LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 25 septembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la mise en œuvre de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2021 par le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.
Le président : Avant de commencer, j’aimerais demander à tous les sénateurs et aux autres participants en personne de consulter les cartes sur la table pour s’informer des lignes directrices sur la prévention des incidents de rétroaction auditive. Assurez-vous de garder vos écouteurs loin de tous les microphones en tout temps. Lorsque vous ne les utilisez pas, déposez-les sur l’autocollant placé sur la table à cette fin. Je vous remercie de votre collaboration.
J’aimerais commencer par souligner que les terres sur lesquelles nous nous réunissons se trouvent sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe et que de nombreux autres peuples des Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’ensemble de l’île de la Tortue y vivent maintenant.
Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, également connue sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je vais maintenant demander aux membres du comité ici présents de se présenter.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Hartling : Je m’appelle Nancy Hartling. Je viens du Nouveau-Brunswick, du territoire non cédé du peuple mi’kmaq.
Le sénateur McNair : John McNair, du Nouveau-Brunswick, également des terres non cédées du peuple mi’kmaq.
Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan
Le sénateur Prosper : Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire Mi’kma’ki.
La sénatrice White : Judy White, de Ktaqmkuk, mieux connue sous le nom de Terre-Neuve-et-Labrador, le territoire ancestral des Mi’kmaqs.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse, territoire Mi’kma’ki.
La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique, originaire du territoire visé par le Traité no 6.
Le président : Avant de commencer, je voudrais saluer le Conseil des jeunes de l’Association nationale des centres d’amitié. Ils sont tous là. Soyez les bienvenus. C’est un plaisir de vous accueillir.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur la mise en œuvre de la Loi sur la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2021, également connue sous le nom de Loi sur la DNUDPA, par le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Le comité écoute les témoignages de témoins afin de raffiner l’examen du sujet à l’étude.
J’aimerais vous présenter notre témoin, Marjolaine Étienne, présidente de Femmes Autochtones du Québec Inc. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Notre témoin prononcera une allocution d’ouverture d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une séance de questions et de réponses avec les sénateurs.
J’invite maintenant Mme Étienne à prononcer son allocution d’ouverture.
Marjolaine Étienne, présidente, Femmes Autochtones du Québec Inc. : Kuei. Bonjour. Je m’appelle Marjolaine Étienne. Je suis de la nation innue de la communauté autochtone de Mashteuiatsh, qui est située au Lac-Saint-Jean.
Mesdames et messieurs les membres du comité et monsieur le président, merci de me permettre de m’adresser à vous sur un sujet qui, en tant que présidente de Femmes Autochtones du Québec, mais également à titre de conseillère pour le Fonds de contributions volontaires des Nations unies pour les peuples autochtones, me tient particulièrement à cœur, c’est-à-dire la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
Cette déclaration représente un engagement mondial envers la reconnaissance et la protection des droits des peuples autochtones, dont ceux des femmes et des filles qui font face à des défis uniques et complexes.
Je vous ferai part de quelques constats et recommandations de la part de Femmes Autochtones du Québec en lien avec la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones au sein du Canada et de ses entités fédérales.
Pour ce faire, permettez-moi d’abord de vous entretenir de la recommandation générale no 39 (2022) sur les droits des femmes et des filles autochtones, qui peut aider grandement à orienter les travaux de mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans la bonne direction en ce qui concerne les droits des femmes et des filles autochtones.
La recommandation générale no 39 (2022) sur les droits des femmes et des filles autochtones a été adoptée en octobre 2022 par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Elle offre un cadre juridique et des directives pour garantir le respect et la promotion des droits individuels et collectifs des femmes et des filles autochtones, conformément à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
En résumé, la recommandation générale no 39 vise à fournir des orientations concrètes pour assurer la protection et la promotion des droits individuels et collectifs des femmes et des filles autochtones dans tous les domaines de leur vie. Voici quelques grandes lignes.
Il est essentiel de commencer par reconnaître et lutter contre le racisme systémique, qui se manifeste de manière intersectionnelle.
Les femmes et les filles autochtones subissent des discriminations croisées — être femme et être autochtone — qui sont aussi exacerbées par d’autres facteurs comme l’orientation sexuelle ou des handicaps, mais également des expériences spécifiques de marginalisation et de vulnérabilité.
