LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 9 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 18 h 50 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la mise en œuvre de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2021 par le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
Le sénateur David Arnot (vice-président) occupe le fauteuil.
[Note de la rédaction : Certains passages ont été présentés par l’intermédiaire d’un interprète.]
[Traduction]
[Traduction]
Le vice-président : Honorables sénateurs, avant de commencer, j’aimerais demander à tous les sénateurs et aux autres participants en personne de consulter les cartes sur la table pour prendre connaissance des directives à suivre pour prévenir les incidents de rétroaction acoustique. Veillez à ce que votre oreillette soit toujours éloignée de tous les microphones. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez sa face cachée sur l’autocollant apposé sur la table à cet effet. Je vous remercie tous de votre coopération à cet égard.
Je voudrais commencer ce soir par souligner que la terre sur laquelle nous nous réunissons est le territoire traditionnel, ancestral et non cédé de la nation algonquine anishinaabeg et qu’elle abrite aujourd’hui de nombreuses autres Premières Nations, des Métis et des Inuits de l’ensemble de l’île de la Tortue.
Je suis le sénateur David Arnot, de la Saskatchewan, et je suis vice-président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. En l’absence de notre président, le sénateur Francis, je présiderai la réunion de ce soir.
Je vais maintenant demander aux membres du comité qui assistent à la réunion de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, sénatrice de l’Ontario.
La sénatrice Pate : Kim Pate, sénatrice de l’Ontario. Je vis ici, sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinaabeg.
Le sénateur McNair : John McNair, sénateur du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice White : Judy White, depuis Ktaqmkuk, à Terre‑Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, depuis Antigonish, en Nouvelle-Écosse, au cœur de Mi’kma’ki.
La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, sénatrice de la Colombie-Britannique, mais originaire du territoire visé par le traité no 6.
Le vice-président : Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude de la mise en œuvre de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2021 par le Canada et les Premières Nations, les Inuits et les Métis, également connue sous le nom de Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le Canada, les Premières Nations, les Inuits et les Métis reconnaissent cette loi. Le comité entend des témoins afin de circonscrire davantage le sujet de son étude.
J’aimerais maintenant présenter notre premier témoin, M. Wilton Littlechild, chef international de la Première Nation de Maskwacis. Chef Littlechild, je vous remercie de vous joindre à nous aujourd’hui.
Il nous a accompagnés toute la journée, du matin au soir. Nous avons apprécié les conseils qu’il nous a prodigués aujourd’hui, et nous attendons avec impatience le témoignage qu’il apportera. M. Littlechild dispose de quelques minutes pour faire son exposé, puis les sénateurs pourront lui poser des questions.
J’invite maintenant le chef Littlechild à faire sa déclaration préliminaire.
Wilton Littlechild, (l’hon.) chef international des Maskwacis, à titre personnel : Merci beaucoup.
[Mots prononcés dans une langue autochtone]
Merci beaucoup. Permettez-moi de commencer par remercier le Grand Esprit, notre créateur, pour cette nouvelle grande bénédiction.
Excellences, je soumets respectueusement à votre examen quatre appels à l’action en faveur d’une véritable réconciliation. J’ai présenté à l’avance au secrétariat les justifications détaillées et les détails écrits des appels à l’action suivants : premièrement, la nécessité urgente d’établir un conseil national pour la réconciliation; deuxièmement, le Canada doit approuver, soutenir et adopter la déclaration de l’Organisation des États américains, ou OEA, sur les droits des peuples autochtones; troisièmement, le Canada doit se faire le champion d’une convention internationale des Nations unies sur les langues autochtones comme résultat de la Décennie internationale des langues autochtones proclamée par les Nations unies; quatrièmement, le Canada doit adopter, à titre de signataire, la déclaration du Commonwealth sur le sport pour faire progresser la réconciliation en partenariat avec les peuples autochtones.
Honorables sénateurs, c’est vraiment un grand honneur pour moi de me joindre à vous alors que vous vous engagez, avec un si grand nombre de personnes, dans une étude importante concernant la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Avec votre permission, j’aimerais vous présenter le point de vue d’un ancien élève de l’époque des pensionnats indiens, d’un chef international et d’un ancien membre de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, ou CVR, un point de vue qui découle des expériences qu’il a vécues.
Les quatre appels à l’action sont, à mon avis, essentiels à votre examen de la mise en œuvre. Dans le temps qui m’est imparti, j’espère illustrer, avec votre permission, la manière dont ces appels à l’action s’articulent dans le cadre d’une approche fondée sur les droits de la personne et, en particulier, d’une approche fondée sur les droits issus des traités.
En tant que personne qui, au milieu des années 1970, a commencé à rédiger une déclaration de principes sur les traités et les droits qui en découlaient, je me suis rendu aux Nations unies en août 1977 avec des délégués du monde entier pour faire entendre la voix de nos aînés et dirigeants spirituels qui étaient préoccupés par les violations des traités. Au cours des 27 années de négociations à Genève, j’ai été chargé de présenter officiellement tous les paragraphes du préambule et du dispositif pour qu’ils soient débattus. J’ai également été l’un des cinq rédacteurs de la déclaration de l’OEA, comme 25 réponses d’États membres m’invitaient à le faire. Cette déclaration s’appuie sur les points forts de la déclaration des Nations unies, et les deux déclarations doivent désormais être lues ensemble dans notre région, lorsqu’il s’agit d’envisager leur mise en œuvre.
Au terme des six années et demie où j’ai occupé le poste de commissaire de la Commission de vérité et réconciliation, la plus grande consultation des peuples autochtones ordonnée par un tribunal dans l’histoire du Canada, nous avons conclu nos activités en présentant 94 appels à l’action. À partir de ces appels, nous nous sommes mis d’accord sur 10 principes clés pour la réconciliation. Je pense qu’il s’agit de solutions à prendre en considération pour aller de l’avant et rétablir des relations respectueuses. L’objectif initial de nos aînés était de rechercher la reconnaissance, le respect et la justice pour une coexistence pacifique.
Finalement, notre objectif est devenu celui de la paix, de la justice et de la réconciliation. La mission que le tribunal nous a confiée a été difficile, car plus de 7 000 témoignages nous ont appris qu’il y avait un éventail de situations. Quand de graves préjudices ont été causés et qu’un accord à l’amiable a été conclu, il est certes important que la vérité soit connue, mais il est tout aussi important de présenter des excuses et d’offrir la possibilité de pardonner. Lorsque l’on commence à sentir que justice a été faite, on peut guérir et passer ensuite à la réconciliation.
