à ce qui constitue à mon avis la plus importante exclusion des politiques du gouvernement touchant la discrimination fondée sur le sexe.

Permettez-moi de dire que, de manière générale, on pourrait dire que la discrimination fondée sur le sexe se poursuit dans deux domaines. Le premier a trait à la période qui a suivi l'année 1951, au cours de laquelle les enfants illégitimes étaient traités différemment selon qu'ils étaient issus d'une femme ou d'un homme ayant un statut en vertu de la Loi sur les Indiens. Les enfants illégitimes des hommes, lorsque le projet de loiC-31 a été adopté, ont eu la possibilité de s'inscrire en application du paragraphe6(1) et de transmettre leur statut à leurs enfants. Les enfants illégitimes des femmes, selon le projet de loiC-31, pouvaient être inscrits en application du paragraphe6(2), mais ne pouvaient pas transmettre leur statut à leurs enfants.

La discrimination fondée sur le sexe, à mon avis, devait faire l'objet d'un débat, et il fallait apporter un correctif. L'ABA a relevé cette faille et proposé un amendement, et Justice Canada a répondu en disant être prêt à soutenir un amendement.

L'amendement que je voulais proposer, pendant l'étude article par article de ce projet de loi, était qu'il fallait un amendement pour régler ce problème.

La question de la date limite de 1951, toute cette question de la façon dont les femmes étaient traitées avant 1951, des répercussions de ce traitement, fait que ce traitement s'est maintenu à certains égards après 1951, après que la Loi sur les Indiens a été modifiée. Les dispositions de la Loi sur les Indiens prévoient toujours que les enfants des femmes qui ont dû se marier avec un non-Indien ou qui avaient perdu leur statut et avaient été obligées de retirer leur inscription ne sont pas inclus dans la Loi sur les Indiens.

Eh bien, cette question a été soulevée devant la ministre, la dernière fois, et débattue. Cela concerne une très grande catégorie de gens; on parle probablement de dizaines de milliers de personnes. Sharon McIvor a fait des commentaires à ce sujet, lorsqu'elle a présenté un exposé devant le comité, elle aussi. Nous devons tous reconnaître que, si nous modifions le projet de loi pour que toutes les personnes nées avant 1951 soient comprises dans un amendement, cet amendement s'appliquerait à un très grand nombre de personnes.

J'ai lu la lettre que nous a envoyée M.Schulze, un avocat de la famille Descheneaux, qui persiste à dire que, tant que la catégorie des gens nés avant 1951 est exclue, le projet de loi reste en contradiction avec la Charte. Je ne suis pas en désaccord avec lui, en fait. Je crois qu'il est très possible de soutenir que cela contrevient toujours à la Charte, pas nécessairement au motif de la discrimination fondée sur le sexe, mais au motif de la situation de la famille, ou peut-être, d'une autre catégorie de motifs de discrimination.

Quoi qu'il en soit, ce que la ministre n'a pas dit clairement, et mon opinion est la même sur ce sujet, c'est que ce n'est pas tout simplement parce qu'un projet de loi contrevient à la Charte qu'il sera nécessairement supprimé, puisque nous ne devons jamais oublier qu'il est possible d'adopter un projet de loi qui contrevient à la Charte si le gouvernement peut justifier que, en vertu de l'article premier de la Charte, la discrimination est nécessaire à l'intérêt public. En l'occurrence, étant donné le nombre effarant de gens qui pourraient par ailleurs devenir membres, si la date limite de 1951 était éliminée, et étant donné les commentaires de la Cour suprême et de la Cour d'appel de la Colombie- Britannique déjà formulés au sujet de l'affaire McIvor, les tribunaux ayant refusé de se pencher sur la catégorie des personnes nées avant 1951, je crois que l'argument voulant que l'invoque l'article premier, c'est-à-dire qu'il est justifié de continuer à utiliser la date limite de 1951, jouit d'un très fort soutien.

Le gouvernement s'est engagé à renvoyer cette question du groupe des gens visés par la date limite de 1951 à une analyse, au cours de la deuxième étape, une analyse qui permettra de déterminer quels seraient les impacts, quels seraient les chiffres et si le gouvernement et les membres des Premières Nations qui sont touchés devraient essayer d'en arriver à une entente afin de trouver une solution.

MmeMcIvor, dans l'exposé qu'elle nous a présenté, a fait valoir très justement que cela continue à créer une catégorie différente de personnes, les personnes nées après 1951, et elle a donné des exemples tirés de sa situation familiale particulière. Je ne mets pas cela en doute, mais, si le gouvernement peut démontrer que cela est justifié, je crois qu'il a le droit de le faire. Mais ce n'est pas à nous de dire que le projet de loi ne tient pas parce que le gouvernement doit faire valoir son point devant les tribunaux. Notre responsabilité, à mon avis, consiste à étudier le projet de loi afin de déterminer s'il satisfait aux exigences énoncées dans la décision de la Cour dans l'affaire Descheneaux. Comme je l'ai dit à la dernière réunion, à mon avis, ces exigences sont satisfaites avec l'amendement proposé par l'ABA, car l'amendement proposé offre une solution adéquate au problème des enfants illégitimes des femmes prises dans l'impasse du projet de loiC-31, autrement dit, la question de la distinction entre les frères et sœurs et les cousins et cousines.

Avec cet amendement, en supposant qu'il obtient le soutien de notre comité, je crois que nous serions probablement plus avisés de permettre au projet de loi d'aller de l'avant de façon que le registraire puisse inscrire toutes ces personnes et que le gouvernement puisse renvoyer toutes les autres questions susceptibles de contrevenir à la Charte à l'étape deux de l'étude.

Pour le moment, si nous refusions que le projet de loi aille de l'avant, nous nous retrouverions en somme à courir le risque que les tribunaux le rejettent. Qu'est-ce que les tribunaux pourraient faire, en février, ou encore qu'est-ce que les tribunaux pourraient faire au regard de la date butoir de février? Il me semble qu'il y a dans cette motion une hypothèse intrinsèque selon laquelle, d'une façon ou d'une autre, les tribunaux vont par magie accorder une prolongation en donnant au gouvernement plus de temps pour étudier la question avant de rédiger son projet de loi.

Le gouvernement doit rédiger un projet de loi, à défaut de quoi, le 17 février, personne ne pourra plus s'inscrire en application de la Loi sur les Indiens, puisque le paragraphe6(1) aura été révoqué et que personne n'aura plus le droit de s'inscrire. Les répercussions seront négatives et nuiront à tous ceux qui ne peuvent pas faire aboutir leur demande.

Le fait que le registraire ne puisse plus inscrire qui que ce soit après cette période — nous avons entendu la ministre le dire, le registraire s'est présenté ici et a dit la même chose — me cause une grande inquiétude, si les tribunaux n'accordent pas de prolongation.

Si la cour accorde une prolongation, elle sera assortie de conditions. La cour ne se contentera pas de dire: «Je vous accorde six mois de plus.» La cour imposera des conditions à cette prolongation. Quelles seront ces conditions? Je ne le sais pas, et vous ne le savez pas. Si c'est le cas, pourquoi renvoyons-nous cette affaire aux tribunaux en disant: «Trouvez une solution, parce que nous n'en sommes pas capables»?

Nous pouvons trouver une solution; nous pouvons trouver une solution si nous adoptons ce projet de loi en disant au gouvernement: «Allez-y, passez à l'étape deux.» Conformément à l'engagement que la ministre a pris devant nous, disant qu'elle viendrait présenter un compte rendu à notre comité et à la Chambre au sujet de ce qu'elle va faire — et de ce qu'elle a fait et de ce qu'elle fera en ce qui concerne ces consultations —, si nous ajoutons une disposition à ce projet de loi, si nous modifions ce projet de loi pour exiger, de par la loi, que la ministre revienne présenter un compte rendu devant notre comité et au comité de la Chambre à propos du travail qu'elle effectue, nous pourrions apporter une contribution importante et contrôler un peu ce que le gouvernement fait.

