LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 4 juin 2024
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments des sections 25 et 26 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et aux autres participants en personne de consulter les cartes sur la table pour obtenir des directives sur la façon de prévenir les incidents de rétroaction acoustique. Veuillez prendre note des mesures préventives suivantes mises en place afin de protéger la santé et la sécurité de tous les participants, notamment les interprètes.
Si possible, assurez-vous d’être assis d’une façon qui accroît la distance entre les microphones. Utilisez seulement une oreillette noire approuvée. Il ne faut plus utiliser les anciens écouteurs gris. Tenez vos écouteurs loin de tous les microphones en tout temps. Lorsque vous ne les utilisez pas, placez-les face vers le bas sur l’autocollant apposé sur la table à cette fin.
Je vous remercie tous de votre collaboration. Avant de commencer, j’aimerais souligner que la terre sur laquelle nous nous réunissons se trouve sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine Anishinabe, où vivent maintenant plusieurs autres Premières Nations, Métis et Inuits de toute l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, également connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis président du Comité des peuples autochtones.
Je vais maintenant demander aux membres du comité ici présents de se présenter par leur nom et leur province ou territoire.
Le sénateur Arnot : Je m’appelle David Arnot. Je viens de la Saskatchewan.
La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick, sur le territoire non cédé du peuple mi’kmaq.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Antigonish, Nouvelle-Écosse, Mi’kma’ki.
Le sénateur Prosper : P. J. Prosper, Nouvelle-Écosse, territoire de Mi’kma’ki.
Le président : Aujourd’hui, nous reprenons notre étude de la teneur des éléments des sections 25 et 26 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024.
Sur ce, je voudrais maintenant présenter nos témoins, Marcel Balfour, directeur de la politique et des affaires juridiques de l’Assemblée des Chefs du Manitoba, qui se joint à nous en ligne; Hilda Anderson-Pyrz, présidente du Cercle national des familles et des survivantes du Canada, qui se joint à nous en ligne; et Jennifer Jesty, gestionnaire de la résilience aux situations d’urgence de l’Union des Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse. Merci à tous de vous joindre à nous aujourd’hui. Les témoins feront une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions.
J’invite maintenant M. Balfour à faire la sienne.
Marcel Balfour, directeur de la politique et des affaires juridiques, Assemblée des Chefs du Manitoba : Merci. Tansi. Je m’appelle Marcel Balfour. Je suis citoyen de la nation crie de Norway House. Je comparais au nom de la grande chef Cathy Merrick de l’Assemblée des Chefs du Manitoba — ou l’ACM —, et je vous fais part de son regret de ne pas avoir pu se présenter.
Je reconnais que nous sommes réunis aujourd’hui sur le territoire non cédé et non abandonné de la nation algonquine anishinabe.
L’ACM est une organisation de coordination politique et technique pour 62 des 63 Premières Nations du Manitoba. L’ACM reçoit de son assemblée des chefs le mandat de concevoir des stratégies et des mécanismes politiques collectifs et communs à l’égard desquels ses Premières Nations membres doivent prendre des mesures coordonnées. L’ACM a été créée en 1988 par les chefs du Manitoba afin de promouvoir, de préserver et de protéger les droits et les intérêts des Premières Nations du Manitoba, en veillant à ce que l’esprit et l’objet des traités conclus avec la Couronne soient pleinement respectés et confirmés.
L’ACM a pris un certain nombre de mesures dans le domaine des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, dont le rapport final intitulé Families First: A Manitoba Indigenous Approach to Addressing the Issue of Missing and Murdered Indigenous Women and Girls, ce qui signifie en français « les familles d’abord : une approche autochtone manitobaine pour s’attaquer au problème des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées ». Le rapport a grandement éclairé la contribution de l’ACM à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ou FFADA. Il a notamment milité en faveur de l’élaboration et de la mise en œuvre d’un système d’alerte de personnes disparues.
L’ACM souligne que les chefs et les conseils sont souvent les premiers intervenants dans les affaires où un citoyen de leurs Premières Nations a disparu ou été assassiné, sans égard au statut de résidence — à l’intérieur ou à l’extérieur de la réserve — de cette personne. Cette obligation de leadership s’étend au fait d’appuyer et d’aider les Premières Nations touchées dont un citoyen vivant à l’intérieur ou à l’extérieur de la réserve pourrait être disparu ou avoir été assassiné — dont ils pourraient être eux-mêmes des membres de la famille — et de fournir une assistance à ces égards.
Par conséquent, les chefs et les conseils des Premières Nations jouent un rôle essentiel dans l’intervention à la suite de ces incidents et offrent souvent des soins, du soutien et des services de défense des droits, et ce, de façon continuelle. Ils savent ce qui doit être fait, y compris qu’il faut que les mesures de soutien dans les réserves fassent l’objet d’un financement équitable pour éviter que leurs citoyens disparaissent ou soient assassinés, puisqu’ils sont directement mêlés à cette crise qui continue.
À l’ACM, le conseil des femmes est chargé d’intervenir lorsque des femmes, des filles ou des personnes bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenre, queer, en questionnement, intersexuelles et asexuelles plus — ou 2ELGBTQQIA+ — sont portées disparues ou ont été assassinées. Ce conseil est composé de femmes autochtones fortes qui ont été élues comme chefs ou conseillères. L’assemblée des chefs et ces femmes ont mentionné que l’intervention à la suite de la disparition ou de l’assassinat de femmes, des filles et de personnes 2ELGBTQQIA autochtones doit inclure les hommes et les garçons.
À tout le moins, les services, les mesures de soutien, la défense des droits et les réponses des gouvernements fédéral et provinciaux aux appels à la justice doivent faire intervenir les dirigeants des Premières Nations et supposer de leur rendre des comptes. Cette nécessité est reconnue dans le plan stratégique de Services aux Autochtones Canada pour le transfert des services et des programmes aux Premières Nations. Cette approche devrait s’appliquer à l’élaboration et à la mise en œuvre d’une alerte concernant les citoyens des Premières Nations membres de l’ACM portés disparus.
L’assemblée des chefs de l’ACM a dit que son organisation dirigerait une réponse régionale des Premières Nations aux appels à la justice. Cette approche concorde avec le rapport final de l’enquête nationale, aux pages 171 à 172 duquel on mentionne ce qui suit :
Les services et les solutions doivent être dirigés par les gouvernements, les organisations et les peuples autochtones. Cette affirmation est fondée sur les principes de l’autodétermination et de l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones […]
Le rapport se poursuit en énonçant ce qui suit :
L’influence coloniale selon laquelle les dirigeants autochtones soumettent une demande à l’État qui en retour leur accorde une permission doit cesser. De plus, l’exclusion des femmes, des filles, des personnes 2ELGBTQQIA, des aînés et des enfants autochtones de l’exercice de l’autodétermination autochtone doit elle aussi prendre fin.
Lorsque la collaboration entre les Autochtones et les gouvernements non autochtones est requise pour créer des solutions et offrir des services, il doit s’agir d’un véritable partenariat qui respecte l’autodétermination autochtone à tous points de vue. Ainsi, nous maintenons que les solutions doivent émaner des communautés et des Nations autochtones, et que l’on doit leur accorder la priorité de même que des ressources durables et équitables.
Je vais sauter quelques pages parce qu’on m’a dit que je ne disposais que de cinq minutes.
L’ACM a fait un suivi auprès du gouvernement fédéral, en faisant participer ses Premières Nations membres. Je suis heureux de vous annoncer que, pas plus tard que la semaine dernière, l’organisation a rencontré un représentant fédéral de haut rang de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC, et a reçu un engagement de suivi.
Dorénavant, l’ACM continuera de s’assurer que ses Premières Nations membres sont consultées et a hâte de travailler avec le Canada pour élaborer une alerte qui favorisera la guérison et assurera la sécurité de tous les citoyens de ses Premières Nations membres qui sont portés disparus et qui les considérera comme une priorité.
En conclusion, l’ACM recommande au comité de veiller à ce que le financement des consultations sur le système d’alerte robe rouge suppose la participation des Premières Nations membres de l’ACM, suive une approche propre aux Premières Nations conçue et appliquée par ces membres et comprenne des consultations avec les citoyens de ces Premières Nations — qu’ils résident dans une réserve ou hors réserve — et à ce que le financement des consultations avec les Premières Nations membres de l’ACM soit durable et équitable.
Le président : J’invite maintenant Mme Hilda Anderson-Pyrz à faire sa déclaration préliminaire.
Hilda Anderson-Pyrz, présidente, Cercle national des familles et des survivantes du Canada : Merci beaucoup. Je m’appelle Hilda Anderson-Pyrz. Je suis membre de la nation crie Nisichawayasihk et originaire de South Indian Lake, au Manitoba. Je milite depuis plus de 25 ans pour l’adoption de solutions à la violence fondée sur le sexe et aux droits des femmes, des filles et des personnes bispirituelles et ayant diverses identités de genre autochtones. Je suis actuellement présidente du Cercle national des familles et des survivantes du Canada, un organisme sans but lucratif constitué en personne morale en avril 2023. Il est dirigé par des femmes, des filles et des personnes bispirituelles et ayant diverses identités de genre autochtones qui ont vécu la disparition ou l’assassinat de femmes ou de filles autochtones ainsi que la violence fondée sur le genre et la race et ont été touchées par de tels événements.
Je me joins à vous virtuellement aujourd’hui depuis le territoire visé par le Traité no 6 et la patrie des Métis.
Je voudrais reconnaître les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones qui sont en première ligne depuis des décennies, qui se battent pour que leurs droits soient respectés, qui luttent pour la justice et qui jouent un rôle essentiel dans la tenue d’une enquête nationale au pays grâce à leurs marches, leurs efforts en matière de défense des droits et leur force.
Dans le cadre du processus de création d’un système d’alerte robe rouge et des efforts visant à s’attaquer au problème des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées — ou FFADA2E+ —, il est essentiel de ne pas oublier que les systèmes dans lesquels nous travaillons sont ceux-là mêmes qui ont causé un préjudice et qui continuent d’en causer aux femmes, aux filles et aux personnes ayant diverses identités de genre autochtones.
Dans les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les FFADA, on a mentionné ce qui suit :
Les mesures visant à mettre un terme à ce génocide et à redresser la situation doivent être aussi importantes que l’ensemble des systèmes et des actions qui ont contribué à perpétuer la violence coloniale pendant des générations. Pour mettre un terme à ce génocide de façon permanente, il est essentiel d’aborder de front les quatre principaux thèmes examinés dans le présent rapport, à savoir :
• le traumatisme historique, intergénérationnel et multigénérationnel;
• la marginalisation sociale et économique;
• le maintien du statu quo et le manque de volonté des institutions;
• le déni de la capacité d’agir et de l’expertise des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA autochtones.
