LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 22 mai 2024
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 50 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner la mise en œuvre de la Loi de 2021 sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones par le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis, puis à huis clos pour examiner une ébauche d’ordre du jour (futurs travaux).
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, avant de commencer, j’invite tous les sénateurs et les autres participants présents dans la salle à consulter les cartes que vous voyez sur la table. Vous y trouverez des instructions pour prévenir les incidents acoustiques. Veuillez prendre note des mesures préventives suivantes destinées à protéger la santé et la sécurité de tous les participants et notamment des interprètes.
Veuillez vous installer de manière à mettre le plus de distance possible entre les micros. Utilisez uniquement une oreillette noire approuvée. Les anciennes oreillettes grises ne doivent plus être utilisées. Gardez votre oreillette loin de tous les micros en tout temps. Quand vous ne l’utilisez pas, veuillez la placer face vers le bas sur l’autocollant fixé sur la table à cette fin. Merci de votre collaboration.
Je tiens d’abord à rappeler que le territoire sur lequel nous nous réunissons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine Anishinabe et qu’il est aujourd’hui le foyer de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de toute l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
J’invite maintenant les membres du comité à se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.
Le sénateur Arnot : Sénateur David Arnot, de la Saskatchewan. Je vis sur le territoire du Traité no 6.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur McNair : John McNair, du Nouveau-Brunswick, territoire mi’kmaq.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick, territoire mi’kmaq également.
Le sénateur Prosper : P.J. Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire mi’kma’ki.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta, du parc national de Banff, territoire du Traité no 7.
La sénatrice White : Judy White, de Ktaqmkuk, mieux connue sous le nom de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki.
Le président : Aujourd’hui, nous poursuivons notre nouvelle étude sur la mise en œuvre de la Loi de 2021 sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, autrement dit la DNUDPA, par le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Le comité entend des témoins pour préciser davantage le sujet de l’étude.
Je vais maintenant présenter nos témoins. En ligne, nous accueillons Brenda Gunn, professeure, Association du Barreau autochtone, et Ken Coates, professeur, Programme de gouvernance autochtone, Université du Yukon, qui s’exprimera à titre personnel. Nous accueillons en personne Tuma Thomas William Young, avocat chez Smith Law et professeur à la section des Études L’nu de l’Université du Cap-Breton, qui s’exprimera à titre personnel. Bienvenue à tous. Merci de votre présence parmi nous aujourd’hui.
Les témoins feront un exposé préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivi d’une période de questions avec les sénateurs. J’invite Me Gunn à faire son exposé préliminaire.
Me Brenda Gunn, professeure, Association du Barreau autochtone : Merci.
[Le témoin s’exprime en langue autochtone]. Je m’appelle Brenda Gunn.
[Le témoin s’exprime en langue autochtone]. Ma famille vient de la rivière Rouge.
[Le témoin s’exprime en langue autochtone]. Aujourd’hui, ma famille vit à Winnipeg.
Je suis métisse, originaire de la rivière Rouge et membre de la Fédération des Métis du Manitoba. Je suis professeure à la Faculté de droit de l’Université du Manitoba. Mes travaux portent sur les droits internationaux de la personne et les droits des peuples autochtones depuis plus de 20 ans, et je m’intéresse notamment à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ou DNUDPA.
Honorables sénateurs, merci infiniment de m’avoir invitée à comparaître de nouveau dans le cadre de cette importante étude sur la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies. Je suis ici aujourd’hui au nom de l’ABA, l’Association du Barreau autochtone au Canada. L’ABA est un organisme professionnel sans but lucratif au service de membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis qui ont reçu une formation en droit. Nous comptons parmi eux des avocats, des juges, des professeurs de droit, des aînés, des parajuristes, des conseillers juridiques et des étudiants en droit. À l’heure actuelle, l’ABA compte plus de 330 membres inscrits provenant de communautés et de nations autochtones de partout au Canada.
L’année dernière, l’ABA a présenté au gouvernement des recommandations concernant l’élaboration du plan d’action. Notre mémoire portait sur la promotion des lois propres aux Autochtones, sur la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies dans une perspective sexospécifique, sur la protection du droit de participer au processus décisionnel et sur le consentement préalable, libre et éclairé, sur la promotion du bien-être économique, social et culturel des Autochtones, sur l’examen des lois sur la propriété intellectuelle, la réforme du droit et la déclaration des Nations unies, sur la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies et la réforme des lois du Canada, et, enfin, sur les mesures de suivi, de surveillance et de recours et d’autres questions liées à la reddition des comptes dans le cadre de la mise en œuvre.
Aujourd’hui, je vais vous parler plus précisément du droit de participer au processus décisionnel. Je tiens à féliciter le gouvernement fédéral d’avoir adopté la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Nous savons tous à quel point c’est important. Je suis également consciente du fait qu’il était difficile d’élaborer un plan d’action dans le délai de deux ans prévu par la loi.
L’une des préoccupations que je voudrais soulever aujourd’hui est que le plan d’action énonce très clairement les intentions du gouvernement, mais qu’il ne précise guère comment et quand celui-ci va concrétiser ces intentions. Faute d’échéancier, on peut difficilement mesurer les progrès obtenus. Le « comment » est extrêmement important. Le mode de collaboration qui permettra d’atteindre les objectifs de la déclaration est au cœur du travail à venir si l’on veut effectivement travailler à la réconciliation et à la reconstruction des relations, comme le prévoient la déclaration des Nations unies et la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
La déclaration des Nations unies fournit un cadre pour la réconciliation en instaurant des normes à respecter au moment de rebâtir et de renouveler les relations. Elle facilite la transformation d’une relation coloniale — dans laquelle les gouvernements du Canada prennent des décisions pour les Autochtones ou les concernant — en une relation où les Autochtones sont autonomes et participent pleinement aux décisions touchant particulièrement et spécialement leurs droits.
La déclaration des Nations unies nous invite à bâtir cette nouvelle relation en nous fondant sur les principes de la confiance, de la bonne foi, des droits de la personne, de l’égalité et de la non-discrimination.
Les principes directeurs énoncés dans l’introduction du plan d’action illustrent bien ma préoccupation quant au fait que le gouvernement ne précise pas comment il entend mettre en œuvre le plan d’action, lequel prévoit que la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones fait obligation au gouvernement du Canada non seulement de consulter les Autochtones, mais aussi de collaborer avec eux. Cela veut dire que les Autochtones doivent avoir la possibilité, y compris par l’entremise de leurs organisations représentatives, de participer aux processus décisionnels fédéraux et d’exercer une influence positive sur ceux-ci, en disposant de suffisamment de temps et de ressources.
Ce qui échappe à ce principe, c’est que la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies suppose une collaboration dans un esprit de partenariat et de respect mutuel. Les Autochtones ne doivent pas se contenter d’alimenter le processus décisionnel fédéral, ils doivent en faire réellement partie.
En sachant comment le gouvernement va s’y prendre, on instaure clarté et transparence dans la façon dont il va travailler avec les Autochtones partout au Canada pour mettre en œuvre la déclaration des Nations unies.