Rejeter ce projet de loi, ce serait, je crois, irresponsable, nous ne devrions pas faire cela; nous ne devrions pas traiter ainsi les peuples autochtones. Mon opinion est que nous avons déjà laissé les gouvernements précédents créer un véritable gâchis. Nous disons maintenant que nous allons gâcher encore un peu plus tout cela et que plus personne ne saura avec certitude qui, à l'avenir, pourra ou non s'inscrire. Nous ne savons pas si les tribunaux vont vous accorder une prolongation et vous ne savez pas non plus s'ils vont assortit cette prolongation de conditions.

Nous pouvons régler tout de suite le projet de loi, car nous avons un plan et nous avons la capacité d'apporter les amendements nécessaires. Je suis d'accord pour dire que le projet de loi n'est pas parfait et qu'il faut le modifier, mais je crois possible de formuler des amendements portant sur la situation relativement à la date limite de 1951 sur laquelle l'ABA s'est penchée. Nous devons maintenir la pression sur la ministre, je parle pour notre comité et le comité de la Chambre, de façon à pouvoir, en tant que comité sénatorial, continuer à contribuer à ce qui se passera à l'avenir.

Je me déclare donc contre la motion qui viserait à faire traîner encore les choses en renvoyant le projet de loi devant la Chambre sans une recommandation visant à appuyer le projet de loi. Si nous demandions au Sénat de ne pas approuver le projet de loi, nous ne ferions que brouiller encore plus les cartes. Le fait est que nous ne devrions pas faire cela. Je crois que ce serait irresponsable, de notre part, de déposer une telle motion.

Le sénateur Meredith: Je suis tout à fait d'accord avec la sénatrice Lankin et le sénateur Sinclair, j'approuve leurs commentaires touchant ce projet de loi.

Lors de notre dernière réunion, le sénateur Tannas avait posé à la ministre des questions concernant l'inscription et certains des commentaires formulés au sujet des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription. Le qualificatif, monsieur Tannas, c'est l'inscription. C'est le point essentiel, et je crois que l'ABA l'a compris, et qu'elle s'y est attachée.

Je crois qu'il est important pour nous d'examiner les textes de loi que nous avons adoptés, dans le passé, et qui n'étaient pas parfaits. Je pense en disant cela à la dernière inscription des membres des peuples autochtones de Terre- Neuve. Ce n'était pas non plus un projet de loi parfait; toutefois, notre comité l'avait adopté.

Je vois la même chose se passer ici. La ministre a comparu devant nous, de même que la sous-ministre adjointe et d'autres témoins. Les témoins ont dit qu'ils n'avaient pas été consultés et que le gouvernement avait laissé tomber cet aspect, tout simplement. Ce qui me préoccupe, c'est que ces personnes feront maintenant face à d'autres répercussions. Le sénateur Sinclair l'a clairement montré, en parlant de l'inscription.

Il est important que notre comité ne prenne pas l'habitude de faire obstruction et qu'il laisse les lois aller de l'avant; la ministre s'est engagée à ce qu'il y ait une étape deux et aussi que notre comité pourra participer pleinement à ce qui se passera pendant l'étape deux.

Je recommande que nous laissions le projet de loi suivre son cours et que nous ne consultions pas davantage les 25000 à 35000 personnes qui seront touchées par le projet de loi. Il importe de voir et de signaler les failles des projets de loi, ce que nous avons fait en ce qui concerne les observations, et c'est la procédure normale du comité; toutefois, le fait de bloquer systématiquement le projet de loi serait complètement irresponsable de notre part. Je crois que nous devrions poursuivre le processus et aller de l'avant.

Par conséquent, je ne peux pas soutenir à ce stade de recommandations visant à bloquer le projet de loi. Nous devons être pragmatiques et concentrés. Nous devons voir les failles des projets de loi. Nous devons reconnaître les gens qui sont touchés et nous assurer de faire ce qui s'impose.

Sous l'administration précédente, les projets de loi qui étaient présentés au comité comportaient des failles, et nous sommes quand même allés de l'avant. La situation est similaire. Il est important que nous reconnaissions les déficiences, mais aussi la possibilité d'arranger les choses à l'avenir. Pour ma part, en tant que membre du comité, j'estime qu'il est essentiel que nous laissions le projet de loi aller de l'avant, encore une fois, avec les recommandations qui ont été acceptées et soulignées par l'ABA. Nous devons nous assurer que les gens qui ont besoin de ce projet de loi pouvant effectivement en profiter, qu'ils sont dûment inscrits et que — je dois insister sur ce qui suit — les iniquités en matière d'inscription sont corrigées.

[Français]

Le sénateur Maltais: Tout d'abord, je tiens à souligner que je suis ici à titre de remplaçant. Je n'irai donc pas au fond du dossier. Cependant, j'ai écouté attentivement les longs réquisitoires de la sénatrice Lankin et du sénateur Sinclair. Toutefois, mes propos seront plutôt axés sur le rôle du Sénat.

Nous sommes des parlementaires et nous avons un travail législatif à faire. Je tiens à vous préciser que le Sénat existe de par la Constitution et que son rôle est dévolu aux comités. Lorsque le Sénat décide de renvoyer un projet de loi pour étude à un comité, il joue parfaitement son rôle, et c'est tout à fait son droit.

La consultation demeure le rôle fondamental du Sénat. Nous sommes la voix des sans-voix. Si un projet de loi n'a pas fait l'objet de toutes les consultations nécessaires, nous avons manqué notre coup comme législateurs.

J'aimerais rappeler au sénateur Sinclair que l'arrêt Descheneaux ne prive en rien les gens de leurs droits. Je lui rappelle aussi que le Québec n'a pas signé la Constitution de 1982 et que la terre n'a pas arrêté de tourner depuis. Je ne crois pas que l'arrêt Descheneaux prive les citoyens de droits. Je laisse au juge le soin d'interpréter cette situation.

Le gouvernement, faute de temps, a choisi de ne pas consulter suffisamment les peuples autochtones. Je siège à différents parlements depuis une vingtaine d'années. Au lieu d'élaborer une loi incomplète, il est préférable de ne pas en faire une du tout. Lorsqu'une loi est incomplète, elle est sujette à toutes les interprétations. Les grands gagnants d'une loi incomplète sont les avocats des deux côtés, soit ceux de la Couronne et ceux de la défense. Les causes traînent devant les tribunaux pendant des années, ce qui nuit aux deux parties.

En conséquence, je crois qu'il est important que la motion du sénateur Patterson permette une consultation qui répondra aux préoccupations des peuples autochtones. Ainsi, tout le monde autour de la table pourra affirmer que les Autochtones sont satisfaits de la consultation et qu'ils ont été entendus sur toute la ligne. Il faudra prendre le temps qu'il faut. L'an prochain, on célébrera le 150e anniversaire de la Confédération. Alors, il serait préférable d'attendre. Toutefois, lorsqu'on créera une loi, elle sera complète, et non pas dénuée de sens et pleine de failles.

[Traduction]

Le sénateur Tannas: La sénatrice Lankin a abordé nombre des préoccupations que je voulais soulever, mais je crois qu'elles méritent d'être débattues une autre fois.

D'abord, ce que j'ai entendu au cours des témoignages était le nombre important de groupes de gens qui nous ont encouragés à ne pas laisser passer la possibilité de faire ce qui s'impose et d'exprimer haut et fort que le processus de consultation et de participation était loin de correspondre aux normes d'un gouvernement, quelles qu'elles soient, encore moins d'un gouvernement ayant un premier ministre qui manifeste de manière si passionnée et ouverte son désir de tourner la page en ce qui concerne les relations entre les Autochtones et le gouvernement fédéral.