On y mentionne également ce qui suit :
En abordant ces quatre thèmes principaux, nous agissons conformément aux exigences de l’ensemble des mécanismes des droits de la personne et des droits des peuples autochtones. Nous respectons également la prémisse sur laquelle a reposé ce rapport, c’est-à-dire qu’une nouvelle vision des relations permettra d’éliminer les situations quotidiennes où des personnes, des institutions, des systèmes et des structures compromettent la sécurité.
Je soulève ces rappels importants parce que je mets le comité — et toutes les personnes qui ont la responsabilité juridique et morale de défendre les droits des femmes, les filles et les personnes ayant diverses identités de genre autochtones — au défi de ne jamais oublier que la collaboration visant à mettre fin à la violence est une question de relations et de création d’un espace sûr, respectueux et équitable pour que les membres des familles, les survivants et les femmes, les filles et les personnes bispirituelles et ayant diverses identités de genre autochtones touchés puissent participer directement, en tant que titulaires de droits, au sein de systèmes qui ne sont toujours pas sûrs pour eux.
Par conséquent, compte tenu de la façon dont le financement du projet pilote d’alerte robe rouge est envisagé, il est impératif que l’on mette en œuvre des voies vers un espace sûr, respectueux et équitable pour que les membres des familles, les survivants et les femmes, les filles et les personnes bispirituelles et ayant diverses identités de genre autochtones touchés puissent participer en tant que titulaires de droit. Nous devons y voir une occasion de créer ou de maintenir des relations significatives et efficaces dans notre façon de collaborer pour mettre fin à la violence contre les femmes, les filles et les personnes ayant diverses identités de genre autochtones.
Nous examinons également les sept principes. Une grande partie de cette information figure dans les notes. Je n’ai pas beaucoup de temps — je ne dispose que de cinq minutes —, mais je voulais étoffer quelques-uns des principes.
Le premier est axé sur l’égalité réelle et les droits de la personne. La somme de 1,3 million de dollars destinée à la mobilisation dans le cadre du projet pilote d’alerte robe rouge doit être envisagée dans l’optique de l’atteinte de l’égalité réelle, y compris l’élimination des désavantages historiques et systémiques auxquels sont exposées les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones. Il devrait viser à faire respecter leurs droits fondamentaux et leurs droits ancestraux inhérents. Ce financement devrait avoir pour effet de combler l’écart en matière d’égalité et d’assurer la sécurité et la dignité de ces personnes. À titre d’exemple, cela supposerait un processus de présentation de demandes de financement sans obstacle pour les femmes autochtones et les groupes ou organisations 2ELGBTQQIA+ de la base.
Selon le second principe, les activités de mobilisation autodéterminées et dirigées par les Autochtones devraient être menées par des familles des FFADA2E+, des survivants de violence fondée sur le genre et la race ainsi que par des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones.
L’inclusion des familles et des survivants est essentielle.
Merci. Mon temps de parole est écoulé, mais j’ai présenté 10 pages, alors vous aurez beaucoup de lecture.
Le président : Merci beaucoup.
J’invite maintenant Mme Jesty à faire sa déclaration préliminaire.
Jennifer Jesty, gestionnaire de la résilience d’urgence, Union des Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse : [Mots prononcés en langue autochtone] Merci. Je suis heureuse de vous voir.
Je suis la première femme autochtone à être devenue membre de la Fire Service Association de la Nouvelle-Écosse et la première femme autochtone à être devenue technicienne-ambulancière paramédicale dans cette province.
Imaginez que c’est une journée normale comme toutes les autres. Vous envoyez votre fille de 14 ans à l’école. Elle est une adolescente rebelle, et elle lève les yeux au ciel alors que vous lui dites que vous l’aimez en la regardant sortir. La journée d’école est maintenant terminée, et vous arrivez à la maison après le travail pour découvrir que votre fille n’est pas là. Vous téléphonez à l’école, à des membres de la parenté et à ses amis, mais vous apprenez que personne ne l’a vue depuis l’heure du dîner. Vous appelez la police, mais elle vous dit qu’elle ne peut pas diffuser d’alerte AMBER avant que votre fille ne soit portée disparue depuis au moins 24 heures. Vous l’avez appelée sur son téléphone cellulaire à maintes reprises, seulement pour entendre la boîte vocale s’enclencher une centième fois. Maintenant en panique, vous parcourez les rues en voiture à sa recherche et demandez à tous les gens que vous connaissez s’ils l’ont vue. Toutes les réponses sont négatives.
Vous rentrez chez vous et passez une nuit blanche à faire les cent pas. Le sentiment d’impuissance est paralysant. Vous continuez de demander à la police de faire quelque chose… n’importe quoi. Ensuite, lorsque tout espoir semble perdu, quelqu’un vous rappelle qu’il y a un nouveau système d’alerte dans votre collectivité. Vous appelez la police et lui rappelez que l’outil existe. Un policier communique avec l’administrateur du système et demande si une alerte peut être envoyée, même si le système est assez nouveau.
Vous vous accrochez à tout espoir ou à toute piste, et vous priez pour que le téléphone de votre fille soit simplement déchargé ou qu’elle se trouve dans un endroit sans service cellulaire. Vous réfléchissez à tous les scénarios possibles et commencez à vous préparer à toutes les issues possibles.
La sonnerie de votre téléphone retentit, comme dans le cas de tout autre message texte, et vous voyez qu’il s’agit de l’alerte concernant votre fille. Vous éprouvez immédiatement un sentiment de soulagement parce que, désormais, tout le monde saura qu’elle a disparu. Vous consultez les médias sociaux et voyez tout le monde partager une capture d’écran de l’alerte concernant votre enfant. Arrive ensuite le moment fatidique, celui que vous redoutiez où on frappe à votre porte. Toutefois, au lieu de voir votre pire cauchemar se réaliser, elle est là, votre fille, avec des policiers, en sûreté, en sécurité et indemne.
Voilà le scénario exact de la toute première alerte que nous avons diffusée au moyen de notre propre système d’alerte d’urgence Unama’ki. Ce système n’avait fait l’objet que d’un prélancement, et seulement 900 personnes étaient inscrites au sein de la communauté par laquelle nous avons diffusé l’alerte. Les policiers étaient sous le choc de constater avec quelle rapidité on avait retrouvé la fille après la diffusion de l’alerte. Ils ont dit : « Vous avez fait en moins d’une heure ce que nous avons été incapables de faire en 24 heures. »
Nous avons choisi d’utiliser Everbridge comme fournisseur de logiciel. La raison pour laquelle nous avons choisi cette entreprise était fondée sur deux avantages majeurs : premièrement, les alertes peuvent être envoyées à toutes les formes de communication en même temps, y compris les lignes téléphoniques terrestres; et, deuxièmement, les messages peuvent être envoyés au moyen d’un enregistreur de la parole, ce qui signifie que l’alerte peut être diffusée dans notre propre langue.
Depuis le lancement officiel de notre système d’alerte, en septembre 2020, un peu plus de 4 000 personnes s’y sont abonnées dans les cinq communautés micmaques du Cap-Breton. Ce nombre augmente constamment, puisque les gens s’abonnent continuellement. Nous avons diffusé au total 170 alertes et réuni 68 jeunes avec leur famille grâce à celles-ci. De ces jeunes, 96 % ont été retrouvés au cours de la première heure qui a suivi la diffusion de l’alerte.
Nous avons diffusé des alertes concernant des personnes disparues, certaines étaient une répétition de notre première alerte et d’autres concernaient des personnes qui avaient menacé de s’automutiler. Nous avons diffusé des alertes concernant des fermetures de routes qui ont empêché les gens d’être pris au bord de la route lorsque ces fermetures étaient longues. La liste ne s’arrête pas là.
Notre système d’alerte a été conçu par les Micmacs, pour les Micmacs, ce qui nous permet d’établir nos propres protocoles. À ce jour, pas une seule demande d’alerte n’a été rejetée, et chacune a été diffusée quelques minutes après la réception de la demande. Personne n’a jamais dit : « Cessez de diffuser les alertes. » En fait, lorsqu’il se passe quelque chose dans la communauté, les résidants se rendent rapidement sur les médias sociaux et demandent : « Où est l’alerte? »
Dès le premier jour, nous avons bénéficié d’un soutien massif de la part de la communauté. Au départ, la police n’y a pas adhéré entièrement, mais, au fil du temps, elle en est venue à utiliser le système d’alerte régulièrement. Les policiers n’ont plus à attendre une période donnée avant de demander une alerte.
Notre système a été conçu par nous, pour nous, mais nous observons à présent une augmentation du nombre de résidants non autochtones dans la région avoisinante qui s’inscrivent pour l’utiliser. Ils se rendent maintenant compte que notre système d’alerte fournit des renseignements essentiels sans délai.
À un moment où nous avons soif d’information, surtout lorsqu’il s’agit de situations qui pourraient menacer notre propre sécurité, ne méritons-nous pas d’être informés en temps opportun? Et s’il ne s’agissait pas que d’une autre personne sans visage que vous ne connaissiez pas? Et si cette alerte avait sauvé la vie de votre fille? Ne voudriez-vous pas d’un système d’alerte aussi efficace que celui-ci?
Wela’lioq, merci.
Le président : Merci, madame Jesty. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Le sénateur Arnot : Merci, madame Jesty. Ma question s’adresse à vous.
Puisque le système d’alerte d’urgence Unama’ki fonctionne très bien, quels seraient les éléments essentiels au succès d’un système d’alerte robe rouge pour les communautés autochtones à l’échelle proposée?
Monsieur Balfour et madame Anderson-Pyrz, comment envisagez-vous l’intégration du système d’alerte robe rouge dans les cadres juridiques existants de manière à protéger les femmes et les personnes ayant diverses identités de genre autochtones? Comment envisagez-vous son évaluation?
Selon vous, quelles autres politiques sont nécessaires pour compléter l’alerte robe rouge? Je songe à l’éducation dans le système de la maternelle à la 12e année ou à l’éducation des adultes. Merci beaucoup.
Mme Jesty : La plus importante raison pour laquelle notre système d’alerte connaît autant de succès est qu’il est convivial. Nous ne l’avons pas complexifié. Nous n’avons pas sollicité beaucoup de commentaires. Nous avons dit : « Hé, nous allons créer ce système, et le voici », et, lorsque nous l’avons lancé dans la collectivité, nous voulions rendre le processus d’inscription très simple. Nous avions l’impression que, si nous le rendions complexe, par exemple s’il s’agissait d’une application nécessitant la lecture de plusieurs pages avant que l’on puisse s’abonner, les gens n’allaient pas le faire.
