LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 28 mai 2024
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la mise en œuvre de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2021 par le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis; et, à huis clos, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.
Le sénateur Brian Francis(président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Je tiens d’abord à reconnaître que le territoire sur lequel nous nous rassemblons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe, qui abrite aujourd’hui de nombreuses autres Premières Nations, des Inuits et des Métis de l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, également connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président de ce comité.
Je vais maintenant demander aux membres du comité de se présenter.
Le sénateur Prosper : P. J. Prosper, sénateur de la Nouvelle‑Écosse, territoire mi’kma’ki.
La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique. Je vis sur le territoire visé par le Traité no 6.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle‑Écosse, territoire mi’kma’ki.
La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, du territoire visé par le Traité no 7, en Alberta.
Le président : Je vous remercie, sénateurs.
Aujourd’hui, nous poursuivrons notre nouvelle étude visant à étudier la mise en œuvre de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2021, également connue sous le nom de la LDNU par le Canada et les peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Le comité entend des témoins pour peaufiner son sujet d’étude.
J’aimerais maintenant vous présenter nos témoins. De l’Assemblée des chefs du Manitoba, ou ACM, nous accueillons la grande cheffe Cathy Merrick, et à titre personnel, Me Merle Alexander, avocat principal à Miller Titerle, et Me Janice Makokis, juriste Ianni. Merci à tous de vous être joints à nous aujourd’hui.
Les témoins disposeront d’environ cinq minutes pour les observations préliminaires, qui seront suivies d’une séance de questions et réponses avec les sénateurs. Je vais maintenant inviter la grande cheffe Merrick à faire ses déclarations liminaires.
Cathy Merrick, grande cheffe, Assemblée des chefs du Manitoba : Bonjour. [mots prononcés en langue autochtone]
Je représente 62 nations des 63, et je suis une Crie de Cross Lake, au Manitoba.
Je salue sincèrement chacun d’entre vous. Je tiens à remercier les membres du comité permanent d’avoir été invitée à prendre la parole sur votre étude de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA.
La position de l’ACM est conforme à la mise en œuvre de la DNUDPA et devrait être concrétisée dans le cadre de la mise en conformité de la loi et de la politique du Canada avec la DNUDPA. L’ACM est un partenaire des Premières Nations avec le Canada en ce qui a trait à la LDNU, la Loi sur la Déclaration des Nations unies. Dans le cadre de ce travail, l’ACM a pour objectif général de faire progresser l’autodétermination, la compétence, les lois et l’autonomie gouvernementale des Premières Nations du Manitoba. L’ACM prend au sérieux les promesses et les engagements juridiques du Canada. Il faut pour cela une loi audacieuse, des réformes et des mandats politiques et une forte volonté politique de changement.
Malheureusement, nous avons été déçus par le travail minimal de mise en œuvre que nous avons vu jusqu’à présent. Ce que nous avons vécu, c’est l’ouverture à la DNUDPA de certaines personnes du ministère de la Justice et de Relations Couronne‑Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC, qui sont prêtes à organiser des réunions sur la mise en œuvre de la LDNU, à discuter avec des représentants de l’ACM à propos du plan d’action et à fournir les coordonnées des responsables des différentes mesures du plan d’action dans divers ministères.
Bien que ce soit bienvenu et nécessaire, en soi, c’est insuffisant. Nous devons voir les responsables des mesures du plan d’action dans divers ministères réaliser le travail de mise en œuvre, en collaboration avec l’Assemblée des chefs du Manitoba et d’autres partenaires des Premières Nations. Nous n’avons pas encore vu cela se produire, mais nous espérons que cela se produira bientôt.
Je vous ferai part de l’approche de l’Assemblée des chefs du Manitoba. Les principaux obstacles que nous avons rencontrés sont le manque de financement et l’absence de mandats.
À la suite de l’adoption de la LDNU et de la publication du plan d’action, l’Assemblée des chefs du Manitoba a adopté un certain nombre de résolutions qui confèrent à l’ACM divers mandats pour faire progresser la mise en œuvre de la DNUDPA avec le Canada.
Les mandats comprennent les suivants :
Dans le domaine de la santé, l’Assemblée des chefs du Manitoba, en collaboration avec le Secrétariat à la santé et au développement social des Premières Nations du Manitoba, mandaté par l’ACM, a été chargée de co-rédiger la loi fédérale sur la santé des Premières Nations. Il est à noter qu’en raison de la relation conventionnelle unique entre les Premières Nations et la Couronne, les chefs ont également élaboré une position régionale propre aux Premières Nations en réponse à la loi fédérale sur la santé des Autochtones du Canada. Il s’agit d’un processus fondé sur des traités qui définit les principes d’élaboration conjointe de façon à ce qu’il soit conforme à l’article 19 de la DNUDPA, les Premières Nations fournissant leur consentement libre, préalable et éclairé avant que le Canada n’adopte et ne mette en œuvre la loi.
Dans le domaine des jeux, l’ACM continue d’exprimer l’intérêt de collaborer avec Justice Canada à la mesure 1.78 du plan d’action de la LDNU visant à modifier la disposition du Code criminel afin de reconnaître la capacité des Premières Nations d’exercer leur compétence en matière de jeux.
Dans le domaine de la citoyenneté et de la reconnaissance des droits issus de traités, l’ACM a informé le Canada qu’elle demeurait disposée à collaborer avec Services aux Autochtones Canada, ou SAC, en particulier dans le cadre des mesures du plan d’action relatives à la citoyenneté, et à exécuter ces travaux de mise en œuvre des mesures du plan d’action dans le but d’accroître l’autodétermination des membres des Premières Nations de l’ACM sur les questions de citoyenneté qui tiennent compte des listes de traités et non pas des dispositions relatives à l’inscription et à l’appartenance dans la Loi sur les Indiens. Pas plus tard qu’hier, le comité sur les traités et l’autodétermination de l’Assemblée des chefs du Manitoba a désigné ce domaine comme une priorité pour l’ACM et demandera à l’Assemblée des Premières Nations, ou APN, d’appuyer cette position.
De plus, l’Assemblée des chefs du Manitoba a désigné l’ACM comme l’organisme régional de coordination des Premières Nations responsable de la mise en œuvre de la mesure 2.2 du plan d’action de la LDNU. L’ACM travaillera avec les Premières Nations de l’ACM et leurs groupes visés par des traités, ainsi qu’avec tous les organismes régionaux des Premières Nations, à élaborer et à rédiger conjointement avec le Canada une approche pangouvernementale pour le respect des traités qui ne sont pas faits individuellement par chaque ministère fédéral.