J'ai été davantage convaincu par le fait qu'un de nos premiers témoins experts, représentant l'Association du Barreau Autochtone, a d'abord dit que son association avait eu à peine le temps d'examiner le projet de loi, mais au cours de cette courte période, elle a décelé une erreur — ce qu'on appelle maintenant une erreur, mais c'était en fait une exclusion — qui ne cadre pas avec le titre arrogant du projet de loi, qui est l'«Élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d'inscription».

Cela m'a vraiment amené à ce dont a parlé la sénatrice Lankin: si un comité censé examiner les meilleurs efforts du gouvernement en matière de législation décèle une erreur si rapidement avec les ressources modestes que nous avons, alors il doit y avoir d'autres problèmes à cet égard. C'est exactement comme lorsque vous trouvez une souris dans votre autocaravane, vous savez qu'il y en a d'autres quelque part.

La troisième chose, à mes yeux, c'est de constater à quel point ce scénario est tristement familier. Je fais partie des nouveaux sénateurs qui étaient en poste avant la nomination récente d'une vingtaine de sénateurs, mais je sens que ce scénario se répète. Le gouvernement fait une promesse de dernière minute selon laquelle il arrangera les choses plus tard, et à mon avis, on nous demande instamment de faire ce qui s'impose. Je crois que c'est bien. C'est le travail que nous devons faire. Il y a de la pression, et notre travail est de déterminer ce qu'il convient de faire, mais je n'en reviens pas qu'un ministère de 5000 personnes puisse s'en tirer ainsi. Si nous allons de l'avant, corrigeons le projet de loi et le laissons suivre son cours, je ne vois aucune responsabilisation de la part du ministère. Encore une fois, les fonctionnaires quittent la scène maladroitement en esquissant un sourire narquois et, à mon avis, c'est ce qui est le plus difficile à avaler.

Je dois dire maintenant que je suis convaincu par l'amendement proposé par la sénatrice Lankin, celui que l'ABA a mis de l'avant et la confirmation de l'association selon laquelle elle croit que nous avons obtenu tout ce que nous pouvions à l'exception de la date limite de 1951, qui, selon moi, lorsqu'on parle de centaines de milliers de nouveaux membres, fait en sorte qu'on doit tenir beaucoup de consultations afin de comprendre comment accueillir autant de nouvelles personnes.

Alors je suis ici pour trouver un consensus. C'est la façon dont le comité effectue ses travaux, et je suis prêt à en entendre davantage, particulièrement de la part d'autres membres expérimentés et dignes de confiance du comité.

Mais je veux dire que, peu importe ce qui se produit ici, je crois que nous devrions voir ce moment comme celui où nous braquons les projecteurs sur les 5000 personnes du ministère, et j'aimerais savoir ce qui s'y passe à longueur de journée. J'aimerais comprendre pourquoi la valeur que nous obtenons de ces gens semble être inférieure à ce que je crois qu'elle devrait être et ce que d'autres personnes pensent qu'elle devrait être. C'est un autre débat, mais je veux vous informer — et j'espère que d'autres se joindront à moi — que nous devons effectuer une consultation et un examen sérieux relativement à ce qui doit être fait au sujet du ministère.

Je m'arrêterai là. Merci.

La sénatrice Lovelace Nicholas: Je suis d'accord avec la motion uniquement parce que j'ai reçu des appels et des lettres disant: «Je vous en prie, n'adoptez pas le projet de loi.» Le gouvernement a maintenant une chance d'être responsable et de s'assurer de bien faire les choses. Pendant de nombreuses années, nous avons toujours été les derniers à être consultés. Le gouvernement adopte la loi et ensuite mène les consultations. C'est la mauvaise façon de faire les choses.

Et si nous ne sommes pas satisfaits de la phase deux? Si le gouvernement dit seulement: «c'est à prendre ou à laisser» comme il l'a toujours fait? Je crois que la bonne chose à faire est de bloquer le projet de loi et de prendre le temps de bien faire les choses.

Merci.

La sénatrice Raine: Nous nous trouvons vraiment devant un dilemme ici parce que nous savons qu'adopter le projet de loi apporterait un soulagement à court terme pour un groupe de personnes aux dépens, dans l'avenir, de davantage de personnes dont les droits ne sont pas reconnus adéquatement. Si nous regardons le passé, la façon dont nous avons agi et l'histoire, chaque fois où nous avons placé un bandage sur une grande blessure, celle-ci ne s'est pas guérie. Le gouvernement ne fait que remettre la question à plus tard.

Je soutiendrais la motion du sénateur Patterson, simplement parce que je crois que nous aurons alors l'attention de tous pour éliminer correctement ces iniquités. Ma crainte est que si nous passons à la phase deux, nous soulevions une tout autre question qui est l'éléphant dans la pièce et qui est la question des droits collectifs par rapport aux droits individuels et l'inscription; toutes les Premières Nations ont leurs propres traditions et façons de faire, et le problème ne sera jamais résolu. Nous aurons alors laissé derrière un groupe de personnes dont les droits ne seront pas reconnus.

Je ne comprends pas le message que nous avons reçu des responsables d'AANC selon lequel nous ne pouvons pas demander une prorogation; ils ne nous l'accorderont pas. Nous ne savons pas cela. En fait, j'en suis venue à la conclusion que nous devions nous trouver là où nous en sommes actuellement avec un projet de loi sur la table, prêts à nous concentrer sur celui-ci, avant qu'ils nous accordent une prorogation. Ils n'allaient pas nous accorder une prorogation afin de nous laisser du temps pour y arriver, mais avec le projet de loi maintenant sur la table, je crois que nous avons une très bonne raison de demander une prorogation parce que nous voulons que le projet de loi soit plus complet. Je crois que, si nous ne demandons pas cette prorogation, nous n'aurons pas fait ce que nous devions faire.

J'appuie la motion visant à retarder le projet de loi et à y travailler encore un peu plus. Merci.

La présidente: Merci.

Y a-t-il d'autres commentaires?

Le sénateur Patterson: Madame la présidente, je suis prêt à entendre tous les membres du comité avant de réagir relativement à ma motion, alors s'il y a d'autres membres qui souhaitent émettre un commentaire, je serais très disposé à les entendre.

Je sais que vous êtes impartiale, madame la présidente, mais je suis certain que les membres du comité seraient d'accord pour entendre votre opinion en tant que membre autochtone du comité.

La présidente: Si quelqu'un d'autre assume la présidence.

Monsieur Patterson, je crois que ça doit être vous.

Le sénateur Sinclair: J'invoque le Règlement; je ne connais pas toutes les règles du Sénat, mais s'il s'agit de sa motion, comment peut-il présider la séance? Il me semble que le sénateur Tannas devrait la présider.

Le sénateur Scott Tannas (vice-président) occupe le fauteuil.

La sénatrice Dyck: Merci.

Comme tout le monde au comité, j'ai eu de la difficulté avec le projet de loi, j'ai écouté très attentivement tous les témoins, examiné l'histoire passée et j'ai eu de la difficulté à composer avec les conséquences possibles si nous n'allons pas de l'avant.

Pour moi, nous avons été pressés d'examiner le projet de loi, et cela nous met toujours dans une situation délicate parce que nous sommes censés être la Chambre de second examen objectif. Je crois effectivement que nous avons besoin de temps pour examiner le projet de loi.

Je me souviens du temps où j'étais au Sénat. Je ne me souviens que d'une autre occasion où j'ai senti que nous devions prendre une décision immédiatement. À cette époque, c'était en lien avec la fermeture du réacteur nucléaire de Chalk River en cas d'explosion. Voulions-nous le conserver afin de fournir des médicaments radiomarqués pour les personnes atteintes de cancer? C'était une décision cruciale.

Celle que nous devons prendre ici est une décision cruciale, mais il ne s'agit pas d'une question de vie ou de mort actuellement. Nous examinons deux groupes de personnes selon le projet de loi: les 28000 à 35000 personnes qui se verront accorder le droit d'inscription et celles qui ne seront pas incluses dont le nombre, selon nos témoins, peut s'élever jusqu'à 100000personnes.