La paix, sa consolidation ou la coexistence pacifique ont été les fondements de notre recherche de solutions. En effet, nous avons récemment participé à l’élaboration d’une nouvelle déclaration internationale sur la consolidation de la paix par les peuples autochtones.
Comme je l’ai indiqué dans mes observations écrites, depuis la présentation du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, de nombreux segments de la société ont adopté de bonnes pratiques pour faire progresser la réconciliation. Comme dans le cas des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, ils ont utilisé la déclaration des Nations unies comme cadre pour mettre en œuvre des actes de réconciliation ou de réconciliACTION, comme je les ai souvent appelés.
Il est vrai que mon parti pris m’a entraîné à utiliser le pouvoir du sport pour faire progresser la réconciliation et à mettre en valeur le leadership pionnier dont la Ligue nationale de hockey a fait preuve par l’intermédiaire de la reconnaissance par les Oilers d’Edmonton du territoire visé par le Traité n° 6 et de la reconnaissance par le gouvernement de l’Alberta des Traités nos 6, 7 et 8 et des peuples métis et inuits.
Il est possible de faire davantage, par exemple, pour mettre en œuvre les articles 3, 31 et 37 de la déclaration des Nations unies à l’aide de la déclaration de l’organisation Commonwealth Sport, qui a été adoptée récemment au cours de la conférence préolympique des ministres des Sports à Paris.
Dans mon mémoire, j’ai mentionné de nombreux autres exemples réussis, comme le Centre national pour la vérité et la réconciliation, mais ils sont pour la plupart inconnus. C’est la raison pour laquelle il est urgent de créer le Conseil national de réconciliation. L’un de ses mandats serait de surveiller toutes ces bonnes initiatives et d’en rendre compte afin que nous puissions apprendre les uns des autres partout au Canada.
Les agressions des pensionnats indiens, dans le cadre d’une assimilation imposée par la loi, n’ont pas seulement touché les familles, les communautés et la spiritualité, mais aussi nos langues. Je félicite le Canada d’avoir adopté une législation fédérale unique au monde, mais nous pouvons faire davantage, car une langue autochtone meurt toutes les deux semaines quelque part dans le monde. Nous avons besoin d’un champion pour sauver nos langues. Je sais qu’une résistance précoce est observée à cet égard, mais je voudrais poser la question suivante aux États : pourquoi voulez-vous continuer de tuer nos langues?
Avez-vous déjà entendu une langue mourir? Moi, j’en ai entendu une. Lors d’une réunion aux Nations unies, nous avons demandé à un aîné d’ouvrir la réunion par une prière. Il a déclaré ce qui suit :
Je suis très honoré que vous me le demandiez, mais je veux que vous écoutiez très attentivement le son de ma voix. Je veux que vous écoutiez très attentivement les mots que je vais employer.
Il a ensuite prié pour nous. Environ un mois plus tard, j’ai reçu un appel, et la personne au bout du fil m’a dit : « Le vieil homme est mort ». J’ai dit : « Quel vieil homme? » Il m’a dit : « Vous vous souvenez du vieil homme qui a prié pour nous à l’ONU? Il est mort. » C’était comme si quelqu’un m’avait donné un coup de poing dans le ventre, parce que j’avais entendu une langue autochtone mourir.
Comme je l’ai dit, nous avons besoin d’un champion pour protéger nos langues. Par l’intermédiaire des deux Chambres du Parlement, nous demandons instamment à notre Canada de prendre l’initiative d’établir et d’adopter une convention internationale aux Nations unies. Commencez peut-être par consulter les membres du groupe CANZUS. Les États membres de CANZUS comprennent le Canada, l’Australie, la Nouvelle‑Zélande et les États-Unis. Ensuite, adressez-vous, à l’échelle mondiale, à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, ou UNESCO, dans le cadre de la Décennie internationale des langues autochtones.
Enfin, il existe une synergie entre les traités, la vérité et la réconciliation et la déclaration des Nations unies. Dans sa décision de février dernier, la Cour suprême du Canada nous a montré une voie très positive. Depuis les tribunaux britanniques, le regretté Lord Denning nous a également indiqué la voie à suivre en 1982 en ce qui concerne la Constitution. Aujourd’hui, notre propre Cour suprême a fait de même, et je paraphrase ce qu’elle a déclaré : conformément à l’engagement du Canada à mettre en œuvre la déclaration des Nations unies et en réponse aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, nous pouvons également décider de donner suite aux appels susmentionnés afin d’améliorer et de renforcer notre mise en œuvre et de faire progresser ainsi une véritable réconciliation.
Hiy hiy, marsee, je vous remercie de votre attention.
Le vice-président : Merci, monsieur Littlechild. Nous allons maintenant passer aux séries de questions posées par les sénateurs.
La sénatrice White : Wela’lioq. Dans ma langue mi’kmaq, cela signifie merci. Je vous remercie infiniment de nous avoir fait part de vos réflexions et d’avoir passé toute cette journée avec nous. Alors, wela’lioq. J’aimerais maintenant vous poser quelques questions. Je suis une sénatrice relativement nouvelle. Le plan d’action de la Loi sur la déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones prévoit que le gouvernement fédéral consulte les communautés autochtones au cours de tout processus législatif. Mais dans le cadre de diverses séances de comité, nous entendons sans cesse parler de nombreuses préoccupations concernant l’absence de consultation, même si nous savons qu’elle devrait avoir lieu.
J’aimerais que vous nous disiez comment vous voyez le rôle de la consultation, ainsi que la notion de consentement préalable donné librement et en connaissance de cause. Cela nous aidera, nous les membres du comité, à faire avancer notre prochaine série de mesures législatives.
M. Littlechild : Je vous remercie beaucoup de votre question, sénatrice. Oui, il s’agit d’une question très importante. Je voudrais attirer votre attention sur l’article 19 de la déclaration des Nations unies. Avant de modifier une loi ou une politique susceptible d’avoir une incidence sur les peuples autochtones, l’article 19 nous invite non seulement à les consulter, mais aussi à chercher à obtenir leur consentement préalable donné librement et en connaissance de cause.
Certaines personnes n’aiment pas cet article parce qu’il demande plus qu’une simple consultation. Dans le cas présent, vous dites — et j’en conviens — qu’il n’y a pas eu suffisamment de consultations, voire aucune consultation. En un sens, cela nous met vraiment en porte-à-faux par rapport à ce que l’article 19 demande.