Dans le domaine de la justice et des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, ou FFADA, l’ACM a été mandatée pour mettre en œuvre l’appel à la justice 5.1 de l’enquête nationale sur les FFADA afin d’adopter pleinement l’enquête sur la justice autochtone. Cette approche représente une réponse régionale des Premières Nations aux mesures du plan d’action connexe de la LDNU et vise à engager un processus tripartite avec le Canada et le Manitoba, conformément à l’article 34 de la DNUDPA.
De plus, les chefs en assemblée mandatent également le secrétariat de l’ACM à travailler avec d’autres organismes régionaux des Premières Nations pour élaborer et mettre en œuvre une réponse des Premières Nations aux appels à la justice pour les FFADA et à ordonner au Conseil des femmes de l’ACM de fournir une surveillance, une ligne directrice et une orientation continues sur sa mise en œuvre.
De plus, l’ACM a été mandatée à titre d’organisme régional des Premières Nations pour mettre en œuvre la mesure 1.99 du plan d’action de la LDNU. Il s’agit d’élaborer conjointement avec le Canada une approche régionale par l’entremise de programmes et de politiques de soutien applicables afin d’élaborer une approche régionale pour appuyer le financement des initiatives culturelles dirigées par les Premières Nations.
Dans le domaine des langues, l’ACM a le mandat de prendre l’initiative régionale dans la mise en œuvre des mesures 1.91 et 1.92 du plan d’action de la LDNU, et d’élaborer conjointement avec le Canada une approche régionale en collaborant avec les Premières Nations membres de l’ACM et tous les organismes régionaux des Premières Nations pour modifier et renforcer la Loi sur les langues autochtones pour les langues des Premières Nations.
Enfin, l’ACM a été chargée de mener des discussions régionales sur le plan d’action et les mesures liées à l’obligation de l’État de respecter les lois en vertu de l’article 5 de la LDNU, y compris la loi et la politique fédérales pour l’ACM de travailler avec d’autres organismes des Premières Nations à l’élaboration d’une approche régionale des priorités communes du plan d’action.
En ce qui concerne le manque de financement, il existe actuellement un fonds destiné à appuyer la participation des Autochtones à la mise en œuvre de la LDNU — le Fonds de partenariat autochtone administré par le ministère de la Justice. Un partenaire autochtone peut recevoir 200 000 $ par année — peut-être plus ou moins — pour collaborer avec le ministère de la Justice sur des questions relevant de la DNUDPA. Ce niveau de financement ne permet pas aux Premières Nations de participer de façon significative à la mise en œuvre de nombreuses mesures du plan d’action. Il s’agit du premier obstacle au financement — le manque de financement des Premières Nations et de leurs organisations pour faciliter leur participation au processus de mise en œuvre.
De plus, le financement du ministère de la Justice pour les partenaires autochtones ne finance pas le travail de mise en œuvre au niveau ministériel, puisque les ministères fédéraux dirigent la mise en œuvre des mesures du plan d’action. Par conséquent, il doit y avoir des affectations de fonds ministérielles pour faire avancer la mise en œuvre des mesures du plan d’action, et c’est là que nous voyons le deuxième obstacle au financement.
Il semble y avoir un financement ponctuel et arbitraire des mesures du plan d’action au niveau ministériel, certains ministères allouant des fonds pour la mise en œuvre et d’autres ministères ne désignant aucun fonds. Si aucun fonds n’est désigné, les responsables de la mise en œuvre du plan d’action dans ce ministère n’ont pas les ressources nécessaires pour effectuer les travaux de mise en œuvre. Nous avons rencontré ce problème avec la mesure 2.9 du plan d’action et la question critique de la citoyenneté des Premières Nations. Il y a des responsables des relations entre la Couronne et les Autochtones qui sont impatients de travailler à la mise en œuvre, mais qui n’ont pas de financement. Étant donné l’absence de financement ministériel, nos discussions avec RCAANC portent actuellement sur l’élaboration d’une proposition visant à obtenir des fonds ministériels pour faire avancer une partie du travail de la mesure 2.9 du plan d’action. Nous espérons que cette proposition que dirige RCAANC sera en mesure d’obtenir un certain financement, mais il n’y a aucune garantie.
Je voudrais m’arrêter pour laisser le temps de réfléchir à cette question et de répéter le principal élément à retenir. Le Canada est légalement tenu de mettre en œuvre le Plan d’action en vertu de la LDNU, mais le Canada, représenté par ses ministères fédéraux, ne finance actuellement pas la mise en œuvre de façon garantie ou coordonnée.
Il est extrêmement décevant pour l’ACM que les travaux de mise en œuvre liés à la question critique de la citoyenneté ne soient pas financés. Les Premières Nations continuent d’être assujetties à la Loi sur les Indiens, ce qui constitue un moyen oppressif...
Le président : Grande cheffe Merrick, je suis désolé de vous interrompre, mais nous allons vous demander de terminer assez bientôt. Nous avons encore deux autres témoins qui feront des déclarations liminaires, et les sénateurs sont impatients de poser des questions.
Mme Merrick : D’accord, je vous remercie. Je parle de la Loi sur les Indiens et de ses lacunes concernant la citoyenneté.
Je pensais qu’ils avaient chronométré ma déclaration, alors je m’en excuse.
Le président : Il n’y a pas de problème, et je rappelle aux témoins que s’il y a quelque chose que vous aimeriez ajouter, vous pouvez certainement le faire également par écrit après la réunion.
Mme Merrick : D’accord, c’est parfait.
Le président : Merci encore, cheffe Merrick. Nous allons maintenant passer à Me Alexander pour entendre sa déclaration liminaire.
Me Merle Alexander, c.r., directeur, Miller Titerle, à titre personnel : Bonjour, sénateurs. Je me joins à vous ce matin des territoires de Lekwungen et de Wsanec ici dans la belle ville de Victoria, en Colombie-Britannique.
Je voudrais parler d’un sujet qui, à mon avis, ne reçoit pas assez d’attention, qui pourrait avoir des répercussions importantes sur la mise en œuvre de la DNUDPA, à savoir les critères relatifs aux droits économiques des Autochtones. Bien sûr, le statut de la DNUDPA en ce qui concerne les circonstances intéressantes dans lesquelles nous nous trouvons en Colombie-Britannique, où nous mettons en œuvre à la fois la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au niveau provincial et la loi fédérale de la LDNU. Je vais ensuite vous donner quelques exemples de l’application de la DNUDPA en Colombie-Britannique, en essayant de dissiper ces craintes.
Avant de commencer, je pense qu’il y a deux ou trois commentaires à faire. Premièrement, je pense que nous restons des bénéficiaires appauvris des cycles économiques de nos territoires, et cette injustice ne peut pas se poursuivre.