Par le passé, avec la question de la sénatrice Lovelace Nicholas, nous avons admis 130000 personnes avec le projet de loiC-31. L'économie ne s'est pas effondrée. Rien de terrible ne s'est produit.

Avec le projet de loiC-3, nous avons admis 30000 personnes de plus. L'économie ne s'est pas effondrée. Le gouvernement a réussi à trouver les ressources pour fournir des services de santé non assurés et peut-être même renforcer les mesures de soutien aux étudiants postsecondaires.

Je crois que les données probantes provenant du FAEJ, de MmeMcIvor et de MmePalmater montrent très clairement que nous ne parlons pas seulement des droits garantis par la Charte aux femmes autochtones sous le régime de la Loi sur les Indiens. Nous parlons aussi des droits constitutionnels. La question n'a pas encore été tranchée par un tribunal, mais pourquoi devons-nous toujours aller devant les tribunaux?

La Constitution garantit aux femmes autochtones des droits égaux à ceux des hommes autochtones. Les femmes et les hommes, conformément à l'article25.4, sont censés avoir les mêmes droits. Ce n'est pas le cas. Si nous adoptons le projet de loi, nous refuserons toujours les mêmes droits aux descendants.

Il ne s'agit pas seulement de la conformité avec la Charte. Je comprends l'argument selon lequel l'article premier pourrait s'appliquer. Le gouvernement pourrait l'appliquer, mais pourquoi? Est-ce en raison des ressources? En réalité, le gouvernement a dit: «Nous ne voulons pas ouvrir cette boîte de Pandore.» Eh bien, je crois qu'il est temps de l'ouvrir. La sénatrice Lovelace Nicholas et moi-même avons attendu 40 ans pour examiner la question. Nous continuons à la mettre de côté parce que nous disons qu'elle est trop complexe. D'autres témoins ont dit qu'elle n'est pas vraiment si complexe. Nous devrions la résoudre.

Quant aux arguments concernant la fermeture de l'inscription des Indiens, les témoins nous ont dit qu'elle s'applique seulement au Québec. Dans le document que le gouvernement a présenté à l'ONU pour que celle-ci ne s'occupe plus du cas de Sharon McIvor, il est mentionné que la décision s'applique seulement à la province de Québec, mais au moyen de ses politiques, le gouvernement l'applique au reste du pays. Alors en réalité, nous ne fermons que 10p.100 de l'inscription.

Nous sommes toujours pris avec ce genre de dilemme; il y aura des avantages à cela, mais nous oublions ceux qui en subiront les conséquences défavorables. Les personnes pour qui cela a une incidence négative ont été exclues depuis beaucoup trop longtemps, et je pense que nous ne pouvons en faire abstraction. Nous ne pouvons pas écouter les promesses; nous avons déjà entendu celles à l'égard du projet de loiC-31, puis celles au sujet du projet de loiC-3. Nous avons tenu des consultations et des séances de dialogue avec tous les chefs nationaux au sujet de ces deux projets de loi, et nous voilà ici, à la table encore une fois, en train de dire qu'il faut tenir encore plus de consultations.

Qu'a fait le gouvernement depuis? Il y a eu ces consultations, mais cela n'a rien donné. Je ne suis pas prête à tout recommencer et à dire «nous vous croyons et nous croyons en vos promesses», même avec les amendements. Je suis donc en faveur de la motion.

Le président suppléant: Avant que la sénatrice ne reprenne sa place dans le fauteuil, j'aimerais savoir s'il y a des questions qui s'adressent à elle précisément. Merci.

La sénatrice Lillian Eva Dyck (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente: Y a-t-il d'autres commentaires?

Le sénateur Sinclair: J'ai eu l'occasion d'examiner rapidement le document que nous a remis le sénateur Patterson ce matin. Il met l'accent sur — peut-être encore plus que l'autre soir où nous avons discuté de la justification de retarder, si je peux utiliser ce terme, les délibérations du comité — le fait qu'il y a eu relativement peu de consultations au sujet des dispositions de ce projet de loi en particulier. Il va sans dire qu'elles n'étaient pas ce qu'elles auraient pu être ou ce qu'elles auraient dû être, mais elles ont dû se tenir à la hâte. En fait, la présentation d'un projet de loi comme étant un fait accompli n'est probablement pas contraire à la politique gouvernementale de manière générale, mais chose certaine, à cet égard, le gouvernement a pour responsabilité primordiale de consulter les groupes autochtones lorsque leurs droits sont touchés.

À ce sujet, je tiens à préciser que la décision de ne pas aller en appel a été prise au printemps de cette année et, par conséquent, c'est à ce moment-là que la préparation du projet de loi et la consultation à ce sujet ont débuté sans empressement. Ainsi, nous avons eu encore moins de temps que ce qui est normalement prévu lorsque la cour prend une décision; nous ne parlons donc pas d'une période de 12 mois pour permettre au gouvernement de prendre part à une consultation. La période était relativement courte. Cette discussion devait être tenue dans les quatre ou cinq mois suivants.

L'ampleur de la consultation requise tenait aux dispositions en matière de discrimination fondée sur le sexe sur lesquelles portait la décision Descheneaux. J'aurais pensé que cette question particulière aurait été relativement claire et qu'elle n'aurait pas nécessité de nombreuses consultations outres, bien évidemment, celles portant sur certaines dispositions que le gouvernement a décidé de ne pas aborder dans le projet de loi, qui auraient dû être traitées dès le début. Cela concerne le traitement différent réservé aux enfants illégitimes de femmes et aux enfants illégitimes d'hommes avant 1951, lequel aurait dû être reconnu d'entrée de jeu et qui a été soulevé par eux peu après le début de la préparation du projet de loi.

Maintenant qu'elles ont convenu que la question pouvait être réglée au moyen d'un amendement et que j'ai préparé un amendement que j'aimerais présenter au comité afin qu'il l'examine, je pense que la question sera réglée.

J'aimerais simplement dire quelque chose au sujet de l'allusion, dont nous avons entendu parler à quelques reprises maintenant, au fait que si la décision Descheneaux va de l'avant sans prorogation, elle touchera donc uniquement ceux qui présentent une demande de statut au Québec et non dans le reste du Canada. J'ai entendu cette allusion, et je pense que ce serait très étrange d'approuver la discrimination persistante fondée sur le sexe dirigée contre les femmes dans le reste du Canada, mais de l'interdire au Québec. Telle serait l'incidence de la décision Descheneaux si elle s'appliquait uniquement au Québec. Concrètement, le comité dirait au reste du Canada: «Nous pouvons faire de la discrimination et nous autorisons la discrimination contre toutes les autres femmes du Canada, mais au Québec, en raison de la décision Descheneaux, nous n'allons pas accepter qu'il y ait de discrimination».

Il ne faut pas oublier cet aspect si l'argument est maintenu. C'est la raison pour laquelle la ministre a dit — et le greffier l'a confirmé — que si la décision Descheneaux demeure telle quelle, toutes les femmes du Canada devront être traitées de la même manière, parce que ce serait manifestement injuste pour les femmes dans le reste du Canada qu'elles subissent de la discrimination fondée sur le sexe, alors que les femmes du Québec seraient avantagées par la décision Descheneaux. À mon avis, personne ne voit la logique qui sous-tend ce raisonnement.

Selon moi, nous ne devrions pas fonder une position de principe sur la question de savoir si la décision s'applique au Québec ou à l'échelle du Canada. Je pense qu'elle doit s'appliquer à tout le Canada. Toutes les femmes des quatre coins du pays doivent être avantagées par la décision Descheneaux si la décision du tribunal d'invalider la disposition est maintenue.