Le comité doit évaluer ces dynamiques pour mieux comprendre et combattre cette forme de racisme qui est intrinsèquement liée au taux de violence alarmant que subissent les femmes et filles autochtones.
Il est également crucial de consulter et d’assurer la participation des femmes et des filles autochtones dans le processus décisionnel des politiques, des programmes et des projets qui les touchent. Cela doit se faire conformément au principe du consentement préalable, libre et éclairé.
Les droits fonciers des femmes et des filles autochtones doivent être garantis afin de préserver leur autonomie et leur culture. Le comité doit examiner les défis auxquels elles font face en matière d’accès à la terre, de protection des connaissances traditionnelles et d’implication dans la gestion des ressources naturelles.
En matière d’accès aux services essentiels, la recommandation met en lumière le droit fondamental des femmes autochtones à bénéficier d’un accès équitable aux différents services. Que ce soit pour l’éducation, la santé, la justice, l’emploi et la formation, il est impératif que ces services soient non seulement accessibles géographiquement et monétairement, mais aussi culturellement adaptés aux réalités et aux besoins des femmes et des filles. En ce sens, il faut mettre l’accent sur la valorisation et la transmission des pratiques ancestrales.
Les États doivent soutenir le renforcement des capacités individuelles et collectives des femmes et des filles autochtones. Cela inclut des investissements dans l’éducation, la formation, l’entrepreneuriat et le leadership communautaire, afin de favoriser leur autonomisation.
Enfin, la transmission des savoirs culturels, y compris des langues maternelles, est essentielle. Les femmes autochtones jouent un rôle central dans cette transmission que l’on doit valoriser afin de protéger la perpétuité de nos savoirs ancestraux.
Il est nécessaire que cette recommandation soit connue, prise en compte et intégrée dans les politiques par les gouvernements provinciaux et fédéral, car son contenu est directement lié à celui de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous invitons les membres du comité à prendre connaissance de ce document pour s’en inspirer.
En ce qui concerne les différents projets au sein de Femmes Autochtones du Québec en lien avec le plan d’action du gouvernement du Canada, nous avons plusieurs initiatives ponctuelles en cours.
Nous avons des initiatives liées au plaidoyer pour les femmes autochtones disparues et assassinées et à la mise en œuvre des rapports et recommandations de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Il y a également un projet sur le leadership, les histoires de changement et la promotion des droits individuels et collectifs inscrits dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et la recommandation générale no 39, projet qui se poursuivra jusqu’en mars 2025. L’organisation d’un symposium à la fin de l’année 2024, destiné à valider une stratégie-cadre pour l’égalité des genres, constituera une étape cruciale.
Par ailleurs, les travaux en cours d’une cellule de recherche et développement, qui se termineront à la fin de 2024, apporteront des orientations précieuses sur l’éthique de la recherche en contexte autochtone.
Avant de conclure, je tiens à mentionner que bien que l’on observe des efforts au sein du gouvernement fédéral pour intégrer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre législatif, force est de constater qu’à l’échelle provinciale, au Québec notamment, on traîne le pas. Sans reconnaissance et volonté de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones à tous les ordres de gouvernement, il ne peut y avoir de véritables changements, puisque les deux gouvernements légifèrent sur des enjeux qui concernent les Autochtones.
Bien sûr, la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ne peut se faire correctement sans porter une attention particulière aux défis, réalités et besoins spécifiques rencontrés par les femmes et les filles autochtones. Il est essentiel de reconnaître et de respecter leurs identités culturelles, leurs connaissances ancestrales et leurs perspectives uniques. Merci. Tshinashkumitinau.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Le sénateur Arnot : Merci beaucoup d’être venue ici aujourd’hui, madame Étienne, et de nous aider à examiner cette question.
J’aimerais connaître votre point de vue sur la mise en œuvre de la Loi sur la DNUDPA. J’aimerais savoir si vous pensez que cette loi a eu un impact tangible jusqu’à présent, en particulier au sein des communautés que vous connaissez et représentez. Les femmes autochtones ont-elles bénéficié d’avantages significatifs jusqu’à présent?
Vous avez parlé de la nécessité d’investir dans l’éducation et de l’importance de la langue. Je me demande ce que vous pourriez nous dire sur ce que vous espérez voir. Quels types d’investissements et quels types de résultats souhaiteriez-vous voir dans 5 ou 10 ans? Quel est l’objectif final pour résoudre ces problèmes?