Nous avons fait de notre processus un lien Web. Vous cliquez sur le lien et entrez vos renseignements de base, votre nom… nous ne vous demandons même pas votre adresse. À vrai dire, nous n’avons même pas vraiment besoin de votre nom. Si vous voulez nous dire que vous êtes Donald Duck, très bien. Dites-nous simplement pour quelles communautés vous voulez recevoir les alertes et comment nous pouvons communiquer avec vous. La convivialité et l’accessibilité du système sont deux choses très importantes.
En outre, en plus de permettre aux gens de s’inscrire en suivant un lien Web au moyen d’un code QR, nous nous sommes rendus au cours de la semaine dans des endroits très achalandés, comme le bureau du conseil de bande ou la station-service, pour permettre aux gens de s’inscrire sur une feuille de papier. Nous avons également tenu compte des personnes qui peuvent être analphabètes. Au lieu de leur donner le document et de leur dire « Veuillez le remplir », nous leur demanderions « Aimeriez-vous que nous le remplissions pour vous? » afin de nous assurer d’être inclusifs.
Le sénateur Arnot : Merci.
Mme Anderson-Pyrz : Je réfléchis dans le contexte des questions qui ont été posées. Nous devons vraiment examiner le système de justice, car on y observe beaucoup de violence contre les femmes, les filles et les personnes bispirituelles et ayant diverses identités de genre autochtones. Il faut que des mécanismes de responsabilisation soient intégrés au système judiciaire grâce à des changements stratégiques et législatifs afin que l’on crée effectivement au sein de ce système un environnement où nous nous sentons en sécurité et traités avec dignité et respect.
Il doit également y avoir des mesures de soutien globales au sein de l’alerte robe rouge, puisque, souvent, les personnes portées disparues sont dans des situations de vulnérabilité — elles sont souvent aux prises avec des problèmes de santé mentale ou des dépendances ou vivent dans une pauvreté extrême —, ce qui les rend très vulnérables. Nous devons nous assurer qu’il y a suffisamment de soutien intégré dans le cadre du processus.
De plus, le système doit être d’envergure nationale, et pas seulement un service isolé, pour être efficace. Je fais du travail de première ligne depuis très longtemps, et je vois souvent les problèmes liés aux limites des compétences… les obstacles qui existent et les problèmes que pose cette situation lorsque l’on tente de prendre des mesures immédiates. Nous devons adopter une approche à plusieurs volets pour que la mise en œuvre de l’alerte robe rouge soit un succès. Il doit y avoir des engagements importants, à long terme et durables.
En outre, afin d’assurer le succès du système d’alerte robe rouge, on doit prendre en considération les régions géographiques éloignées et isolées ainsi que l’infrastructure dont elles ont besoin. Merci.
Le président : Merci, madame Anderson-Pyrz.
Monsieur Balfour, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Balfour : L’approche de l’ACM en est une dirigée par les Premières Nations. Nous étudions la question en ce qui a trait à l’élaboration d’une alerte Waabigwan pour les personnes disparues des 62 Premières Nations du Manitoba, qui suppose que l’on habilite les Premières Nations à superviser et à exécuter les alertes. Elle nécessitera également l’administration de mécanismes essentiels, comme les services de police et les unités d’opérations spéciales chargées de rechercher les personnes disparues. Elle exigerait l’établissement de protocoles de collaboration et d’échange de renseignements entre la police, les autorités des Premières Nations et les organismes externes; et ces protocoles supposeraient que les organismes locaux d’application de la loi respectent la souveraineté des données des Premières Nations et suivent les principes de la propriété, du contrôle, de l’accès et de la possession — ou PCAP — de ces dernières. Dans des situations extrêmes, ces conditions pourraient comprendre l’octroi de pouvoirs permettant d’étendre les efforts de recherche au-delà des affaires classées.
Bien sûr, cette approche requiert nécessairement des consultations avec les Premières Nations membres de l’ACM dans les réserves et hors réserve et exige que la participation et la contribution des Premières Nations fassent partie intégrante du processus décisionnel, des politiques et des initiatives concernant les alertes de personnes disparues et que l’on s’assure qu’elles sont guidées par la contribution et la participation des familles autochtones.
Bien entendu, le personnel et la police devraient participer au système d’alerte et doivent également faire preuve de sensibilisation, de respect et de considération à l’égard de la culture, des croyances, des traditions et des pratiques des Premières Nations. Merci.
Le président : Merci, monsieur Balfour.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à tous nos témoins. Je vous écoute tous très attentivement. Il s’agit d’un problème important que certains d’entre vous ont déjà travaillé fort pour régler, mais, malheureusement, il ne disparaît pas.
J’ai deux questions à poser; l’une s’adresse à Mme Jesty précisément et l’autre, à vous trois. En ce qui concerne le système d’alerte d’urgence Unama’ki, est-ce que des communautés ou des Premières Nations se sont manifestées pour tirer des enseignements de ce que vous faites? Ma seconde question, qui s’adresse à vous trois, concerne le sujet des membres vivant dans les réserves ou dans la communauté et des membres de vos communautés qui vivent en milieu urbain : que faut-il faire pour s’assurer que tous les membres des Premières Nations sont protégés par ces systèmes d’alerte?
Mme Jesty : Je le crie sur les toits depuis un certain temps déjà. Je ne comprends pas pourquoi les communautés autochtones et non autochtones du pays n’utilisent pas toutes un système comme le nôtre. Pourquoi la municipalité régionale d’Halifax ou celle du Cap-Breton ne l’ont-elles pas? Il s’agit d’un système très efficace et, comme je l’ai dit, il bénéficie d’un soutien et d’une adhésion extraordinaires de la part de la communauté.
À ce jour, j’ai aidé la Première Nation de Lennox Island. Je suis allée là-bas pour mettre en place le système d’alerte, qui est exactement semblable au nôtre. Dans l’heure qui a suivi — et il s’agit d’une très petite communauté d’environ 400 personnes —, 200 personnes s’étaient abonnées au système. Les gens le veulent. Ils veulent en faire partie et être informés.
Il y a deux semaines, je me suis rendue à Conne River, à Terre-Neuve, pour aider la Première Nation Miawpukek à mettre en place exactement le même système, et des résultats semblables ont été obtenus. Dans les trois premières heures qui ont suivi l’annonce dans les médias sociaux et dans la collectivité, 300 personnes s’y étaient inscrites.
Le système suscite de l’intérêt. Je continue d’en parler sur toutes les tribunes pour qu’il soit adopté partout. Je l’ai dit à maintes reprises : je serais heureuse d’aider toute communauté qui souhaite le mettre en place. Dans le monde parfait que je m’imagine, je me rends dans toutes les communautés autochtones du pays pour le mettre en place. Il me faut environ une heure pour le faire. La collaboration avec les gens d’Everbridge est extraordinaire, et chaque fois que je leur dis que je n’aime pas ceci, que j’ai besoin de cela ou qu’il faudrait apporter un changement, ils sont plus que disposés à exaucer mes vœux, ce qui facilite l’adaptation du système à nos besoins.
Le système d’Everbridge en tant que tel est si perfectionné sur le plan technologique qu’il peut tout faire, sauf laver la vaisselle, mais nous n’avions pas besoin de cela. Il nous fallait quelque chose de très simple pour diffuser des renseignements d’urgence. C’est le seul usage que nous faisons du système. Nous ne nous en servons pas pour annoncer un bingo ou une veillée funèbre. Nous l’utilisons uniquement pour communiquer des renseignements d’urgence.
La sénatrice Coyle : Merci.
Le président : Madame Anderson-Pyrz, avez-vous quelque chose à ajouter?
La sénatrice Coyle : Il y a aussi la question sur les personnes en milieu urbain par opposition aux personnes dans les communautés.
Mme Jesty : Voulez-vous que je réponde également à cette question? À Sydney, en Nouvelle-Écosse, il y a quelque chose qui s’appelle le centre Jane Paul, qui est essentiellement destiné à la population vulnérable hors réserve. J’y suis allée et j’ai offert aux gens de s’inscrire sur-le-champ. J’avais apporté les formulaires d’inscription. Nous avons le code QR, et le centre offre gratuitement l’Internet à ceux qui ont un appareil pour s’y connecter. Nous n’oublions donc pas cette population.
La Gendarmerie royale du Canada est le service de police de la plupart des communautés des Premières Nations, mais, à Sydney, c’est la police régionale du Cap-Breton. J’ai rencontré ces deux organisations à maintes reprises pour leur expliquer le processus, leur donner le numéro de téléphone, leur dire : « Hé, si vous croyez qu’une personne a disparu, appelez-moi et je lancerai l’alerte, c’est aussi simple que cela », et pour tenter de les convaincre que cela leur faciliterait la vie. Au lieu d’attendre 24 heures, ils peuvent simplement lancer l’alerte. Nous pouvons le faire en quelques minutes.
Le président : Merci. Madame Anderson-Pyrz, avez-vous quelque chose à ajouter?
Mme Anderson-Pyrz : Au sujet des personnes vivant dans les réserves ou hors réserve et de ce qu’il faut faire pour que tout le monde se sente protégé, comme je l’ai dit, c’est une question qui m’occupe depuis environ 25 ans. Je constate souvent le caractère inadéquat des ressources et des services de soutien destinés aux femmes, aux filles ainsi qu’aux personnes bispirituelles et de diverses identités de genre autochtones, tant dans les réserves que hors réserve. Bien franchement, un agresseur ne vous demande pas si vous êtes membre des Premières Nations, Inuit ou Métis. Lorsque j’offrais du soutien de première ligne, nous ne demandions jamais aux victimes ou aux membres de la famille touchés s’ils étaient membres des Premières Nations, Inuits ou Métis, ou s’ils vivaient dans une réserve ou hors réserve. Nous fournissions le service.
Bien souvent, je constate l’existence de nombreux obstacles liés au fait de vivre dans une réserve ou hors réserve. J’ai été témoin d’un manque de services de soutien et de ressources en milieu urbain. Il est constamment nécessaire de financer adéquatement les organismes sans but lucratif de première ligne qui fournissent ces services. Certains d’entre eux font un travail extraordinaire, mais ils sont gravement sous-financés, car il faut envisager le modèle de soins d’un point de vue holistique. Lorsqu’une personne est portée disparue, de nombreux facteurs liés à son environnement et à ses vulnérabilités entrent souvent en jeu. Il n’est pas rare que des lacunes systémiques et le racisme structurel soient en cause.