Oui, il existe au Canada une obligation légale de consultation, mais l’article 19 nous demande d’aller au-delà de la consultation et de chercher à obtenir le consentement préalable des peuples autochtones, donné librement et en connaissance de cause.
L’expression « donné librement » signifie bien sûr sans aucune contrainte. L’expression « en connaissance de cause » signifie qu’il faut informer les peuples autochtones, les tribus ou les nations des deux côtés de la question, du pour et du contre de la proposition. Ensuite, des décisions peuvent être prises « en connaissance de cause », en fonction de cette information.
Par ailleurs, l’article 18 demande que les peuples autochtones participent à la prise de décisions. Les articles 18 et 19 contiennent des lignes directrices sur la manière de procéder non seulement à la consultation, mais aussi à l’inclusion des peuples autochtones dans la prise de décisions pour obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause — et non un consentement acquis d’avance ou donné sous la contrainte.
À mon avis, ces deux articles ciblent cette question très importante. C’est une question à laquelle il est difficile de répondre parce que quelqu’un peut dire : « Nous vous avons consulté ». Lorsque nous lui demandons comment il l’a fait, il nous répond : « Nous avons communiqué avec vous par téléphone », « Nous vous avons envoyé une lettre » ou « Vous n’avez pas répondu, alors la consultation a été suffisante ». Une telle approche est négative. Après tout, il s’agit d’une approche fondée sur les droits de la personne.
Je nous demande instamment d’aller plus loin que l’obligation de consultation et d’examiner ce que l’article 19 nous demande de faire, à savoir chercher à obtenir un consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
D’ailleurs, le consentement n’est pas une nouvelle notion dans ces discussions. Dans ma région visée par le Traité no 6, par exemple, nos ancêtres avaient déjà compris l’importance du consentement en 1876 et 1877. Cela figure dans notre traité. Le mot « consentement » figure dans le Traité no 6 depuis 1876. Aujourd’hui, on parle de « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ». L’obtention de notre consentement, par opposition à notre simple consultation, est non seulement une exigence légale des tribunaux, mais aussi une obligation conventionnelle internationale.
Si l’on est déçu par l’absence de consultation, on est probablement encore plus déçu par l’absence de consentement. Sénatrice, j’espère que cela répond à votre question, à laquelle bon nombre de personnes ont beaucoup de mal à répondre. Il s’agit cependant d’une question importante, et je vous remercie de l’avoir posée.
Le sénateur McNair : Monsieur Littlechild, je vous remercie de vous être joint à nous aujourd’hui.
Quand je dis « aujourd’hui », je veux dire pendant toute la journée. Je vous ai vu dans l’édifice, et j’ai participé à une réunion avec vous plus tôt dans la journée. L’un des sujets que vous avez abordés lorsque vous avez formulé vos observations ce soir et plus tôt dans la journée concerne la déclaration de l’OEA et de ses 25 États membres ainsi que les principes renforcés, je crois, qui, selon vous, devraient être adoptés par le Canada et être lus ou utilisés de concert. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
M. Littlechild : Oui, 27 années de négociations se sont déroulées aux Nations unies. Nous n’avons pas réussi à obtenir tout ce que mes aînés m’ont demandé d’obtenir aux Nations unies. Bien entendu, certains États ont déclaré : « Nous n’avons pas de peuples autochtones dans notre pays, alors nous n’avons pas besoin de prendre ces mesures ». D’autres ont dit : « Nous sommes tous autochtones, alors nous n’approuvons pas cela ». Ils ont adopté ce genre de positions.
Nous avons obtenu une convention au bout de 27 ans, en raison du mode de fonctionnement des Nations unies, alors qu’au sein de l’Organisation internationale du Travail, ou OIT, par exemple, il y a une limite de deux ans pour négocier des conventions. Les Nations unies fonctionnent par consensus. Au cours de ce processus, nous n’avons pas pu nous mettre d’accord sur tout. Nous sommes allés de l’avant avec ce que nous pouvions obtenir, par exemple, dans l’article 37 de la déclaration des Nations unies. Nous avons utilisé la déclaration américaine. L’occasion s’est présentée aux États-Unis de célébrer le 500e anniversaire de notre découverte; certains soutiennent que c’est le 500e anniversaire du moment où Christophe Colomb s’est égaré, pensant avoir débarqué en Inde. « Indiens » est le nom qu’on nous a donné. Cela nous a donné une autre occasion de nous appuyer sur la force de la déclaration des Nations unies.
Quatre ajouts nous sont vraiment utiles du point de vue de la mise en œuvre, et c’est la raison pour laquelle je soutiens que nous devons utiliser la déclaration des Nations unies et la déclaration de l’OEA côte à côte. L’article 37, par exemple, qui porte sur les traités, demande d’honorer, de respecter et d’appliquer les traités. L’application est un mot sur lequel on ne met pas souvent l’accent.
La déclaration de l’Organisation des États américains dit la même chose, mais ajoute que c’est « conformément à leur esprit et à leur intention » et selon l’interprétation donnée par les peuples autochtones. Il s’agit d’une amélioration par rapport à l’article 37 sur les traités, par exemple. Ce n’est pas nouveau puisque la Cour suprême du Canada a déjà affirmé la même chose. D’une certaine manière, nous ne faisons qu’adopter ou mettre en œuvre ce que la Cour suprême du Canada a déclaré au regard de l’article 24 sur les traités de la déclaration de l’Organisation des États américains.
Une différence d’importance cruciale, c’est l’obligation de prendre en considération l’interprétation donnée par les peuples autochtones, conformément à l’esprit et à l’intention des traités. Il s’agit là d’un ajout qui clarifie et renforce la déclaration des Nations unies.
Il y a aussi le fait que, pour la première fois en droit international, la déclaration de l’Organisation des États américains reconnaît la famille autochtone dans un article précis. La famille autochtone, en tant qu’unité, englobe notre parenté et notre concept de famille élargie. Ce concept n’a pas été discuté ni même entendu aux Nations unies, mais il a été accepté à l’Organisation des États américains.
En ce qui concerne les lois autochtones, nous avons des lois sacrées, des lois traditionnelles, des lois coutumières, des lois internationales coutumières. Ces notions sont maintenant explicitement mentionnées dans la déclaration de l’Organisation des États américains : la famille autochtone, le droit autochtone, les traités et, enfin, ce qui est très important pour moi — et crucial —, c’est la reconnaissance de la spiritualité autochtone. Voilà les quatre améliorations fondamentales qu’il faut apporter à la déclaration des Nations unies pour la renforcer et la faire progresser afin que nous puissions nous appuyer là-dessus. C’est pourquoi je vous encourage à examiner la déclaration de l’Organisation des États américains, en parallèle, et vous aurez alors une vue d’ensemble de ce que nos aînés réclamaient lorsque nous avons lancé le processus, en 1974.