J’admets que ce n’est pas une tâche facile que de circonscrire cette étape cruciale de notre collaboration, mais je ne vois pas comment on pourrait faire quoi que ce soit pour mettre en œuvre la déclaration des Nations unies si on ne passe pas par là. Je ne suis pas en train de proposer une méthode unique ou universelle, mais il faut comprendre les enjeux associés au désir des Autochtones de participer au processus et de collaborer avec le gouvernement. Il faut s’entendre sur les méthodes avant de travailler à la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies.
La façon dont ce travail sera effectué doit aussi tenir compte, notamment, des distinctions entre les Premières Nations, les Inuits et les Métis, ainsi que des différences régionales, de la sexospécificité, de la diversité des genres et d’autres considérations intersectionnelles.
J’aimerais souligner trois domaines où l’on ne tient pas vraiment compte de la façon dont le travail sera fait pour privilégier plutôt ce qui sera fait.
On sait qu’il faut instaurer un mécanisme indépendant de suivi, de surveillance et de recours concernant les droits des Autochtones, mais, là encore, on ne sait absolument pas comment ce sera fait. Il n’y a aucune indication ni aucun processus permettant de déterminer comment nous allons collaborer à l’examen des lois. Rien n’est prévu non plus concernant le mode de collaboration qui permettra de mettre en œuvre le droit des Autochtones à l’autodétermination, en veillant à ce qu’ils puissent prendre des décisions au sujet de leurs territoires et collaborer avec les gouvernements du Canada au règlement des enjeux relatifs aux terres et aux ressources.
Kinanaskomitin. Marsee. Merci.
Le président : Merci, maître Gunn. J’invite maintenant M. Coates à faire son exposé préliminaire.
Ken Coates, professeur, Programme de gouvernance autochtone, Université du Yukon, à titre personnel : Monsieur le président, sénatrices, sénateurs et témoins de mon groupe, c’est un honneur d’être parmi vous aujourd’hui. Je vous parle depuis le Nord de la Finlande, juste au sud des territoires traditionnels des Sámis. J’irai les voir demain et je m’entretiendrai avec des gens qui participent aux processus politiques en Scandinavie. Je viens du Yukon et de la Saskatchewan, et tout cela me donne un vaste échantillon d’expériences.
La mise en œuvre de la DNUDPA de 2021 est en réalité un sujet vital. Nous ne devons jamais oublier que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est un accomplissement international remarquable — auquel je ne m’attendais pas, d’ailleurs. C’est un exploit réalisé par les Autochtones. Les documents de la DNUDPA rendent compte des difficultés, des injustices, des mauvais traitements et des souffrances des Autochtones partout dans le monde, et ils renvoient à toutes sortes de groupes autochtones, de rencontres culturelles et de contextes historiques et juridiques. Dans les premières années après son adoption, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones était décrite comme un « document ambitieux » décrivant ce que les Autochtones méritaient d’obtenir de leurs gouvernements nationaux et ce que les gouvernements nationaux et les Nations unies considéraient comme leur étant dû.
La DNUDPA n’a pas été rédigée comme un programme législatif formel et détaillé. Elle n’a pas été conçue en fonction d’un contexte national ou régional, mais comme un énoncé général de principes et de valeurs. Elle a appelé le monde à faire beaucoup mieux — beaucoup mieux qu’auparavant à l’égard des Autochtones, en commençant par le respect des droits ancestraux et issus de traités, mais en allant beaucoup plus loin dans les domaines de l’équité et de la justice sociale.
Comme non-Autochtone, j’aborde la question différemment des universitaires autochtones. J’ai été troublé par la façon dont la DNUDPA s’est déployée jusqu’ici. La réaction du Canada a été mitigée, au mieux. La plupart des non-Autochtones du Canada n’en connaissent pas l’existence ou, s’ils s’y sont intéressés, ils estiment qu’il s’agit d’une vague feuille de route vers de meilleures relations, et non d’un plan formel et détaillé.
D’après les discussions que j’ai eues avec des Autochtones à l’échelle communautaire, ils connaissent beaucoup mieux la DNUDPA que les non-Autochtones et en connaissent la loi de mise en œuvre. Je peux aussi vous dire que, d’après mon expérience, peu d’entre eux démontrent de l’enthousiasme ou de l’espoir au vu du processus actuel. Ils estiment que c’est une énième version d’un processus en vigueur au Canada depuis des années.
Pour situer ma conversation et ma contribution d’aujourd’hui, permettez-moi de faire quatre observations distinctes au sujet de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et du processus de mise en œuvre au Canada, de façon plus générale que d’autres pourraient peut-être le faire. Je commencerai par rappeler que l’histoire des relations entre les Autochtones et le gouvernement au Canada est une histoire de promesses non tenues et de non-respect d’engagements. On peut le constater en consultant les traités de paix et d’amitié du XVIIIe siècle dans les Maritimes. Cela passe par la Proclamation royale, également du XVIIIe siècle, et cela va jusqu’aux traités historiques en Ontario et dans l’Ouest et le Nord du Canada.
La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et sa mise en œuvre pourraient être un autre exemple d’espoirs déçus et de promesses non tenues. J’invite instamment le Sénat et le Parlement à s’assurer qu’ils sont vraiment déterminés à ce que le processus soit mené à terme conjointement — et je suis d’accord avec l’observation de Me Gunn sur la nécessité d’en faire un processus commun — et à respecter les promesses. Ne vous engagez pas dans cette voie à moins d’être disposés à terminer l’exercice. À vrai dire, c’est arrivé beaucoup trop souvent.
La DNUDPA décrit les violences et les excès commis par les puissances coloniales et les États-nations contre les Autochtones. Elle énumère les étapes minimales nécessaires pour réparer les dommages. Ces dommages sont énormes et parfois permanents, mais personne n’en a jamais vraiment chiffré le coût. J’ai relu le plan de mise en œuvre aujourd’hui en m’intéressant aux détails, et chaque ligne renvoie à des dizaines de millions de dollars — chaque ligne. Je me demande si on a effectivement chiffré tout cela. Est-il possible de financer la DNUDPA? Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire, mais je veux que cela se fasse correctement. La DNUDPA et la loi de mise en œuvre sont-elles vendables politiquement?
Je vais vous donner un exemple. Je m’inquiète beaucoup du déclin rapide et continu des langues autochtones au pays. Considérez les dispositions de la Déclaration des Nations unies en matière d’éducation et de services et envisagez la mise en œuvre de ces dispositions. Cela coûtera littéralement des milliards de dollars. Et c’est un besoin urgent. Nous aurions dû le faire il y a 50 ans. Nous n’aurions jamais dû avoir à le faire au départ. Les mesures actuelles de maintien et de renforcement des langues sont dérisoires par rapport aux besoins réels.
Troisièmement, la mise en œuvre est un processus et non une fin. Je ne suis pas certain que la population canadienne ait une idée claire — et sûrement pas une idée partagée avec les Autochtones — des résultats souhaités. Autrement dit, nous nous sommes engagés dans une voie, mais nous ne savons pas où nous allons. Pour que le Canada puisse honorer la DNUDPA, il faudra que les Autochtones jouissent d’une véritable autonomie, retrouvent leur émancipation politique, partagent la prospérité et connaissent une revitalisation culturelle.
On ne voit guère de preuve de l’appui général du Canada à ces objectifs. Dans le passé — et j’en vois des éléments dans le plan de mise en œuvre —, on s’est contenté de rafistoler les programmes et d’apporter des changements mineurs au lieu de réorganiser fondamentalement notre système gouvernemental.