Toutefois, le point que je voulais soulever plus tôt au sujet de l'incidence qu'a l'invalidation de la décision par la cour concerne le fait que les alinéas 6(1)a) à c) sont invalidés. Si la décision Descheneaux est maintenue, il n'y a plus de dispositions en vertu du paragraphe6(1) ni des alinéas 6(1)a), 6(1)b) et 6(1)c). Quelle incidence cela aura-t-il? Il n'existe aucune analyse juridique, mais selon moi, cela veut dire que la majeure partie du paragraphe6(1) perdra tout son sens, et les femmes qui présentent une demande d'inscription après la décision Descheneaux ne seront plus en mesure de s'inscrire. C'est aussi simple que ça. Je ne sais pas ce que le gouvernement fera à ce moment-là.

L'autre réalité que j'aimerais souligner tient au fait que le projet de loi, aussi incomplet soit-il, peut être mis au point, pour être le plus pertinent possible dans les circonstances s'il est reconnu qu'il doit y avoir deux phases. Je ne veux pas dire que nous devrions faire fi du fait que de nombreuses consultations doivent être tenues au sujet des dispositions qui ne sont pas reflétées par les amendements du projet de loi. Cette consultation fait partie de ce que le gouvernement s'est engagé à faire durant la deuxième phase de son processus.

Tout comme le sénateur Tannas, je ne fais pas confiance aux gouvernements, particulièrement au ministère lorsqu'il s'agit de cette disposition particulière, et je pense que nous devons faire pression sur lui. Je pense que nous devons surveiller ce qu'il fait, et je suis prêt à proposer un amendement exigeant que le ministre rende des comptes régulièrement au comité et au comité de la Chambre des communes au sujet des mesures prises à l'égard du processus de consultation.

Avec cet amendement et celui sur la discrimination fondée sur le sexe que je propose au sujet de la disposition relative au traitement avant 1951, je suis convaincu que le problème sera réglé.

Le groupe de gens visés avant 1951 n'est pas constitué de gens ayant subi de la discrimination fondée sur le sexe. Si on regarde la lettre de M.Schulze, il reconnaît que ce n'est pas une catégorie où la discrimination est fondée sur le sexe. C'est une catégorie de gens qui ont été victimes de discrimination pour d'autres raisons.

Je ne suis pas en désaccord avec cela. La question concernant leur intégration nécessite une longue période de consultation, et je pense que c'est ce que nous affirmons qu'il faut faire. Mais nous ne pouvons pas retarder le projet de loi pendant la tenue de la consultation. Il faut prendre des mesures en attendant, et c'est pourquoi je nous encourage à examiner le projet de loi.

Merci.

La sénatrice Lankin: J'aimerais avoir une autre occasion de parler avant que l'auteur de la motion ne mette un terme au débat pour nous. J'ai vu quelle était l'orientation des commentaires des gens. J'aimerais renforcer certaines choses qu'a dites le sénateur Sinclair et soulever un autre point.

Avant tout, j'aimerais parler du principe selon lequel cela touche le Québec uniquement. Environ 90p.100 des inscriptions sont effectuées au titre de cette disposition. Si elle est invalidée et qu'elle est appliquée à l'échelle nationale, un très grand nombre de personnes feraient face à l'émancipation, soit la perte de leurs droits, c'est ainsi que je dirais les choses. L'utilisation antérieure de ce terme était quelque peu différente et perverse, mais essentiellement les gens perdraient leurs droits autochtones.

Le gouvernement n'est pas en mesure de faire abstraction de la décision Descheneaux si la disposition est invalidée — si nous n'adoptons pas le projet de loi — pour le reste du Canada et de l'appliquer uniquement au Québec. Il n'a pas la latitude nécessaire pour prendre la disposition qu'il ne porte pas en appel — la situation serait différente; le gouvernement a retiré l'appel — et pour dire: «Nous allons seulement appliquer ce que la règle décrit comme étant une violation de la Charte. Nous n'allons appliquer les effets de cette décision qu'au Québec et pas au reste du Canada». Le gouvernement canadien ne peut envisager cette possibilité.

Nous devons garder à l'esprit qu'un rejet sans prorogation aurait un impact très discriminatoire sur les peuples autochtones.

Si une demande de prorogation est déposée et que la prorogation est autorisée, je me demande quelle sera la prévision des membres du comité au sujet du résultat. Est-il possible que la prorogation soit assez longue pour que l'on puisse terminer la phase deux et débattre de toutes ces questions? Je vois certains sénateurs secouer la tête. Ce serait probablement plus limité que le motif pour lequel nous voulons une prorogation. Cela consisterait-il à aborder les autres questions qui ne sont pas liées au sexe comme l'adoption et les parents inconnus? Probablement pas parce que cela ne s'inscrit pas dans le contexte de la décision ou du projet de loi. Selon l'opinion incidente dans l'affaire Descheneaux, il y a eu une réponse du gouvernement quant à la manière dont il allait procéder à cet égard durant la phase deux.

Je pense que cela nous ramène à la question de l'inadmissibilité avant 1951. Je trouve que les arguments formulés par la sénatrice Lovelace Nicholas et la sénatrice Dyck au sujet des années d'attente sont très convaincants, mais le fait de prédire que cette question, après avoir fait l'objet d'une consultation plus approfondie, sera traitée dans les trois à six mois que nous accordera peut-être la cour comme prorogation est, selon moi, une hypothèse hardie. Je ne dis pas cela avec mépris, mais je ne pense pas que ce sera un exploit facile à accomplir, si je peux m'exprimer ainsi.

Compte tenu de l'orientation recommandée, je crains que nous ne finissions par revenir ici avec un projet de loi semblable, après avoir retardé l'application des droits de 35000 femmes et descendants, et après avoir, dans un certain sens, reporté l'engagement au sujet d'un ensemble de problèmes plus généraux à la phase deux.

Je comprends l'orientation. J'ai beaucoup de respect pour la préoccupation qu'ont soulevée les sénateurs, qui les incite à penser que nous devrions être en mesure de faire mieux en tant que pays. Je suis d'accord avec ce sentiment. Ce avec quoi je ne suis pas d'accord, c'est le fait de suspendre les droits de certaines personnes en espérant que la courte prorogation que pourrait nous accorder la cour nous permette de régler ces problèmes alors que nombre d'entre eux devront être abordés lors des consultations à l'étape deux, de toute manière, parce que ces questions collectives et individuelles ont une incidence culturelle sur les communautés et sur les points de vue qu'ont les collectivités autochtones individuelles au sujet des personnes qui sont des membres de la communauté au sens culturel du terme, et de celles qui ne le sont pas.

Nous avons peut-être une opinion à ce sujet, mais ce n'est pas notre opinion qui importe. Ce sont les opinions qui seront exprimées et examinées dans le cadre d'une tentative d'approche fondée sur le consensus afin d'aider les communautés autochtones à régler les problèmes qui persistent depuis de nombreuses années, et je ne pense pas que cela se fera pendant une courte prorogation.

J'ai l'impression, peut-être, que l'adoption de ce projet de loi équivaut à élaborer un énoncé de procédures; nous pourrions procéder d'autres façons afin d'éviter de bafouer les droits des gens. Je crois que ce serait la meilleure chose à faire. Je ne sais pas si j'ai réussi à convaincre qui que ce soit, mais je respecte tout de même les opinions qui ont été exprimées ici.

[Français]

Le sénateur Maltais: Je veux apporter une petite correction aux propos de la sénatrice Lankin. Je n'ai jamais parlé des peuples autochtones du Québec. J'ai parlé de l'ensemble des peuples autochtones du Canada. Selon moi, il est important de ne pas créer deux catégories de citoyens au sein des peuples autochtones. Si on règle le cas de 50p.100 des citoyens, il en reste 50p.100. Pourquoi créer une loi qui divise alors que nous avons la possibilité, à titre de législateurs, d'élaborer une loi qui répondra aux besoins de la très grande majorité des peuples autochtones?

Dans ma jeunesse, j'ai vécu avec les peuples autochtones. Je ne prétends pas les connaître aussi bien que vous, mais je peux vous dire que ce sont des Canadiens qui ont tous les droits des Canadiens. Nous n'avons pas le droit d'en faire deux classes de citoyens. Ce n'est pas le travail d'un législateur. Nous créons une loi qui tend vers la perfection et, en cours de route, elle peut être modifiée, ce qui, malheureusement, prend de nombreuses années, parfois 25, 30 ou 40 ans.