Deuxièmement, nous devons être proactifs dans notre affirmation et cesser de constamment hésiter, comme nous l’a enseigné le devoir de consultation.
Troisièmement, il y a un changement radical en notre faveur, et nous devons saisir ce changement pour le mieux-être de nos petits-enfants.
Tout d’abord, parlons de ce droit économique constitutionnel. Depuis la trilogie Van der Peet, le droit autochtone a confirmé et créé trois catégories de droits économiques autochtones au Canada. Ces trois catégories sont les suivantes. Premièrement, il y a les activités alimentaires, sociales et cérémoniales. Deuxièmement, il y a la vente, le commerce et le troc pour des moyens de subsistance et de soutien, mais pas pour l’accumulation de richesse. On parle souvent du droit d’avoir une subsistance convenable. Troisièmement, qui est le summum de ces trois droits, il y a la vente, le commerce et le troc de nature commerciale.
À cet égard, Delgamuukw et Tsihilqot’in ont précisé que le titre et tous les autres droits autochtones ont un aspect économique inévitable. Il est important de dire que c’est très puissant, surtout parce qu’il n’y a pas d’autres peuples auxquels la plus Haute Cour a reconnu des droits économiques protégés par la Constitution. Je crois qu’il y a là une énorme puissance à exploiter.
Ensuite, nous sommes — comme nous l’avons mentionné — à l’aube d’une mise en œuvre extrêmement stimulante de la DNUDPA en Colombie-Britannique qui, comme je l’ai dit, est la seule compétence où la Couronne provinciale et la Couronne fédérale ont convenu de rendre les lois conformes à la DNUDPA. Bien sûr, les Territoires du Nord-Ouest ne sont qu’aux débuts de ce travail.
En ce qui concerne les droits économiques, l’article 3 établit un lien entre le droit à l’autodétermination et notre droit au développement économique, social et culturel. L’article 5 comprend deux volets, car il porte sur notre droit de maintenir et de renforcer nos institutions économiques distinctes tout en conservant le droit de participer à la vie économique de la Couronne. L’article 20 traite du droit de maintenir et de développer nos institutions économiques.
Parlons plus de ce que les sénateurs et l’étude veulent surtout que j’aborde, c’est-à-dire l’application. Nous devons tenir compte des peuples autochtones en ce qui concerne leurs relations avec la Couronne. Je pense aussi que c’est en partie à la base d’un énorme problème. Au Canada, en particulier en Colombie-Britannique, nous sommes presque confrontés à une saturation de l’obligation de consulter en ce qui concerne la DNUDPA, où les Premières Nations ont l’obligation réciproque de réagir aux interactions avec la Couronne et aux interactions avec les promoteurs dans le cadre de l’obligation de consulter, ce qui est en soi un poids très important. Bien sûr, avec une mise en œuvre assez vigoureuse de la DNUDPA à l’échelle provinciale et, comme l’a dit la grande cheffe Merrick, une mise en œuvre assez légère de la LDNU à l’échelle fédérale, cela donne beaucoup de poids aux Premières Nations.
En ce qui concerne les relations avec la Couronne, nous devons aussi considérer qu’il y a encore deux armes très puissantes : il y a, d’une part, les droits économiques substantiels et, d’autre part, le partage des compétences en matière d’autonomie gouvernementale ou la consultation intergouvernementale. L’idée est de se battre avec les deux armes et non avec une seule. Elles sont interdépendantes. Une gouvernance sans économie fonctionnelle est un vœu pieux, et une économie sans gouvernance autonome risque d’empiéter sur nos droits et ceux des générations futures.
Pour ce qui est des droits économiques fondamentaux, ces droits doivent être déterminés par nos connaissances autochtones et nos ordres juridiques autochtones afin d’être pleinement informés de la loi applicable. Contrairement à d’autres activités de développement économique, nous avons besoin d’un développement durable intégré pour préserver nos territoires pour les générations futures.
Le titre nous oblige à nous poser la question suivante : est-ce que cela privera mes enfants et petits-enfants de leurs droits futurs? Cette exigence ne nous est pas simplement imposée par les tribunaux; elle découle de la connaissance et de la sagesse de nos peuples qui gouvernent nos terres et nos territoires depuis des milliers d’années — ou des millénaires — ou depuis des temps immémoriaux, selon nos propres principes et procédures. Nos peuples étaient riches, ils façonnaient et valorisaient nos territoires et nos ressources au profit de nos peuples. Nous avons fait des échanges à l’international dans des réseaux complexes et sophistiqués.
Le plan d’action fédéral visant à mettre en œuvre la DNUDPA, qui porte sur les droits économiques, vise principalement à accroître la participation des peuples autochtones à diverses activités économiques de la Couronne, comme l’exploitation des ressources naturelles et l’industrie du jeu. La mesure 74 vise à faire progresser la réconciliation économique par le développement économique autochtone et à éliminer les obstacles économiques persistants, y compris les effets de la colonisation et les politiques inéquitables. La mesure 75 concerne l’élaboration conjointe des indicateurs de pauvreté et du bien-être, y compris les mesures non rémunérées liées à la pauvreté.
Pour surmonter les obstacles économiques persistants auxquels sont confrontés les peuples et les communautés autochtones, il est naturellement crucial de relever les ordres juridiques des Premières Nations. L’imposition unilatérale de la structure de la Couronne a fragmenté non seulement notre gouvernance et notre droit, mais aussi nos économies distinctes. Cela a profité aux gouvernements non autochtones et à des tiers et a entraîné l’aliénation et la destruction fréquentes de terres autochtones au nom du développement économique ou du succès économique. Toutefois, les indicateurs autochtones de succès économique — un fondement de l’autodétermination — sont ancrés dans ce que nous sommes en tant que peuples distincts et fondés sur notre droit et nos obligations de nos territoires.
À cet égard, je dirais que le comité sénatorial a un rôle important à jouer dans l’étude et l’exploration de la façon dont les peuples et les communautés autochtones perçoivent le bien‑être économique. La compréhension non seulement des indicateurs de la pauvreté chez les Autochtones, mais aussi des indicateurs économiques autochtones de la richesse selon leurs propres ordres juridiques favoriserait la mise en œuvre réussie de la DNUDPA et la réalisation des mesures économiques relevées dans le plan d’action.
De plus, la mesure 4 de la section des priorités des Premières Nations invite le gouvernement fédéral à collaborer étroitement avec les institutions visées par la Loi sur la gestion financière des Premières Nations, Services aux Autochtones Canada et d’autres partenaires fédéraux et autochtones concernés afin d’explorer de nouveaux concepts et d’élaborer conjointement des initiatives nouvelles ou améliorées afin de permettre aux Premières Nations de renforcer leur capacité et d’assumer une plus grande compétence dans les domaines de la gestion financière, de la fiscalité, de l’accès aux marchés financiers et des activités liées à l’infrastructure. Cette mesure est particulièrement intéressante. Atteindre l’autodétermination dépend de la capacité des nations autochtones à financer de manière indépendante leur autonomie gouvernementale plutôt que de compter sur des paiements de transferts fiscaux. Les nations n’ont pas les moyens de financer leur propre gouvernement.