Quatrièmement — et vous le savez parce que vous travaillez très attentivement sur ce document —, la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est incroyablement compliquée et extrêmement difficile. L’ébauche du plan de mise en œuvre de la Colombie-Britannique et les premières mesures qu’elle a prises pour mettre en œuvre la DNUDPA en sont la preuve. La mise en œuvre ne peut être limitée par des échéances artificielles et elle doit être orientée par les priorités, les protocoles et le calendrier autochtones, et non par un programme législatif ou par les objectifs stratégiques d’un gouvernement.
Il faudra des décennies pour rétablir la situation. Le Yukon a signé son entente sur les revendications territoriales en 1993. Il n’a mis en œuvre qu’une petite partie du traité moderne de 1993. Il faudra des décennies pour obtenir des résultats dans le cadre de cette entente, compte tenu du fait que, comme les choses évoluent lentement, ce sont les Autochtones qui en assument de façon disproportionnée les coûts et les conséquences.
Pour tout dire, la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, si elle est faite correctement — et je tiens vraiment à ce qu’elle le soit — transformera le Canada de façon constructive et positive. Il ne s’agit pas simplement de changer quelques politiques et programmes. Cela suppose que notre pays remédie aux injustices historiques et rétablisse un véritable partenariat avec les Autochtones.
À ce que je sache, les Premières Nations, les Inuits et les Métis sont impatients de voir le Canada réinventé. Ils le méritent. Je ne suis pas encore certain que la population canadienne soit prête pour une telle transformation. Il y a des endroits — les trois territoires du Nord et le Nord du Québec étant de bons exemples — où le genre de transformation que nous souhaitons est en cours.
Le pays dans son ensemble est-il prêt pour cette transformation? Je pense malheureusement que non. À ce stade, une grande partie de notre travail collectif — Autochtones et non-Autochtones, parlementaires, universitaires et d’autres — consiste à préparer le Canada à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de façon positive et constructive. Nous avons beaucoup de travail à faire avant d’arriver à la ligne de départ, sans parler de la ligne d’arrivée.
Merci beaucoup de votre attention. Je vous souhaite la meilleure des chances dans votre travail très important.
Le président : Merci, monsieur Coates. J’invite maintenant M. Young à faire son exposé préliminaire.
Me Tuma Thomas William Young, c.r., avocat, Smith Law et professeur, Études L’nu, Université du Cap-Breton, à titre personnel :
[Mots prononcés dans une langue autochtone].
Bonjour à tous. Je voudrais remercier les sénateurs de m’avoir invité à venir vous donner mon point de vue sur les questions qui nous ont été posées.
Je tiens également à saluer mes collègues qui sont en ligne. Ils sont très respectés dans leur domaine, et je les remercie pour leur travail acharné. Je suis vraiment honoré d’être dans la même pièce que tout le monde ici, en particulier mes collègues de L’nu.
Lorsque je viens ici, je souris, car il fut un temps où ce n’était pas le cas et où ces pièces n’étaient pas vraiment accueillantes. Les temps ont changé, et il ne faut pas l’oublier.
Vous avez entendu des exposés. Nous pouvons faire des exposés et parler de choses théoriques, mais je veux plutôt vous raconter comment nous en sommes arrivés ici. Je ne dispose que d’environ cinq minutes — nous n’avons pas beaucoup de temps — et je devrai ajuster l’histoire, mais elle remonte à la façon dont on me l’a racontée, elle parle du droit international et des Nations unies, et elle a commencé dans les années 1970.
Même lorsque j’étais enfant, j’entendais parler du grand conseil qui présentait des pétitions aux Nations unies. J’ai entendu parler de l’une de vos collègues sénatrices aujourd’hui à la retraite, la sénatrice Lovelace Nicholas, et de sa bataille aux Nations unies. Le grand conseil s’y est rendu dans les années 1980, et je parle donc aussi de son rôle à cet égard.
L’histoire commence bien avant que nous ne soyons ici; elle commence il y a bien longtemps. L’histoire se poursuivra, et elle s’est poursuivie. Nous venons d’arriver. Nous venons d’en écrire quelques chapitres. C’est ainsi que cette histoire est racontée dans mes communautés, dans les communautés mi’kmaq, l’histoire de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et comment elle a vu le jour.
Lorsque je suis avec mes collègues de l’Association du Barreau autochtone, comme vous l’a dit Mme Gunn, nous entendons souvent les anciens de l’ABA nous parler de leur rôle dans l’élaboration de la déclaration et des difficultés qu’ils ont rencontrées, notamment en ce qui concerne la lettre « S ». Même à une lettre près, c’était toujours une lutte, mais ils ont persévéré, et nous y sommes arrivés.
Cette loi, sa mise en œuvre et son plan d’action ne seront pas exempts de difficultés. Nous en avons tous vécues.
C’est le rôle de nos peuples autochtones, les L’nu, qui ont fait de cette possibilité une réalité. Ils ont lancé la réflexion. Ce n’était pas il y a quelques années; la mise en œuvre n’existait pas il y a quelques années.
L’histoire parle aussi du rôle du Canada. Lorsque l’histoire est racontée dans nos communautés, nous racontons ce qui s’est exactement passé aux Nations unies, les luttes pour obtenir la lettre « S » et l’adoption par l’Assemblée générale des Nations unies, avec quatre pays refusant de l’accepter à l’époque. Vous connaissez cette histoire, et le Canada en fait partie. Nous la racontons; nous ne l’oublions pas.
L’histoire a de nouveau changé lorsque le Canada a décidé d’adopter la déclaration et de la mettre en œuvre au niveau fédéral. C’était, je crois, il y a quelques années.
Le chapitre suivant est l’histoire de la loi de mise en œuvre et de la façon dont elle a suscité les attentes de nombreuses personnes dans nos communautés. « Pensez-vous que cela va vraiment se produire? Les relations peuvent-elles changer? » Car c’est bien de cela qu’il s’agit, de nos relations les uns avec les autres.
Il y a d’autres parties à l’histoire, la loi de mise en œuvre, le plan d’action et son exécution. Cela a suscité plus d’attentes. « D’accord, nous commençons. » Mais ensuite, d’autres nous disent: « Attention. Soyez prévenus. Nous avons déjà emprunté cette voie. Nous savons qu’elle peut ne mener à rien. »
Puis nous avons les histoires encore en cours de développement sur le rôle des provinces. Nous savons qu’une province a élaboré sa propre loi de mise en œuvre, mais qu’en est-il des autres provinces et territoires, ou même de notre propre gouvernance autochtone? Cette histoire est encore en cours et est racontée. Nous ne savons pas où elle nous mènera.
Le dernier point de mon intervention de cinq minutes est que je demanderais aux sénateurs de réfléchir très attentivement à la façon dont cette histoire est racontée du point de vue autochtone. Tout est relié. Même cette perspective autochtone n’est pas unanime. Les gens ont des interprétations différentes basées sur leurs propres attentes. J’ai probablement un point de vue juridique, une interprétation juridique, sur la question, mais certains de mes cousins sur le terrain ont des interprétations différentes de ce que signifie le consentement libre, préalable et éclairé et de la manière dont cela fonctionnera. Beaucoup d’autres se demanderont si cela apportera des changements, parce qu’ils n’en voient pas pour l’instant.