Le président : Monsieur Balfour, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Balfour : Non, merci. Tout ce qui a été dit est tout à fait sensé et vrai. La clé du succès, c’est la sensibilisation et l’éducation tant dans les réserves que hors réserve. Il doit aussi y avoir une volonté du Canada et des provinces — à tout le moins le Manitoba, du point de vue de l’ACM — de travailler avec les Premières Nations. Il y a des progrès à faire à ce chapitre, mais je crois que c’est possible, surtout grâce à notre premier ministre des Premières Nations au Manitoba.
Quant à l’approche à l’égard de la collaboration avec la police, malheureusement, l’ACM a dû réagir à des problèmes persistants, notamment celui touchant la fouille du site d’enfouissement, mais nous établissons des relations plus coopératives avec la police de Winnipeg et la GRC, ce qui est une bonne chose.
Au bout du compte, il s’agit de ce que Hilda a mentionné, à savoir que le budget dont nous parlons ne représente pas beaucoup d’argent, mais cela s’inscrit dans le contexte plus large des appels à la justice, qui doivent être financés et qui doivent également mettre à contribution les Premières Nations. Je me souviens du moment où j’ai été élu chef de la nation crie de Norway House. Les gens avaient voté pour moi — et les lois avaient changé de telle sorte que tant les personnes vivant dans la réserve que celles vivant hors réserve puissent voter —, mais je ne pouvais rien faire pour eux parce que nous ne recevions pas de financement. Les choses ont changé depuis. Il y a eu les appels à la justice, la réconciliation et les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, et il est maintenant temps de financer adéquatement les dirigeants élus pour leur permettre de représenter les électeurs, tant dans les réserves que hors réserve.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup d’être ici. Je trouve cela très intéressant.
J’aimerais que M. Balfour et les autres répondent au sujet de la mise en œuvre. Après avoir écouté Mme Jesty, je pense que, du point de vue géographique, vous êtes à l’endroit idéal pour entreprendre quelque chose de ce genre.
Je suis de l’Ontario et, comme c’est le cas au Manitoba, nos collectivités accessibles seulement par avion sont de grandes villes. Thunder Bay me vient à l’esprit pour ce qui est des personnes portées disparues. Nous connaissons tous les conséquences malheureuses de certaines de ces choses.
Au moment où vous envisagez ces fonds — qui sont limités, comme vous l’avez mentionné —, à quoi ressemblerait la mise en œuvre dans une province comme le Manitoba ou l’Ontario? Comment intégrer cela aux autres programmes en place?
M. Balfour : Je n’ai pas toutes les réponses, mais c’est une question formidable. Cela fait partie de la question concernant la consultation et la mobilisation auprès des dirigeants locaux. Il y a d’excellentes façons de procéder, comme celles que ma collègue a mentionnées. Ce serait un peu plus particulier, car un certain nombre de nos Premières Nations membres sont également éloignées et isolées. Elles cerneront des difficultés. Elles doivent participer aux discussions et au processus d’établissement de la voie à suivre.
La sénatrice Boniface : Je m’interroge sur ce que vous serez en mesure d’accomplir avec cette somme et sur la façon dont vous poursuivrez cette discussion plus tard. Comme vous l’avez dit, 1,3 million de dollars, ce n’est pas beaucoup d’argent par rapport à la taille du Manitoba et à ce que vous pourriez vouloir mettre en œuvre. S’agit-il de fonds pour le lancement du projet pilote ou de l’initiative? À votre avis, qu’est-ce que cette somme vous permettra de réaliser? Est-elle destinée uniquement aux consultations? De quoi s’agit-il?
M. Balfour : Je tente évidemment de bien faire comprendre que les Premières Nations doivent participer aux discussions.
La sénatrice Boniface : Absolument.
M. Balfour : Cela dit, même si les consultations sont une très bonne chose, nous savons ce qui doit être fait. Il y a déjà des réussites. À tout le moins, un projet pilote tombe totalement sous le sens.
Je viens de la nation crie de Norway House, qui a de tristes antécédents en matière de femmes disparues et assassinées, mais il y a également de plus grandes Premières Nations qui disposent de bonnes personnes et de bons services leur permettant d’explorer la forme que cela pourrait prendre.
Par exemple, je ne parle pas au nom d’une Première Nation membre de l’AMC plutôt qu’au nom d’une autre, mais il y a peut-être des façons d’aller un peu plus vite et, en même temps, de lancer un projet pilote tout en veillant à ce que les Premières Nations soient mobilisées et consultées.
La sénatrice Boniface : Madame Anderson-Pyrz, je m’interroge sur le rôle de la province en matière d’administration de la justice et de services de police, entre autres. Pouvez-vous me dire quel rôle la province pourrait jouer, selon vous, à cet égard?
Mme Anderson-Pyrz : La province a un grand rôle à jouer à cet égard parce qu’elle est en faveur de la réforme des politiques et des lois et qu’elle fournit du financement. Elle a un rôle majeur à jouer sur le plan de la mise en œuvre.
Bien sûr, nous savons que 1,3 million de dollars, ce n’est pas beaucoup d’argent. En tant que femme autochtone, cela me frustre souvent qu’il y ait 1,3 million de dollars pour l’alerte robe rouge, mais que le gouvernement fédéral consacre des millions de dollars au vol d’automobile, par exemple. Le message que cela envoie aux femmes autochtones, c’est que leur vie n’a pas de valeur dans ce pays.
Même au Manitoba, compte tenu de tout ce qui s’est passé relativement à la fouille du site d’enfouissement et du fait que l’ancien premier ministre a même fait campagne sur les corps des femmes autochtones, il s’agit d’une lutte constante et quotidienne pour notre survie.
La mise en œuvre — je le répète sans cesse — doit emprunter une approche circulaire, car il y a de nombreuses choses à prendre en considération. Il ne s’agit pas seulement de l’alerte robe rouge; il s’agit de reconnaître la violence systémique à l’origine du problème persistant des disparitions de femmes, de filles, de personnes bispirituelles et de personnes de diverses identités de genre autochtones.
C’est frustrant, parce qu’on adopte souvent une approche compartimentée, alors que ce devrait être une approche globale faisant intervenir tous les ministères. Si vous examinez la question du point de vue du Manitoba, tous les secteurs — la justice, la protection de l’enfance, le logement et l’itinérance — doivent être mis à contribution. C’est une question très complexe, et c’est pourquoi cela me frustre autant. Cela n’est pas envisagé dans l’optique de la prévention ni dans celle du soutien ou de la résolution du problème persistant des disparitions de femmes, de filles, de personnes bispirituelles et de personnes de diverses identités de genre. C’est très compliqué.
Je commence souvent à m’inquiéter lorsqu’il est question de projets pilotes. À quoi ces projets pilotes mènent-ils lorsque nous examinons la mise en œuvre? Il faut qu’ils soient durables et à long terme, et qu’ils servent de modèles pour les autres provinces et territoires. Il ne faut pas prendre simplement une mesure ponctuelle et dire : « Nous avons financé cette initiative et un nouveau gouvernement a été élu. » C’est un grand risque pour nous, femmes autochtones. Nous ne pouvons pas être un élément d’une campagne politique.
Ce sont nos vies qui comptent. Nous sommes victimes de disparitions, d’actes de violence et d’assassinats à un rythme alarmant. Même lorsqu’il est question d’adopter le plan d’action national et le plan de mise en œuvre du gouvernement fédéral, il y a une promesse de transformation du Canada. C’est ce qu’attendent les femmes, les filles, les personnes bispirituelles et les personnes de diverses identités de genre autochtones, et elles meurent en raison de l’absence de volonté politique de la part des gouvernements de notre pays.
Merci.
Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins d’être ici, de raconter leurs histoires et d’incarner le leadership. Je vous suis reconnaissant de votre présence. J’ai deux questions.
La première s’adresse à Mme Anderson-Pyrz. Vous avez abordé d’importants problèmes systémiques touchant la violence et la discrimination, et vous avez énoncé un certain nombre de principes, dont l’un, comme vous l’avez dit, doit englober l’égalité véritable et être axé sur les droits de la personne. J’aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet.
La seconde question s’adresse à Mme Jesty. Je suis heureux de vous voir vous adresser à nous depuis Unama’ki. Je tiens à souligner votre leadership. Comme un aîné me l’a dit un jour, les leaders vont de l’avant. En ce qui concerne le système d’alerte d’urgence d’Unama’ki, vous avez fourni des données incroyables. Vous avez parlé de 170 alertes et de 68 jeunes retrouvés.
Pourriez-vous nous raconter une histoire à ce sujet? De plus, vous avez dit avoir élaboré vos propres protocoles. J’espère que vous pourrez nous en dire plus à ce sujet également. Nous allons commencer par Mme Anderson-Pyrz, s’il vous plaît. Merci.
Mme Anderson-Pyrz : Lorsque nous parlons de principes, notamment les sept principes énoncés dans le rapport final de l’enquête nationale, en effectuant ce travail, je remarque souvent que, si les gens se concentraient sur ces sept principes, nous serions plus avancés. Cependant, les gens se concentrent souvent sur les 231 appels à la justice. Lorsque nous examinons le principe d’égalité réelle et que nous mettons l’accent sur les droits de la personne, la façon dont nous pouvons faire ce travail s’y dégage.
Un autre principe est celui des solutions autodéterminées et dirigées par les Autochtones. Le troisième principe est l’inclusion des familles et des survivantes. Le quatrième principe est une approche de décolonisation. Le cinquième principe consiste à reconnaître les distinctions. Le sixième principe est la sécurité culturelle. Le septième principe est une approche tenant compte des traumatismes. Si nous pouvons appliquer tous ces principes au travail entrepris, nous aurons des résultats transformateurs.
Je fais ce travail depuis longtemps — j’ai participé au processus d’enquête, à la mise en œuvre et au processus de l’alerte robe rouge — et je constate que les gens se concentrent sur le « but visé », sans se soucier assez de la façon de mettre en œuvre avec succès l’alerte robe rouge ou les 231 appels à la justice. Cela devient très frustrant.
J’ai souvent dit aux gouvernements : « Pourquoi ne faites-vous pas la promotion des sept principes énoncés dans le rapport final de l’enquête nationale? » Les gens comprendraient mieux. Lorsqu’il est question des appels à la justice, ils sont examinés dans le cadre d’une approche très cloisonnée, parce que, souvent, un appel à la justice fait intervenir de multiples ministères fédéraux, et les gouvernements ne semblent pas le comprendre.
Nous le voyons actuellement, puisque seulement deux appels à la justice précis ont été mis en œuvre.