Aujourd'hui, j'appuie sans réserve la motion du sénateur Patterson. Lorsque nous soumettrons une proposition qui répondra aux attentes de la grande majorité des peuples autochtones, je voterai en faveur d'un projet de loi qui garantira leurs droits.

Je vous rappelle qu'un Parlement n'a pas le droit de légiférer en laissant de côté une partie des Canadiens. Nous sommes une Chambre de législation et nous devons faire un travail en adoptant une démarche consensuelle.

[Traduction]

La sénatrice Lankin: J'aimerais apporter une correction à un commentaire précédent.

Sénateur Maltais, je ne vous ai pas mentionné du tout. C'est la sénatrice Dyck qui a dit que la décision s'appliquait exclusivement au Québec et pas nécessairement au reste du Canada. Je ne réagissais pas à votre commentaire.

La sénatrice Lovelace Nicholas: J'aimerais ajouter quelque chose à l'intervention de la sénatrice Lankin. Je sais, d'après mon vécu, que nos droits ont toujours été bafoués. Vous le savez: nous devons toujours nous rendre devant les tribunaux pour les faire reconnaître.

Comme je l'ai dit plus tôt, il est temps que cela cesse: nous n'avons pas à aller devant les tribunaux pour faire valoir nos droits. Ce projet de loi perpétue la discrimination, et je m'y oppose farouchement.

La sénatrice Martin: J'aurais aimé que le comité dispose de plus de temps afin de poursuivre cette discussion difficile. Je ne me sens pas prête, et pourtant je sais qu'il y a urgence; nous avons des délais à respecter.

Je me suis exprimée là-dessus la semaine dernière. Je ne suis habituellement pas présente les mardis, mais puisque le comité du Règlement ne siège pas aujourd'hui, j'ai pu venir écouter mes collègues. Je vais aussi devoir prendre des décisions très difficiles au sujet de l'adoption d'un projet de loi dont les lacunes sont évidentes; ce projet de loi exclut des gens et pourrait créer d'autres problèmes pour le ministère, le Canada et les Canadiens et Canadiennes. J'ai surtout de la difficulté avec le fait qu'on nous a dit qu'il y avait urgence, que nous devions nous pencher là-dessus immédiatement.

J'étais prête à examiner les mesures que nous pouvons prendre maintenant, et j'étais convaincue que les bonnes décisions allaient être prises à l'étape deux. Mais je me trouve ici parmi des collègues chevronnés, bien informés, qui se souviennent du passé— ils ont la mémoire institutionnelle pour cela —, et après les avoir écoutés, je me sens plus stressée qu'avant la séance. En même temps, j'essaie de cerner les opinions éclairées qui me permettront de prendre la meilleure décision possible.

J'ai été témoin de deux cas qui pourront peut-être aider le comité.

Le premier cas est lié aux anciens combattants de la guerre de Corée. Quand leur service et leur sacrifice ont finalement été reconnus, je me souviens, le mécanisme utilisé par le ministère avait été conçu pour les anciens combattants de la Première Guerre mondiale et de la Deuxième Guerre mondiale uniquement, et, par conséquent, les circonstances et les besoins des anciens combattants de la guerre de Corée n'ont pas été pris en considération, et certaines personnes ont donc été exclues.

Je me suis battue pendant deux ou trois ans pour ces personnes à qui on a refusé le statut d'ancien combattant. Leur exclusion ainsi que les lacunes du mécanisme m'ont vraiment révélé tout le mal qu'ils ont subi. J'ai aussi compris combien il pouvait être difficile d'éliminer ce que nous avions mis en œuvre.

On ne peut pas vraiment blâmer le ministère; le personnel ne faisait que suivre les règles et les critères établis.

Je comprends à quel point nous pouvons causer du tort en adoptant des mesures exclusives. Je sais aussi qu'il est très difficile de faire marche arrière une fois le projet de loi adopté.

L'autre cas auquel je songeais concerne l'esclavage sexuel dans le monde pendant la Deuxième Guerre mondiale et l'indemnité que les gouvernements et les leaders ont décidé de verser aux femmes sans jamais les consulter. On n'a pas demandé à ces femmes: «est-ce que cela vous convient?» J'ai vu ces femmes de 90 ans. On aurait dit des pions qui étaient... je ne veux pas utiliser le mot «manipulés», mais c'est ce qui convient. Selon moi, c'était un très grand manque de respect, après tout ce qu'elles avaient déjà vécu.

J'écoute simplement les gens qui devraient, selon moi, être écoutés. J'ai écouté les commentaires de la sénatrice Lovelace Nicholas, de la sénatrice Dyck et du sénateur Watt. Aujourd'hui, c'est au tour du sénateur Sinclair de s'exprimer. Voilà pourquoi j'ai toujours des doutes à propos de ce que nous devons faire.

Je me suis prononcée la semaine dernière, prenant position, mais je crois que les tribunaux devraient aussi être à l'écoute. Ils sont au service du public, et il serait préférable que nous ayons plus de temps. J'espère qu'on nous accordera plus de temps.

Si on nous accorde une prolongation, nous allons revenir ici à l'automne — ou peut-être au début du printemps — pour terminer ce que nous avons commencé. Nous allons prendre une décision à nouveau, et il y aura encore des doutes. Je sais que nous allons être dans la même situation. Mais pour l'instant, je trouve la situation très difficile. Même si c'est à contrecœur, je vais appuyer la motion du sénateur Patterson.

Le sénateur Oh: Je suis préoccupé par le point où nous en sommes dans l'étude de ce projet de loi. Pouvons-nous dire, en toute confiance, que nous avons étudié le sujet en détail? Sommes-nous convaincus que nous n'allons pas causer de nouveaux problèmes dans l'avenir en appuyant ce projet de loi? J'ai peur que d'autres personnes continuent à perdre leur statut; nous allons créer de plus en plus de catégories de personnes au cours des années à venir.

Pourquoi continuons-nous de catégoriser les gens en fonction de leur statut juridique? Pourquoi continuons-nous à leur dire que même si on leur accorde ce statut, ils ne seront pas tous égaux?

Je ne sais pas si vous vous souvenez du passage de la ministre Carolyn Bennett ici le 30 novembre. Elle a dit, je cite:

Le fait que mon ministère a omis de prendre directement contact avec les demandeurs était non seulement inacceptable, mais embarrassant pour moi, comme ministre responsable.

Pourquoi voudrions-nous également embarrasser le Sénat? La ministre a trouvé toute cette situation embarrassante. Nous devons veiller à ce que les choses soient faites correctement, et pas précipitamment pour s'en débarrasser. J'appuie cette motion.

Le sénateur Moore: Avant tout, je tiens à dire que je suis d'accord avec les commentaires du sénateur Tannas sur le fait que nous devons continuer à exercer de la pression sur le ministère. Je crois avoir entendu à un moment ou à un autre que le ministère comptait 7 500 personnes, et non 5000.

Il me semble, après tout ce que nous avons entendu ces dernières semaines, que le tribunal va certainement nous accorder une prolongation. Je crois qu'il n'y a aucun doute là-dessus. Mais ensuite, qu'allons-nous faire?

À quoi nous attendons-nous? Le ministère va-t-il proposer une modification, garder le même projet de loi ou proposer un nouveau projet de loi? Va-t-il au moins y avoir des dispositions relatives aux personnes qui ont été victimes de discrimination à cause de la date limite de 1951?

Sur cette question, je me range du côté de la sénatrice Lovelace Nicholas. Je suis du même avis.

Le sénateur Patterson: Je suis satisfait de voir que presque tout le monde a pu s'exprimer.