L’histoire n’est pas terminée. Le rôle important joué par la Commission royale sur les peuples autochtones est étroitement lié à cette histoire. Nous ne devons jamais, au grand jamais, l’oublier. La Commission de vérité et réconciliation, la CVR, et les appels à l’action ont également joué un rôle très important. Nous ne devons jamais oublier cette histoire. Il y a aussi l’histoire de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et les appels à la justice. Cela fait aussi partie de l’histoire.
Lorsque vous, en tant que sénateurs, envisagez d’étudier cette mise en œuvre, je vous suggère d’examiner ces histoires. Vous direz peut-être : « J’ai déjà entendu cela. Je l’ai écouté. Je l’ai lu. » Les histoires sont racontées encore et encore. Il en va de même pour l’histoire de la création des chambres du Parlement. Je ne sais pas quelle est cette histoire. Je suis allé à l’autre endroit, à la recherche de l’ancien Sénat, puis je suis allé là-bas, près du musée de la photo, et je me suis retrouvé ici. Quelqu’un a oublié de me raconter cette partie de l’histoire. Quoi qu’il en soit, tout cela fait partie de notre histoire, toutes ces choses sont reliées.
Je n’ai pas beaucoup de temps. Dans mes remarques, il y a 10 points que je peux aborder, mais je veux vraiment me concentrer sur un seul point primordial. Il s’agit de savoir comment mettre en œuvre L’nuwey Tplutaqan. L’nuwey Tplutaqan est la loi Mi’kmaq, les lois et les principes juridiques autochtones. Comment pouvons-nous utiliser le pluralisme juridique? Le plan d’action en parle. Nous avons étudié le pluralisme juridique et toutes les autres théories, ainsi que la théorie juridique autochtone, mais il faut l’appliquer ensuite dans notre travail. Je vais vous raconter quelques anecdotes sur la manière dont je procède. Cela peut sembler un peu effrayant. Comment intégrer cela au travail législatif du Sénat et de la Chambre des communes et au rôle de la Couronne?
Je peux vous donner quelques exemples de la façon dont je le fais dans ma vie quotidienne et dans mon travail. Voilà sur quoi je veux concentrer mon attention, comment le Sénat, le Parlement et le Canada peuvent inclure et célébrer L’nuwey Tplutaqan dans leur travail. Wela’lioq.
Le président : Merci, maître Young. Nous allons passer aux questions des sénateurs. Nous disposons de très peu de temps. Si vous pouvez faire en sorte que les questions et les réponses soient aussi succinctes que possible, cela serait utile.
Chers témoins, si vous estimez ne pas avoir assez de temps pour fournir une réponse complète, n’hésitez pas à fournir aussi une réponse par écrit.
Je vais poser la première question; elle s’adresse à tous les témoins. À votre avis, quels sont les trois principaux sujets ou questions sur lesquels notre comité devrait se concentrer au cours de son étude sur la mise en œuvre de la loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones? Comment les progrès de la mise en œuvre du plan d’action devraient-ils être mesurés, et par qui?
Nous commencerons par Mme Gunn.
Me Gunn : Merci beaucoup de la question et d’attirer notre attention sur les points que vous mentionnez. Dans mon exposé, je me suis concentrée sur un seul, étudier à la fois la façon dont le gouvernement a consulté et coopéré jusqu’à présent et ce que le gouvernement veut savoir des peuples autochtones quant à la façon dont ils veulent participer à l’avenir.
Dans le cadre du calendrier législatif, on s’est tellement empressé de déterminer ce que l’on allait faire que l’on n’a pas bien réfléchi à la manière de le faire, même si c’est important.
Le deuxième point, qui concerne la mesure des progrès, est la détermination des échéances. On parle beaucoup de ce que nous ferons et de ce que le gouvernement accomplira dans cinq ans, mais on ne connaît pas le point de départ ou le point d’arrivée, ni comment nous allons progresser. Il y a beaucoup de travail à faire à ce sujet, simplement pour comprendre comment les progrès doivent être évalués.
Un autre sujet qui doit être étudié dans le cadre de la loi de mise en œuvre est la façon dont le gouvernement s’améliore lui-même. Je n’ai pas eu l’occasion d’aborder cet enjeu, mais j’aimerais attirer votre attention sur les mémoires que vous avez reçus de la Coalition pour les droits humains des peuples autochtones et sur les questions relatives à la façon dont le gouvernement se prépare à la mise en œuvre.
Je suis préoccupée par le fait qu’une grande partie de la formation se fait avec et par l’intermédiaire du ministère de la Justice, dont le personnel n’a peut-être pas beaucoup d’expérience en matière de droit international. Je ne connais aucune faculté de droit au Canada où le droit international est un cours obligatoire. Donc, une fois de plus, il faudrait étudier la façon dont le gouvernement se prépare. Je pense que ce sont là mes principaux points.
Enfin, en ce qui concerne la mesure des progrès, il faut utiliser les critères des peuples autochtones. Comment voulons-nous juger ce que nous faisons? Mon critère est le suivant : quelle est mon impression de l’avenir pour ma fille? Elle a 5 ans. Il nous a fallu beaucoup de temps pour en arriver à cette loi. Est-ce que je vois des progrès? Est-ce que je me sens plus optimiste quant au monde dans lequel elle vit? Il ne s’agit pas seulement de cocher des cases pour savoir combien d’éléments de la liste d’actions ont été réalisés. Merci.
M. Coates : C’est une excellente question. Voilà une façon de nous effrayer dès le départ, monsieur le président. En premier lieu, les plans d’action me terrifient. Ils sont longs et compliqués, ils comprennent de très longues listes. Ils sont intimidants, c’est le moins que l’on puisse dire. Je mentionnerais trois priorités. Il faut que la consultation et la participation soient bonnes. Mme Gunn a tout à fait raison sur ce point. Si vous vous y prenez mal, même si vous obtenez le bon résultat, vous n’obtiendrez pas le genre de paix et de solidarité que vous attendez de ce processus. Comment la consultation est-elle menée? Comment la participation va-t-elle se dérouler?
Deuxièmement, il ne faut pas se perdre dans les détails avant de savoir quel est l’objectif. À quoi ressemblera le Canada à la fin du processus? Quel est l’objectif de la mise en œuvre? Lorsque la Déclaration des Nations unies sera en place, qu’est-ce que ça voudra vraiment dire?
Cette partie est très importante. Le troisième aspect est la combinaison des délais et du budget. Une mise en œuvre adéquate de la déclaration coûtera des milliards de dollars, ce qui est bien plus que ce que l’on aurait pu penser. Quel que soit le coût estimé, multipliez-le par cinq pour peut-être se rapprocher du coût réel. Les échéanciers doivent être très clairs afin de contrôler les attentes dont Mme Gunn a parlé, et pour que les gens sachent qu’il y a des échéanciers.
Comment allez-vous savoir que des progrès ont été faits? J’ai deux points à souligner à ce sujet. Pour prendre le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut comme exemples, les gens parlent souvent du processus des traités dans le Nord comme autant d’échecs, car ils n’ont jamais été mis en œuvre totalement.
Qui plus est — et c’est un peu différent — est-ce qu’on se conforme à l’esprit de la déclaration dans les activités et la vie parlementaire au quotidien? Est-ce que, quand vous vous réunissez pour parler des enjeux qui concernent le pays, vous prenez en compte vos obligations au titre de la déclaration?