Pour être très franche, je suis très frustrée par l’absence d’action, d’engagement et de volonté politique relativement à la mise en œuvre des 231 appels à la justice et de l’alerte robe rouge. L’absence d’un engagement financier — de 1,3 million de dollars — envoie un message aux femmes, aux filles et aux personnes bispirituelles et de diverses identités de genre autochtones et leur dit que leurs vies importent peu, que leur sécurité n’est pas importante, que la prévention n’est pas une priorité et que les changements nécessaires pour nous protéger et assurer notre sécurité dans ce pays ne le sont pas non plus.
En ce qui concerne le mouvement demandant la fouille du site d’enfouissement, le processus judiciaire est en cours au Manitoba. Je n’aime pas nommer les agresseurs, mais le tueur en série au Manitoba croit que le système judiciaire est une farce. Il a dit avoir fait ce qu’il a fait parce qu’il pouvait s’en tirer sans conséquences. Cela envoie un message. Les gens au pays devraient être alertés : des tueurs en série nous prennent pour cibles parce qu’ils estiment que le système judiciaire est un échec monumental dans ce pays.
Nous devons prendre des mesures transformatrices. L’heure est grave en ce qui a trait à la protection des femmes, des filles et des personnes bispirituelles et de diverses identités de genre autochtones. Il faut que tout le monde participe pour contenir ce fléau.
Il est déchirant, en tant que femme autochtone tentant de promouvoir un tel changement, de toujours constater la résistance à la mise en œuvre et au financement adéquat de mécanismes et de mesures comme l’alerte robe rouge. Cela nous sauverait la vie. Je pense à mes sœurs, qui sont vulnérables, et ces messages les touchent : le gouvernement ne se soucie pas de nous et ne s’engagera pas à fournir un financement substantiel et équitable pour nous protéger et nous sauver la vie.
La mise en œuvre peut être significative et avoir une incidence, mais il y a un manque de volonté politique et d’équité, qui sont nécessaires pour y arriver.
Mme Jesty : J’aimerais revenir un instant à la sénatrice Boniface. J’estime que 1,3 million de dollars est loin d’être suffisant, mais, en tant que femmes autochtones, nous resterons toujours au-dessus de la mêlée, quoi qu’il arrive. Nous devons faire de notre mieux avec ce que nous avons. S’il s’agit de 1,3 million de dollars, utilisons-le. Faisons ce que nous pouvons. Je tiens à mentionner que le système que nous utilisons actuellement nous coûte un peu moins de 10 000 $ par année. Nous pouvons y arriver.
Pourquoi attendre? Pourquoi en parlons-nous encore? Pourquoi ne faisons-nous rien? Je pourrais le faire en si peu de temps.
Pour revenir à la question du sénateur Prosper au sujet des protocoles, j’ai rassemblé les cinq chefs de nos communautés d’Unama’ki et je leur ai dit : « Devinez quoi? J’ai créé un système d’alerte. Voilà. Voici votre nom d’utilisateur et votre mot de passe, et voici comment l’utiliser. » Ensuite, nous nous sommes assis et nous avons parlé des protocoles — « Quand enverrons-nous une alerte? Quand ne le ferons-nous pas? » Mais au bout du compte, chaque situation appelle ses propres règles.
Nous n’avons pas de règles strictes voulant qu’une personne doive être portée disparue depuis un temps précis, ou encore que, si une personne déjà vulnérable qui vit dans la rue hors réserve disparaît une journée, puis disparaît encore le lendemain, nous n’enverrons pas une deuxième alerte. Nous n’avons jamais dit une telle chose parce que, si c’était votre fille, votre sœur ou votre mère, vous voudriez que tout le monde fasse tout ce qui est possible pour les retrouver. Si cela suppose d’envoyer plus d’une alerte pour la même personne, pourquoi pas? Lorsque vous y réfléchissez d’un point de vue personnel, qui ne le ferait pas?
La sénatrice Hartling : Merci beaucoup d’être ici. C’est une chose très difficile à entendre parce que c’est quelque chose qui se produit constamment, mais je vous félicite, madame Jesty, ainsi que vous tous, pour le travail que vous faites.
Je réfléchis à la question de la violence fondée sur le sexe dans notre pays. C’est comme si personne ne voulait y porter attention, surtout en ce qui a trait aux Autochtones. Cela n’a pas de sens à mes yeux. C’est comme ce que vous avez dit au sujet des voitures : nous chercherons des voitures, mais pas des personnes?
En ce qui concerne l’avenir, vous avez mentionné, monsieur Balfour, que des garçons et des hommes participent. Dans le cadre de la consultation ou de l’élaboration conjointe, comment cela fonctionnera-t-il selon vous? Nous croyons que plus d’hommes et de garçons doivent intervenir. Oui, nous faisons le travail en tant que femmes, mais nous avons besoin d’aide. Est‑ce que chacun d’entre vous peut parler de la façon dont cela pourrait s’appliquer dans le cadre de l’élaboration conjointe?
Mme Jesty : Notre système d’alerte ne s’applique pas seulement aux femmes disparues. Il s’applique à toute urgence qui pourrait avoir une incidence directe sur la santé et la sécurité des membres de notre communauté.
Nous avons envoyé des alertes pour des hommes, des femmes et des enfants, ainsi que pour des aînés atteints de démence qui se sont enfuis. Nous avons envoyé de telles alertes. Nous ne les envoyons pas seulement pour les personnes disparues. Nous envoyons également toute alerte qui aura une incidence directe sur la vie et la sécurité de nos communautés. Disons que nous devons évacuer notre communauté en raison d’un incendie de forêt imminent. Nous avons la capacité, à portée de main, d’envoyer l’alerte en quelques minutes. Et comme vous la recevez sur votre appareil, vous obtenez l’information, peu importe où vous vous trouvez. Si vous vivez à Membertou, mais que votre famille vit à Eskasoni et que vous vous êtes inscrits aux alertes pour les deux communautés, vous apprenez ce qui se passe et vous vous dîtes : « Oh, Eskasoni doit être évacuée parce qu’il y a un incendie de forêt, et ma mère habite là. » Maintenant, vous le savez, et vous l’avez appris en quelques minutes. Notre système d’alerte fonctionne sans hésitation, et il s’agit d’une priorité absolue.
Comme vous le savez, nous pouvons nous rendre d’un bout à l’autre du pays en moins d’une journée. Si une personne est enlevée à Vancouver, elle peut être dans un avion et se retrouver à l’autre bout du pays en un clin d’œil. Le fait d’avoir un système national où les alertes s’affichent comme n’importe quel autre message sur votre téléphone, comme un message texte, permet — et il n’y a pas le même son paralysant que dans le cadre du système d’alerte provincial — de fournir l’information aux gens. C’est à portée de main. Le système est prêt. Vous pouvez joindre une photo au besoin. Comme je l’ai dit, avec notre système d’alerte, les gens prennent une capture d’écran et la communiquent sur leurs médias sociaux. Alors, vous rejoignez beaucoup plus de personnes que seulement celles qui sont abonnées à votre système d’alerte.
M. Balfour : Je sais que, lorsqu’ils ont tenté de faire participer des hommes et des garçons, les dirigeantes, d’abord du conseil des femmes de l’AMC, disaient que nous ne pouvons pas parler de cette question sans faire participer des hommes et des garçons. Il en était de même pour les chefs et l’assemblée dans son ensemble : ils ont également reconnu la nécessité de faire participer les hommes et les garçons à la solution. Il y a donc des Premières Nations au Manitoba qui organisent des rassemblements d’hommes. Il y aura aussi une réunion régionale. C’est une question d’éducation et de sensibilisation, mais c’est également une question de guérison. C’est l’un des principaux points que non seulement la grande cheffe Merrick, mais également le Conseil des femmes de l’AMC ont soulignés : pouvoir aller de l’avant et s’assurer que les hommes et les garçons ne sont pas laissés pour compte et qu’ils font plutôt partie de la solution.
Mme Anderson-Pyrz : Une clarification s’impose : je comprends la question, puisque vous l’envisagez sous l’angle de la violence fondée sur le sexe et de la façon dont les hommes et les garçons peuvent faire partie de la solution. Est-ce exact? D’accord.
Lorsque nous examinons la question sous cet angle, nous devons donner à nos hommes des occasions de guérir et de reprendre leur rôle de guerriers au sein de nos communautés et de nous défendre en tant que femmes, filles et personnes bispirituelles et de diverses identités de genre autochtones. Ils doivent éliminer les répercussions qu’a eue la colonisation sur eux et vraiment examiner leur rôle de père, de soignant, de membre de la communauté et de grand-père, parce que bon nombre de nos hommes et de nos garçons se sont égarés en raison des répercussions de la colonisation et perpétuent souvent la violence contre nous de nombreuses façons différentes.
Si nous sommes ne serait-ce qu’en mesure de créer un modèle… lorsque je travaillais en première ligne, j’ai réussi à obtenir du financement pour travailler à l’élaboration d’un programme intitulé « Les hommes et les garçons font partie de la solution pour bâtir des communautés saines et sécuritaires ». Malheureusement, j’ai assumé mon rôle à l’échelle nationale et je n’ai pas pu voir ce projet se réaliser. Mais j’avais une grande vision selon laquelle il fallait élaborer des programmes de mentorat, pour qu’ils soient offerts en continu dans notre communauté aux hommes qui travaillaient sur leur bien-être dans le but de retrouver la santé, qui reconnaissaient leurs comportements et prenaient des responsabilités et des mesures correctives pour conseiller d’autres hommes et garçons sur la façon d’assumer à nouveau leur rôle de guerrier. Le programme se poursuivrait pendant des générations, puisqu’il porterait sur la guérison et le bien-être et serait ancré dans le territoire, ainsi que sur la réappropriation de notre culture et de notre identité. Nous avons perdu des éléments essentiels de notre identité et de notre culture et sommes marqués par des traumatismes.
C’est là que la violence entre en jeu également, parce que non seulement nous subissons beaucoup de violence en tant que femmes, filles et personnes bispirituelles et de diverses identités de genre autochtones à l’extérieur de nos communautés, mais aussi au sein de nos communautés et même au sein de diverses structures. Alors, nous devons nous assurer que, lorsque des hommes et des garçons participent aux activités, ils ont une possibilité de guérison et de bien-être et ils peuvent vraiment assumer leur rôle d’hommes et de garçons autochtones. Nous méritons tous une bonne vie et une vie sécuritaire également. Ils peuvent aussi bénéficier grandement de la guérison et du bien-être qui y sont associés de façon à ce qu’ils puissent reprendre leur rôle et, aussi, mettre fin à la violence. Merci.
La sénatrice Hartling : Merci beaucoup.