J’espère que cela répond à votre question. Ce sont des améliorations essentielles que nous pouvons adopter ici, au Canada. Le Canada était à la table, chaque session de l’Organisation des États américains, et j’y étais aussi. Pourtant, notre pays a refusé d’adopter ces améliorations. J’exhorte le comité à conseiller au Canada, par l’entremise du gouvernement ou du Parlement, d’examiner la déclaration de l’Organisation des États américains, de tenir compte des solutions qui s’y trouvent et d’adopter le tout. Cela favorisera sans doute la réconciliation, à mon avis, non seulement plus facilement ou plus rapidement, mais aussi plus efficacement. Merci.
Le vice-président : Je vous remercie.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup. J’aimerais à mon tour vous remercier de votre présence parmi nous et de l’œuvre de votre vie. Il s’agit d’une contribution incroyable et d’un avantage collectif pour notre pays et pour le monde entier.
Ma question est un peu plus pointue. Vous nous avez donné d’excellents conseils sur la façon dont nous devons aborder cette question à l’échelle internationale et la nécessité d’exercer des pressions sur le Canada. Je me demande maintenant comment nous pouvons mettre en place, au Canada, des mesures de soutien appropriées pour les Premières Nations, les Métis et les Inuits; j’ai d’ailleurs œuvré dans ce domaine pendant la majeure partie de ma vie. Je songe en particulier aux personnes qui sont trop souvent laissées pour compte par tous les autres systèmes et qui se retrouvent dans notre système carcéral. J’ai la responsabilité et l’honneur de travailler en ce moment, en toute humilité, avec un certain nombre de Premières Nations qui essaient de s’engager dans un processus d’autonomie gouvernementale qui ne les soumettra pas aux contraintes des autorités correctionnelles en place, mais qui leur permettra de définir et d’acquérir leurs propres ressources pour ensuite les utiliser elles-mêmes au lieu de les réaffecter aux services correctionnels provinciaux et fédéraux.
Connaissez-vous d’autres mécanismes qui existent et qui pourraient être utilisés par ces Premières Nations et d’autres organes de gouvernance autochtones pour essayer de faire valoir ces revendications et de ramener leurs gens chez eux?
M. Littlechild : Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier de tout le travail que vous avez accompli. Je connais votre contribution historique au système carcéral et à la lutte contre la toxicomanie.
Pour répondre à votre question, il est possible d’envisager une solution de rechange. Je m’explique.
Dans ma communauté, il y a un détachement de la GRC dans la réserve. Nous avons aussi un pavillon de ressourcement. Certains l’appellent une prison à sécurité minimale; d’autres disent que c’est un pénitencier, mais il s’agit d’un pavillon de ressourcement destiné aux détenus autochtones. Grâce à ces deux installations, ainsi qu’à la relation avec la GRC, par exemple — et nous considérons le système carcéral comme une autre situation —, nous sommes en train d’établir une meilleure relation pour la suite des choses dans ces deux domaines.
Nous avons élaboré une loi régissant les services de police, loi qui est fondée sur les traités. Dans cette loi, nous incluons des éléments très précis et pertinents sur le plan culturel qui amélioreront le système de justice, à notre avis, en ce qui concerne la récidive. De nombreux détenus nous disent qu’ils guérissent en prison parce que les aînés viennent les conseiller en s’appuyant sur nos enseignements culturels et nos cérémonies culturelles. Il s’agit, pour ainsi dire, d’un ajout très précis au système pénal actuel, et c’est en quelque sorte une amélioration, car cela nous inclut dans tout le processus de justice.
À cela s’ajoute un troisième élément : notre propre système judiciaire. Par exemple, il y a un tribunal cri en Saskatchewan où le procureur de la Couronne, l’avocat de la défense et le juge travaillent tous en cri, ainsi que le greffier du tribunal, etc. Cela nous permet d’intégrer nos lois dans le processus pour tenir compte, par exemple, de ce qui est prévu dans notre droit cri. Parfois, nos frères et sœurs en prison n’aiment pas trop cela parce qu’ils doivent entreprendre une démarche plus sérieuse sur le plan de l’enseignement que ce qu’ils seraient tenus de faire aux termes du Code criminel.
Nous avons donc l’occasion d’envisager une solution de rechange comme celle-là pour créer un espace nous permettant de rétablir notre compétence en matière de justice. Cela comprend nos lois, nos services de police et nos mesures législatives. Le processus judiciaire favoriserait ainsi la guérison des détenus ayant des démêlés avec la justice grâce aux enseignements culturels qu’ils recevraient pendant leur détention.
Je pense que c’est une situation positive. Tout ce que nous avons à faire, c’est de créer cet espace. Certains disent qu’il n’y a pas de place pour cela, mais j’estime que nous devons faire ce qui s’impose pour saisir ce genre d’occasions. Si nous tenons à réduire la criminalité et la violence, c’est une des façons d’y parvenir. J’espère que cela répond à votre question.
La sénatrice Pate : Oui, merci.
La sénatrice Coyle : Merci encore, monsieur Littlechild. Quel plaisir pour nous tous de passer tout ce temps avec vous. J’ai l’impression que nous sommes vraiment choyés aujourd’hui.
Ces quatre appels à l’action visent à faire progresser la réconciliation — parce que nous voulons réaliser des progrès au lieu de faire du surplace —, alors allons plus loin, comme vous l’avez dit, et faisons tout notre possible pour rétablir le respect des droits et des relations.
Mon collègue vous a posé une question sur l’Organisation des États américains. Vous avez parlé des langues autochtones et de la déclaration du Commonwealth sur le sport. Ce qui m’intrigue au sujet de chacun de ces trois points — l’Organisation des États américains, les langues autochtones et le sport au sein du Commonwealth —, et je suis d’ailleurs ravie que vous les ayez portés à notre attention, c’est la question suivante : à qui revient le ballon de football ou la rondelle? Je sais que vous êtes un sportif. À qui nous conseilleriez-vous de nous adresser? Autrement dit, qui dirige vraiment l’effort dans chacun de ces trois domaines afin que nous puissions trouver un moyen de soutenir et de compléter les initiatives déjà préconisées par une personne ou par certaines organisations? J’imagine que vous en faites partie vous-même.