Bien sûr, il faut examiner les problèmes, corriger les politiques et tenter d’améliorer la situation. Toutefois, au fur et à mesure que vous avancez, il faut que l’esprit de la déclaration serve, au quotidien, à définir et à orienter les activités du gouvernement d’une façon dynamique et tout à fait unique. Pour reprendre l’exemple du Yukon, les traités modernes n’ont pas été mis en place totalement, mais l’esprit des traités y est toujours présent, et il régit les activités du territoire. Je vous encourage à veiller à ce qu’il y ait ce genre de philosophie dans la gestion de la mise en œuvre de cette loi. Je vous remercie beaucoup.
Me Young : Je regardais les questions, et je me demandais comment j’allais y répondre. J’ai pensé à un ou deux points, et ils portent sur le plan de surveillance, qui comprend un volet éducation.
Le plan d’action pour la mise en œuvre exige la création d’un plan ou d’un mécanisme de surveillance. Vous pouvez vous concentrer sur cet élément, car le travail sur le plan international a été fait en grande partie. Il n’y aura sans doute rien de plus à faire de ce côté. Le travail législatif — en grande partie — a été fait. Nous passons maintenant à la mise en œuvre, et nous devons commencer à nous y mettre. La tâche ne sera pas facile. Les collectivités — et pas seulement les collectivités autochtones, mais aussi toutes les collectivités au Canada — s’attendent maintenant à voir si quelque chose sera fait. Nous avons souvent des commissions d’enquête, etc., dans le cadre desquelles on formule des recommandations, mais il n’y a pas de plan de surveillance.
En fait, l’exemple qui me vient en tête est celui de l’enquête de la Commission des pertes massives en Nouvelle-Écosse et les recommandations qui en ont découlées. L’une d’elles était d’avoir un comité de surveillance des progrès, et ce comité a été créé. Ses membres font rapport de ce que la province, les policiers et d’autres font pour mettre en œuvre les recommandations. Ce serait sans doute le modèle à examiner, et cela contribuerait beaucoup à la transparence et à la reddition de comptes pour les collectivités autochtones et non autochtones.
Certaines personnes vont se demander si c’était un vœu pieux et s’il s’est simplement évanoui. Un comité de ce genre fait en sorte que l’on continue de parler de la déclaration et qu’elle est mise en œuvre avec le sérieux qu’elle mérite.
C’est essentiellement mon premier point. Mon deuxième concerne l’éducation sur la déclaration au sein de bon nombre de nos communautés, y compris la fonction publique. Je siège à des tables où l’on mentionne que, dans le cadre de la loi de mise en œuvre, l’École de la fonction publique offrira des cours. On demande aux négociateurs et aux avocats chevronnés de les suivre. Ce sont des experts. Ils peuvent ne pas suivre la formation ou refuser de le faire en se disant qu’ils n’en ont pas besoin, mais il est essentiel pour eux qu’ils intègrent la mise en œuvre de la déclaration dans leur travail et qu’ils aient cette perspective. Ce sont essentiellement les deux points que je voulais souligner.
Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins d’être avec nous. Vous avez tous abordé deux éléments que j’aimerais souligner. Je vais vous laisser répondre aux questions à votre guise. Selon moi — comme je l’ai déjà dit au sein du comité —, la grande priorité devrait être le point 19, la création d’un mécanisme de recours concernant les droits des peuples autochtones — et tous les témoins en ont parlé —, car cela pourrait accélérer la mise en œuvre et faire en sorte que tout fonctionne bien ensemble comme c’est censé le faire.
Avez-vous des commentaires au sujet du point 19? Comment devrait-on procéder pour le mettre en œuvre? Devrait-on en faire une priorité?
Ma deuxième question porte aussi sur un sujet abordé par les trois témoins, soit le pouvoir de l’éducation, en lequel je crois fortement. Si je demande aujourd’hui à des gens de Saskatoon ce que la déclaration veut dire, ils ne pourraient pas me répondre. Le gouvernement fédéral a-t-il une responsabilité fiduciaire d’éduquer tous les adultes au pays sur la déclaration, ainsi que sur les raisons et la façon de la mettre en œuvre?
Le comité devrait-il en faire une recommandation prioritaire? Je vous pose la question — et l’un de témoins a parlé de la compréhension qu’en ont les fonctionnaires — parce que la population en a une compréhension très limitée, et il faut y remédier. Je parle ici des adultes, car j’espère que les élèves dans le réseau scolaire, de la maternelle à la 12e année, en apprennent maintenant beaucoup sur ces questions.
J’aimerais donc savoir si nous devrions nous pencher sur le pouvoir de l’éducation ou formuler une observation à ce sujet dans notre étude, et aussi sur le point 19 et le mécanisme indépendant, dirigé par des Autochtones.
Si ces questions demandent une réponse trop longue, vous pouvez répondre par écrit, mais je crois que vous avez quelques commentaires à faire.
Me Gunn : Bien sûr. Si je peux me permettre de commencer, j’aimerais répondre à votre question sur le mécanisme de suivi par écrit après la réunion. Il en était question dans notre mémoire sur le plan d’action. Nous avons quelques idées à ce sujet.
Toutefois, je vais commencer par un simple oui : je suis d’accord avec vous pour dire qu’il s’agit d’un des éléments par où commencer, ou à tout le moins, l’une des grandes priorités, l’un des premiers éléments qu’il faut s’employer à déterminer. En sachant qu’il existe un mécanisme, les gens auront confiance, peu importe ce qui arrive. Si on attend à la fin, cela nécessite en quelque sorte une confiance aveugle. Je suis donc d’accord avec vous à ce sujet.
Je veux me concentrer sur la question de l’éducation, qui est très importante. En tant que professeure, naturellement, je forme des gens. De plus, dans le cadre de mon travail, j’ai fait des centaines d’exposés sur la déclaration des Nations unies. On s’y intéresse de plus en plus. Honnêtement, si je voulais abandonner l’enseignement, je pourrais sans doute travailler à temps plein comme formatrice dans ce domaine. Il y a donc un appétit pour cet apprentissage.
Le gouvernement a-t-il une responsabilité fiduciaire? C’est une question difficile. Je ne suis pas certaine, mais je pense que la clé est d’encourager les entreprises à éduquer leurs employés. C’est une bonne façon de commencer. Encourager les groupes religieux et les organismes communautaires est aussi une bonne façon de procéder. Il y a aussi l’appel à l’action qui encourage les entreprises à se familiariser avec la déclaration et à la mettre en œuvre. C’est une très bonne façon pour le gouvernement fédéral d’encourager les Canadiens à se familiariser avec la déclaration au travail. À mon avis, les groupes religieux et autres sont aussi de très bonnes façons de favoriser l’éducation en général.
M. Coates : Sénateur, si vous le permettez, je vais commencer par la deuxième question.
Nous avons au cœur du pays une province très intéressante appelée Saskatchewan qui a eu un commissaire aux traités qui s’est dit un jour que la chose la plus importante que l’on pouvait faire dans la province était de faire en sorte que les gens comprennent ce qu’est un traité et quelles étaient leurs obligations à titre de citoyens d’un pays signataire de traités, qu’ils soient autochtones ou non-autochtones. Vous savez bien mieux que moi, monsieur, que cette idée a connu un succès incroyable, et que des gens qui n’avaient jamais songé à ce qu’était un traité jusque-là en ont compris les tenants et les aboutissants.