J’aime toujours parler de l’intersectionnalité et de l’effet cumulatif des catégories de discrimination. Je sais que vous en avez parlé, alors j’aimerais que vous fassiez des commentaires sur ces questions, si vous le voulez bien.
[Français]
Mme Étienne : Cela fait beaucoup. Je vais commencer par une vision. Je pense que ce qui est important par rapport aux femmes et aux filles autochtones... Vous le savez comme tout le monde : avant la colonisation dans le territoire ancestral, il y avait une relation entre les hommes et les femmes; on appelait cela l’équilibre. Chacun avait son rôle, les femmes et les hommes également.
La colonisation, le contexte des pensionnats, la Loi sur les Indiens sont venus chambouler le rôle ancestral des femmes autochtones, qui jouaient un rôle très important et crucial au cœur de nos communautés et dans nos collectivités, soit celui de la transmission des savoirs culturels et de nos langues maternelles.
Dans cinq ou dix ans, il sera intéressant de voir que les femmes autochtones ont quand même une grande place dans la société, que ce soit dans nos propres communautés ou dans la société en général. Nous avons une place, nous avons un devoir, nous avons une responsabilité et nous avons quelque chose également à apporter, que ce soit dans nos communautés ou dans le milieu urbain.
Quand une femme autochtone n’est pas en santé, la famille n’est pas en santé et la collectivité ne l’est pas non plus. Je crois que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est un élément fondamental et mondial pour assurer que les femmes autochtones bénéficient des droits qui figurent dans les articles 21 et 22 de la déclaration. Elles doivent aussi avoir accès à des services équitables, mais cela fait partie de certaines choses qui ne se font pas actuellement.
On sait effectivement qu’il y a des éléments qui ont marqué l’histoire des femmes autochtones. On a, par exemple, le décès tragique de Joyce Echaquan, et j’entends bien d’autres témoignages lorsque je me présente chez les différentes nations et chez les femmes autochtones à travers le Québec.
Je suis en tournée en ce moment; mon intention est d’écouter les femmes autochtones et de leur parler de ce qu’elles vivent dans leur communauté, parce que je vous dirais qu’elles ne se sentent pas en sécurité. L’environnement sécuritaire est un élément important, tant pour elles que pour leurs enfants et leur famille.
Je pense que je vous ai parlé de la recommandation générale n° 39; je crois que c’est important de s’en inspirer. Elle a été adoptée à l’international en 2022 dans le cadre d’une réunion du Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) à laquelle j’ai participé également avec d’autres femmes autochtones.
Pour nous, les femmes autochtones, que ce soit au Québec, au Canada ou à l’international, c’est un outil fondamental, parce qu’au moyen de cette recommandation, nous pouvons faire valoir nos droits individuels et collectifs. C’est un outil intéressant et je vous conseille de l’utiliser. Je l’utilise actuellement parce que nous faisons une démarche de consultation auprès des femmes autochtones au Canada pour parler de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, y compris la recommandation no 39, parce que nous avons des droits. Les femmes et les filles autochtones ont des droits.
En ce sens, il est important de sensibiliser les femmes autochtones sur ce que sont la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et la recommandation et de leur faire connaître leurs droits. Quels sont vos droits? Comment voyez-vous l’application de vos droits?
La démarche de consultation permettra de recevoir et d’être à l’écoute de ce que les femmes perçoivent sur le plan de leurs droits et sur la manière de les faire respecter, non seulement dans nos communautés, mais aussi à l’extérieur de nos communautés. Grâce à cette vision, dans cinq ou dix ans, j’espère que les femmes pourront réellement exercer leurs droits et qu’elles seront mieux respectées qu’elles ne le sont aujourd’hui, que ce soit pour obtenir des services à l’extérieur de nos communautés, mais aussi au sein même de nos communautés.
[Traduction]
La sénatrice White : Merci beaucoup, madame Étienne. J’apprécie vraiment votre passion, et elle se voit.
J’aimerais parler un peu des zones urbaines et des femmes autochtones qui y vivent. Le 17 avril dernier, l’Association nationale des centres d’amitié a témoigné devant le comité. Elle a défini les Autochtones vivant en milieu urbain comme étant des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis vivant dans des communautés de petite, moyenne et grande taille, mais elle a également inclus les communautés rurales, isolées et éloignées. Je me demande si les communautés rurales et éloignées font partie de vos membres. C’est important pour moi. Il y a beaucoup d’Innus au Labrador que je connais bien, et ils vivent dans des communautés éloignées. Je me demande si vous pourriez nous donner des conseils, s’ils font partie de vos membres, sur la façon dont nous pouvons garantir la protection des droits des femmes autochtones vivant en milieu urbain dans les régions éloignées. C’est une grande question, je suis désolée, mais j’aimerais entendre vos conseils.
