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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 8 octobre 2024

Le Comité permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 5 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la mise en œuvre de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2021 par le Canada, les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte. Avant de commencer, je demanderais à tous les sénateurs et aux autres participants en personne de consulter les cartons sur la table pour connaître les directives visant à prévenir les incidents de retour de son.

Veillez à garder votre oreillette loin de tous les microphones, en tout temps. Lorsque vous ne l’utilisez pas, placez-la face en bas sur l’autocollant apposé sur la table à cette fin.

Merci à tous de votre collaboration.

J’aimerais commencer en reconnaissant que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinabe, qui est maintenant le lieu de vie de bien des Premières Nations, des Métis et des Inuits venant d’un peu partout sur l’Île de la Tortue.

Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, qu’on appelle aussi l’Île-du-Prince-Édouard, et je suis président du Comité des peuples autochtones.

Je demanderais maintenant aux membres du comité qui sont là de se présenter.

Le sénateur Arnot : Sénateur David Arnot, de la Saskatchewan.

Le sénateur McNair : John McNair, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Prosper : Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, le territoire des Mi’kma’ki.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique, originellement du territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse, le territoire des Mi’kma’ki.

Le président : Merci à tous. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude de la mise en œuvre de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones de 2021 par le Canada, les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Le comité entend des témoins pour mieux comprendre son sujet d’étude.

Sur ce, je vais maintenant présenter la première témoin : l’honorable Jody Wilson-Raybould, c.p., présidente de JWR Business Group LTD, et ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Canada. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui, madame Wilson-Raybould, et bienvenue.

Mme Wilson-Raybould va présenter un exposé d’environ 10 minutes, puis nous tiendrons une séance de questions et réponses avec les sénateurs.

J’inviterais maintenant l’honorable Jody Wilson-Raybould à présenter son exposé.

L’honorable Jody Wilson-Raybould, c.p., présidente, JWR Business Group LTD, et ancienne ministre de la Justice et procureure générale du Canada, à titre personnel : Merci, sénateur. Bonjour, honorables sénateurs. Merci de m’avoir invitée ici aujourd’hui pour que je vous présente quelques observations sur la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies au Canada et, en particulier, de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la LDNUDPA.

C’est un sujet dont je parle publiquement depuis de nombreuses années, parfois en suscitant la controverse, notamment quand j’étais ministre de la Justice et procureure générale du Canada.

Pour le dire sans détour, je pense — et c’est déjà de notoriété publique — que la LDNUDPA et la Loi sur la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de la Colombie-Britannique, la LDDPA, sont importantes sur le plan législatif et qu’elles constituent un progrès important. Cependant, des éléments fondamentaux omis dans ces lois nous empêchent d’apporter des changements publics, transparents, pratiques et efficaces pour reconnaître et mettre en œuvre les droits des peuples autochtones.

Permettez-moi de m’expliquer brièvement.

Tout d’abord, pourquoi cette législation est-elle importante et pourquoi constitue-t-elle un progrès important?

Il y a bien des manières de raconter la colonisation des peuples autochtones au Canada; il y a bien des points de vue. On peut notamment l’examiner sous l’angle juridique. Les lois et, plus généralement, le système de justice sont un des principaux outils, ou une des principales armes pourrait-on dire, contre la colonisation. Bien sûr, on n’a qu’à penser à la Loi constitutionnelle de 1867 et à la Loi sur les Indiens.

Lorsqu’on a rédigé la Constitution — sans demander aux Autochtones d’y participer de quelque façon que ce soit —, on nous a traités comme une monnaie d’échange entre le gouvernement fédéral et les provinces nouvellement formés. Nous, les Autochtones, avons été relégués au paragraphe 91(24) sur « Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens ». On a traité nos peuples comme un simple sujet relevant du pouvoir fédéral. Et, évidemment, la Loi sur les Indiens était la manifestation de ce pouvoir. Cette loi était le fondement de tellement de formes de violence contre les Autochtones, des pensionnats pour Indiens à l’interdiction de nos systèmes de gouvernance, l’aliénation de nos territoires et de nos terres ancestrales, la criminalisation des peuples autochtones qui invoquent leurs droits, etc.

Le traitement des peuples autochtones, vu comme un simple sujet relevant du pouvoir fédéral, était fondamentalement déshumanisant, raciste et destructeur. Comme on le dit souvent, c’était une expression de déni. On niait notre existence en tant qu’humains et l’existence de nos communautés, de nos gouvernements, de nos lois, de nos terres, de nos territoires et de nos droits.

Ce déni envers les Autochtones s’est traduit par la Loi sur les Indiens et est devenu une tradition juridique au Canada. Par exemple, au cours de l’histoire du Canada, on a rédigé toutes les lois fédérales et provinciales sur les terres et les ressources comme si les droits autochtones relatifs aux terres et aux ressources n’existaient pas. Comme autre exemple, les traditions élémentaires en matière de protection des droits de la personne — mobilité, droit de vote, accès à un avocat et équité dans l’administration de la justice — ont de diverses manières et à divers moments exclu les peuples autochtones.

Sachez que cette tradition pernicieuse de déni n’est pas chose du passé. Elle prédomine encore de nos jours. En effet, jusqu’en 2019 avec l’adoption de la Loi sur la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de la Colombie-Britannique, aucune loi n’affirmait et ne protégeait les droits des Autochtones. Pouvez‑vous concevoir qu’un pays de plus de 150 ans applique toujours la Loi sur les Indiens comme principal moyen d’expression législatif de ce qu’est un Autochtone au Canada?