Je terminerai en m’éloignant de mon texte et en disant que c’est une des choses que j’ai vécues. J’ai beaucoup de rôles différents. Je suis l’avocat général de l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, d’où ma collègue, la cheffe Merrick, me connaît probablement. Cela me place dans de nombreux espaces pour mettre en œuvre la DNUDPA en Colombie-Britannique, et je pense que son expérience est partagée avec la mienne. Jusqu’à présent, la mise en œuvre de la DNUDPA s’est accompagnée d’une approche sous-financée et appauvrie. Elle n’est tout simplement pas financée avec la vigueur ou le niveau d’orientation politique, surtout par rapport à l’expérience de la Colombie-Britannique où il y a eu un changement très important vers la mise en œuvre de la DNUDPA, y compris une restructuration de nombreux ministères et organismes provinciaux. Ce contraste crée une optique très distincte.
Espérons que nous serons en mesure de répondre à certaines des questions difficiles auxquelles nous pouvions nous attendre. Je vous remercie.
Le président : Merci, monsieur Alexander.
Me Janice Makokis, juriste Ianni, à titre personnel : [mots prononcés en langue autochtone] Bonjour, honorables sénateurs. Je viens de la nation crie de Saddle Lake, située sur le territoire visé par le Traité no 6, qu’on appelle maintenant l’Alberta.
Je vous présente ce matin une personne formée en common law canadienne et en droit nehiyaw de mon peuple. Je suis juriste Ianni à la Faculté de droit de l’Université de Windsor et conseillère. J’ai été coprésidente du Caucus des peuples autochtones d’Amérique du Nord, ou CPAAN, de 2013 à 2015. Le CPAAN était l’organisme chargé de faire connaître les positions des peuples et des nations autochtones aux divers organismes des Nations unies qui examinent les questions autochtones aux fins d’étude et d’examen. J’ai coprésidé le World Indigenous Peoples Caucus à Alta, en Norvège, en 2013 aux côtés de feu Arthur Manuel.
Mon rôle au sein du CPAAN est important ici par rapport à la position de la déclaration et aux droits internationaux considérés par le droit coutumier et les instruments juridiques internationaux.
En tant que coprésidente du CPAAN, j’ai participé à des réunions et j’ai observé et présidé des réunions qui ont exposé la position des peuples autochtones nord-américains, dont beaucoup sont du Canada, concernant le document final du processus de réunion plénière de haut niveau des Nations unies. La position de la réunion de 2013 du CPAAN était claire : le CPAAN maintiendra la position selon laquelle le document final des peuples autochtones protégera et fera progresser les droits fondamentaux inaliénables que nous avons en tant que nations et peuples autochtones. L’objectif de la réunion plénière de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations unies était d’échanger des points de vue et des pratiques exemplaires sur la réalisation des droits des peuples autochtones, y compris de poursuivre les objectifs de la déclaration.
La participation à la réunion du caucus mondial à Alta, en Norvège, a suscité de vives inquiétudes, car beaucoup craignaient que le document final ne soit dilué pour s’inscrire dans les programmes des gouvernements des États.
La réunion mondiale du caucus autochtone a ensuite produit le Document final d’Alta, qui a été soumis pour examen par les gouvernements des États par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2014. Le Document final d’Alta indiquait :
Nous affirmons également que rien dans ce processus ou ses résultats ne peut être interprété comme réduisant ou éliminant l’un des droits des peuples autochtones contenus dans la déclaration, ou l’une des autres normes internationales qui protègent, défendent et préservent les droits économiques, sociaux, culturels, civils, politiques, éducatifs et spirituels inhérents aux peuples autochtones.
Ces déclarations ont mis en lumière nos préoccupations quant à la façon dont les gouvernements des États pourraient utiliser des éléments du document final de l’Assemblée générale des Nations unies pour diminuer nos droits internationaux tels que nous les comprenons et que nous avons défendus pendant des décennies à divers comités internationaux et organismes de l’ONU.
Je fais part de ces préoccupations aux honorables sénateurs parce que certains des éléments que je vois dans la LDNU et le plan d’action s’éloignent de ces positions et font en sorte que les peuples autochtones soient intégrés au programme législatif et politique du Canada, ignorant ainsi les normes internationales et les traités internationaux que de nombreux peuples autochtones ont conclus, y compris mes ancêtres du Traité no 6.
Les peuples signataires de traités ont plus de 125 ans de promesses non tenues et d’obligations conventionnelles non remplies par l’État du Canada.
La loi et le plan d’action sur la DNUDPA ont été élaborés pendant la pandémie de COVID-19, alors que de nombreuses Premières Nations et peuples autochtones se concentraient sur les interventions en cas de pandémie. Quel engagement profond a-t-on pris avec les titulaires de droits? Il y a des Premières Nations en Alberta, dans les Territoires du Nord-Ouest et ailleurs qui estiment que la loi et le plan d’action ont été élaborés sans le consentement préalable, libre et éclairé, un principe international inscrit directement dans l’article 19 de la déclaration.
La loi et le plan d’action sont des violations de nos droits issus de traités internationaux. Le projet de loi modifiera fondamentalement nos relations avec la Couronne en déchargeant les obligations et les responsabilités de la Couronne, comme il est indiqué au numéro 27 sous « Priorités partagées ». Certains pays et certains peuples signataires de traités voient le plan lié au livre blanc de 1969. Les nations signataires de traités de l’Alberta n’ont pas oublié l’intention du livre blanc parce que nos grands-parents se sont réunis et s’y sont vigoureusement opposés. En fait, ma grand-mère a rassemblé des aînés, des chefs et des peuples de notre région pour lutter contre le livre blanc de 1969, obligeant l’ancien premier ministre Chrétien — alors ministre des Affaires indiennes — à venir sur notre territoire pour rencontrer nos gens au sujet de nos préoccupations.
Ce sont les récits et les histoires que j’ai entendus en grandissant qui résonnent dans nos mémoires et c’est pourquoi j’ai des inquiétudes sur ce que je vois se dérouler avec la mise en œuvre de la loi sur la déclaration et du plan d’action.