[Français]
Mme Étienne : L’organisme Femmes Autochtones du Québec Inc. représente 10 nations et les femmes en milieu urbain également. Les femmes autochtones vivent avec leur famille dans les milieux urbains pour diverses raisons, notamment pour les études, parce qu’il y a un manque de logements dans nos communautés ou parce qu’elles sont à la recherche de meilleures conditions de vie pour elles et leurs enfants. Il y a des raisons pour lesquelles elles ont quitté leur communauté. Elles occupent aussi une place en milieu urbain.
Femmes Autochtones du Québec Inc. représente la nation naskapie, la nation Wolastoqiyik, la nation mi’kmaq, la nation atikamekw, la nation innue et diverses nations à travers le Québec. C’est autour d’une table de gouvernance que nous pouvons prendre part aux décisions et partager des informations pertinentes, parce que les femmes qui sont issues de chaque nation ont quelque chose à apporter. Elles sont nos yeux et nos oreilles. Nous sommes en mesure d’écouter leurs préoccupations.
En matière de situation géographique, chez les Atikamekw, ces communautés vivent environ à deux heures et demie de La Doré, donc elles sont situées en pleine forêt.
Les besoins sont différents pour chaque communauté parce que l’environnement est différent. Par exemple, ma communauté de Mashteuiatsh est située près des villes, on doit donc sortir de nos communautés pour avoir accès à des soins de santé. Par contre, en ce qui concerne les femmes qui vivent dans des régions éloignées, elles doivent faire des heures en voiture sur des routes en gravelle. Elles doivent sortir de leur communauté pour aller accoucher ou recevoir des soins. Elles doivent aussi accompagner leurs enfants ainsi que leurs aînés et les hommes. Donc, les femmes sont les premières à recevoir un service. Mais ce qui est important par rapport aux femmes qui vivent dans des régions éloignées, c’est qu’elles ont des besoins particuliers et qu’on devra les documenter. Elles doivent sortir pour faire leurs études postsecondaires et tout le reste. Leurs besoins sont grands, tant pour sur le plan de la santé, de l’éducation ou autre. Mais elles ont des besoins.
Comment les rejoindre? Femmes Autochtones du Québec a une représentante de la nation atikamekw qui est élue à chaque mandat; en ce sens, celle-ci est en mesure de nous rapporter des éléments pertinents et des préoccupations par rapport aux femmes autochtones.
De plus, en mai 2024, Femmes Autochtones du Québec a mobilisé plus de 160 femmes de différentes nations et de différentes générations. Cet événement a effectivement permis de nous rassembler. On a discuté autour des thématiques qui nous concernent — territoire, changements climatiques, leadership et gouvernance, culture et identité, développement socioéconomique — et ces thématiques ont été d’une grande envergure, parce qu’on en a appris beaucoup sur un bon bassin de préoccupations et pas seulement celles qui concernent nos propres enjeux, et on a réussi à trouver des pistes de solution. En ce moment, le rapport est à l’étape de la rédaction. Il est dans une version préliminaire, mais Femmes Autochtones du Québec aura un outil pour répondre aux besoins des femmes autochtones et pour travailler sur des pistes de solution par et pour les femmes autochtones qui se sont mobilisées en mai 2024.
[Traduction]
Le président : Ma question s’adresse à Mme Étienne. Dans le cadre de multiples études menées par le comité au cours des dernières années, de nombreux témoins ont souligné le manque de consultation et d’élaboration conjointe dans plusieurs dossiers, notamment dans celui de la Loi modifiant la Loi sur les Indiens en réponse à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Dagenais, qui touche de près les femmes des Premières Nations et leurs descendants. Avez-vous rencontré des difficultés liées à la manière dont le gouvernement du Canada conçoit ou entreprend la consultation, la coopération et l’élaboration conjointe?