M. Littlechild : Oui. En fait, sans vouloir me vanter, j’ai contribué aux trois initiatives. Permettez-moi de revenir un peu en arrière. Commençons par la déclaration du Commonwealth sur le sport.
J’avais rédigé une déclaration sur le sport pour les Nations unies sans savoir qu’elle serait présentée à la Fédération des Jeux du Commonwealth lors de son assemblée annuelle en Afrique. Les membres de la fédération ont examiné cette déclaration et l’ont approuvée, allant jusqu’à l’appeler la déclaration du Commonwealth sur le sport. C’est donc déjà en place.
Récemment, à Paris, juste avant les Jeux olympiques, lors d’un congrès préparatoire en vue de cet événement, 56 ministres des Sports se sont réunis pour examiner tous les domaines d’intérêt dans le cadre de leurs fonctions. Je tiens d’ailleurs à féliciter et à remercier la ministre Qualtrough de sa comparution là-bas pour le Canada. Cinquante-six ministres des Sports ont adopté la déclaration du Commonwealth sur le sport.
Curieusement, ces pays du Commonwealth représentent aussi un groupe de pays qui ont un passé peu reluisant en ce qui concerne les peuples autochtones — à vrai dire, c’est le cas de tous les pays du Commonwealth. Le fait qu’ils aient adopté cette déclaration sur le sport, par l’entremise de leurs ministres des Sports au sein de leurs gouvernements respectifs, constitue un geste très positif. C’est une idée qui a germé à l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones, puis la déclaration a été présentée en Afrique, où elle a été adoptée, et elle a ensuite fait son chemin jusqu’à Paris, où elle a été adoptée par d’autres pays. Nous demandons maintenant au Canada de devenir signataire de cette déclaration sur le sport parce que le gouvernement canadien n’y a pas donné son aval. Pourquoi en est-il ainsi?
La sénatrice Coyle : Savez-vous pourquoi?
M. Littlechild : Non, j’ai posé la même question. Notre ministre était présente là-bas. Je ne veux pas parler en son nom, mais je pensais qu’elle était de notre côté pour ce qui est d’adopter la déclaration, à l’instar des 55 autres ministres des Sports, et pourtant, le Canada a dit non.
Je vous exhorte encore une fois à tenir compte des enfants. C’est pour les enfants. Ils ont le droit de jouer et de s’amuser. Pourquoi le Canada n’appuierait-il pas cette déclaration, en tant que signataire, pour montrer au monde que, oui, nous nous soucions des enfants? Oui, les enfants sont importants. Il s’agit certes d’une initiative subjective, mais, comme on le dit souvent, le sport a le pouvoir de nous rassembler. Le sport nous permet de travailler ensemble dans l’unité. Le sport est un langage que les enfants comprennent. Pourquoi n’utiliserions-nous pas cette déclaration pour favoriser la réconciliation en partenariat avec les peuples autochtones? Je le répète, c’est un appel à la collaboration. Nous voulons travailler ensemble, mais nous ne pouvons pas le faire en ce moment, car le Canada refuse d’adopter la déclaration.
La sénatrice Coyle : Lorsque vous avez demandé à la ministre de signer cette déclaration, l’avez-vous fait individuellement ou avec d’autres intervenants?
M. Littlechild : Je l’ai fait avec d’autres intervenants.
La sénatrice Coyle : S’agit-il d’une organisation ou d’un groupe de personnes?
M. Littlechild : C’est un groupe d’organisations.
La sénatrice Coyle : S’agit-il d’organisations sportives ou d’organisations autochtones?
M. Littlechild : Oui. Certaines sont des organisations sportives et d’autres, des organisations autochtones.
La sénatrice Coyle : Il est utile d’obtenir plus de détails afin que nous puissions poser des questions intelligentes pour faire un suivi.
M. Littlechild : Oui. Je crois avoir joint à mon mémoire une copie de la déclaration. Si ce n’est pas le cas, je ne manquerai pas de vous l’envoyer.
La sénatrice Coyle : Je vous remercie.
M. Littlechild : Je vais passer à l’autre question concernant la convention internationale sur les langues autochtones. Encore une fois, comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, pourquoi n’appuierions-nous pas cela? Autrement dit, pourquoi voudrions-nous contribuer à l’extinction de nos langues? C’est ce que nous faisons en refusant d’appuyer cette convention.
Oui, je connais les réalisations du Canada et je l’en félicite. Au moins, ici, nous avons une loi fédérale sur les langues autochtones, mais pourquoi ne pas utiliser ce modèle et le faire connaître à d’autres pays où les langues autochtones sont en train de mourir afin de leur venir en aide?
Là encore, nous résistons, d’après ce que je peux comprendre. Le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones des Nations unies et l’Instance permanente des Nations unies — deux tribunes internationales pour les peuples autochtones à l’ONU — ont demandé aux États d’établir cette convention. Elle a été présentée au Conseil des droits de l’homme, et la résolution fait d’ailleurs l’objet d’un débat en ce moment même, alors que nous siégeons ici ce soir. Oui, je sais qu’il y a une résistance de la part d’autres États également, mais y compris du Canada. Compte tenu de l’expérience de notre pays en tant que chef de file mondial, j’aimerais que nous allions encore plus loin. Sauvons ces langues, car je ne souhaite à personne de vivre l’expérience que j’ai vécue, soit celle d’entendre mourir une langue. Cette convention est importante.
La déclaration américaine... Comme vous l’avez dit, j’ai répondu à cette question plus tôt. J’espère que le Canada ne persistera pas dans son refus d’appuyer la déclaration de l’Organisation des États américains, la convention internationale ou la déclaration sur le sport. Je les considère comme de puissants outils qui nous permettront de favoriser la réconciliation. C’est vraiment le seul et principal objectif : nous aider sur le chemin de la guérison, de la reconnaissance, du respect et de la coexistence pacifique. Tous ces éléments entrent en ligne de compte grâce à l’adoption de ces trois mesures. Je vous remercie.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup. J’ai eu le privilège de vous entendre ce matin également, et je vous suis très reconnaissant des renseignements que vous nous avez fournis et de votre présence parmi nous. Merci beaucoup.
Je voulais parler brièvement de la possibilité de renforcer les relations et la réconciliation entre les communautés. Il se trouve que je vis dans une petite ville de l’Ontario qui jouxte le territoire de la Première Nation de Rama. Nous travaillons collectivement avec un certain nombre de personnes de la communauté dans le cadre d’une table ronde sur la réconciliation.