Je rappelle respectueusement aux honorables sénateurs que les traités internationaux signifient qu’une partie au traité ne fait pas de lois pour l’autre partie. L’autre partie aux traités est la Couronne. Le Canada n’est pas une partie à nos traités. Au cours du processus d’élaboration des traités, le représentant de la Reine a assuré nos ancêtres que nous continuerions à vivre en tant que nations indépendantes sans ingérence du gouvernement. Maintenant, le Canada, par l’entremise de la loi de la DNUDPA et du plan d’action, interviendra dans notre compétence en vertu des traités par ces changements juridiques et politiques substantiels.
Je terminerai en disant rapidement qu’il y a des éléments dans la loi et le plan d’action qui sonnent l’alarme pour certains, surtout en Alberta et dans d’autres provinces, qui n’ont jamais eu l’occasion de participer profondément et de contribuer en partie au contenu du document. Je sais que vous aurez beaucoup de questions pour nous, et nous pouvons avoir une conversation à ce sujet. Hiy hiy.
Le président : Je vous remercie, maître Makokis.
Nous allons maintenant céder la parole aux sénateurs pour qu’ils posent leurs questions. Je commencerai par la première, qui s’adresse à tous ceux qui voudraient y répondre.
Le plan d’action stipule que le gouvernement du Canada fasse ce qui suit :
Élaborer et mettre en œuvre un processus et des directives supplémentaires pour les ministères et les organismes du gouvernement fédéral afin de s’assurer que les projets de loi et les règlements proposés sont compatibles avec la Déclaration des Nations Unies...
Toutefois, lors de récents témoignages devant le comité, le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK, Natan Obed, a souligné que ces mesures nécessiteraient des changements substantiels au statu quo et a ajouté que la plupart des ministères insistent sur le fait qu’ils exigent des pouvoirs supplémentaires des organismes centraux pour procéder à la mise en œuvre.
Souscrivez-vous à ce point de vue? Dans l’affirmative, quel genre de changements le gouvernement fédéral devrait-il mettre en œuvre pour améliorer le processus utilisé pour créer de nouvelles lois et de nouveaux règlements qui ont une incidence sur les peuples autochtones?
Me Alexander : C’est une bonne question.
Je pense que je suis généralement d’accord avec l’ITK sur ce point de vue particulier. Par l’entremise du Conseil des leaders des Premières Nations de la Colombie-Britannique, nous avons entrepris l’élaboration d’un protocole, qui est l’approche régionale que la grande cheffe Merrick a évoquée. Même dans l’élaboration de ce protocole, nous n’avons vu que quelques lois. La beauté de l’expression « élaboration conjointe », c’est qu’elle est si indéfinie. C’est comme la consultation. On pourrait avoir une simple élaboration conjointe ou une élaboration conjointe très substantielle. Je pense que l’intention est vraiment de participer à la corédaction de la loi. L’expérience au niveau de l’engagement fédéral a été qu’il a été très pauvre et ponctuel.
Le gouvernement lui-même n’a pas encore vraiment investi dans un changement substantiel du statu quo. L’une des choses à propos de la mise en œuvre de la DNUDPA est qu’elle vous oblige à contester le statu quo. Jusqu’à présent, je n’ai pas vu d’indication de ce changement substantiel.
Si l’on compare cela à ce qui s’est passé en Colombie-Britannique, nous avons d’abord connu la même défense du statu quo, mais nous avons dépassé ce seuil de quatre ou cinq ans. Maintenant, il y a eu des changements vraiment substantiels. Nous sommes très impliqués dans l’élaboration conjointe de la loi dès ses débuts, même lorsqu’elle est à un stade conceptuel, et nous sommes très impliqués dans l’élaboration conjointe de plans d’action et d’autres éléments.
Quand je compare les deux, le contraste est très net.
Le président : Merci, maître Alexander. Grande cheffe Merrick, avez-vous des commentaires?
Mme Merrick : Je voudrais simplement revenir à la relation conventionnelle que nous avons établie avec nos traités pour réaffirmer les relations conventionnelles antérieures à 1975 fondées sur les principes du respect mutuel, de l’autodétermination et de la relation nation à nation — les nations signataires de traités se sont engagées à élaborer des approches communes, y compris la convocation de conseils de traités si les nations le souhaitent.
Ainsi, pour le renouvellement et l’application honorable des traités et des relations conventionnelles d’avant 1975, y compris une vision commune pour guider les actions et une compréhension commune de l’esprit et de l’intention des traités d’avant 1975 — la mise en œuvre des traités n’a jamais disparu. Nos aînés et nos ancêtres ont toujours veillé à ce que nous n’oubliions pas nos relations découlant des traités. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie, grande cheffe. Maître Makokis?
Me Makokis : Je vais faire quelques brèves observations sur l’importance de l’éducation dans ce document pour dépasser le statu quo et le rôle que l’éducation jouera pour éduquer le gouvernement, les avocats, les futurs avocats et les étudiants en droit afin de pouvoir comprendre ce que la déclaration est d’un point de vue international et ce que notre peuple a compris lorsqu’ils négociaient les premiers éléments de cette déclaration avant qu’elle soit soumise à l’Assemblée générale des Nations unies.
C’est très important parce que si nous voulons aller au-delà du statu quo en ce qui concerne l’application et la mise en œuvre de la loi telle qu’elle est appliquée et débattue devant les tribunaux, l’aspect éducatif de cette mesure est essentiel pour faire avancer une façon plus nuancée et avant-gardiste de comprendre les droits par rapport à la manière dont ils étaient compris au moment de la négociation initiale.
Le président : Je vous remercie, maître Makokis.
La sénatrice Sorensen : Je commencerai par une question pour Me Alexander. Bonjour à la Colombie-Britannique. Il est tôt le matin en Colombie-Britannique. Merci de vous joindre à nous.
J’examine quelques commentaires de votre biographie au sujet du soutien que vous accordez aux clients dans les négociations gouvernementales en cours dans les domaines de l’exploitation minière, du pétrole et du gaz, de la foresterie, des pipelines et des projets hydroélectriques et de centrales au fil de l’eau. Comment la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a-t-elle eu une incidence sur le processus de demande d’approbation d’un projet de mise en valeur des ressources au Canada ou, à ce stade, a-t-elle eu un effet?
Me Alexander : Vous pouvez répondre à cette question de deux manières différentes. Avec l’industrie et les promoteurs, il y a eu un changement. Je pense qu’on a déjà reconnu que le consentement créerait une plus grande certitude. Surtout dans le contexte de la Colombie-Britannique, parce que, comme vous le savez peut-être, madame la sénatrice, il y a eu une déclaration très effrayante dans l’affaire Tsilhqot’in où la cour a émis l’hypothèse que si à un moment donné un projet avait été approuvé et qu’il a été constaté par la suite que le titre autochtone avait été établi et que le consentement n’avait pas été obtenu à ce moment, les approbations originales pourraient être suspendues. Cela a causé, bien sûr, beaucoup de préoccupations. Ce que cela a provoqué — il y a maintenant presque 10 ans —, c’est un changement au sein de l’industrie et des promoteurs pour qu’un consentement soit obtenu dans les ententes sur les répercussions et les avantages qu’ils négociaient.