Eh bien, depuis 2019, quelques autres lois affirment et défendent explicitement les droits autochtones, comme la LDNUDPA. C’est important de le dire. Ces lois marquent une rupture par rapport à la tradition juridique de déni. Mais il faut aussi dire clairement que même si les lois de la Colombie-Britannique et du Canada sur nos droits constituent quelque chose de nouveau — et une rupture par rapport à la tradition juridique raciste de déni —, elles renferment aussi des éléments passéistes.

La Déclaration des Nations unies n’est rien de nouveau. En fait, elle est très vieille — et je n’entends pas par là qu’elle soit vieille parce qu’elle a eu 17 ans le 13 septembre 2024. Je ne veux pas dire que cette déclaration est vieille, mais elle n’apporte rien de nouveau en matière de substance.

La Déclaration des Nations unies renvoie aux normes qui font partie de la tradition de démocratie, de droits et de libertés à l’échelle internationale et nationale depuis des dizaines d’années, et même des générations.

Après les horreurs des guerres mondiales et d’autres atrocités, la protection et l’enchâssement des droits de la personne sont devenus une préoccupation mondiale qui a notamment mené à la création de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948.

Les Canadiens ont fièrement participé à la création de la déclaration universelle, qui a inspiré et aidé à façonner les traditions et les lois canadiennes en matière de droits de la personne, y compris la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Charte canadienne des droits et libertés. Autrement dit, on célèbre, reflète et honore la déclaration universelle dans la longue tradition et les lois canadiennes visant à protéger les droits de la personne, que les Canadiens aiment souvent célébrer à propos de notre pays.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, s’inscrit pleinement dans cette longue tradition et ne s’en écarte aucunement. On a élaboré la DNUDPA pour exprimer les normes précises de la déclaration universelle qui s’appliquent aux peuples autochtones partout dans le monde.

Pourquoi en avait-on besoin? Eh bien, simplement parce que dans bien des endroits, comme au Canada, on ne mettait assurément pas en œuvre ou ne respectait pas les normes fondamentales de défense des droits de la personne des Autochtones inscrites dans la déclaration universelle. Des représentants étatiques, dont ceux du Canada, et les peuples autochtones se sont donc réunis et ont commencé à délibérer sur la façon d’exprimer plus clairement ce que les normes de la déclaration universelle signifiaient dans le contexte de la discrimination et des difficultés auxquelles étaient confrontés les Autochtones.

Après des décennies de dialogue, on a échafaudé la déclaration des Nations unies, qui a été terminée, appuyée et adoptée en 2007, avant d’être finalement et entièrement adoptée au Canada en 2016.

Tout cela pour dire que la LDDPA et la LDNUDPA permettent de faire un choix, qui honnêtement ne devrait pas être dur à faire en 2024. Ce choix consiste à mettre fin à la longue et destructive tradition juridique canadienne de déni, ainsi qu’à commencer à défendre, en lien avec les peuples autochtones, la longue et constructive tradition juridique canadienne de reconnaissance des droits de la personne.

Ce choix devrait tomber sous le sens, n’est-ce pas? C’est pourquoi j’ai peu de temps à consacrer à ceux qui parlent de la DNUDPA comme d’une nouveauté. J’ai peu de tolérance pour ceux qui agitent des épouvantails et disent qu’il faut craindre cette déclaration. C’est ce que font certains politiciens, qui se prêtent à des déclarations vagues pour abroger la LDNUDPA et la DNUDPA.

Il faut dénoncer de telles déclarations. À mon avis, les tenants de cette position cherchent — consciemment ou non — à s’accrocher à la tradition juridique de déni issue de la Confédération et enracinée dans la Loi sur les Indiens. Par ailleurs, ils laissent entendre que la longue tradition canadienne de protection des droits de la personne qui s’applique à tout le monde ne devrait pas, apparemment, protéger les peuples autochtones.

Donc, oui, la LDNUDPA est importante, et je l’applaudis. Mais comme je l’ai dit au début et le répète depuis au moins 2016, la loi est incomplète, dans les faits. Nous devons bien le comprendre. Lorsqu’en 2017 j’ai annoncé, comme ministre de la Justice, l’intention du gouvernement d’appuyer le projet de loi C-262 — le précurseur de la loi qui contient presque les mêmes dispositions —, j’ai répété qu’à lui seul, un tel projet de loi n’allait ni répondre aux besoins et aux aspirations des gens, ni accomplir de résultats tangibles dans la vie et pour le bien‑être des Autochtones sur le terrain et dans les communautés.

La raison principale de cet état de fait est très simple. Pour passer d’une tradition de déni et de la réalité de la Loi sur les Indiens à la reconnaissance et à la mise en œuvre des droits autochtones, il faut des mécanismes pratiques et concrets. Cette transition exige entre autres de reconnaître la DNUDPA en droit canadien, mais aussi soutenir les Premières Nations pour qu’elles ne soient plus soumises à la Loi sur les Indiens. Il faut appuyer la reconstruction du lien entre les nations et le gouvernement, rétablir les protocoles et les relations entre les peuples et les nations, et créer de nouvelles formes de règlement des différends pour résoudre les différends entre la Couronne, les peuples autochtones et les tiers de l’industrie efficacement et de manière plus adaptée que devant les tribunaux. Des normes doivent contraindre les entités publiques et la fonction publique dans leurs interactions avec les Autochtones — en gros, il faut un cadre sous-jacent et exhaustif de reconnaissance et de mise en œuvre des droits des peuples autochtones. Une telle stratégie serait ainsi uniforme, transparente et cohérente. C’est ce que le gouvernement actuel, par la voix du premier ministre, s’est engagé à faire le 14 février 2018 à la Chambre des communes. Et pourtant, nous continuons d’attendre.