[Français]
Mme Étienne : La consultation est un élément fondamental pour mieux connaître les besoins réels des peuples autochtones au Québec, au Canada ou ailleurs, et également pour tout ce qui concerne les besoins des femmes autochtones. Je pense que nous sommes les mieux placées pour savoir quels sont nos vrais besoins. La consultation doit se faire en amont de toute intervention afin d’être en mesure de connaître les besoins des femmes autochtones. Nous devons être en amont de cette consultation pour vous informer de ce qu’on peut faire pour mener une consultation en coconstruction et en codéveloppement.
Ce qui arrive habituellement, c’est que nous sommes toujours interpellées à la toute fin, quand les choses sont faites. Quelle que soit la thématique, on doit réagir plutôt qu’agir en amont, donc on n’est pas proactif. Il faudrait que, tant au fédéral qu’au provincial, ceux qui ont l’intention de créer ou de rédiger une loi quelconque soient en amont de cette rédaction, afin de coconstruire un projet de loi. Il faut qu’on soit assis à l’avant du wagon, et non dans le dernier, parce que sinon il sera trop tard, les choses seront déjà bouclées et nous n’aurons plus de marge de manœuvre pour faire connaître les besoins réels des femmes et des filles autochtones. L’idée, c’est vraiment de faire en sorte... En fait, c’est ce que dit la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones : il faut un consentement libre et éclairé qui assure que nous soyons consultés en amont, et non après que les choses sont faites.
C’est quelque chose que Femmes Autochtones du Québec mentionne souvent : si on veut apporter quelque chose ou parler des enjeux des femmes autochtones, il ne faut pas que cela se fasse à la toute fin, mais en amont. C’est là où on est en mesure de travailler ensemble, de coconstruire et de travailler sur les vrais enjeux et la réalité des femmes autochtones.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, madame Étienne.
[Traduction]
J’ai été très impressionnée et très touchée par ce que vous avez dit. Vous avez expliqué que les femmes autochtones du Québec ont une contribution à apporter qui doit être reconnue. Vous avez dit qu’il est important d’examiner le rôle des femmes autochtones du Québec dans la gestion des ressources naturelles et la protection des droits. Nous parlions tout à l’heure de consentement libre, préalable et éclairé. Pour moi, tous ces éléments convergent.
Les territoires du Québec regorgent de ressources, dont certaines sont très importantes pour l’économie future de la région et de l’ensemble du pays; je pense ici aux ressources minières, notamment les minéraux critiques, et à l’hydroélectricité. Nous savons que l’énergie éolienne prendra de plus en plus d’importance. Je m’intéresse non seulement au rôle des femmes autochtones qui accordent les autorisations et négocient ensuite des arrangements avec les promoteurs des projets d’exploitation des ressources, mais aussi à ce qui se passe lorsque des femmes autochtones du Québec prennent réellement l’initiative et invitent des partenaires à exploiter des ressources qui sont si abondantes dans vos territoires et qui seront essentielles pour l’économie de demain.
[Français]
Mme Étienne : Pour ce qui est du territoire, les femmes autochtones y vivent encore; elles étaient là hier, elles sont là encore aujourd’hui et elles y seront encore demain.
Les ressources qui se trouvent sur le territoire en matière de développement, que ce soit l’aménagement hydroélectrique ou minier et tout le reste, c’est important pour les femmes autochtones. Ce que je veux dire, c’est que c’est un aspect de ce que les femmes ont exprimé dans le cadre du grand sommet qui s’est déroulé en mai 2024. Elles veulent en savoir davantage par rapport aux changements climatiques. Qu’est-ce que cela veut dire? On l’entend souvent, mais elles sont très peu ou pas du tout impliquées dans cet enjeu qui nous concerne aussi. Sur le territoire, on a un rôle à jouer aussi en tant que femmes. On a une responsabilité dans notre milieu, sur le territoire, soit celle d’assurer la sécurité alimentaire. Je fais référence à la cueillette de petits fruits, à la pêche, à l’eau, à la chasse au petit gibier, à la perdrix et au lièvre. C’est là où la femme autochtone a un rôle et une responsabilité qu’elle joue avec cœur pour assurer une sécurité alimentaire.
J’oublie un élément important : celui de la pharmacie, comme les plantes médicinales pour se guérir.
Dans son milieu, elle est vraiment consciente non seulement qu’il y a quelque chose qu’on doit protéger, mais aussi qu’il faut être impliqué et parler de ces enjeux. À ce moment-ci, il y a très peu de tribunes où on peut entendre la parole des femmes autochtones sur cette protection.