À bien des égards, l’industrie a évolué — comme elle le peut parce qu’elle se concentre plus précisément sur le projet par opposition au gouvernement — vers la volonté de négocier des ententes qui sont également conformes à la DNUDPA. En fait, c’est pour une raison très intelligente et simple, c’est-à-dire qu’elle préfère négocier des ententes bilatérales avec les Premières Nations et être en mesure de déterminer les modalités du consentement libre, préalable et éclairé dans son projet particulier plutôt que de le faire imposer par la Couronne. Je pense que, tant au niveau provincial que fédéral de la Colombie‑Britannique, nous avons vu très peu de progrès, et nous ne savons donc pas ce que cela pourrait signifier si le cadre de réglementation commençait sur cette même voie.
La priorité sera probablement accordée aux ententes conclues de gouvernement à gouvernement plutôt qu’aux cadres législatifs substantiels. Il est presque toujours vrai que le droit contractuel évolue plus rapidement que le droit législatif, de sorte qu’il se peut que ce soit dans les négociations de gouvernement à gouvernement que nous puissions voir des progrès plus importants dans la capacité d’adapter ce à quoi ressemble un cadre de consentement pour un projet particulier. Je pense que les deux promoteurs vont plus vite, et je pense que la meilleure façon d’avancer dans un premier temps est sur une base de gouvernement à gouvernement.
En Colombie-Britannique, il existe une grande variété d’ententes spécialisées entre les gouvernements, comme vous le savez probablement. Il existe des cadres d’accord très précis pour la foresterie, d’autres cadres différents pour l’exploitation minière, un autre type de cadre...
La sénatrice Sorensen : J’aimerais poser une question à Me Makokis, si vous me le permettez. Je vous remercie, cependant. Il est agréable d’entendre que l’industrie porte attention.
Maître Makokis, en examinant certains de vos travaux en matière d’enseignement des études autochtones et du droit autochtone, je m’intéresse beaucoup à la façon dont le système juridique canadien peut mieux intégrer les lois et les traditions juridiques autochtones et à la question de savoir s’il s’agit d’une réponse philosophique ou si c’est quelque chose — il serait intéressant de savoir de quoi vous parlez dans votre travail.
Me Makokis : Je vous remercie de la question, sénatrice. Dans le travail que je fais en tant que professeure qui enseigne à de futurs avocats — des étudiants en droit à Windsor —, nous avons un cours spécialement conçu et appelé Ordres juridiques autochtones. Nous avons des professeurs qui enseignent les lois anishinabes, haudenosaunee et nehiyaw. Nous enseignons, dans la perspective des lois et des ordres juridiques de notre peuple, à des étudiants qui n’auraient probablement jamais été exposés à ces domaines du droit. Nous leur apprenons aussi comment utiliser divers arguments, s’ils vont aux tribunaux en tant que futurs avocats, et comment présenter un argument en utilisant une loi autochtone.
Je porte beaucoup d’attention à l’éducation, et je pense que c’est une occasion énorme pour les Canadiens, en général, grâce aux mandats créés, soit par la Commission de vérité et réconciliation, ou CVR, ou par l’entremise de la LDNU. C’est là que réside mon espoir — grâce à l’éducation de masse des gens et à l’observation des changements qui s’ensuivront.
Depuis le début du semestre jusqu’à la fin, la vie des étudiants change en ce qui concerne la façon dont ils voient les questions juridiques autochtones et la façon dont ils perçoivent les questions autochtones entre la Couronne et les peuples autochtones en général. Ils sont transformés. Ils deviennent nos meilleurs alliés et défenseurs au sein du système juridique.
Si nous voulons parler de mise en œuvre, je me concentre sur le renforcement de la composante de l’éducation dans le plan d’action parce que c’est là, je crois, où nous verrons le plus de bénéfices.
La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup.
La sénatrice Coyle : Merci à tous les témoins. C’est une discussion très intéressante. J’essaierai de poser rapidement mes questions.
Grande cheffe Merrick, vous nous avez fait une déclaration très détaillée. J’ai hâte de revoir les transcriptions. L’un des points que vous avez soulevés concernait le soutien financier inégal qui est en place provenant de divers ministères. Je crois que vous avez mentionné la question de la citoyenneté des Premières Nations et la façon dont il s’agit d’une partie tellement importante de la mise en œuvre de la DNUDPA et qu’il existe des ressources insuffisantes ou inexistantes pour appuyer cela. Pourriez-vous approfondir ce point pour nous, si je vous ai bien entendu?
Mme Merrick : Oui, c’était exact. J’ai parlé de tout ce processus parce qu’en tant que membres des Premières Nations en vertu de la Loi sur les Indiens et de ce qui devait déterminer la citoyenneté, les Métis ont obtenu les droits et ils ont été financés par le travail de citoyenneté avec les Métis. Ils n’ont pas eu à passer par d’autres processus comme la façon dont nous procédons pour déterminer nos gens. C’était l’une des choses que nous avons vues, et nous ne pensions pas que c’était quelque chose qui aurait dû se produire.
Nous sommes assujettis à la Loi sur les Indiens, nous en sommes conscients, mais le Canada ne finance même pas RCAANC pour réformer ce travail. Nous voulons nous assurer que nous sommes en mesure de créer nos propres lois sur la citoyenneté au sein de nos Premières Nations.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Je vois comment cela serait absolument fondamental pour tout ce que vous voulez faire d’autre.
Mme Merrick : Oui.
La sénatrice Coyle : Maître Alexander, vous avez fait un exposé très intéressant sur ce lien absolument essentiel entre les deux volets que vous avez relevés, la gouvernance et l’économie, et que si l’un de ces volets fait défaut, l’autre ne fonctionnera pas non plus. C’était très intéressant et utile.
Vous avez mentionné que vous avez une situation unique en Colombie-Britannique en ce qui concerne le Canada, où la DNUDPA de la Colombie-Britannique va de l’avant. Elle a été lancée plus tôt et elle est plus élaborée en termes de mise en œuvre que la relation fédérale.
Vous avez parlé du grand contraste. Est-ce qu’il y a des leçons à tirer de la mise en œuvre de la Colombie-Britannique qui pourraient être utiles à cette conversation en ce moment au sujet de la mise en œuvre de la relation fédérale avec la DNUDPA?