Je ne suis pas la seule à le penser. Soyons clairs : bon nombre de ces changements reflètent les solutions trouvées depuis longtemps et que nous connaissons. Sous diverses formes, ces solutions faisaient notamment partie des recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996, et on les a réitérées dans d’autres rapports. Elles reflètent ce que demandent les peuples autochtones depuis des générations. Comme je le dis et le répéterai toujours, nous connaissons les solutions. La Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ne représente qu’une infime partie de ces solutions. À cause que cette loi est seule à s’appliquer, en vase clos, je crains qu’elle ne cause la confusion et la peur chez certains, ainsi que des préoccupations chez d’autres. Pourquoi? Parce qu’elle manque d’applications, d’appuis, de processus et de mécanismes pratiques et tangibles et qu’elle se retrouve pratiquement seule dans une mer de déni législatif continu.

Ceux qui travaillent en ce sens et qui attendent que les choses changent depuis bien trop longtemps disent de plus en plus qu’ils ne voient pas de changements pratiques sur le terrain. À ceux qui sont sceptiques ou confus quant à l’importance d’examiner le legs du colonialisme et de défendre les droits autochtones, sachez que le manque de clarté relatif aux changements tangibles à apporter, la façon de s’y prendre et ce à quoi ces changements auraient l’air sur le terrain pourrait causer des conflits et de la controverse.

Sénateurs, je vais terminer par un message simple. Pour reprendre ce qu’a dit feu le grand chef Joe Mathias, qui s’est exprimé en ces termes durant les conférences constitutionnelles sur l’autonomie gouvernementale des Premières Nations dans les années 1980 : « Voyez la Tortue... elle avance quand elle sort la tête. »

La Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones améliore les choses, mais pas beaucoup. Parce que les changements ont peu d’envergure, certains se méprennent sur cette loi, quel que soit le point de vue. Si l’on clarifiait les choses, indiquait à tous la voie à suivre et permettait aux gens de bien voir ce qu’une exécution plus complète donnerait comme résultat, nous pourrions tous en bénéficier.

Merci de votre écoute, sénateurs. J’ai hâte de discuter avec vous.

Le président : Merci de votre exposé, madame Wilson-Raybould.

Nous passons maintenant aux questions des sénateurs. Je vais poser la première question. Vous avez parlé de délaisser la Loi sur les Indiens. Pourriez-vous nous dire comment on pourrait y parvenir, puisque cette loi est fortement enchâssée dans notre vie comme Autochtones?

Mme Wilson-Raybould : Merci de votre question, sénateur. Elle est importante, et comme vous, on me la pose depuis des années. Je me souviens quand je suis devenue cheffe régionale de la Colombie-Britannique en 2009, le chef national de l’époque avait proposé de se débarrasser de la Loi sur les Indiens en cinq ans. C’était en 2009.

Se défaire du joug que constitue la Loi sur les Indiens est un défi différent et va se manifester différemment selon la communauté. Je suis heureuse de souligner que plus de 25 nations autochtones au pays se sont retirées de cette loi et peuvent compter sur un gouvernement autonome. Cette démarche aura lieu selon les priorités de chaque communauté et où elle se situe dans le continuum de réforme de la gouvernance.

Le problème auquel nous sommes confrontés au Canada est qu’il n’existe aucun mécanisme pratique permettant d’éviter les poursuites judiciaires et ce que j’aime appeler les « négociations interminables » avec d’autres gouvernements. Il n’existe aucun mécanisme pratique permettant aux communautés autochtones de ce pays de se soustraire à la Loi sur les Indiens lorsqu’elles sont prêtes à aller de l’avant, et désireuses et capables de le faire. Cela fait partie du cadre de reconnaissance dont je parlais, sénateur, et je suis loin d’être la seule à l’avoir proposé. Nous devons mettre au point ce mécanisme pratique et créer un espace pour que les nations autochtones puissent se reconstruire lorsqu’elles sont capables et désireuses de le faire, et qu’elles n’aient pas à s’en remettre à un gouvernement fédéral qui détient les clés de leur libération.

Le président : Merci beaucoup pour ces précisions.

Le sénateur Arnot : Merci, madame Wilson-Raybould, pour toutes ces recommandations que vous nous soumettez. Vous nous dites que la tortue a sorti son cou, mais nous devons constater qu’elle n’a pas encore fait un pas en avant. Compte tenu de votre vaste expérience en matière de gouvernance autochtone et de défense de l’autodétermination autochtone, comment voyez-vous dans les faits la création de ce cadre de reconnaissance plus large qui s’articulerait autour de mesures bien concrètes? À quoi ressemblerait ce cadre ? Comment devrait-on s’y prendre pour le mettre en place?

Deuxièmement, vous avez affirmé que l’enchâssement de la DNUDPA dans le droit canadien ne suffira pas à régler tous les problèmes systémiques s’il ne s’accompagne pas de réformes plus en profondeur. J’aimerais vous donner l’occasion de préciser votre vision de ces réformes que vous souhaiteriez voir, de la manière dont elles pourraient être mises en œuvre et des bénéfices qui pourraient en découler pour tous les Canadiens, et en particulier pour les Autochtones.