La sénatrice Boniface : Ma question est brève. Madame Jesty, je m’intéresse au rôle de la police dans votre communauté. Je me demande si, à mesure que votre système a pris de l’expansion, vous avez réussi à convaincre, disons, la GRC de s’en charger à l’échelle nationale, pour ce qui est de la façon dont elle peut reproduire le tout, de sorte que, dans ses propres systèmes, elle ne se retrouve pas avec un tas d’approches différentes.
Mme Jesty : Au début, lorsque nous avons lancé le système, j’ai eu des réunions avec des membres de la GRC dans les cinq communautés — ou dans les quatre communautés où ils sont représentés — et je leur ai expliqué en quoi consiste notre système d’alerte et comment ils pourraient y accéder et l’utiliser.
Au début, il y avait beaucoup de résistance. C’était la même chose avec la police régionale du Cap-Breton — il y avait beaucoup de résistance. Elle voulait que certains protocoles soient mis en place. J’ai dit : « Mais ce n’est pas nécessaire. Prenez simplement le téléphone. » Il n’est pas nécessaire d’ajouter des protocoles à l’infini au système d’alerte. La structure n’est pas primordiale. Nous parlons de la vie d’une personne. Pourquoi attendez-vous?
Mais il s’agit maintenant d’une relation complètement différente. Ils se sont rendu compte à quel point le système est efficace, et cela leur facilite vraiment la tâche.
Maintenant que c’est si largement accepté au sein des détachements de la GRC, il ne sera pas difficile de reproduire le système partout au pays. Nos détachements seront en mesure de parler de leurs réussites, de la facilité d’accès au système, de l’intervention rapide de l’alerte et de la rapidité avec laquelle la personne est généralement retrouvée.
J’espère donc surtout… Eskasoni est le détachement principal. Des alertes sont constamment demandées. Auparavant, une ou deux autochtones appelaient, et c’étaient les Autochtones, mais maintenant, c’est plus que cela. Ce détachement n’hésite pas à appeler, et il n’y a pas d’attente.
Donc, peu importe que vous appeliez cela une « personne disparue », selon votre définition du terme — j’ai parlé de « personne non localisée » —, chaque fois que cela se produit, on fait toujours appel à la police parce qu’on ne sait vraiment pas quelle sera la situation.
Des gens ont communiqué avec moi par l’intermédiaire de ma page Facebook personnelle, parce qu’ils ont compris que c’était un peu ce que je fais. Ils me disent : « Oh, ma fille est disparue, ma sœur est disparue. Pouvez-vous envoyer une alerte? » Je leur réponds : « Avez-vous appelé la police? » Dans de nombreux cas, la réponse était soit « non », soit « oui, et ils ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire pour moi ». J’appelle ensuite la police et je lui dis : « Pourriez-vous au moins aller parler à la famille? » Heureusement, elle le fait très rapidement.
Dans les quelques cas où cela s’est produit, j’ai appelé la GRC et je lui ai dit : « Bonjour, pourriez-vous aller parler à la famille et me rappeler? » Et ils le font… en 15 minutes, un membre est allé voir la famille. Ils ont toute l’histoire. Ils ont identifié la personne qui a effectivement besoin d’une alerte. Ils m’appellent, nous envoyons l’alerte, et vous savez la suite.
La sénatrice Boniface : J’espère que nous verrons cela partout au pays. Merci de votre travail.
Le président : Le temps alloué à ce groupe de témoins est maintenant écoulé. La discussion de ce matin a été très intéressante, et je tiens à remercier tous nos témoins d’être venus.
Si vous souhaitez présenter des observations subséquentes, veuillez les envoyer par courriel à notre greffière, Andrea, dans un délai de sept jours. Non, nous n’avons peut-être pas ce temps pour le faire maintenant. Il faut que ce soit immédiatement, je suppose.
J’aimerais maintenant présenter notre prochain groupe de témoins : de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, Krista Apse, directrice générale, Secrétariat des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées; et de Sécurité publique Canada, Kenza El Bied, directrice générale, Politique et sensibilisation, Secteur de la gestion des urgences et des programmes; et Adrian Walraven, directeur général, Affaires autochtones. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui.
Les témoins feront chacun une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et réponses avec les sénateurs. J’invite maintenant Mme Apse à faire sa déclaration préliminaire.
[Français]
Krista Apse, directrice générale, Secrétariat des femmes et filles autochtones disparues et assassinées, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada : Bonjour. Je m’appelle Krista Apse, directrice générale du Secrétariat des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Je tiens à souligner respectueusement que je me trouve sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anisninabe.
[Traduction]
Les femmes, les filles et les personnes bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers, intersexuelles et autres, ou 2ELGBTQI+, autochtones continuent de disparaître et d’être assassinées à un rythme alarmant. Les données de Statistique Canada montrent que, bien qu’elles ne représentent que 4 % de la population canadienne, les femmes et les filles autochtones représentaient 28 % des homicides perpétrés contre des femmes en 2019 et sont 12 fois plus susceptibles d’être assassinées ou portées disparues que les femmes non autochtones au Canada.
En mai 2023, la Chambre des communes a soutenu à l’unanimité une motion de la députée Leah Gazan visant à déclarer que les meurtres et les disparitions de femmes et de filles autochtones constituaient une situation d’urgence à l’échelle du Canada et a demandé au gouvernement de financer une alerte robe rouge pour informer le public de la disparition d’une femme, d’une fille ou d’une personne 2ELGBTQI+ autochtone et de demander son aide pour qu’elle soit retrouvée saine et sauve dans les meilleurs délais.
En décembre 2023 et en janvier 2024, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC, a mobilisé 16 séances d’engagement préliminaires sur l’alerte robe rouge auprès des organisations communautaires autochtones et des organisations fondées sur les distinctions partout au pays, afin de solliciter des commentaires préliminaires et de discuter de leurs points de vue. Hilda Anderson-Pyrz, présidente du Cercle national des familles et des survivantes, dont vous avez entendu le témoignage aujourd’hui; et Sandra DeLaronde, présidente du comité de mise en œuvre des FFADA2E+ du Manitoba; ainsi que les députées Leah Gazan et Pam Damoff ont dirigé ces séances au nom du ministre des Relations Couronne-Autochtones.
Plusieurs thèmes récurrents ont été relevés, et bon nombre d’entre eux ont été abordés par le groupe de témoins précédent. Le système d’alerte devrait contribuer à une diminution de la violence contre les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQI+ autochtones. Il devrait renforcer la sécurité dans les collectivités. Il devrait répondre aux incidents de violence contre les personnes FFADA2E+. Il devrait accroître la sensibilisation du public aux femmes, aux filles et aux personnes 2ELGBTQI+ autochtones disparues et assassinées. Nous avons également entendu parler des obstacles anticipés, principalement axés sur les relations historiquement difficiles entre les forces de l’ordre et les communautés autochtones, ainsi que les préjugés systémiques et le racisme à l’égard des Autochtones.
En février 2024, la deuxième Table ronde nationale autochtone fédérale-provinciale-territoriale sur les femmes, les filles, les personnes bispirituelles et les personnes de diverses identités de genre autochtones disparues et assassinées s’est tenue. L’élaboration d’une alerte robe rouge était l’un des principaux points à l’ordre du jour de cette réunion. Les discussions ont mis en évidence la nécessité qu’un projet pilote soit mené par des femmes, des filles, des personnes 2ELGBTQI+ et des collectivités autochtones et qu’il comprenne des mesures de soutien pour les victimes, les familles et les survivantes. Une collaboration interjuridictionnelle, une formation pour le personnel chargé de l’application de la loi et une sensibilisation du public ont été évoquées comme des actions cruciales nécessaires pour la mise en œuvre et le succès d’un système d’alerte.
Le point de vue des partenaires est important tant pour l’élaboration d’un projet pilote que pour sa mise en œuvre éventuelle.
Le budget de 2024 proposait d’investir 1,3 million de dollars sur trois ans dans une alerte robe rouge, de soutenir les partenaires autochtones au moyen de subventions et de contributions et d’élaborer conjointement un projet pilote régional pour une alerte robe rouge ainsi qu’une évaluation à l’issue du projet pilote. Le financement proposé prévoit un projet pilote au cours des trois prochaines années, y compris un engagement pour l’élaboration conjointe, et la section 26 de la partie 4 du projet de loi C-69 contient les dispositions permettant le versement de ce financement.
Le financement de la période d’engagement serait fourni à une ou plusieurs organisations autochtones. Cette approche répond en grande partie aux demandes de partenaires qui souhaitent que le système d’alerte soit dirigé par des Autochtones.
Le partenaire provincial aurait la responsabilité de financer la mise en œuvre d’un projet pilote d’alerte robe rouge.
Comme vous le savez peut-être, le 3 mai 2024, le ministre des Relations Couronne-Autochtones et la ministre des Familles du Manitoba ont annoncé un partenariat fédéral-provincial visant à faire progresser le projet pilote d’alerte robe rouge au moyen de l’élaboration conjointe avec des partenaires autochtones et la province du Manitoba. Des discussions sont en cours sur la forme que prendra ce projet pilote, et le ministère s’efforce de rendre le financement du budget accessible pour soutenir les progrès.
Le président : Merci, madame Apse.
Nous allons maintenant inviter Mme El Bied à faire sa déclaration préliminaire.
Kenza El Bied, directrice générale, Politique et sensibilisation, Secteur de la gestion des urgences et des programmes, Sécurité publique Canada : Merci, monsieur le président, de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
Avant de commencer, je tiens à reconnaître la terre traditionnelle non cédée sur laquelle nous sommes réunis aujourd’hui, celle du peuple algonquin-Anishnabeg.
Dans le cadre de mon rôle, je suis chargée de collaborer avec d’autres ministères et organismes fédéraux, les provinces et les territoires, les organismes autochtones nationaux et d’autres intervenants pour faire progresser une approche stratégique intégrée à tous les aspects de la sécurité civile.
Je suis accompagnée aujourd’hui de mon collègue Adrian Walraven, directeur général de police autochtone au Secteur des affaires autochtones à Sécurité publique Canada. Il est responsable de la politique et de la mise en œuvre du programme de police des Premières Nations et des Inuits, qui offre des services de police professionnels, dévoués et culturellement adaptés aux collectivités des Premières Nations et des Inuits.
[Français]
Je tiens à exprimer notre préoccupation commune à l’égard du fait que les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones et les Autochtones de diverses identités de genre continuent d’être plus à risque d’être enlevés, victimes d’homicides et victimes d’autres formes de violence. Ensemble, nous devons faire tout ce que nous pouvons pour sauver des vies, tout en continuant de travailler à mettre fin à cette crise nationale.