Je n’ai rien contre les hommes; ce n’est pas le but de mon intervention. Le gros gibier, le caribou et l’orignal, c’est très bien. Cependant, les petits fruits servent aussi à nourrir nos enfants, les aînés, nos familles et nos collectivités sur le territoire et dans nos propres communautés en dehors du territoire. C’est la même chose pour la pêche et l’eau et pour les plantes médicinales.
Quand on fait un plan d’aménagement forestier, si le plan d’aménagement ne tient pas compte du fait qu’il y a du bleuet dans un coin et si on arrache toute la grappe avec toutes les feuilles et la racine, il n’y en a plus, c’est fini. La femme est en mesure de dire qu’il faut protéger tel endroit. Elle est la mieux placée et a une connaissance de tout ce qui existe dans son milieu de vie. La sécurité alimentaire, les plantes médicinales, l’eau, la chasse au petit gibier, la pêche, ce sont vraiment des activités que font les femmes.
L’élément fondamental se trouve dans la transmission de nos langues, qui se fait également sur notre territoire. C’est là d’où l’on vient. C’est là où on est venu au monde. La langue du territoire était quelque chose d’important. On a fini par briser ce lien intrinsèque entre les femmes et le territoire.
La colonisation est arrivée, comme le système de pensionnat et la Loi sur les Indiens. Tout ça est venu heurter de plein fouet les rôles et responsabilités des femmes autochtones.
Je souhaite que l’on reconnaisse dès maintenant le rôle des femmes autochtones en matière de transmission des savoirs culturels, y compris nos langues. Il faut une reconnaissance auprès de nos leaders politiques dans nos propres communautés. Quand on est reconnu, il y a une fierté qui nous accompagne. On fait en sorte d’assurer la pérennité de nos nations et de nos langues.
Nous aurons besoin d’investissements sur le plan de la formation dans le but de soutenir les femmes afin qu’elles puissent se réapproprier ce rôle en leur offrant un soutien quelconque. Ainsi, la femme aura plus de valeur qu’elle n’en a aujourd’hui. Cela lui donnera un sens auprès de la famille, et cela donnera un sens à sa vie, car elle aura un rôle à jouer et une responsabilité en tant que femme et en tant qu’Autochtone. Sans outils, sans mesures, on risque de continuer sur la lancée actuelle. Cela doit s’arrêter.
Trop souvent, les femmes autochtones nous quittent pour des raisons de violence conjugale. Les familles souffrent, les enfants souffrent, nos collectivités souffrent. Il est certain que la place de la femme est très importante dans nos communautés. Il faut faire en sorte qu’on puisse redorer l’image des femmes autochtones pour tout ce qu’elles ont apporté à nos collectivités. C’est un long chemin, mais j’y crois. Je crois à la force actuelle des femmes autochtones, parce qu’elles ont des capacités et du leadership. Si on ne les utilise pas, si on ne les implique pas, si on ne les engage pas, elles vont encore rester sous l’eau. Il est important de sortir la tête de l’eau pour que les femmes puissent montrer qu’elles ont du potentiel pour assurer que nos collectivités sont encore plus épanouies et plus heureuses qu’à l’heure actuelle.
[Traduction]
La sénatrice Greenwood : Merci d’être avec nous ce soir.
Dans vos remarques liminaires, vous avez parlé de la mise en application de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, et de votre travail connexe dans des organes de l’ONU. Ma question est très simple. Lorsque vous pensez à l’organisation dont vous assurez la présidence et à votre expérience dans la province de Québec, pouvez-vous relever des actions posées par vous ou votre organisation pour faire appliquer certains articles de la DNUDPA? Vous avez beaucoup parlé ce soir de la recommandation 39. Y en a-t-il d’autres, et pouvez-vous donner des exemples de progrès dans la mise en œuvre de ces recommandations ou peut-être de mesures que vous souhaiteriez voir prises pour certaines d’entre elles?
[Français]
Mme Étienne : La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est un élément fondamental. Cependant, il y a très peu d’articles spécifiques sur les femmes et les filles autochtones. La recommandation générale no 39 vient donner un sens à la vie ou aux droits individuels et collectifs des femmes autochtones. Cette recommandation nous inspirera pour faire valoir les droits des femmes autochtones. Il s’agit d’un outil international que nous allons utiliser en tant qu’organisation. La recommandation générale no 39, je la souhaite. Elle est déjà en route.