Nous avons lancé cet effort en partie parce que, selon moi, bon nombre des activités locales finissent par être prises en charge par nos jeunes dirigeants au niveau national; cela joue donc dans les deux sens. Que pensez-vous de l’établissement de relations intercommunautaires, et avez-vous vu des modèles qui seraient plus efficaces ou optimaux?
M. Littlechild : Je vous remercie. Permettez-moi de commencer par cet exemple. Nous, les peuples autochtones faisant partie de tribus et de nations, avons également participé à cette initiative. Par exemple, quatre tribus traditionnellement belligérantes se sont réunies dans un acte de réconciliation et ont déclaré que, dorénavant, nous allions vivre en paix ensemble. Ce sont les peuples autochtones ensemble qui conviennent, entre eux, qu’à partir de maintenant, nous allons de l’avant en travaillant ensemble et en coexistant dans la paix.
Maintenant, si vous appliquez ce modèle aux peuples non autochtones et autochtones à l’échelle communautaire, il est intéressant de constater que la même chose se produit à l’échelle locale, ce qui est très encourageant. Comme je l’ai déjà dit, on ignore ce fait parce que le conseil n’est pas en place pour communiquer cette information. Mais il se passe de bonnes choses entre voisins, entre non-Autochtones et Autochtones.
Je vous ai donné l’exemple de ma localité, où les Pieds-Noirs et les Cris ont conclu des traités il y a quelques années. C’est ce qu’on appelle Wetaskawin en cri : cela signifie avoir de bonnes relations ou partager des terres. Comme vous vous en souviendrez, monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, le mot Wetaskawin figure dans un ouvrage et dans le rapport publié à la suite de votre travail sur la mise en œuvre des traités. Ce mot désigne la collaboration entre nous et nos voisins non seulement pour partager des terres, mais vraiment pour être de bons voisins dans nos quartiers.
Il existe donc quelques poches de progrès dans ces domaines. Je pense que c’est le cas dans tout le pays. Mais lorsque le conseil est en mesure de rassembler ces éléments, de les mettre sur la table et de les montrer, je pense que nous serions agréablement surpris de constater que, oui, il y a de meilleures relations dans ces régions. C’est grâce à l’engagement local.
Lorsque notre voisin le maire s’est présenté devant nous à la commission de la vérité, il a dit qu’il était né à Wetaskawin et qu’il y avait grandi toute sa vie. Il a été élu maire, mais ne savait même pas qu’un pensionnat était situé à 15 kilomètres de là.
Je suis donc fier qu’il ait eu le courage de l’admettre, car il parlait au nom de beaucoup d’autres personnes qui n’étaient pas au courant. Pourquoi ces Autochtones sont-ils comme ils sont, pourquoi ne pouvons-nous pas tous nous entendre, des commentaires de ce genre. Mais je pense que cet aveu a mis l’accent sur la nécessité d’aller de l’avant, compte tenu de ce que vous venez de dire. Je propose de travailler de concert au processus menant progressivement à la réconciliation.
Les facultés de médecine, par exemple, enseignent la médecine traditionnelle en tant que pratique favorisant la réconciliation. Bref, la communauté universitaire en général a fait beaucoup pour faire avancer le processus de réconciliation.
Mais la principale question que vous me posez est la suivante : que pouvons-nous faire localement, de voisin à voisin? Il existe de bons exemples, que ce soit dans le système judiciaire, en travaillant ensemble, que ce soit dans les relations d’affaires ou même dans les activités, les activités sportives, par exemple. Nous partageons, par exemple, les services d’ambulance, les services d’incendie, les services de police. Celui qui est le plus proche intervient en cas d’incident. Je pense qu’il s’agit là de bons actes de réconciliation où nous nous sommes mis d’accord pour aller de l’avant ensemble de manière positive au lieu de le faire traditionnellement dans un environnement négatif.
La sénatrice Boniface : Merci beaucoup.
La sénatrice Osler : Je vous remercie de votre présence, monsieur Littlechild. J’étais médecin avant d’entrer au Sénat. Dans vos dernières observations, vous avez parlé de certains travaux réalisés par les facultés de médecine. Il s’agit d’un domaine intéressant, et j’aimerais vraiment connaître votre avis sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de l’article 24 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA, qui concerne le droit à la santé, le droit aux médecines traditionnelles et le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions sur l’état d’avancement de la mise en œuvre de l’article 24?
M. Littlechild : Permettez-moi de faire référence à la déclaration de l’Organisation mondiale de la santé sur la santé des peuples autochtones. Cette déclaration de l’OMS comprend le droit à la santé publique ou aux soins de santé privés. À cette déclaration s’ajoute l’approche autochtone en matière de santé, qui est de type holistique.
Lorsque nous parlons de santé, il ne s’agit pas seulement de la santé physique d’un individu. C’est le cercle de médecine, composé de quatre éléments; l’idée est de maintenir un équilibre entre la santé physique, la santé mentale, la santé émotionnelle et la santé spirituelle. Il s’agit donc d’une approche que l’on peut qualifier d’holistique. Voilà donc la perspective que nous voulons introduire dans l’article 24 au bénéfice de la population dans son ensemble.
La déclaration de l’Organisation mondiale de la santé de 1999 reconnaît également le droit à la santé prévu par le traité. Ce droit à la santé a été mentionné dans une clause relative aux médicaments. Donc, si vous prenez ce droit à la santé, que vous le combinez avec la déclaration de Genève de l’Organisation mondiale de la santé et que vous l’intégrez à l’article 24, il permet aux hôpitaux d’offrir des services à un patient ou à un client dans une langue qu’il peut comprendre, car bien souvent nos concitoyens ne comprennent pas les termes médicaux qui sont utilisés. L’alternative est donc de le faire dans notre langue. Donnons le choix au patient. Voulez-vous vous adresser au système de santé classique ou au système traditionnel? Nous devons élargir l’éventail des choix s’offrant aux patients.
Mais l’essentiel est d’aborder la santé sous l’angle holistique souvent adopté chez les Autochtones. Il ne s’agit pas seulement d’une maladie physique, mais d’une approche dite holistique. Pourquoi ne pas s’en servir comme modèle. Les facultés de médecine pourront ensuite s’en servir, et les futurs médecins seront en mesure de proposer cette approche à leur clientèle.
La sénatrice Greenwood : Il s’agit d’un enjeu de logistique. Je sais que vous avez un vol très bientôt et je crains vraiment que vous ne puissiez pas arriver à temps si vous ne partez pas tout de suite.