[Traduction]
Comme vous le savez, le budget propose de fournir 1,3 million de dollars sur trois ans pour soutenir les peuples autochtones dans le co-développement d’un projet pilote pour un système régional d’alerte robe rouge. Le ministre des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord Canada dirige cet important travail, qui consiste notamment à prendre le temps nécessaire pour prendre en compte les considérations juridictionnelles, les points de vue des partenaires autochtones, notamment sur les relations entre les collectivités autochtones et les forces policières, les services intégrés requis et les différents modèles d’alertes, y compris la diffusion immédiate, mais aussi les modèles d’adhésion, comme par l’entremise des applications, des sites Web ou d’autres moyens de communication.
[Français]
L’élaboration conjointe avec les partenaires autochtones pour développer un système d’alerte est essentielle pour qu’il réponde aux besoins et aux attentes de ceux qu’il est censé appuyer. Il est essentiel que nous prenions le temps de bien faire les choses.
[Traduction]
Je voudrais évoquer le rôle de Sécurité publique Canada dans le soutien apporté aux fonctionnaires de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada dans le cadre de cette importante initiative. Le rôle de Sécurité publique Canada est double, puisqu’il a de vastes responsabilités en matière de sécurité des communautés et que, dans le cadre de ses responsabilités en matière de sécurité civile, il joue un rôle de coordination avec les provinces et les territoires au sein du Système national d’alertes au public du Canada. Ces fonctions sont supervisées respectivement par le ministre de la Sécurité publique et le ministre de la Protection civile.
Sécurité publique Canada assure un leadership et une coordination à l’échelle nationale afin d’aider les collectivités et les intervenants canadiens à lutter contre la criminalité et à renforcer la résilience des collectivités, à promouvoir la sûreté et la sécurité des collectivités et des institutions canadiennes et à appuyer la prestation de services de police aux collectivités autochtones. Le ministère s’emploie également à renforcer la sécurité civile à l’échelle nationale afin de prévenir les événements tous risques, d’en atténuer les effets, de s’y préparer, d’y répondre et de s’en remettre.
[Français]
Au fur et à mesure que le processus du codéveloppement se déroulera et qu’un ou des modèles d’alerte seront élaborés, nous appuierons les fonctionnaires de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada dans leur collaboration avec les provinces, les territoires et les partenaires d’application de la loi, afin de mettre en place un système qui répondra aux attentes de ceux qu’il est censé aider. Cela comprend l’aide à l’égard de toute mobilisation qui pourrait être requise auprès des responsables provinciaux et territoriaux chargés de la sécurité civile, et toute question qui pourrait être soulevée au sujet du Système national d’alertes au public.
[Traduction]
En plus de son appui à l’initiative d’alerte robe rouge, le Ministère s’est également engagé à renforcer les initiatives de sécurité communautaire et les services de police dans l’ensemble des collectivités des Premières Nations et des Inuits. Nous continuons de collaborer avec des partenaires, les collectivités et les organisations autochtones, les provinces et les territoires ainsi que d’autres intervenants pour mettre fin à la violence contre les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQ+ autochtones. Il s’agit notamment de continuer à soutenir les communautés dans l’élaboration de plans de sécurité communautaires, de promouvoir les priorités uniques des Premières Nations, des Inuits et des Métis en matière de sécurité communautaire et de participer à l’élaboration d’une législation fédérale reconnaissant les services de police des Premières Nations comme un service essentiel.
[Français]
Je suis heureuse de répondre à vos questions et de faire partie de ce groupe de témoins. Merci.
[Traduction]
Le président : Merci, madame El Bied. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
La sénatrice Coyle : Je remercie nos témoins de leurs déclarations et du travail qu’elles font sur cette question très importante.
Madame la directrice générale Apse, j’aimerais d’abord vous poser des questions au sujet de votre témoignage. Vous avez bien décrit les diverses mesures qui ont été prises — ainsi que les aspects problématiques, évidemment — la table ronde, les séances d’engagement préliminaires, etc., et maintenant l’engagement pour le projet pilote régional au Manitoba.
Je suis curieuse au sujet du travail effectué à ce jour… et je suis très favorable au projet pilote. Nous venons d’entendre des témoignages incroyables dans notre dernier groupe de témoins, en particulier de la part de Mme Jesty au sujet du système d’alerte d’urgence Unama’ki. Cette question a-t-elle été étudiée au cours de l’une ou l’autre de ces séances? Dans l’affirmative, y a-t-il quelque chose en place pour examiner les résultats de ce système et la façon dont ils pourraient influencer ce projet pilote?
En outre, pendant que le projet pilote est en cours, s’efforcera-t-on aussi d’examiner les exemples de réussites à l’échelle du pays afin de voir ce qui pourrait en être tiré et appliqué assez rapidement à d’autres endroits, compte tenu de l’urgence?
Mme Apse : Merci, monsieur le président, de la question.
En fait, oui, nous avons examiné divers exemples.
Avant les séances d’engagement préliminaires partout au pays, RCAANC a élaboré ce que j’appellerai un document d’engagement, à défaut d’avoir un meilleur terme. Il visait en fait à informer les participants des différents systèmes d’alerte qui existent. Nos collègues de la Sécurité publique connaissent mieux la diffusion immédiate, et nous voyons cela en partie sur nos téléphones lorsqu’une alerte AMBER est déclenchée. Mais il y a d’autres systèmes de notification, et le nouveau système d’alerte d’urgence Unama’ki en est un de masse. Dans le document d’engagement, nous avons décrit ces différents systèmes, leur fonctionnement et certains de leurs principaux éléments, afin que les gens puissent venir à la table et parler de leurs préférences ou de ce qui pourrait fonctionner de leur propre point de vue.
Nous nous sommes donc penchés sur ces questions. Il y a quelques autres exemples que nous pouvons également vous donner, et je suis heureuse de transmettre le document d’engagement au comité afin que vous puissiez aussi le voir.
Il était évident que, même si les gens connaissent bien le Système national d’alertes au public, ils souhaitaient également avoir quelque chose de plus local. C’est ce que nous a aussi dit Mme Jesty quant à la façon dont cela fonctionne dans sa collectivité.
La seconde partie de votre question… Je suis désolée, j’aurais dû l’écrire.
La sénatrice Coyle : Eh bien, pendant que le projet pilote est en cours, ce qui est bien, et que beaucoup d’œufs sont dans ce panier en particulier, y aura-t-il d’autres efforts soutenus pour promouvoir certains de ces modèles locaux?
Mme Apse : Je pense que c’est ce qui se passe actuellement.
La sénatrice Coyle : D’accord. Et sont-ils appuyés…
Mme Apse : Et nous voyons les liens entre les collectivités et les groupes qui disposent de ces systèmes d’alerte. Cela se produit en partie de façon organique. Cependant, en ce qui concerne la façon dont le gouvernement fédéral pourrait promouvoir certains de ces exemples, nous le faisons au moyen de l’échange d’information que j’ai mentionné, en ce qui a trait à ces exemples — plus comme des idées dans le cadre de l’élaboration conjointe —, pour entendre les collectivités et les organisations parler de ce qui pourrait fonctionner le mieux.
La sénatrice Coyle : Merci. J’ai une dernière question. Si un certain nombre de collectivités ou de régions veulent adopter un modèle semblable au modèle Unama’ki ou semblable à l’un des autres modèles que vous avez proposés, un soutien financier est-il offert pour la collectivité qui l’élabore et pour la collectivité qui aide à l’élaboration?
Mme Apse : C’est une chose que nous voulons aborder avec les deux. Le montant de 1,3 million de dollars dans le budget de 2024 est destiné à la mobilisation. En ce qui concerne la mise en œuvre, nous aimerions en discuter avec la province du Manitoba, tout comme nous aimerions parler de la façon dont cela peut être soutenu sur le plan de la capacité de part et d’autre.
La sénatrice Coyle : Merci.
Le président : Madame Apse, serait-il possible d’obtenir une copie du document sur la mobilisation aujourd’hui? Notre échéancier est serré. C’est la seule raison pour laquelle je pose la question.
Mme Apse : Oui. Je suis certaine que nos fonctionnaires nous regardent, et ils vous transmettront immédiatement les versions française et anglaise que nous avons.
Le président : Merci.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup d’être ici. En ce qui concerne le montant de 1,3 million de dollars, je veux qu’il soit clair qu’il s’agit de 1,3 million de dollars sur trois ans, soit un peu plus de 400 000 $ par année au cours des trois prochaines années. Ai-je raison?
Mme Apse : Oui, mais le profil de financement pour la première année est censé représenter la majeure partie de cet engagement.
La sénatrice Boniface : Alors, vous en versez plus au début?
Mme Apse : Oui.
La sénatrice Boniface : Merci.
En ce qui concerne la mise en œuvre par les provinces, c’est la réalité au sein d’une fédération. Le gouvernement fédéral dicte ce qu’il croit être important — et c’est incroyablement important —, et il incombe ensuite à la province de mettre le tout en œuvre. Lorsque le gouvernement fédéral discute avec les provinces, est-ce que toutes les provinces sont d’accord pour une telle mise en œuvre?
Mme Apse : Le projet pilote se veut une initiative régionale, alors l’important sera de discuter avec les partenaires autochtones, les organisations au Manitoba et la province du Manitoba pour aller de l’avant à cet égard.
J’ai mentionné la Table ronde nationale autochtone-fédérale-provinciale-territoriale. Il y a eu une participation claire de l’ensemble des provinces et des territoires à cet égard. Nous avons été informés de différents niveaux d’intérêt de la part de différentes provinces en ce qui a trait à ce qui pourrait être fait dans l’avenir. Nous sommes ouverts à tenir de telles discussions avec les autres provinces et territoires également, pour continuer d’avancer. Je crois que nous en apprendrons beaucoup dans le cadre du projet pilote sur ce que cela peut signifier.
J’aimerais ajouter quelque chose avant de conclure : ce que nous avons entendu durant les séances de mobilisation — et j’en ai parlé précédemment —, c’est le besoin de reconnaître la nature locale de certaines de ces choses. J’étendrais cela aux différences techniques et géographiques uniques et je tiens à ajouter que nous avons clairement entendu dire que la capacité technologique dans le Nord n’est pas nécessairement telle que nous l’avions imaginé.
La sénatrice Boniface : Exactement.
Mme Apse : Nous devons donc avoir d’autres conversations, non seulement avec les gens du Nord, mais aussi avec d’autres collectivités rurales où il en serait ainsi. Il y a beaucoup de travail à faire.
La sénatrice Boniface : Dites-vous que vous pouvez procéder sans la participation des provinces?