Mme Wilson-Raybould : Merci, sénateur, pour ces questions. Nous pourrions parler pendant des jours de la voie à suivre.

Vous avez dit d’entrée de jeu que le cou de la tortue a commencé à sortir. Mes premières remarques ne visaient pas à faire valoir qu’il n’y a pas eu de progrès. Il y a eu des avancées, et vous, honorables sénateurs de ce comité, êtes à même de constater les mesures importantes qui ont été prises par un grand nombre de peuples et de nations autochtones un peu partout au pays pour aller de l’avant aux fins d’une réforme de la gouvernance.

Vous m’avez posé une question sur le cadre et sur les mesures qu’il convient de prendre. Je vous suis reconnaissante de me donner ainsi l’occasion d’expliquer plus en détail ce qui, selon moi, doit figurer dans le cadre. Je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas de faire de la politique, mais bien de rappeler que ce cadre a été formulé très clairement à la Chambre des communes et que le gouvernement actuel a exprimé sa volonté d’aller de l’avant avec sa mise en place.

Ce qui a été proposé, et ce que moi et d’autres continuons à préconiser, c’est un cadre global plus large pour la reconnaissance et la mise en œuvre des droits des Autochtones. Je dis toujours que cela va se faire en cinq étapes. Comme je l’ai indiqué, l’une de ces étapes a été franchie avec la LDNUDPA, la loi fédérale, et la Loi sur la déclaration des droits des peuples autochtones de la Colombie-Britannique. Ces deux lois visent à enchâsser dans le droit canadien et britanno-colombien les normes minimales pour la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones, telles qu’elles sont énoncées dans les 46 articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA. Il s’agit d’une étape très importante.

Le problème avec le plan d’action et toutes les mesures qu’il prévoit, c’est qu’il n’y a pas de cadre sous-jacent. Il n’y a pas de base claire et pratique pour passer du déni à la reconnaissance des droits. Parmi les autres mesures que l’on pourra, je l’espère, retrouver dans tout rapport que vous, honorables sénateurs, produirez sur la mise en œuvre de la Déclaration, il y a l’établissement de normes ou de principes juridiquement contraignants basés sur la reconnaissance et la mise en œuvre des traités, des titres et des droits pour l’ensemble des institutions et des titulaires d’une charge publique, de telle sorte que l’on puisse agir en s’appuyant sur une base claire et un fondement de principe. Il y aura aussi les normes obligeant la Couronne à respecter les voies choisies, de façon indépendante, par les Premières nations pour s’affranchir de la Loi sur les Indiens en vue d’adopter leur propre modèle d’autonomie gouvernementale, le tout étant assorti de mécanismes pratiques et de dispositifs de soutien pour cette transition lorsque la Première nation se dit prête à aller de l’avant.

Troisièmement, il faut établir de nouveaux mécanismes efficaces et efficients pour qu’une nation puisse récupérer ses terres ou que l’on puisse régler les différends en dehors des tribunaux, ainsi que de nouvelles institutions autochtones indépendantes du gouvernement fédéral qui vont jouer un rôle primordial en soutenant le travail de reconstruction des nations et des gouvernements autochtones.

Enfin, la cinquième étape consiste à établir des mécanismes de surveillance et de responsabilisation qui seront, une fois encore, indépendants du gouvernement fédéral et qui permettront de veiller à ce que le gouvernement donne suite à la mise en œuvre de l’article 35 de la Constitution et de la DNUDPA.

Sénateur, pour répondre à votre question sur les avantages qui en découleraient, je vous dirais qu’il serait bénéfique aussi bien pour les Autochtones que pour l’ensemble des Canadiens que l’on puisse ainsi mettre la touche finale à l’œuvre inachevée qu’est la Confédération. À leur propre rythme et en fonction de leurs propres priorités, les peuples autochtones seront mieux en mesure de reconstruire leurs nations et de mettre en place leur propre ensemble de normes, de modèles et de lois de manière à assurer le mieux-être de leurs communautés à la grandeur du territoire.

Cette démarche de reconstruction est certes profitable pour les nations autochtones, mais elle l’est également pour la Confédération. La clarté et la certitude quant à la façon dont les peuples autochtones, véritables détenteurs des titres et des droits, se gouvernent et interagissent avec les autres gouvernements de ce pays ne peuvent que renforcer notre fédération coopérative.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup, madame la ministre, d’être avec nous aujourd’hui. Je suis désolée, mais c’est simplement l’habitude.

J’aimerais considérer les choses dans la perspective du portefeuille de la justice. Il va de soi que vous avez des points de vue très intéressants à ce sujet que vous connaissez à la fois de l’extérieur et de l’intérieur. Comment entrevoyez-vous l’évolution du système judiciaire pour les communautés autochtones dans le cadre de la Déclaration des Nations unies?

Mme Wilson-Raybould : Merci, sénatrice Boniface. Il y a un moment déjà que je ne suis plus ministre, mais je vous remercie. Je suis également très reconnaissante de l’occasion que j’ai eue, à titre de ministre de la Justice, de m’engager et de piloter certains dossiers importants qui devaient aller de l’avant dans le domaine de la justice, particulièrement en ce qui concerne la réalité de la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale. Je sais que des experts du système correctionnel ont comparu devant le comité et vous ont parlé d’un certain nombre de mesures prévues dans le plan d’action. Que ce soit dans le rapport de la Commission de vérité et de réconciliation, dans les appels à la justice de l’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ou dans la déclaration de l’ONU, il y a des dispositions, des articles et des recommandations qui concernent expressément la justice, et des mesures ont été prises en la matière.