Fait intéressant, le commissaire aux traités, comme vous le savez, était indépendant. Il ne parlait pas au nom du gouvernement. Si le gouvernement s’en était occupé, cela n’aurait pas fonctionné. On aurait eu des annonces retentissantes dans les cinémas et pendant les émissions à Radio-Canada que personne ne regarde, et on n’aurait pas vraiment eu de rétroaction. Il faut qu’il y ait une autre façon de procéder.
Je pense que Me Gunn en a parlé de façon brillante. Pensons à utiliser d’autres groupes. Très honnêtement — pour vous donner un exemple très étonnant —, l’industrie des ressources fait un meilleur travail que les municipalités canadiennes actuellement au sujet de la déclaration. Les sociétés ont une raison de le faire, car elles doivent notamment obtenir un consentement préalable donné librement et en connaissance de cause. Elles font un meilleur travail pour éduquer leurs employés que la plupart des municipalités.
Oui, les groupes religieux sont une excellente avenue, tout comme les syndicats. On y parviendra mieux si toute la société qui se mobilise, et j’y crois fermement. Vous savez, monsieur, que ce que vous avez fait en tant que commissaire aux traités a fonctionné. Mettons cela en application à l’échelle du pays.
L’autre question que vous avez posée, très importante au sujet...
Le sénateur Arnot : Vous n’aviez pas à parler de cela, mais je suis très heureux que vous ayez mentionné l’éducation et son importance. J’aime bien ce que vous dites au sujet des groupes qui devraient être mobilisés. Je vous remercie. Je ne voulais pas vous interrompre.
M. Coates : Non, je le méritais.
Je veux parler rapidement du mécanisme que vous avez mentionné. N’oubliez pas que le Canada n’est pas statique pendant la mise en œuvre de la déclaration. Il se sera écoulé 50 ou 60 ans avant d’avoir quelque chose en place qui ressemble à la déclaration, avant d’avoir épluché tous les documents, etc. Nous devons commencer à agir comme si la déclaration était réelle. À moins d’avoir un mécanisme de recours maintenant — afin que les droits des peuples autochtones puissent être défendus et protégés en vertu du droit canadien et du droit autochtone —, l’exercice dans son ensemble est inutile. Veut-on attendre à la toute fin avant de mettre en place un tel mécanisme, un vrai pouvoir? Il faut avoir ce pouvoir dès le départ.
Je vous remercie.
Le sénateur Arnot : Merci.
Me Young : Je vous remercie de la question. Oui, j’appuie l’idée qu’il y ait une obligation d’éduquer. Vous avez parlé d’un des aspects les plus difficiles de l’éducation, à savoir les problèmes de compétence. Ce sont les provinces qui sont responsables de l’éducation et non le gouvernement fédéral. Cependant, le gouvernement fédéral a une obligation fiduciaire à l’égard de ses propres fonctionnaires, une obligation d’en parler et de faire en sorte que chacun d’eux reçoive une formation à ce sujet.
Pour vous donner un exemple de la difficulté que cela représente — et mon collègue a dit que cela prendrait beaucoup de temps —, après que le rapport de la Commission de vérité et réconciliation a été déposé et présenté à la population, les barreaux ont commencé le travail pour mettre en application les appels à l’action 27 et 28. Il s’agit pour eux d’offrir une formation obligatoire à tous les avocats, et pour les écoles de droit, de donner des cours à tous les étudiants. De nombreux barreaux offrent maintenant une formation obligatoire sur les compétences culturelles, les tribus présentent dans leur province, leurs problèmes, etc. Certains utilisent des outils comme Le Parcours, et d’autres de ce genre.
Toutefois, les appels à l’action ne portent pas seulement sur les compétences culturelles, mais aussi sur la déclaration, les lois autochtones, l’histoire des pensionnats, etc. Les compétences culturelles ne sont qu’un élément. Au sein de certains barreaux, des avocats se sont opposés, alors de nombreux barreaux ont rendu la formation obligatoire.
L’éducation est un élément merveilleux, mais ce ne sera pas facile. Il ne faut pas se leurrer. Il faudra du temps. Nous devrions commencer par là et nous allons nous rendre compte — et je me fais ici l’écho de ce qu’a dit mon collègue — que cela prendra du temps. On parle d’un travail qui s’échelonnera sur plusieurs générations.
Le président : Je vous remercie, maître Young.
J’ai quelques sénateurs qui souhaitent ardemment poser des questions. Je vous demande encore une fois d’être le plus bref possible dans vos questions et vos réponses. Je peux vous faire signe avec mon carton quand il vous reste une minute afin que vous sachiez que la fin approche.
La sénatrice Sorensen : Je vais poser une question à M. Coates et en poser une deuxième aux deux autres témoins en leur demandant de répondre par écrit.
En passant, il est 2 h 40 en Finlande — je viens de vérifier sur Google —, alors je vous remercie d’être avec nous.
Je veux souligner deux de vos commentaires. Tous les échelons de gouvernement préparent des plans, mais sans jamais y joindre de budget. C’est un problème qu’ils ont tous, et assurément ici aussi. J’ai bien aimé également votre commentaire sur le fait de commencer en ayant la fin en tête et ce que nous voulons voir à ce moment.
Dans votre article de 2013 — il y a donc 11 ans — intitulé « From aspiration to inspiration: UNDRIP finding deep traction in Indigenous communities », vous avez dit que la déclaration résonne dans les communautés autochtones comme bien peu de représentants gouvernementaux et de politiciens fédéraux s’en rendent pleinement compte.
Je voulais vous demander de nous parler des effets tangibles de la déclaration que vous avez pu constater, même si après ce que vous avez dit, je sais qu’il y en a très peu. Néanmoins, pouvez-vous en nommer quelques-uns?
M. Coates : Il y en a un, sénatrice, qui peut surprendre : les sociétés d’exploitation des ressources naturelles canadiennes ont fait un travail étonnant pour intégrer la déclaration à leurs activités. Je ne dis pas un instant qu’un secteur ou l’autre fait toujours très bien les choses, mais ces sociétés font un travail remarquable en travaillant comme si la déclaration était presque déjà mise en œuvre.
Quand on regarde des groupes comme l’Association minière canadienne, on pourrait penser qu’il serait en colère contre la déclaration et s’opposerait à sa mise en œuvre, mais ses membres ne s’en font pas vraiment. Pourquoi? Ils croient — comme certaines provinces et certains territoires — que nos pratiques respectent déjà ou vont au-delà de ce qui est prévu dans la déclaration.
Je pense que c’est dans le secteur des ressources que l’effet se fait le plus sentir. C’est l’effet le plus tangible dont je puisse vous parler.
La sénatrice Sorensen : En tant que sénatrice de l’Alberta, je m’en réjouis. Je suis d’accord avec vous, d’après ce que je constate.
Je demanderais aux deux autres témoins de répondre par écrit, car cela demanderait trop de temps. Vous avez parlé tous les deux de décoloniser les lois et de revitaliser les systèmes juridiques autochtones pour contrer les façons dont les lois ont été utilisées historiquement contre les peuples autochtones.
Maître Gunn et maître Young, je sais que vous vouliez nous parler de la façon de le faire concrètement. Cela m’intrigue. Comment peut-on intégrer les lois traditionnelles autochtones dans un système juridique colonial?