Plus tôt, je faisais référence à une activité à venir : un symposium. Nous partirons en consultation auprès des femmes autochtones pour parler de la déclaration et de la recommandation générale no 39. Au terme de cette démarche de consultation, avec la voix des femmes et ce qu’on aura entendu, nous souhaitons élaborer un cadre en matière d’égalité entre les hommes et les femmes autochtones. Il sera très important d’avoir cet outil en matière d’égalité non seulement pour qu’il soit appliqué dans les organisations non gouvernementales, mais aussi dans nos propres communautés. Comme organisation, nous souhaitons mettre en œuvre une politique, un cadre en matière d’égalité entre les hommes et les femmes autochtones.
[Traduction]
La sénatrice Greenwood : Merci.
Le sénateur Prosper : Je vous remercie d’être venue témoigner ce soir. J’ai apprécié votre témoignage et la façon dont vous avez abordé un grand nombre de questions clés auxquelles les femmes autochtones sont confrontées sur votre territoire.
Je voudrais soulever des éléments fondamentaux. Vous avez une vision très forte de ce que vous voulez voir, non seulement pour les femmes autochtones, mais aussi pour les familles, les enfants et la terre. Nous faisons tous partie de ce cycle. Vous avez parlé de consultations, et vous avez dit qu’il était essentiel qu’elles aient lieu d’emblée. Vous avez dit que vous préfériez être à l’avant de la caravane plutôt qu’à l’arrière. Vous ne voulez pas que les Autochtones soient pris en compte après coup, qu’ils soient mis devant le fait accompli ou qu’ils soient confrontés à des décisions déjà prises.
La déclaration a été adoptée ainsi qu’un plan d’action, et l’un des éléments clés consiste à essayer d’harmoniser les lois et règlements fédéraux à cette dernière. Par curiosité, quelle a été votre expérience relativement aux représentants du gouvernement ou aux fonctionnaires, qui s’adressent à votre organisation en disant : « Nous avons un plan d’action et nous voulons vous parler et vous consulter sur ces politiques ou ces lois pour connaître votre point de vue relativement à leur mise en œuvre. » Pouvez-vous nous fournir des exemples, des récits ou des anecdotes de ce genre? Je suis simplement curieux. Merci.
[Français]
Mme Étienne : En 2023, Femmes Autochtones du Québec a déposé un projet dans le cadre d’un appel de propositions qui concernait la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous avons été acceptées et nous avons reçu un financement.
Nous avons été la première organisation de femmes à consulter les femmes et les filles autochtones au sein de leur propre communauté. Ce fut une première au Québec et aussi au Canada de pouvoir bénéficier de ce financement.
En 2023, nous sommes parties en consultation. Nous avons consulté les femmes pour voir dans quel état d’esprit elles étaient afin de faire en sorte qu’elles comprennent bien ce qu’était la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et, dans cette optique, la leur faire connaître davantage.
Nous sommes situées dans de grandes villes, à Montréal ou à Québec, où on entend parler de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. On en entend parler aussi à l’international. Lorsque je me rends dans le milieu, c’est à cet endroit que je me situe pour parler de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, parce que je crois fermement que nos communautés et nos leaders politiques, qui représentent les Autochtones, pourront obtenir leur autonomie gouvernementale un jour.
Comme je le disais plus tôt, nous sommes les mieux placées pour répondre aux vrais besoins de nos gens. Dans le cadre de ce projet, nous étions accompagnées par des fonctionnaires qui nous ont soutenues, je dirais, et qui nous ont aussi appuyées financièrement, car eux aussi croyaient fortement en la vision que nous avions.
Pour ce qui est des projets, ils se font étape par étape. Ce sont des projets ponctuels. Par ailleurs, ce qui serait intéressant, ce serait d’avoir des projets récurrents dans le cadre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La récurrence permettra effectivement d’assurer un processus à long terme, et pas seulement ponctuel, où il y a un début, une fin et puis c’est terminé.
Lorsqu’on pose de nouveau notre candidature pour aller chercher des appels de propositions, on doit remonter la pente, il faut recommencer de zéro. Donc, ce qui serait intéressant, ce serait d’avoir des programmes en lien avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones qui sont récurrents, pas seulement ponctuels.