Me Alexander : Merci beaucoup, sénatrice. L’une des choses dont nous avons fait part très tôt au ministère de la Justice au moment de l’élaboration du projet de loi et aussi pendant le Plan d’action de la LDNU, c’est que ces leçons devaient être apprises. C’est une des choses que les Premières Nations de la Colombie‑Britannique voulaient particulièrement communiquer.
L’un des domaines en particulier qui se rapporte même à la question précédente est l’élaboration de ce que nous appelons le processus législatif intérimaire, qui est une approche assez cohérente de la façon dont la loi devrait être élaborée afin d’être conforme à la DNUDPA, qui, bien sûr, comme vous le savez, est une des exigences de la loi.
En Colombie-Britannique, comme c’est le cas au niveau fédéral, nous avons d’abord connu une approche très ponctuelle, ministère par ministère, et incohérente, ainsi qu’un manque d’éducation dans l’ensemble de l’administration publique. Il fallait que l’éducation soit appropriée dans l’ensemble de l’administration publique. Il fallait que les maîtres politiques donnent aux députés compétents une direction claire et cohérente selon laquelle il s’agirait d’une chose qui nécessiterait des changements importants. Bien sûr, il fallait des ressources importantes, mais l’une des choses qui nous aident vraiment à nous guider est que nous avons un document public qui a été élaboré conjointement avec le Conseil des leaders des Premières Nations, appelé le processus législatif provisoire, qui décrit comment les titulaires de droits peuvent et doivent participer à l’élaboration conjointe de la loi.
Il s’agit là d’une chose qui reste encore assez absente au niveau fédéral, même s’ils ont accès à ce document public. Il n’y a pas eu de changement significatif. Peut-être qu’à son point le plus fondamental, il y a une réticence à ce changement dramatique d’adoption de la mise en œuvre de la DNUDPA au niveau fédéral.
La sénatrice Coyle : Je vous remercie. Il pourrait être très utile que nous examinions ce document pour voir quelle serait l’applicabilité à la situation fédérale. Autrement, on dirait qu’on va faire des efforts inutiles pendant un certain temps si on n’obtient pas ce processus très fondamental qui doit être conforme aux principes de la DNUDPA, comme vous le dites.
Je vais poser ma question rapidement, mais il se peut que vous ayez besoin de mettre votre réponse par écrit si vous n’avez pas le temps, maître Makokis. Merci de votre déclaration.
Vous avez mentionné quelques préoccupations. L’une était que les résultats des réunions internationales dont vous avez parlé n’allaient pas être honorés, et l’autre était les signaux d’alarme qui ont été lancés en Alberta et dans les Territoires du Nord-Ouest, si je ne m’abuse, concernant la loi sur la DNUDPA ainsi que le plan d’action. S’il y a quelque chose de précis que vous pourriez souligner sur quels sont ou quels étaient ces signaux d’alarme et quelles étaient les inquiétudes à l’égard du respect des résultats de ces réunions internationales, je vous serais reconnaissant de bien vouloir les communiquer à notre comité. Vous n’avez probablement pas le temps de répondre pour l’instant.
Me Makokis : Merci, sénatrice. Je peux fournir la réponse par écrit ou je pourrais parler rapidement de la question d’incorporer des normes internationales dans la loi fédérale. C’est tout.
Le président : Si vous pouvez le faire très rapidement, maître Makokis, ce serait formidable.
Me Makokis : En tant que personne qui a participé à ces réunions et qui a reçu ces documents internationaux au sein des caucus internationaux, il y a toujours eu la préoccupation d’incorporer des traités internationaux et des normes internationales lorsqu’ils deviennent des lois fédérales, et c’est la plus grande question que je vois à ce sujet.
La nature des articles de la déclaration est réduite et réduite au minimum par les processus législatifs fédéraux et provinciaux. Je peux mieux expliquer dans une réponse écrite, mais de façon générale, à un niveau élevé, c’est la nationalisation des droits internationaux.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.
Le sénateur Prosper : Merci aux témoins. Je voudrais donner suite à quelques questions de la sénatrice Coyle. Je veux d’abord parler à M. Alexander, puis à la grande cheffe Merrick.
Lorsque j’ai écouté votre témoignage, j’ai trouvé très instructif, M. Alexander, que vous ayez fourni un comparatif concernant ce qui s’est passé au niveau provincial et une partie du manque d’orientation, d’engagement et de financement qui a été exposé du côté fédéral, et vous avez décrit certaines des approches provinciales positives, comme l’engagement précoce dans le droit provincial.
Vous avez également mentionné la perspective de la sursaturation des Premières Nations, le fait qu’il y a une obligation réciproque pour les Premières Nations et la façon dont cela pourrait être démontré comme un poids considérable en l’absence de financement et de capacité. J’espère que vous pourrez approfondir ce point.
Ma deuxième question s’adresse à la grande cheffe Merrick. Encore une fois, la sénatrice Coyle s’est penchée sur la question de la citoyenneté. Vous l’avez mentionné plusieurs fois. Je pense que la question de la sénatrice Coyle a été abordée dans le sens du financement et du renforcement des capacités à cet égard. Il a été souligné à plusieurs reprises par vous-même. Pouvez-vous souligner, pour la gouverne du comité, l’importance de l’élaboration d’un code de la citoyenneté, ce que cela signifie essentiellement pour vos Premières Nations au sein de l’ACM?
Me Alexander : Merci, sénateur Prosper. Heureux de vous voir dans vos fonctions pas si nouvelles, mais heureux de vous revoir.
C’est intéressant. Les deux sujets sont très liés. En Colombie-Britannique, dans toutes les assemblées, nous avons entendu un grand nombre de Premières Nations parler de cette question de sursaturation où pendant que le devoir de consulter allait de l’avant, comme c’est le cas, les renvois liés à la consultation étaient déjà en train de se constituer et la capacité de répondre à ces renvois variait d’une nation à l’autre.
Simultanément, il y a maintenant une occasion vraiment importante de commencer une réforme juridique, et de nombreuses Premières Nations nous ont dit que cela causait la saturation, tout comme le gouvernement provincial. Le gouvernement provincial a donc réagi en créant un fonds de 200 millions de dollars qu’il a placé dans le New Relationship Trust. Maintenant, les Premières Nations de la Colombie-Britannique peuvent avoir accès, je crois, à environ 1,4 million de dollars sur trois ans pour leur permettre d’obtenir des conseils d’experts et, essentiellement, d’obtenir les ressources dont elles ont besoin à l’interne pour pouvoir participer à la vaste mise en œuvre de la Loi sur la Déclaration sur les droits des peuples autochtones, ou LDDPA. C’est ce que nous appelons notre loi.