Vous m’avez intriguée, maître Young, en particulier lorsque vous avez laissé entendre que vous aviez des exemples. Je ne veux pas vous donner de devoirs, mais cela me serait très utile de le savoir. C’est malheureux que nous n’ayons pas assez de temps pour en parler ce soir.
Le président : Nos témoins peuvent répondre par écrit. Je pense que nous aurons des copies de la transcription, alors vous pouvez obtenir la question de la greffière pour fournir votre réponse.
Me Young : Je peux dire deux choses rapidement. Premièrement, je n’ai pas encore de doctorat, même si un jour j’aurai sans doute assez de cheveux blancs pour en avoir un.
Je suis juge de paix en Nouvelle-Écosse, et je célèbre des mariages. Il y a une formation qui porte sur quatre petits éléments dans la célébration, dont les articles 91 et 92 de la Constitution qui portent sur la répartition des pouvoirs.
Lorsque je célèbre un mariage, les derniers mots sont normalement « En vertu des pouvoirs qui me sont conférés par la Loi sur le mariage... », mais ce n’est pas ce que je dis. Je dis « En vertu des pouvoirs qui me sont conférés par L’nuwey Tplutaqan, je vous déclare unis par les liens du mariage », puis j’enregistre le tout. C’est légal. Je pose de petits gestes de ce genre.
Lorsque nous préparons des contrats pour les entreprises, normalement on y dit : « Tout litige sera résolu conformément aux lois de la province », mais nous disons « Tout litige sera résolu conformément au L’nuwey Tplutaqan ou de la province... » Dans ce cas, il s’agit de la Nouvelle-Écosse, mais peu importe la province concernée.
J’ai aussi rédigé une décision dans ma cour des petites créances qui a été publiée dans CanLII. Vous devriez pouvoir la consulter. Je l’ai rédigée dans la langue mi’kmaq. Ce faisant, j’ai pu intégrer le droit mi’kmaq dans la prise de décision d’un arbitre, alors qu’auparavant, on ne pouvait utiliser que le droit statutaire ou la common law. En rédigeant la décision en langue mi’kmaq, j’intègre le droit autochtone. Ce sont de petits pas en avant.
La sénatrice Sorensen : Excellent. Merci.
Le sénateur McNair : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui. C’est une discussion très utile.
Monsieur Coates, une chose que vous avez dite m’a frappé. Nous avons beaucoup de travail à faire pour démarrer, sans même penser à la ligne d’arrivée. Hier, Merrell-Ann Phare, du Centre autochtone de ressources environnementales, a témoigné devant notre comité, et elle parlait du terme « élaboration conjointe », qu’elle considérait comme étant bien différent du terme « consultation ».
Comme nous le savons tous, le plan d’action national précise que l’élaboration conjointe est l’extrémité la plus élevée du spectre de la consultation et de la collaboration. Mme Phare a dit :
Je veux souligner d’emblée que, d’après mon expérience, cette définition est, avec tout le respect que je vous dois, inexacte. De mon point de vue, l’élaboration conjointe ne fait pas partie du spectre de la consultation. La consultation, c’est l’obligation légale qu’ont les gouvernements de la Couronne s’ils veulent faire quelque chose qui pourrait avoir une incidence sur les droits des Autochtones. En fin de compte, c’est un processus de violation des droits. L’élaboration conjointe est un processus de gouvernement à gouvernement. Il s’agit de collaborer en tant que gouvernements pour faire quelque chose qui est dans l’intérêt de tous les gouvernements [...]
... à la table.
J’aimerais entendre vos commentaires sur ce point de vue. Êtes-vous du même avis? Cette question s’adresse à chacun d’entre vous. Que pensez-vous de l’élaboration conjointe? Doit-elle s’inscrire dans un processus de consultation ou constituer un processus distinct?
M. Coates : C’est une excellente question, sénateur. Indépendamment de la discussion sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, je suis un fervent partisan de l’élaboration conjointe des politiques. Honnêtement, si l’on veut s’occuper de questions qui ont des répercussions majeures sur les Autochtones — par exemple, le développement des ressources, l’adoption de stratégies environnementales ou d’une stratégie visant à résoudre les épidémies de cocaïne ou d’opioïdes dans les collectivités autochtones ou dans l’ensemble du Canada —, l’élaboration conjointe est la meilleure façon de procéder. C’est utile.
Je ne vois pas les choses tout à fait sous le même angle que l’autre spécialiste, qui les voit d’un point de vue plus conceptuel. À vrai dire, pour que le tout fonctionne, il faut des gens à bord.
Les gouvernements autochtones jouent un rôle de plus en plus important dans le processus. Plus d’une centaine de Premières Nations se sont affranchies de la Loi sur les Indiens ou négocient actuellement une façon de s’y soustraire. Elles jouissent d’une autonomie et d’une indépendance importantes.
Je suis donc tout à fait favorable à l’élaboration conjointe. Elle fonctionne très bien. Où la voit-on se concrétiser? En particulier pour des questions relatives à la gestion de la faune et du gibier et plus particulièrement dans le Nord. Plus on descend vers le sud, moins il y a d’exemples. J’ai vu des situations où le concept fonctionne très bien.
Me Gunn : Si vous me permettez de répondre rapidement... J’aime beaucoup la façon dont Mme Phare a présenté les choses. J’ai beaucoup de respect pour son travail. Cela illustre ce que je disais plus tôt, à savoir que le gouvernement fédéral continue de penser que c’est à lui de résoudre le problème et qu’il n’a qu’à s’adresser aux peuples autochtones d’abord.
Ce que me disent les communautés autochtones avec lesquelles je travaille, au Manitoba, au pays et dans le monde — et d’après ce que j’ai compris de l’objectif de la déclaration des Nations unies en lisant le préambule —, c’est qu’il faut en fait modifier cette relation coloniale et faire participer les peuples autochtones au processus décisionnel, ce qui signifie que nous travaillons ensemble à l’élaboration de mesures législatives, de politiques, d’approches et de plans.
Chaque fois que le gouvernement veut faire quelque chose « pour » les peuples autochtones, la sonnette d’alarme du paternalisme devrait retentir. Pour moi, ce qui caractérise la démarche d’élaboration conjointe, c’est que nous travaillons ensemble, en sachant que le gouvernement fédéral n’a pas la réponse pour les peuples autochtones — ou du moins il n’a pas prouvé par le passé qu’il était capable de trouver des réponses pour nous. Nous savons ce que nous savons, nous pouvons résoudre nos propres problèmes et nous voulons travailler à ces approches avec les gouvernements canadiens.
Me Young : Je vais ajouter quelque chose. Je serai concis.
D’une certaine manière, lorsque l’on parle de consultation dans de nombreuses communautés autochtones, on pense immédiatement aux droits ancestraux et issus de traités, au processus de violation et aux violations en ce qui concerne l’ampleur des consultations.
L’élaboration conjointe peut s’inscrire dans ce spectre et elle pourrait constituer une forme d’accommodement en ce sens. Peut-être faudrait-il plutôt envisager une approche que nous appelons l’approche Etuaptmumk, ou à double perspective, qui a été conçue par mes cousins Albert et Murdena Marshall à l’Université du Cap-Breton.
L’élaboration conjointe peut toujours en faire partie, mais le mot « élaboration » a aussi sa propre définition et sa propre histoire, et les perspectives diffèrent d’une région à l’autre au Canada.