Mme Apse : Non, je crois que nous voudrons que les provinces et les territoires participent.
La sénatrice Boniface : Avez-vous besoin du financement provincial pour obtenir le résultat final? C’est ce que j’essaie de savoir, parce que j’ai entendu parler de mise en œuvre avec les provinces, mais je ne sais pas quel rôle elles jouent.
Mme Apse : La mise en œuvre dont j’ai parlé était la mise en œuvre du projet pilote.
La sénatrice Boniface : Avec le Manitoba?
Mme Apse : Avec le Manitoba. C’est exact. En ce qui concerne les prochaines étapes, nous voudrons poursuivre les discussions avec les provinces et les territoires, et le financement reste à déterminer.
La sénatrice Boniface : J’aimerais parler au représentant de Sécurité publique, en particulier en ce qui concerne le Programme des services de police des Premières Nations et des Inuits, qui a publié un rapport cette semaine. Le programme souffre d’un sous-financement chronique depuis de nombreuses années. Tout le monde le reconnaît en ce qui concerne la notion de « service essentiel ». Est-ce que des programmes comme celui-ci seront intégrés aux négociations au niveau fédéral pour s’assurer d’en tenir compte — du point de vue de l’application de la loi — du fait qu’il assure la prestation d’un service essentiel?
Adrian Walraven, directeur général, Affaires autochtones, Sécurité publique Canada : Merci beaucoup, monsieur le président. Je vous remercie beaucoup de la question. En ce qui concerne le Programme des services de police des Premières Nations et des Inuits, il y a quelques axes en matière de programmes. Il y a un axe qui appuie les services de police dirigés par les Premières Nations et les Inuits.
La sénatrice Boniface : Oui.
M. Walraven : C’est là où sont allés de récents investissements prévus dans le budget de 2024, et la vérificatrice générale a formulé beaucoup de critiques dans son récent rapport au sujet de la suffisance du financement et de la façon dont le financement est fourni. Nous fournissons également du financement lorsque cela appuie la GRC ou d’autres services de police compétents pour soutenir…
La sénatrice Boniface : Je suis au courant.
M. Walraven : Si nous examinons le lien entre le PSPPNI, le soutien nécessaire pour les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et le système d’alerte dont nous parlons aujourd’hui, nous visons à intégrer — en étroite collaboration avec les provinces et les territoires — ces conversations dans nos discussions, tant avec la GRC qu’avec les services de police autochtones que nous soutenons.
Mon exemple le plus récent est que nous sommes en train de renouveler des ententes de financement avec les services en Ontario. Nous offrons un financement souple dans la mesure où nous ne précisons pas nécessairement que certains fonds doivent être dépensés pour telles ou telles choses. Ce financement, ainsi que les conversations et les négociations sur le financement entourant le renouvellement de ces ententes tiennent compte de la nécessité pour les services de police de travailler en étroite collaboration avec la communauté et les organisations dirigées par des Autochtones afin d’avoir un soutien misant sur la prévention pour aborder le sujet dont nous parlons aujourd’hui, mais également pour nous assurer que la prestation de services de police communautaires efficaces et adaptés sur le plan culturel aide les organismes d’application de la loi et la population concernée à composer avec ce problème difficile.
La sénatrice Boniface : D’accord. Je crois que, si je faisais un retour en arrière de 20 ans, on me dirait la même chose en ce qui a trait au financement. Le débat a porté sur ce qui est essentiel. Un financement souple est bon parce que les gens peuvent établir leurs propres priorités. Le dilemme pour le gouvernement fédéral, les gouvernements autochtones et les provinces est de savoir si tout le monde s’entend réellement sur ce cadre pour établir la façon dont le financement sera utilisé.
Ma crainte est que nous ayons la même discussion dans 20 ans et que nous disions que les besoins essentiels n’ont toujours pas été comblés. Définirez-vous ce qui est « essentiel », et allez-vous inclure les appels à l’action et certains des problèmes liés aux femmes et aux filles autochtones disparues et assassinées?
M. Walraven : Dans le cadre de nos efforts visant à élaborer conjointement ce qui pourrait devenir une loi fédérale définissant officiellement les services de police des Premières Nations et des Inuits comme étant des services essentiels, il n’y a pas de définition précise.
La sénatrice Boniface : C’est malheureux.
M. Walraven : Essentiellement, si nous finançons un service de police des Premières Nations et des Inuits, il devrait recevoir un financement adéquat pour fonctionner conformément aux règlements provinciaux ou territoriaux et pour produire des résultats efficaces dans les collectivités qu’il sert.
À mesure que nous composons avec tout ça — si je peux inspirer une certaine confiance quant au fait que les choses changent —, vous pouvez constater que les engagements financiers ont augmenté dans les derniers budgets fédéraux. Les provinces et les territoires réagissent à hauteur de 48 % en nature sous forme d’investissements supplémentaires. Nous avons actuellement des discussions très intéressantes avec le gouvernement du Manitoba, il en a d’ailleurs été question plus tôt ce matin. À mesure que nous travaillons en collaboration avec les provinces et les territoires, plus d’argent est mis sur la table, et il y a plus de souplesse en ce qui a trait à la façon dont nous répartissons ces fonds en fonction des priorités établies par les Autochtones. Je suis convaincu que nous constaterons graduellement une amélioration de la façon dont les entités chargées de l’application de la loi interagissent avec les collectivités et tiennent compte de leurs priorités sur cette question importante.
La sénatrice Boniface : D’accord.
Le président : J’ai une brève question pour vous, madame Apse. Le financement proposé de 1,3 million de dollars est-il un nouveau financement ou provient-il d’une enveloppe existante?
Mme Apse : Il s’agit de nouveaux fonds annoncés dans le budget de 2024. Ces fonds ne sont liés à aucun financement annoncé précédemment.
Le président : Merci.
Le sénateur Arnot : On a ressenti beaucoup de frustration en raison de l’absence d’action relativement aux appels à la justice liés aux FFADA, comme l’a dit hier la cheffe de l’Assemblée des Premières Nations, l’APN. Il faut accroître le sentiment d’urgence à l’égard de ces choses.
Comment envisagez-vous l’intégration du système d’alerte robe rouge au Système national d’alertes au public actuel? Quelles sont les principales considérations stratégiques en ce qui a trait à ces questions? Comment Sécurité publique Canada prévoit-il travailler en collaboration avec les communautés autochtones et d’autres intervenants pour adapter le système d’alerte robe rouge à leurs besoins particuliers?
À long terme, quels sont les plans pour faire évoluer le système d’alerte robe rouge afin de relever les nouveaux défis et d’intégrer de nouvelles technologies à mesure que nous allons de l’avant dans ce dossier?
Vous avez également dit qu’une province, le Manitoba, est prête à aller de l’avant, mais quelle est la réaction dans les autres provinces? Il semble qu’elles n’agissent peut-être pas aussi rapidement que le Manitoba.
Mme Apse : Je peux commencer, et j’inviterai mes collègues de Sécurité publique à intervenir par la suite, au besoin.
J’ai moi aussi entendu la frustration hier de la cheffe nationale de l’APN. Notre ministre a répondu en ce qui concerne les progrès réalisés à l’égard des 231 appels à la justice.
À titre d’information, hier était le cinquième anniversaire du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. De plus, hier, le gouvernement fédéral a publié un rapport d’étape annuel qui montre les progrès réalisés relativement aux appels à la justice. Je ne révèle pas de grands secrets : le ministre a admis qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. Je vais peut-être m’arrêter ici.
En ce qui concerne les liens avec le Système national d’alertes au public, cela reste à déterminer dans le cadre de nos discussions avec la province et les partenaires autochtones dans la province en ce qui a trait au projet pilote lui-même. En tant que gouvernement fédéral, nous cherchons à savoir quel type de système d’alerte répondrait le mieux aux besoins de nos partenaires. Nous avons entendu Mme Jesty plus tôt. Il s’agit d’un système d’alerte différent. Il s’agit d’un système d’alerte de masse par abonnement, alors c’est un peu différent des alertes intrusives de radiodiffusion que nous recevons sur nos téléphones dans le cadre du système AMBER.
Vous avez demandé comment nous avions l’intention de participer. Nous avons pris certains engagements, et je les ai également décrits. J’ajouterai un second document qui pourrait être utile; je vous donnerai le document en entier. Il s’agit d’un exposé sommaire que Mme Anderson-Pyrz et sa collègue Sandra DeLaronde ont présenté à la Table ronde nationale autochtone-fédérale-provinciale-territoriale. C’est un résumé des activités d’engagement qui ont eu lieu et des choses que nous avons entendues dans le cadre de ces activités.
Au bout du compte, il reste du travail à faire pour ce qui est de discuter avec nos partenaires au sujet de ce à quoi ce système ressemblera exactement. Quels sont les critères? Qui a vraiment le doigt sur la gâchette? Mme Jesty a décrit son rôle. Il faut définir les préférences des partenaires en discutant avec eux. Il y avait un certain nombre d’autres choses, comme — je vais parler sur le plan opérationnel ici — le lien entre le système d’alerte en tant que tel et les services globaux qui existent déjà, puis il faudra cerner les autres services globaux qui pourraient être nécessaires et la façon dont nous mettons le tout en place par l’intermédiaire du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux ou, dans certains cas, des administrations locales.
Alors, il y a beaucoup plus de travail à faire sur le plan de la mobilisation.
Vous avez posé une question quant à savoir si le Manitoba est prêt à aller de l’avant. Le ministre a écrit à ses homologues provinciaux et territoriaux l’automne dernier et leur a dit qu’il avait l’intention de lancer le projet pilote. Le Manitoba était le premier à intervenir et à signaler sa volonté de travailler en collaboration avec le gouvernement fédéral dans le cadre de ce projet pilote. Cependant, nous avons eu des discussions avec d’autres provinces et territoires. Il y a une volonté de faire une partie de ce projet.
Ensuite, durant notre Table ronde nationale autochtone-fédérale-provinciale-territoriale en février, nous avons également entendu des représentants du Yukon, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique parler des progrès qu’ils font en vue des 231 appels à la justice.
Alors, différentes provinces font les choses différemment, en accordant la priorité à ce qu’elles considèrent comme étant le plus important. Cependant, nous voyons des progrès partout au pays. Les provinces et les territoires jouent un rôle essentiel dans la réponse aux appels à la justice.
Le président : Il n’y a personne d’autre sur ma liste de sénateurs voulant poser des questions, et le temps accordé à ce groupe de témoins tire à sa fin. Encore une fois, je vous remercie tous de vous être joints à nous ce matin.
Nous allons maintenant suspendre brièvement la séance avant de poursuivre à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)