En réponse à certains des commentaires de la sénatrice Lankin, je n'ai jamais dit que la remise de l'adoption du projet de loi faisait l'objet d'un consensus. J'ai tenu compte de la recommandation de l'Association des femmes autochtones du Canada de surmonter nos réticences et d'adopter le projet de loi. J'ai été surpris par ce commentaire, puisque l'organisation avait dit que les consultations à cet égard avaient été particulièrement lamentables. L'AFAC a dit que le ministère lui avait seulement présenté un exposé; tout avait déjà été décidé. L'AFAC croit également que l'adoption du projet de loi pourrait toucher 35000 personnes, et je m'interroge vraiment là-dessus. Que ce soit juste ou non ou logique ou non, je crois qu'il faut vraiment approfondir la chose. Je vais y revenir un peu plus loin.

J'ai également été surpris du fait que la sénatrice Lankin croit fermement que le Sénat ne devrait pas se mêler des questions de politiques. À ce qu'il me semble, le gouvernement lui-même nous a demandé de traiter de ces politiques, de délibérer sur sa stratégie de mener une deuxième étape de consultations afin d'aborder les problèmes généraux, entre autres questions.

Je dois aussi mentionner les commentaires de M.Schulze et du sénateur Sinclair à propos de la date limite de 1951. Je crois que la question de la discrimination sexuelle est nébuleuse dans ce cas. Je ne suis pas certain que nous comprenons de quoi il s'agit. M.Schulze a abordé le sujet des différents traitements réservés à une femme selon qu'elle est mariée ou non, et j'ai réalisé, en écoutant le sénateur Sinclair, comment les enfants, qu'il s'agisse d'un garçon ou d'une fille, sont touchés également par ce projet de loi. Je ne sais pas s'il s'agit de discrimination sexuelle, mais j'ai quand même des doutes.

Le projet de loi vise l'élimination de toute discrimination sexuelle, mais je doute encore que ce soit le cas. Selon le sénateur Sinclair, il serait irresponsable pour le comité de rejeter le projet de loi. À mon avis, les choses sont simples. Je crois que l'adoption du projet de loi perpétuerait les inégalités découlant des paragraphes 6(1) et 6(2). Sharon McIvor nous a implorés d'y remédier. La sénatrice Lovelace Nicholas, qui se penche sur la question depuis 10 ans, nous a implorés de reculer.

Le sénateur Sinclair croit que le gouvernement avait une raison, au titre de l'article premier de la Charte, d'exclure les personnes nées avant la date limite de 1951. Il avance que c'était une discrimination raisonnable. Nous n'avons pas le même son de cloche de la part du gouvernement. C'est un problème important, mais le gouvernement préfère ne pas le voir, il préfère jouer à l'autruche.

J'aurais cru que quelqu'un aurait tenté de justifier de façon exhaustive et directe la portée restreinte de ce projet de loi en disant: «Écoutez, nous avons peut-être exclu bon nombre de personnes, mais nous avons une raison.» Ce n'est pas ce que nous avons entendu. Je crois que cela témoigne d'une autre lacune de ce projet de loi.

Je veux parler des 35000 personnes qui seront touchées. Nous avons déjà étudié la question relativement au ministère. La registraire est venue témoigner le 22 novembre, et elle a dit ce qui suit à propos de ce qui arriverait si on rejetait le projet de loi:

[...] je ne pourrai pas inscrire quiconque qui pourrait être admissible à l'inscription au Québec. Selon toute probabilité, je ne continuerai pas à inscrire des gens des autres provinces parce que même si les dispositions ont été annulées au Québec, techniquement, à mon avis, il n'y aurait aucun intérêt pratique à continuer d'inscrire des gens parce que cela créerait deux systèmes d'inscription.

Nous ne pouvons pas prévoir l'avenir, mais si nous adoptons ce projet de loi, nous allons laisser la situation entre les mains d'un représentant d'un ministère en qui, malheureusement, personne n'a confiance. J'ai des réticences à laisser le ministère régler cette question si importante. Je crois que nous devons clarifier le projet de loi.

Également, à propos de la prolongation, la ministre et le ministère semblent avoir un tas d'opinions contraires. Le ministère a dit, ouvertement, croire qu'aucune prolongation ne serait accordée. Le FAEJ, une organisation dont l'expérience et la crédibilité sont reconnues dans ce domaine, était pratiquement convaincu qu'on nous en accorderait une. Pour sa part, le ministère a dit que la seule prolongation qu'on pourrait espérer avoir serait de six mois.

Regardons cela de plus près, si vous le voulez bien. La sénatrice Raine a dit que ce projet de loi allait réussir dans une certaine mesure. Nous sommes finalement parvenus, grâce au processus parlementaire, à mobiliser les acteurs principaux. Nous y sommes parvenus parce que leur participation — jamais le ministère n'oserait appeler cela une consultation — a commencé cet été, et les choses ont commencé en été parce que le ministère a pris six mois à se préparer après qu'il a été fait droit à l'appel. Quand il a été temps de présenter le projet de loi, le public s'est retrouvé devant un fait accompli, comme l'a dit l'Association des femmes autochtones du Canada. Il ne s'agissait pas de demander aux gens comment il fallait réagir à la décision rendue dans l'affaire Descheneaux et à la question de la discrimination sexuelle. C'était plutôt: voici la solution. Qu'en pensez-vous? C'est à prendre ou à laisser.

Personnellement, je crois qu'on va très probablement nous accorder une prolongation. Je suis d'accord avec le sénateur Moore. Comme ça a été le cas en Colombie-Britannique avec l'affaire McIvor où une prolongation a été accordée, le tribunal a suivi de près les délibérations parlementaires. Je crois que nous devons garder la tête haute et dire «les deux chambres ont étudié les questions de façon exhaustive, et nous sommes rendus à un point de la discussion où nous abordons les problèmes critiques». Ce n'est pas comme si nous allions recommencer du début si le tribunal nous accorde une prolongation. Je crois l'avoir déjà dit quand la ministre était parmi nous, mais je crois qu'une prolongation nous permettrait d'étudier avec plus de soins la décision Descheneaux et l'opinion incidente du tribunal afin de nous assurer de prendre la bonne décision.

La sénatrice Lankin a présenté un amendement éclairé; je crois que c'est celui que le sénateur Sinclair appuyait relativement au rapport du projet de loi. Je crois que c'est une bonne idée. L'autre soir, la ministre semblait enthousiasmée par l'idée, mais d'après le peu que je connais du processus gouvernemental, je ne sais pas si la ministre a l'autorisation du Cabinet de prendre ce genre d'engagement si généreux. Donc, nous ne savons pas si l'amendement va être adopté par le gouvernement après l'étude article par article.

Je crois que si nous faisons rapport du projet de loi après l'avoir rejeté, comme je le recommande dans ma motion, il est très probable qu'on nous accorde une prolongation de six mois. Cela laisserait le temps au ministère de tirer parti de la mobilisation qui est encore en train de prendre forme. Il faut prendre le temps de proposer des amendements éclairés, sans se précipiter, et ensuite, nous pourrons étudier un projet de loi qui traite finalement de la discrimination sexuelle, tel que cela est indiqué dans le titre du projet de loi.

Je veux aussi dire que ce processus n'a, selon moi, aucune raison d'être compliqué ou long, même si c'est une autre histoire pour la deuxième étape. Laissez-moi revenir à ce que j'ai dit à la première séance du comité. Les choses se sont réglées sur ce point pour les Inuits, parce qu'ils ont compris ce qui fonctionnait. Mes enfants sont bénéficiaires de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut parce que l'un de leurs parents l'est aussi. La règle est simple: tant qu'il y a un parent, peu importe son sexe, sans privilégier les hommes... dans le cas de mes quatre enfants — dont trois sont mes enfants biologiques —, il s'agit de la mère.

C'est pourquoi je crois que nous pouvons rectifier la situation; nous pouvons faire les choses correctement. Je crois que nous avons réussi à cerner les bonnes questions, et peut-être pouvons-nous tous admettre que nous n'avons pas eu le temps de les approfondir comme il se doit.