Je pourrais faire référence à la recommandation no 39, parce qu’elle est nouvelle. On en entend beaucoup parler à l’international, à Genève ou parfois à New York, dans les instances onusiennes où les peuples autochtones peuvent utiliser cette tribune pour faire leur plaidoyer. Mais il reste tout de même que la recommandation no 39, c’est quelque chose dont il faudra parler.
On commence à en parler, car c’est l’outil qu’on devra utiliser pour revendiquer les droits et des femmes et des filles autochtones. Je réitère le fait que les programmes devront être récurrents si on veut que les femmes puissent mieux comprendre ce que signifient à la fois la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et la recommandation no 39.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : J’apprécie vraiment ce que vous venez de dire, et c’est tellement logique. En fait, que peut-on vraiment accomplir de manière ponctuelle? Il faut quelque chose de plus structuré et de plus cohérent pour vous donner, comme vous l’avez dit, de l’élan. Le succès engendre le succès. Par conséquent, quel type de structure envisagez-vous pour votre organisation? Cette structure cohérente et pluriannuelle qui, selon vous, est essentielle pour votre organisation et les personnes que vous représentez?
[Français]
Mme Étienne : En 2024, Femmes Autochtones du Québec a célébré sa 50e année d’existence. Elle a eu ses réussites, elle a eu ses faiblesses, mais elle a toujours existé. Je vois bien que cette organisation a une longévité encore assurée.
Pour ce qui est de notre mission, c’est vraiment de se porter à la défense des droits des femmes autochtones. C’est ce sur quoi on doit travailler, tout en s’appuyant sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et sur la recommandation no 39.
On a commencé à mettre en place, en partenariat avec l’Université du Québec en Outaouais, avec la Faculté de droit de l’Université Laval et avec le Haut Commissariat des Nations unies, une formation qui se donne sur une base annuelle lors des sessions d’été, comme les universités les appellent.
Cette année, on a invité des Autochtones francophones africains à participer à une session de formation sur les droits internationaux des peuples autochtones. Cette formation importante était une première au Québec. Dans cette optique, vous voyez qu’il y a de la formation et des partenaires, parce que seule dans son coin, l’organisation Femmes Autochtones du Québec n’arrivera pas à prendre le pas et à aider davantage les femmes autochtones.
Femmes Autochtones du Québec a besoin de partenaires pour aider les femmes autochtones, notamment par le biais des gouvernements fédéral et provinciaux. J’ai parlé plus tôt du gouvernement du Québec, où la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones n’est pas encore au rendez‑vous. Cela aussi, il faudra y travailler, mais je pense qu’il faut d’autres acteurs gouvernementaux pour s’assurer une fois pour toutes que le gouvernement du Québec puisse adopter la Déclaration sur les droits des peuples autochtones.
Il reste que, dans la structure, si l’on veut faire avancer les droits autochtones, il faut travailler sur des mesures et des programmes récurrents. On va toujours continuer de soutenir les femmes autochtones qui sont victimes de violence, dans nos propres communautés et dans le milieu urbain. De plus, comme femmes et comme femmes autochtones, ce que j’entends de la part des femmes autochtones partout au Québec, c’est qu’on s’inquiète de nos jeunes, nos enfants et nos petits-enfants. Dans cette optique, c’est important effectivement de travailler ardemment, mais en même temps, il faut travailler sur l’aspect de développement. Notre organisation a créé un programme sur le leadership des femmes autochtones en collaboration avec l’École des dirigeantes et dirigeants HEC Montréal pour les Premières Nations. Cela se passe bien et on a une liste d’attente; les femmes souhaitent vraiment être outillées et formées pour être en mesure de réseauter et de développer leur leadership.
Je crois à la force des femmes; il faut créer des partenariats, mais aussi des programmes récurrents et non ponctuels. Quand ils sont récurrents, ces programmes permettent d’investir dans le capital humain, soit les femmes autochtones. En ce sens, en misant sur le capital humain, on s’assure que les familles se trouvent dans un environnement meilleur et des conditions de vie meilleures, autant pour elles que pour nos collectivités.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Merci.
Le président : Notre temps est maintenant écoulé. Je tiens à remercier à nouveau Mme Étienne de s’être jointe à nous et d’avoir présenté son témoignage ce soir. Nous lui en sommes très reconnaissants. Si vous avez d’autres observations à formuler, veuillez les soumettre au greffier dans les sept jours.
Cela nous amène à la fin de la réunion.
(La séance est levée.)