Je ne sais pas exactement où en est le plan d’action dont le gouvernement fédéral a entrepris la mise en œuvre avec les Premières Nations et les peuples autochtones de tout le pays, mais je peux vous dire qu’ici même, le Conseil de justice des Premières Nations de la Colombie-Britannique a son propre plan d’action qui a été adopté par les peuples autochtones ainsi que par le gouvernement provincial. Ce plan d’action est mis en œuvre en collaboration avec le gouvernement fédéral.

Nous devons nous réunir pour cerner les mesures à prendre. Il ne fait aucun doute que l’on dispose de plus en plus d’une certaine capacité et d’une certaine compétence en matière d’administration de la justice et que l’on s’oriente davantage vers le recours à des tribunaux autochtones au sein de nos communautés.

J’estime qu’il est très important de déployer à plus grande échelle les mécanismes de justice réparatrice qui prennent en compte les différentes réalités des communautés autochtones et permettent à ces dernières de prendre en charge les personnes qui ont eu des démêlés avec la justice pour en assurer la réhabilitation d’une manière allant dans le sens de leurs façons traditionnelles de faire les choses.

Des investissements importants doivent être consentis pour étendre l’application de ces mesures. Il s’agit d’une revendication de longue date que j’ai vivement fait valoir lorsque j’étais ministre de la Justice. Ce n’est pas d’un enjeu très attrayant du point de vue politique, mais ce serait une avancée incroyablement importante pour la transformation de notre système judiciaire si l’on investissait les fonds nécessaires pour obtenir des résultats dans les années à venir.

Je parle sans doute trop — et peut-être que cela montre que je suis encore un peu politicienne —, mais la surreprésentation dans le système de justice pénale est un symptôme de la perpétuation de l’héritage colonialiste. Nous devons certainement nous attaquer à ces symptômes. Le manque de logements, les problèmes de santé mentale et de toxicomanie, cette surreprésentation, et le fait que les Autochtones n’occupent pas de postes dans le système judiciaire sont autant d’éléments qui témoignent, en fin de compte — et j’y reviens toujours —, de la nécessité d’une transformation en profondeur des lois, des politiques et des pratiques qui existent dans ce pays, tant à l’échelon fédéral que dans les provinces et les territoires. Nous devons modifier ces lois, politiques et pratiques et créer un espace pour que les peuples autochtones puissent accéder à l’autodétermination, et notamment à l’autonomie gouvernementale, et permettre aux communautés et aux institutions autochtones, comme le Conseil de justice des Premières Nations de la Colombie-Britannique et d’autres organisations, d’assurer le maintien au premier plan des systèmes de connaissance, des façons de faire et des lois des Premières Nations et des Autochtones.

La sénatrice Boniface : Merci.

Le sénateur Prosper : C’est un honneur de vous revoir, madame Wilson-Raybould. Comme beaucoup d’Autochtones, je vous considère comme un modèle à suivre et une ardente défenseure de nos droits à tous.

Étant donné votre riche expérience, notamment dans ce domaine, j’aimerais que nous parlions du principe général de l’honneur de la Couronne. Comme vous le savez, de nombreux peuples autochtones font valoir leurs droits juridiques, qu’il s’agisse de droits ancestraux issus de traités ou de droits reconnus dans le cadre constitutionnel du Canada. Cela se traduit souvent par des poursuites devant les tribunaux. Nous sommes ainsi sans cesse confrontés à la Couronne, qu’il s’agisse de la Couronne au titre d’une province ou du Canada.

Nous nous tournons souvent vers le procureur général qui est là pour protéger les droits constitutionnels, qu’ils s’appliquent à l’échelon provincial ou fédéral.

Voici donc la question que je me pose à ce sujet. Où s’inscrit dans ce contexte la protection des droits constitutionnels autochtones, des droits issus des traités et des droits à l’autonomie gouvernementale? Y a-t-il une faille fondamentale qui fait en sorte que nous soyons souvent en litige avec le procureur général du Canada ou le procureur général de la Nouvelle-Écosse, par exemple? Quel mécanisme devrait exister pour la protection des droits des Autochtones au sein du cadre constitutionnel?

Mme Wilson-Raybould : Merci, sénateur, pour cette question importante. Je dois vous dire que je me réjouis également de vous voir occuper un siège de sénateur. C’est fantastique, et j’apprécie le travail que vous avez accompli tout au long de votre vie pour la défense de nos droits.

En fait, vous parlez de la Constitution et des mécanismes de protection des droits des peuples autochtones. Je dois dire que nous avons parcouru un bon bout de chemin par rapport à la situation dans laquelle se trouvaient les Autochtones avant 1982 et l’amendement à la Constitution qui a introduit l’article 35, qui reconnaît et confirme les droits ancestraux et les droits issus de traités.

Je vais peut-être répondre à votre question de façon indirecte. Imaginez un instant ce qui serait arrivé si, au début des années 1980, lorsque l’article 35 a été mis en œuvre pour entériner les droits ancestraux et issus de traités, nous avions traité cet article de la même manière que le gouvernement fédéral et les provinces ont traité la Charte des droits et libertés. On n’imaginerait jamais un gouvernement dire à un Canadien : « Vous n’avez pas le droit à la liberté d’expression, de religion ou de mobilité ». Ce que le gouvernement a fait et continue de faire, c’est modifier les lois, les politiques et les pratiques pour garantir le respect des droits et des libertés.