Comme d'habitude, le Parlement siégera jusqu'en juin. Une prolongation de six mois accordée en décembre donnera au ministère le temps de bien faire son travail et de présenter un meilleur projet de loi.

Je crois que le processus de consultation pourrait se faire différemment; il ne convient pas de mettre les gens devant le fait accompli. Nous devons régler les questions que nous avons soulevées et demander une véritable participation du public.

Sur ce, madame la présidente, je vous remercie. Je n'ai pas d'autre commentaire. Je recommande cependant de régler la question de la motion aujourd'hui. Dans sa grande sagesse, le Sénat peut décider de ce qu'il convient de faire par rapport à la motion. J'ai été très touchée par ce que la sénatrice Lovelace Nicholas et vous, madame la présidente, avez dit. Je propose de mettre la motion aux voix. Merci.

La présidente: Oui.

Le sénateur Sinclair: Madame la présidente, avant de mettre la motion aux voix, j'aimerais clarifier un point qui a suscité la controverse aujourd'hui. J'aimerais y réagir, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

La présidente: Excusez-moi, je n'ai pas bien entendu ce que vous avez dit, monsieur le sénateur.

Le sénateur Sinclair: Avant de mettre la motion aux voix, j'aimerais dire quelque chose à propos de l'impact de la décision sur l'ensemble du pays, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Ce serait important, il me semble. Je vous invite tous à consulter un conseiller juridique afin de le confirmer, mais malgré le fait que les alinéas 6(1)a), c) et f) ont été abrogés par le tribunal, la suspension de l'entrée en vigueur de la décision fait que ces alinéas continuent d'avoir force exécutoire, même si le tribunal a conclu qu'ils étaient discriminatoires selon le sexe. On continue de faire de la discrimination en fonction du sexe parce que l'entrée en vigueur de la décision a été suspendue. Si cette suspension n'est pas maintenue, le ministère va continuer de discriminer les femmes en février, jusqu'à ce que la suspension de la décision du tribunal soit levée.

Présentement, la position du ministère est de continuer à discriminer les femmes dans tout le Canada tant que le projet de loi n'est pas adopté: voilà ce qu'il faut comprendre. Si on ne fait pas rapport du projet de loi, nous autorisons le ministère à continuer à faire preuve de discrimination sexuelle contre les femmes dans tout le pays. Vous devez comprendre que maintenir la suspension de l'entrée en vigueur de la décision du tribunal ne fait que perpétuer la discrimination. C'est ce que vous devez comprendre. L'adoption du projet de loi nous permettra de mettre fin à la discrimination. Voilà tout l'impact de la motion.

La présidente: Merci.

Le sénateur Tannas: J'ai une question. S'il y avait des préoccupations, pourquoi le gouvernement, dans l'observation qu'il a présentée au tribunal, n'a-t-il pas dit: «Écoutez, à partir d'aujourd'hui, nous reconnaissons notre obligation. Nous savons qu'elle nous revient. Nous allons comptabiliser ce que nous vous devons et vous le verser rétroactivement une fois que le projet de loi sera adopté.» Pourquoi ne peuvent-ils pas faire cela, si le véritable problème est là au lieu d'attendre d'avoir une solution parfaite?

Le sénateur Sinclair: Ce que vous voulez savoir, c'est si le gouvernement peut poursuivre ou amorcer la mise en œuvre du projet de loi comme s'il avait déjà été adopté?

Le sénateur Tannas: Non, mais il pourrait simplement tenir un dossier. À partir du moment où la prolongation est accordée jusqu'à l'adoption du projet de loi, le gouvernement s'engagerait à indemniser rétroactivement les gens depuis le 3 février. On évite ainsi de retarder le paiement, et on balaie du revers de la main l'argument que vous avez soulevé. Est-ce possible?

Le sénateur Sinclair: Je ne crois pas qu'il est possible de modifier rétroactivement le statut juridique de quelqu'un.

Le sénateur Tannas: C'est une question d'argent, c'est ça?

Le sénateur Sinclair: Non. C'est une question de reconnaissance des droits.

Le sénateur Tannas: D'accord. On parle quand même de quelques mois sur des décennies... vous avez peut-être raison sur l'aspect moral, mais je crois que c'est davantage une question d'argent qu'une question de prendre trois mois de plus après cinquante ans pour bien faire les choses.

Le sénateur Sinclair: Non. Le problème, c'est que, pour une longue période, des personnes ne pourront pas être inscrites à cause du sexe de leurs parents, soit tout le temps que le tribunal décidera de suspendre l'entrée en vigueur de la décision. Il peut s'agir de six mois, comme vous l'avez mentionné, ou plus longtemps pendant que nous étudions en détail le sujet, mais tous les enfants nés pendant ce temps ne seront pas inscrits.

Les femmes qui, présentement, n'ont pas le droit d'être inscrites parce qu'elles ne sont pas admissibles suivant les dispositions en vigueur ne pourront pas l'être en vertu de la loi. Cela veut dire qu'elles devront continuer de vivre à l'extérieur des réserves; elles n'auront pas le droit de vivre dans ces collectivités ou d'y obtenir un logement. Elles ne veulent pas vivre à l'extérieur des réserves. Vous ne pouvez pas réparer cette injustice avec une indemnisation financière.

Vous ne pouvez pas simplement dire qu'il s'agit d'une perte d'argent sur une certaine période. Là n'est pas la question.

Ces femmes vous disent qu'elles veulent que leur statut soit reconnu; elles veulent avoir le droit de s'inscrire. En rejetant ce projet de loi, nous refusons de reconnaître leur statut. C'est aussi simple que ça.

La présidente: Notre temps touche à sa fin, et je crois qu'il est temps de mettre la motion aux voix.

Le sénateur Patterson: Je voudrais que ce soit un vote par appel nominal.

La présidente: On propose que le comité fasse rapport du projet de loiS-3 au Sénat, assorti d'une recommandation selon laquelle le projet de loi ne devrait pas pouvoir continuer de cheminer au Sénat. Êtes-vous d'accord?

Mark Palmer, greffier du comité: L'honorable sénatrice Dyck?

La sénatrice Dyck: Je vote en faveur de la motion.

M.Palmer: L'honorable sénatrice Beyak?

La sénatrice Beyak: Je vote en faveur de la motion.

M.Palmer: L'honorable sénatrice Lovelace Nicholas?

La sénatrice Lovelace Nicholas: Je vote en faveur de la motion.

[Français]

M.Palmer: L'honorable sénateur Maltais?

Le sénateur Maltais: Je vote en faveur de la motion.

[Traduction]

M.Palmer: L'honorable sénatrice Martin?

La sénatrice Martin: D'accord.

M.Palmer: L'honorable sénateur Meredith?

Le sénateur Meredith: Je vote contre la motion.

M.Palmer: L'honorable sénateur Moore?

Le sénateur Moore: D'accord.

M.Palmer: L'honorable sénateur Oh?

Le sénateur Oh: D'accord.

M.Palmer: L'honorable sénateur Patterson?

Le sénateur Patterson: D'accord.

M.Palmer: L'honorable sénatrice Greene Raine?

La sénatrice Raine: D'accord.

M.Palmer: L'honorable sénateur Sinclair?

Le sénateur Sinclair: Je vote contre la motion.

M.Palmer: L'honorable sénateur Tannas?

Le sénateur Tannas: D'accord.

M.Palmer: La motion est adoptée par 10 voix contre 2.

La présidente: La motion est adoptée.

L'article12-23(5) du Règlement énonce ceci:

Dans le cas où le comité recommande que le Sénat abandonne l'étude d'un projet de loi, son rapport en précise les motifs. Dès l'adoption de ce rapport, l'étude du projet de loi cesse.

Puisqu'il ne nous reste que cinq ou six minutes, nous allons prendre du temps demain soir pour continuer de préparer le rapport pour dépôt au Sénat.

Des voix: D'accord.

La présidente: Merci, mesdames et messieurs.

(La séance est levée.)

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