M. Littlechild : Avez-vous une autre question pour moi?
La sénatrice Greenwood : Je suis désolée.
M. Littlechild : C’est vrai. Je m’excuse de devoir vous quitter bientôt, j’ai un vol à prendre.
Le vice-président : J’allais vous poser une dernière question. Peut-être pourriez-vous y répondre par écrit. Vous l’avez déjà soulevée. Vous avez été le parrain du projet de loi C-29, la Loi portant sur un conseil national de réconciliation. Vous avez créé un mécanisme intéressant au sein de la société civile. Ma question est donc la suivante : pourquoi ce modèle particulier? Et quelle était votre vision du Conseil national de réconciliation?
Je reconnais que vous êtes limité par le temps et que vous n’avez pas le temps de répondre à cette question maintenant. Mais si vous pouviez nous transmettre quelque chose par écrit à ce sujet, ce serait fort utile.
Monsieur Littlechild, je tiens enfin à vous remercier pour vos réponses à la fois concises et convaincantes aux questions qui vous ont été posées par mes collègues. Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Vous avez formulé un certain nombre de recommandations raisonnables, à mon avis, et de solutions constructives qui permettront de promouvoir le processus de réconciliation. Comme beaucoup l’ont dit, nous respectons vraiment votre présence ici aujourd’hui, l’aide que vous nous avez apportée et votre travail. Vous nous mettez au défi de formuler des recommandations susceptibles de promouvoir ce que vous préconisez. J’espère que toutes les recommandations figureront dans le rapport que nous rédigerons à l’issue de ce travail. Merci beaucoup, monsieur Littlechild. Bon retour chez vous. Nous reviendrons vers vous, car je suis sûr que vous pourrez nous parler d’autres questions.
M. Littlechild : Rapidement, monsieur le vice-président, si vous regardez le projet de loi ou la loi actuelle, mon approche était d’intégrer des solutions concrètes. Il s’agit donc d’un projet de loi très axé sur les mesures pratiques. Et d’ailleurs, je compte en effet vous faire parvenir davantage de documentation sur le sujet.
Je vous remercie tous pour cette occasion.
[Le témoin s’exprime en langue autochtone.]
Je vous remercie.
Le vice-président : Le temps imparti à ce panel est écoulé. Je tiens à remercier officiellement M. Littlechild de s’être joint à nous. Si vous souhaitez faire d’autres commentaires, veuillez les envoyer par courriel au greffier.
Chers collègues, j’aimerais maintenant vous présenter nos deux prochains témoins: M. Paul Irngaut, vice-président, Nunavut Tunngavik Incorporated, et Mme Itoah Scott-Enns, directrice de la planification et des partenariats, Gouvernement du Tlicho.
Nos témoins feront des remarques préliminaires de cinq minutes, puis nous passerons à la période de questions et réponses. J’invite maintenant M. Irngaut à présenter ses observations préliminaires. Nos services d’interprétation sont prêts.
[Traduction de l’interprétation]
Paul Irngaut, vice-président, Nunavut Tunngavik Incorporated : Bonsoir, monsieur le vice-président, et mesdames et messieurs les membres du comité. Je m’appelle Paul Irngaut. Je suis le vice-président de Nunavut Tunngavik Incorporated, ou NTI.
NTI représente les Inuits du Nunavut dans le cadre de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Notre mandat consiste à veiller à ce que les gouvernements assument les responsabilités qui leur incombent en vertu de l’accord et respectent les droits protégés par la Constitution.
Notre traité moderne, le plus important du Canada, a été signé par le gouvernement fédéral et les dirigeants inuits il y a plus de 31 ans. Il contient des termes qui montrent, à bien des égards, que nos négociateurs étaient en avance sur leur temps. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a été adoptée des années après la signature de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Cette déclaration confirme un grand nombre des droits qui ont été négociés dans l’accord par les dirigeants inuits au cours des décennies qui ont précédé sa signature.
Le Canada a approuvé la déclaration en 2016. Un an plus tard, en 2017, le Canada et les Inuits ont créé un forum intergouvernemental bilatéral permanent appelé le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne, ou CPIC. Le CPIC est conçu pour créer un espace de collaboration où le Canada soutient les Inuits et travaille avec eux pour résoudre des questions importantes et de longue date et, par conséquent, améliorer la relation entre le gouvernement fédéral et les détenteurs inuits de droits issus de traités.
À NTI, nous constatons que la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou LDNU, l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, et le CPIC, doivent agir en parallèle afin d’atteindre le même objectif. Tous ces instruments sont destinés à apporter des changements transformateurs et systématiques.
La mise en œuvre de la LDNU a connu quelques succès. Trente et un ans après la signature de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, nous réalisons des progrès significatifs dans la mise en place d’une réglementation de la pêche au Nunavut.
Afin de protéger la sécurité des Inuits, nous nous sommes efforcés de renforcer nos relations avec le Canada sur les questions de sécurité nationale, qui reconnaît également la contribution des Inuits du Nunavut à la souveraineté de l’Arctique dans le cadre de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.
Nous reconnaissons que la mise en œuvre de certaines mesures prendra du temps, comme l’engagement important en faveur d’inclure un fonds d’équité en matière de santé des Autochtones dans le budget de 2024. Nous continuons d’élaborer des plans en attendant de commencer à recevoir les fonds en question.
Je vais maintenant poursuivre ma présentation en anglais.
[Traduction]
Plusieurs institutions fédérales ont exprimé le souhait d’améliorer l’accès aux services fédéraux en inuktitut. Cette évolution positive peut servir d’exemple à d’autres agences gouvernementales afin que les Inuits du Nunavut puissent recevoir tous les services gouvernementaux en inuktitut.
M. Natan Obed a dit, et je cite :
La mise en œuvre du plan d’action national se déroule actuellement de façon improvisée et désorganisée, et elle est largement tributaire de décisions personnelles de ministres et de hauts fonctionnaires fédéraux.
Je dirais que les succès de la mise en œuvre de la LDNU sont le résultat de l’engagement de certains ministres et hauts fonctionnaires dans le processus du CPIC. Le CPIC est une voie viable pour réaliser le changement systématique envisagé par la LDNU.
Les Inuits du Nunavut accordent une grande importance à la LDNU. Elle s’inscrit dans la continuité du travail accompli par les Inuits depuis plus de 50 ans. NTI se réjouit de renforcer ses relations de travail avec le Canada grâce à sa collaboration dans la mise en œuvre de la LDNU.