Comme vous le savez, et comme vos collègues sénateurs le savent également, il n’en a pas été de même pour l’article 35 et les droits ancestraux et issus de traités. En fait, la longue tradition de déni des droits des Autochtones dont j’ai parlé perdure encore aujourd’hui. Depuis que nous avons eu la possibilité d’engager des avocats et d’intenter des poursuites pour défendre nos droits, les peuples autochtones se sont retrouvés devant les tribunaux des centaines de fois pour tenter de faire respecter leurs droits, et ont eu gain de cause à maintes reprises pour contrer l’imposition de lois et de politiques fédérales qui visaient à nier ces droits. C’est alarmant, mais pouvez-vous imaginer une approche différente de l’article 35? Notre pays serait dans une tout autre situation aujourd’hui.

Le procureur général est censé être le défenseur et le protecteur du cadre juridique de notre pays. Lorsque j’ai assumé cette fonction, j’étais convaincue, et je le suis encore aujourd’hui, que le procureur général devait adopter des approches différentes à l’égard des poursuites civiles mettant en cause les peuples autochtones. J’en étais tellement persuadée — et je sais que c’est toujours d’actualité — que la dernière mesure que j’ai prise en tant que procureure générale a été de publier une directive sur les litiges civils. Il s’agissait d’une directive adressée aux avocats du ministère de la Justice pour qu’ils adoptent une approche différente de ces poursuites impliquant les peuples autochtones, une approche qui permet de respecter l’honneur de la Couronne tout en cherchant, dans la mesure du possible, à régler ces questions litigieuses concernant les terres et l’autonomie dont les Autochtones ont saisi les tribunaux depuis qu’il leur est possible de le faire, comme je l’ai dit, mais que l’on n’a jamais essayé de résoudre vraiment en s’appuyant sur des discussions et des approches différentes, et pas seulement sur ces arguments de défense que l’on doit sans cesse mettre de l’avant.

Nous devons continuer à exercer des pressions en ce sens. Nous avons eu très souvent gain de cause devant les tribunaux en contestant les affirmations de certains dirigeants provinciaux et fédéraux qui font valoir depuis 1982 que l’article 35 est une coquille vide, qui ne peut être remplie qu’avec la bonne volonté de la Couronne ou des dirigeants élus. Il va de soi que nous, Autochtones, avons contesté cette affirmation et considérons l’article 35 comme une pleine confirmation de nos droits. Nous avons fait des progrès et nous devons en tenir compte. Nous devons tous adopter des approches différentes pour régler ces questions. Nous vivons dans une fédération coopérative au sein de laquelle les gouvernements et les nations autochtones reprennent leur place avec leurs propres lois et normes juridiques.

Il suffit de considérer la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire de la protection de l’enfance pour savoir que nous devons adopter une approche différente.

Bien que cela se reflète effectivement dans la directive que j’ai émise à l’intention des avocats du ministère de la Justice, nous devons, dans une perspective plus vaste et plus importante encore, tenir compte de l’orientation imprimée par la Cour suprême. Nous le savons en tant qu’Autochtones et, dans une large mesure, les autres Canadiens le savent aussi et incitent les gouvernements à faire en sorte que trois types différents de normes juridiques puissent coexister dans ce pays, créant ainsi, comme l’a indiqué la Cour suprême, un cadre pour la reconnaissance. À l’instar de la Cour suprême, je constate qu’il est essentiel de bien coordonner ces différentes normes juridiques, à savoir les lois des gouvernements non autochtones, c’est-à-dire du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires, et notamment les dispositions adoptées par le Parlement; les lois, les façons de faire et les systèmes de connaissances autochtones qui nous ont permis de survivre; et le cadre international pour la vérité et la réconciliation qui a été inscrit dans la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Comment pouvons-nous, dans la mesure du possible, éviter de nous en remettre aux tribunaux — qui ne vont pas disparaître — et continuer collectivement à façonner cette nouvelle réalité qui régira notre manière de vivre ensemble avec des normes juridiques différentes? Mais comme l’a conclu la Cour suprême, lorsque nous agissons de la sorte en adoptant des approches différentes et en prenant des risques, cette coordination des normes juridiques, et comme j’aime bien le dire...

Le président : Je suis désolé, madame Wilson-Raybould, mais nous avons encore deux sénatrices qui souhaitent poser des questions. Nous passons maintenant à la sénatrice Coyle.

La sénatrice Coyle : Merci pour votre témoignage et pour les services rendus à notre pays. Nous sommes honorés de vous accueillir aujourd’hui.

Alors que nous constatons, comme il fallait l’espérer, un rythme d’évolution accéléré par rapport à ce que nous avons connu jusqu’à présent, pour passer de l’expression du déni des droits des peuples autochtones, comme vous l’avez dit, à non seulement l’expression, mais aussi la reconnaissance réelle de ces droits, nous sommes à même d’en observer les résultats tangibles dans la vie des gens. L’un des éléments clés sera le contrôle. Vous avez parlé d’un organe de surveillance indépendant du gouvernement. Comme vous le savez, divers projets ont été entrepris en ce sens.

Pourriez-vous nous donner une meilleure idée de la forme que devrait prendre selon vous cet organe de surveillance, de la nature de ses responsabilités envers les Autochtones du Canada et leurs différentes nations ainsi que de ses relations avec le gouvernement à l’échelon national et les autres ordres de gouvernement, et avec les Canadiens en général? Cette instance aura des comptes à rendre non seulement aux Autochtones, mais aussi aux autres Canadiens.

Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie de la question. Au sujet de la surveillance, on est passé d’une approche basée sur le déni à une approchée basée sur la reconnaissance. C’est nouveau, c’est important, car on travaille alors ensemble pour créer quelque chose.

Il nous faudra donc un organe de surveillance, et je sais qu’il en est question dans le plan d’action du gouvernement sur la responsabilisation. La responsabilisation est importante quand on habilite un organe indépendant — et il y a diverses formes d’organes de gouvernance communs au Canada —, mais cela peut se faire pour un organe de surveillance indépendant du gouvernement et, assurément, des peuples autochtones, et dans le cadre duquel les personnes sont nommées et habilitées par leur mandat à s’occuper des différends, qui surviendront éventuellement dans une approche basée sur la reconnaissance, entre les communautés autochtones ou entre les communautés autochtones et les gouvernements non autochtones.

La structure que cela prendra devra être discutée en détail, tout comme son processus de prise de décisions et la façon de soumettre les décisions à l’organe de surveillance. Nous avons beaucoup d’exemples de structure qui peuvent être examinés et qui sont décrits dans des études qui dorment sur les tablettes dans nos bureaux depuis des générations. C’est une question très importante, et c’est essentiel pour veiller à ce que tout organe de surveillance indépendant — qui s’occupe du règlement des différends et de la responsabilisation et qui veille à ce que la mise en œuvre de la Loi sur la Déclaration des Nations unies progresse — ait la confiance de toutes les parties, des Autochtones et des non-Autochtones.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie.

La sénatrice Greenwood : Je vous remercie d’être avec nous, et encore une fois, aussi pour tout le travail que vous faites et avez fait pour le Canada.

Ma question porte sur les Principes régissant la relation du gouvernement du Canada avec les peuples autochtones. Je pense que ces principes ont été publiés lorsque vous étiez ministre de la Justice et procureure générale du Canada en 2017. Dans ce document, on dit que les principes reposent sur l’article 35 de la Constitution et, naturellement, sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et constituent la pierre angulaire de l’engagement fédéral auprès des Autochtones à poursuivre le travail de reconstruction et de réconciliation.

J’aimerais savoir si, selon vous, ces principes sont bien appliqués dans la relation de nation à nation, ou s’il y aurait des éléments à améliorer? Fait-on tout déjà très bien?

Mme Wilson-Raybould : On peut toujours faire mieux, sénatrice Greenwood. Je vous remercie de la question et aussi de mentionner les 10 principes, qui n’ont assurément pas été faciles à faire adopter et à rendre publics, et qui ont aussi engendré des difficultés et suscité des opinions divergentes au sein même des peuples autochtones.

Que peut-on améliorer? Ces 10 principes régissant la relation ou les interactions du gouvernement du Canada avec les peuples autochtones visaient essentiellement à donner des orientations au gouvernement sur son rôle, sur la façon de mettre de l’ordre dans ses affaires et sur l’engagement des peuples autochtones. Je sais que ces 10 principes se trouvent encore sur les sites Web du gouvernement et sur les murs dans les bureaux gouvernementaux. Je les vois les rares fois où je m’y rends. Nous pourrions sans doute tous relire ces principes pour en comprendre la signification : reconnaître les droits des peuples autochtones, préserver l’honneur de la Couronne, comprendre en quoi consistent l’autodétermination et l’autonomie gouvernementale, et répondre aux besoins fondamentaux qu’ont les gouvernements de percevoir des recettes et de soutenir financièrement les gouvernements et le développement économique. Ce sont des principes importants que nous devons toujours avoir en tête.

Je sais le travail qui se fait sur la reconnaissance des droits dans certaines communautés et à certaines tables — en particulier en Colombie-Britannique — pour conclure des ententes indépendantes sur l’autonomie gouvernementale avec le gouvernement fédéral, et que de nombreux fonctionnaires et négociateurs qui siègent à ces tables s’appuient sur ces principes et veulent veiller à ce qu’ils soient compris à la lumière de la déclaration des Nations unies. Nous devons nous en réjouir. Il y a aussi des gens qui ont de la difficulté à comprendre ce que ces principes veulent dire et ce que la déclaration veut dire, et comment nous pouvons faire en sorte que ces normes minimales se traduisent par des retombées positives dans les communautés, soit le test ultime.

Nous devons tous continuer à nous y employer afin de parvenir à une compréhension commune de ce que la reconnaissance des droits veut dire concrètement, pour ensuite créer de nouvelles avenues, de nouvelles possibilités et de nouveaux arrangements constructifs entre les peuples autochtones et avec les gouvernements non autochtones.

La sénatrice Greenwood : Je vous remercie.

Le sénateur McNair : Comme les autres sénateurs, je vous remercie, madame Wilson-Raybould, de votre travail présent et passé pour faire de notre pays un endroit meilleur où vivre.

Vous avez parlé avec beaucoup d’éloquence de la tradition juridique historique du déni et du besoin que nous avons de transformer le système de justice. Nous avons reçu de nombreux témoins qui nous ont parlé du processus de consultation et d’élaboration conjointe pour les lois, les politiques et les programmes, et essentiellement, de l’absence d’engagement à cet égard.

J’aimerais savoir comment, selon vous, la Couronne devrait procéder pour bien s’acquitter de son devoir de consulter les peuples autochtones dans le cadre du processus législatif?

Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie de la question, sénateur McNair. C’est une question très importante. Les peuples autochtones doivent être consultés et avoir leur mot à dire lorsque des lois ont des répercussions directes sur leurs droits. Il y a différentes façons de le faire, notamment en les faisant participer à l’élaboration des instructions de rédaction, à l’élaboration d’un projet de loi, pour s’assurer que les objectifs établis dans les instructions de rédaction sont pris en compte tout au long du processus. Il existe diverses façons de faire participer les Autochtones à divers niveaux dans l’élaboration des projets de loi fédéraux, provinciaux et territoriaux, et c’est très important de le faire.

Je dirai — et je l’ai déjà dit — que la consultation et les accommodements sont des réalités profondément importantes dont il faut tenir compte à divers niveaux. Certains gouvernements, des gouvernements non autochtones — et dans une certaine mesure des peuples autochtones — utilisent les consultations, les accommodements et l’engagement comme raison pour retarder les choses ou pour ne rien faire, pour continuer de discuter d’une question particulière sans créer des mesures tangibles, et c’est un problème. Je l’ai vu lorsque j’étais au gouvernement. Nous devons nous tenir au courant de ce que font les autres gouvernements lorsque cela a une incidence sur nos droits et nos droits issus de traités et y participer.

Nous devons, en même temps, continuer de travailler à la création de lois et à la reconstruction. Nous devons trouver un équilibre et ne pas nous embourber dans des consultations sans fin qui débouchent sur encore plus de consultations. C’est un défi. Il n’est pas facile de tracer une ligne, mais c’est indispensable de le faire.

Le projet de loi C-92 sur le bien-être des enfants autochtones a été entrepris lorsque Jane Philpott était ministre des Services aux Autochtones, et il avait été, dès le départ, corédigé, pour ainsi dire. Les peuples autochtones ont eu leur mot à dire dès le départ, et c’est une loi formidable qui permet aux nations autochtones d’exercer leur compétence sur le bien-être des enfants. C’est important, mais cela a nécessité la participation des peuples autochtones dès le début.

Le sénateur McNair : Je vous remercie.

Le sénateur Arnot : Je ne suis pas certain s’il reste assez de temps pour que vous puissiez répondre à cette question.

Le président : Mme Wilson-Raybould peut sans doute y répondre par écrit.

Le sénateur Arnot : Madame Wilson-Raybould, vous avez parlé de la création d’un organisme de surveillance. C’est un sujet qui m’intéresse beaucoup, car j’aimerais avoir votre avis sur les façons de demander des comptes à l’organe exécutif du gouvernement. Je pense que c’est un obstacle important dans la relation et dans le renouvellement de la relation, car l’organe exécutif contrôle tellement d’éléments et doit rendre davantage de comptes.

Une des solutions, à mon avis, serait d’avoir un agent du Parlement indépendant qui ferait rapport directement aux Canadiens, par l’entremise du Parlement, plutôt que directement à l’organe exécutif du gouvernement. Il pourrait s’occuper notamment, à mon avis, de recherche, de la sensibilisation du grand public, mais aussi se concentrer vraiment sur le règlement des différends pour éviter les contestations judiciaires et, en d’autres mots, parvenir à un règlement négocié entre les peuples autochtones et la Couronne. On s’éloignerait ainsi complètement des contestations judiciaires qui n’ont pas donné de bons résultats. Cela nous permettrait d’en arriver à une relation plus constructive et positive.

Auriez-vous des exemples de modèles à nous donner pour en arriver là où vous voulez en venir, c’est-à-dire à une façon bien ancrée, bien enracinée de forcer l’organe exécutif à agir plus rapidement et plus efficacement pour préserver l’honneur de la Couronne?

Je suis conscient que vous n’aurez sans doute pas le temps de répondre aujourd’hui, mais tout ce que vous pourrez nous dire à ce sujet serait utile.

Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie, sénateur. Je vais vous donner une réponse rapide, car je sais qu’il ne reste plus beaucoup de temps. C’est une question très importante, et je serai heureuse de vous en parler plus en détail, sénateur, et d’avoir d’autres discussions sur le sujet. Le défi, comme vous l’avez bien dit, consiste à faire en sorte que l’organe exécutif rende des comptes. Je pense que c’est un problème dans notre système de gouvernement depuis le tout début. Il existe différentes façons et divers mécanismes, mais leur efficacité est encore mise à l’épreuve par le mode de fonctionnement du gouvernement, de l’exécutif, et l’écran devant l’endroit où sont prises les décisions.

Je vais m’en tenir à cela, mais je serais heureuse d’en discuter plus en détail avec vous et de vous donner des exemples, même si leur succès est relatif, qui peuvent servir de modèles à examiner par votre comité.

Le sénateur Arnot : Je vous remercie beaucoup.

Le président : Madame Wilson-Raybould, si vous voulez étoffer votre témoignage par écrit, le greffier communiquera avec vous au besoin.

Mme Wilson-Raybould : Je vous remercie, sénateur. Je remercie tous les sénateurs de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole devant votre important comité. Je vous félicite du travail important que vous faites dans le cadre de cette étude.

Le président : Le temps est maintenant écoulé. Nous remercions encore une fois l’honorable Jody Wilson-Raybould de s’être jointe à nous aujourd’hui, malgré qu’il soit très tôt en Colombie-Britannique. Encore une fois, si vous souhaitez nous faire parvenir d’autres observations, n’hésitez pas à les envoyer par courriel au greffier, et il communiquera avec vous.

(La séance est levée.)

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