Il faut peut-être plutôt y voir une responsabilité conjointe à l’égard des terres, des eaux et des ressources.
Alors, dans le processus décisionnel, les deux parties ont la même responsabilité de prendre soin des ressources pour les générations à venir.
Le président : Merci.
La sénatrice Coyle : Le sénateur McNair a posé ma première question. Je suis heureuse que vous l’ayez posée.
Je trouve intéressant que chacun d’entre vous ait dit que les Canadiens non autochtones — et je le sais pertinemment — ne savent pas grand-chose. Monsieur Coates, vous avez dit que pour qu’il y ait une volonté politique, en particulier en ce qui concerne les questions budgétaires et toute autre chose que nous voulons, il est essentiel que les Canadiens non autochtones en sachent plus.
En même temps, chacun d’entre vous a dit qu’il y a de l’espoir et des attentes au sein des communautés autochtones. Il y a un risque réel que ces espoirs soient perdus si nous ne faisons rien pour instaurer la confiance.
Ma question s’adresse à vous tous. Chacun d’entre vous a déjà commencé à en parler. Peut-être devrez-vous y répondre par écrit. Je ne sais pas si nous avons assez de temps. Quelles sont les meilleures façons de concevoir le vaste processus d’éducation qu’il sera nécessaire d’entreprendre — pas uniquement dans le cadre du système scolaire, mais par de nombreux autres moyens également — pour les membres des communautés autochtones ainsi que pour les gens qui vivent à l’extérieur de ces communautés? Il faut que tout le monde y ait accès. Il y aura probablement deux types d’enseignement.
Monsieur Coates, pourriez-vous nous expliquer — peut-être par écrit — ce que le Yukon a fait de bien en ce qui concerne les traités modernes qui ne sont pas encore pleinement mis en œuvre, mais dont l’esprit, comme vous l’avez dit, est déjà présent? Que pourrait nous apprendre l’expérience du Yukon pour que l’esprit de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones imprègne toutes les régions du Canada?
À l’école primaire de Whitehorse, mes petits-enfants apprenaient le tutchone du Sud. Lorsque mon petit-fils était à Baker Lake, au Nunavut, il était dans un programme d’immersion en inuktitut. Il y a tant de façons de faire, mais le Yukon a beaucoup à nous apprendre. Si vous pouviez en parler dans une déclaration écrite, ce serait formidable. Merci.
Le président : Si vous pouviez fournir vos réponses par écrit, nous vous en serions très reconnaissants.
Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins de leurs témoignages.
Ma question rejoint celle qu’a posée la sénatrice Sorensen au sujet des systèmes juridiques autochtones, mais un aspect important de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones concerne la recherche d’une harmonisation avec les lois fédérales. Nous parlons ici de nombreuses lois.
J’aimerais savoir quel rôle le droit autochtone pourrait jouer dans ce processus d’harmonisation, à votre avis. Maître Young, vous avez mentionné l’approche Etuaptmumk, ou à double perspective. Vous avez également mentionné L’nuwey Tplutaqan, c’est-à-dire le droit L’nu. Comment le droit L’nu peut-il orienter le processus d’harmonisation avec les lois et les règlements fédéraux? Comment cela fonctionnera-t-il?
Me Young : Tout d’abord, je vais raconter ce qui s’est passé dans une affaire récente devant la Cour des petites créances. Je ne peux pas parler de l’affaire en tant que telle, mais elle parle d’elle-même. Je peux vous dire comment les choses se sont passées de mon côté.
Lorsque j’ai accepté cette affaire, c’était une très petite affaire. Elle portait sur la garde d’un chien et opposait un couple. Ils se disputaient le chien. Dans le droit canadien, un chien n’est pas considéré comme un animal de compagnie. C’est un bien. La question qui se pose est la suivante : qui est le mieux placé pour revendiquer le bien? Qui a les reçus? Qui l’emmène chez le vétérinaire? Qui paie les factures? Qui le nourrit? Ce genre de choses.
Dans ce cas, on ne demanderait jamais ce qui est dans l’intérêt supérieur du chien. Or, l’un des principes du droit autochtone est que toute vie a ses propres forces et doit être respectée. En utilisant les termes mi’kmaqs, je peux m’appuyer sur ce qui est dans l’intérêt supérieur du chien. J’ai utilisé cela, le droit canadien et le droit législatif pour parvenir à ce que je pensais être la bonne décision dans cette affaire.
Un autre aspect concernant cette affaire est que les parties en conflit n’étaient pas des Autochtones. J’ai démontré que le droit autochtone pouvait être appliqué à des parties non autochtones, à l’instar de ce que font les Navajos dans leur processus de rétablissement de la paix, auquel les sociétés non autochtones peuvent participer. C’est là que l’harmonisation est possible.
Dans l’approche Etuaptmumk, ou l’approche à double perspective, on a recours au pluralisme juridique, comme le prévoit le plan d’action, pour parvenir à la meilleure décision. Ce n’est pas la première fois qu’une telle chose se fait. Les travaux de John Borrows ont démontré que cela s’était passé dans l’affaire Connolly c. Woolrich, qui remonte aux années 1800. Dans cette affaire, on a utilisé le droit cri pour déterminer si un mariage était valide, dans ce que l’on appelait les mariages à la façon du pays.
En ce qui concerne d’autres affaires relatives à l’adoption et à la protection de l’enfance au Yukon... Nous allons créer, dans le cadre du projet de loi C-92, une loi sur la protection de l’enfance, et de nombreuses communautés envisagent d’intégrer le droit autochtone dans les systèmes de protection de l’enfance.
Il existe toutes sortes de moyens intéressants de procéder. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones joue un rôle important, en particulier sur le plan de la revitalisation des langues, dans laquelle réside en bonne partie le droit autochtone.
Le président : Malheureusement, notre temps est écoulé.
Si les témoins souhaitent ajouter des éléments à leurs témoignages, ils peuvent le faire par écrit. Avant que nous terminions, la sénatrice Martin aimerait poser une question. Vous pouvez fournir les réponses par écrit.
Pour que les choses soient claires, la transcription sera disponible demain et vous pourrez voir la question.
La sénatrice Martin : Je remercie les témoins. J’ai beaucoup appris en vous écoutant. L’histoire que vous nous avez racontée était magnifiquement présentée. Je vous remercie pour tout ce que vous avez dit. J’ai pris beaucoup de notes.
Près d’un an s’est écoulé depuis la publication du plan d’action. Il y a de nombreux points, 181 mesures — près de 200. C’est beaucoup.
Le sénateur Arnot a mentionné la mesure 19. J’aimerais avoir la liste des priorités de chaque témoin pour ces mesures — pas toutes les mesures, mais celles que vous jugez les plus importantes, dans l’ordre qui vous semble le plus judicieux. Merci.
Le président : Merci, sénatrice Martin. Nos témoins nous fourniront ces renseignements par écrit.
Malheureusement, le temps réservé au groupe de témoins est écoulé. Je tiens à remercier de nouveau nos invités de s’être joints à nous et d’avoir fourni d’excellents témoignages ce soir.
Encore une fois, si vous souhaitez soumettre d’autres observations au comité, veuillez les envoyer à la greffière par courriel d’ici sept jours.
(La séance se poursuit à huis clos.)