Cette même information a également été communiquée comme une leçon apprise au gouvernement fédéral. En vérité, c’est juste un manque de financement. Il sait qu’il est nécessaire d’accorder des fonds. Il peut comprendre, avec les plus de 700 Premières Nations au Canada, dans les communautés métisses et inuites, que l’engagement des titulaires de droits aurait besoin de fonds considérables, mais c’est littéralement une approche appauvrie en ce sens qu’il n’y a pas suffisamment de financement. Vous pouvez voir quelle serait la solution, mais soit il n’y a pas de capacité financière, soit il n’y a pas de priorité financière d’établir un fonds fédéral semblable. Comme il y a tellement de diversité au sein d’une Première Nation donnée et d’une région géographique aussi étendue, le gouvernement a presque semblé étouffé par la solution de la façon appropriée d’engager et de créer une source de financement que les Premières Nations peuvent engager en tant que titulaires de droits, groupes régionaux et à l’échelle nationale. Cet étouffement a presque créé l’inactivité ou simplement une approche de financement médiocre.
Mais ce n’est pas non plus une priorité du gouvernement, du moins c’est le sentiment général que l’on n’investit pas beaucoup dans ce qui est manifestement une solution nécessaire.
Le sénateur Prosper : Je vous remercie. Grande cheffe, si vous pouvez offrir quelque chose au sujet de la compétence en matière de citoyenneté, je vous en serais reconnaissant.
Mme Merrick : [mots prononcés en langue autochtone]
Je vous remercie de la question. Notre peuple a toujours été détenteur de droits en termes de traités, de désignation et autres. En ce qui concerne la citoyenneté et la reconnaissance de ces droits issus de traités en termes de citoyenneté, nous avons fondé nos relations sur wahkotowin, ce qui signifie être lié à sa famille et à sa nation.
Mais avec le système colonial que nous avons en place aujourd’hui, il élimine notre peuple à un rythme très rapide. C’est là qu’interviennent les définitions des paragraphes 6(1) et 6(2), et vous n’aurez plus de personnes issues de traités dans ce pays si cette situation se poursuit. Nous devons être en mesure d’établir nos propres lois sur la citoyenneté au sein de nos propres nations afin de ne pas avoir à passer par la Loi sur les Indiens.
Je reviens aux Métis sur la façon dont ils déterminent leurs citoyens. Ils ont été financés à toutes les étapes, si bien que nous devrions bénéficier du même privilège en tant que signataires de traités.
Le sénateur Prosper : Je vous remercie, grande cheffe.
Mme Merrick : Je vous remercie de la question.
Le président : Je vous remercie, grande cheffe et merci, sénateur Prosper.
La sénatrice Greenwood : Bonjour à tous, et merci d’être ici aujourd’hui. Cela a été vraiment intéressant. J’ai pris beaucoup de notes. Je sais que nous n’avons pas beaucoup de temps; j’ai les 30 dernières secondes.
Ma question s’adresse à Me Makokis. Je suis très intéressée à lire votre document sur la déclaration en tant qu’instrument international et sa nationalisation. Vous avez aussi parlé de l’éducation, qui est aussi quelque chose qui me tient beaucoup à cœur. Je me demande, dans ces dernières secondes que nous avons ensemble, s’il y a des éléments de l’éducation qui, selon vous, seraient essentiels pour que d’autres le sachent. Je voudrais simplement vous donner l’occasion de nous faire part de certaines de ces réflexions et de certains des éléments qui, selon vous, seraient vraiment importants pour les autres.
Me Makokis : Je vous remercie, sénatrice Greenwood, de la question. En tant qu’éducatrice et professeure, dans mon travail d’enseignante non seulement dans une école de droit, mais aussi aux gouvernements et dans l’industrie, il est important de leur enseigner sur le traité et la relation avec les traités parce que, pour nous, en tant que personnes visées par un traité, c’est le cœur des relations que nous entretenons avec la Couronne.
Le plus souvent, je vois que le système scolaire public l’enseigne de la position que les traités sont quelque chose du passé, et ils ne le sont pas. Ils existent encore. Ils se perpétuent, tant que le soleil brille, l’herbe pousse et les eaux coulent. Nous avons besoin que les gens comprennent que les traités sont durables et éternels. Lorsqu’ils comprennent les traités de notre point de vue, ils changent la compréhension de la façon dont ils se rapportent à la terre sur laquelle ils vivent, travaillent et jouent; les responsabilités et les obligations qu’ils ont en tant que bénéficiaires des traités ou partenaires de l’autre côté. Il ne fait que modifier la nature de leur relation avec les peuples autochtones en général. Ils ont beaucoup plus de respect. Ils reconnaissent également que lorsque nous avons conclu ces traités, nous l’avons fait avec nos propres lois et ordres juridiques, et il y a une autre couche de compréhension.
Dans le cadre de mon travail, je fais aussi beaucoup d’éducation liée aux traités. Quand je fais ça, je peux voir les changements chez les gens après qu’ils ont entendu notre version et notre point de vue à ce sujet.
La sénatrice Greenwood : Je vous remercie.
Le président : Merci, sénatrice Greenwood. Maître Makokis, je vais vous poser la dernière question, mais si vous pouviez fournir la réponse par écrit en raison des contraintes de temps, je vous en serais très reconnaissant.
Vous avez abordé certains éléments du plan d’action qui peuvent décharger la responsabilité de l’État, par exemple, la priorité partagée 27 de la Politique sur le transfert de services, qui propose de transférer la prestation des programmes et services fédéraux aux gouvernements autochtones. Pourriez-vous fournir plus de détails sur le problème que vous envisageriez avec ceci?
Me Makokis : Je vous remercie de votre question, monsieur le président.
Dans mon travail de conseillère, je me penche également sur les ententes qui ont été conclues. Ce que je remarque, c’est que le gouvernement fédéral délègue les ententes de financement aux organisations, puis que les Premières Nations concluent des ententes de financement avec l’organisation. Finalement, le gouvernement fédéral va probablement rompre la relation ou le lien entre le gouvernement fédéral et la Première Nation.
Je vois là un problème potentiel où il y aurait un transfert de responsabilité et de l’obligation fiduciaire de la Couronne fédérale à d’autres fournisseurs de services. C’est pourquoi j’ai parlé du livre blanc parce que dans le livre blanc, il est question de refiler la compétence, les rôles et les responsabilités à un autre fournisseur de services, et c’est ce à quoi je fais référence lorsque je mentionne les préoccupations que j’ai à cet égard.
Le président : Merci beaucoup. Ce groupe de discussion est terminé. Je tiens à remercier à nouveau nos témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Si vous désirez présenter des observations subséquentes, n’hésitez pas à le faire. Envoyez-les à Mme Mugny, notre greffière, dans les sept jours. Elle sera ravie de les recevoir.
(La séance se poursuit à huis clos.)