Je vous remercie.
Le vice-président : Je vous remercie. J’invite à présent Mme Scott-Enns à présenter ses observations préliminaires.
Itoah Scott-Enns, directrice de la planification et des partenariats, Gouvernement Tlicho : [Le témoin s’exprime dans une langue autochtone].
Bonsoir à tous. Je m’appelle Itoah Scott-Enns. Je suis directrice de la planification et des partenariats au Gouvernement Tlicho. Ma nation est originaire des Territoires du Nord-Ouest, et je suis une descendante du peuple des arbres.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui au sujet de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, la DNUDPA. En tant que pays signataire d’un traité moderne, la Loi sur la DNUDPA est un outil important pour mettre en application nos traités. Le gouvernement du Canada se doit de respecter et de comprendre le contexte dans lequel s’inscrivent nos traités modernes.
Ces dernières années, le gouvernement du Canada a adopté une approche fondée sur les distinctions, mais nous avons dit qu’en tant que nations signataires d’un traité moderne, nous constituons une quatrième distinction. Nous avons besoin d’une approche unique en tant que traité moderne parce que le Canada a des obligations très spécifiques en tant que Couronne pour maintenir nos droits, nos juridictions et les accords que nous avons négociés et qui sont protégés par la Constitution canadienne.
L’article 37 de la Loi sur la DNUDPA stipule clairement que les peuples autochtones ont droit à la reconnaissance, à l’observation et à l’application des traités et des accords et que les États membres doivent honorer et respecter ces traités. L’article 37 stipule également que la Loi sur la DNUDPA est soumise aux traités. Je cite : « Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée de manière à diminuer ou à nier les droits des peuples autochtones énoncés dans des traités, accords et autres arrangements constructifs. ». Il est donc essentiel que la Loi sur la DNUDPA soit utilisée comme un outil permettant de faire respecter nos traités, et non de s’asseoir dessus.
Certaines priorités du Plan d’action de la LDNU sont importantes pour le gouvernement tlicho. Le chapitre 5 porte sur les traités modernes. À l’origine, ce chapitre n’existait pas, mais nous avons collaboré avec d’autres nations signataires de traités modernes pour veiller à ce qu’il soit inclus. Parmi les priorités énoncées dans ce chapitre figurent l’élimination des obstacles au plein exercice des compétences des nations signataires de traités modernes, la collaboration fédérale, provinciale, territoriale et autochtone, la création d’un poste de commissaire chargé de la mise en œuvre des traités modernes, la formation des fonctionnaires pour garantir le respect et l’application des traités modernes, ainsi que le processus de collaboration en matière de politique fiscale.
En ce qui concerne la suppression des obstacles à l’exercice de la compétence, mon pays va bientôt fêter les 20 ans de l’entrée en vigueur de notre traité moderne en 2005, et nous le célébrerons donc l’année prochaine.
En tant que gouvernement autonome, nous sommes prêts à assumer davantage de responsabilités, à prendre en charge des programmes et des services, et à commencer à exercer les compétences pour lesquelles nous avons des droits inhérents et qui sont décrites dans notre traité. Nous travaillons actuellement à la négociation de deux domaines clés avec le gouvernement du Canada et le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest : l’éducation, et la petite enfance, qui pour nous sont inextricablement liées.
Pour nous, l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de nos compétences est que, comme il s’agit d’un domaine encore nouveau pour tous les gouvernements concernés, il n’existe pas de cadres politiques clairs pour le mettre en œuvre, en particulier pour fournir les ressources fiscales et établir les cadres de financement nécessaires aux gouvernements indigènes et aux nations signataires de traités modernes pour mettre en œuvre nos compétences.
Nous espérons que le ministère des Finances aura un rôle très important à jouer dans le soutien à ces plans. Nous n’avons pas beaucoup d’engagements avec le ministère des Finances, et nous espérons qu’il sera davantage impliqué à l’avenir. Nous attendons du Canada qu’il utilise tous les leviers disponibles pour influencer les provinces et les territoires afin de s’assurer que les obstacles juridictionnels sont résolus en temps opportun. C’est un engagement qui a été pris dans le cadre de la politique de mise en œuvre des traités modernes.
Pour nous, la mise en œuvre de nos compétences en matière d’éducation et de petite enfance ne se limite pas à la mise en œuvre de notre traité, mais elle a des répercussions très importantes sur le terrain, dans nos communautés. Je pense que c’est quelque chose qu’il est très important de faire comprendre à toutes les personnes présentes à la table. Pour nous, il ne s’agit pas seulement d’une question de procédure gouvernementale, mais nous avons des enfants qui sont laissés pour compte et, dans le cadre des systèmes actuels qui les laissent tomber, l’assiduité est faible, nos taux d’obtention de diplômes sont faibles. Nous avons des enfants qui se débattent dans les systèmes éducatifs occidentaux et coloniaux dans lesquels ils essaient d’apprendre.
En ce qui nous concerne, nous savons que nous sommes mieux placés pour soutenir nos familles et éduquer nos enfants, et c’est ce que nous essayons de faire. Les retards dans les processus administratifs, politiques et bureaucratiques entravent notre capacité à provoquer des changements au sein de nos communautés, et à être réellement présents pour nos enfants.
En ce qui concerne la collaboration entre les gouvernements autochtones, fédéral, provinciaux et territoriaux, étant donné que le gouvernement du Canada adopte une approche fondée sur les distinctions qui se concentre sur les Premières Nations, les Inuits et les Métis, nous ne participons pas à ces discussions. Il existe un forum qui réunit régulièrement les premiers ministres, les ministres du Cabinet, et les dirigeants des organisations autochtones nationales, mais ces dernières ne nous représentent pas. Seul le gouvernement tlicho est habilité à représenter le peuple tlicho. Nous avons signé un traité et nous nous attendons donc à ce que la Couronne entretienne une relation bilatérale avec le gouvernement de notre nation. Nous travaillons avec le Canada pour trouver des façons d’assurer une représentation adéquate des traités modernes et des gouvernements autonomes au sein de ces forums. Les échanges et les discussions importantes qui ont lieu dans le cadre de ces forums aboutissent à la prise de décisions importantes; nous devons donc y participer et y faire entendre notre voix.
En ce qui concerne le commissaire chargé de la mise en œuvre des traités modernes, la création de ce rôle fait partie des priorités de notre gouvernement et de nos collègues de la Coalition des ententes sur les revendications territoriales depuis maintenant plus de 20 ans. Depuis que nous avons fondé la Coalition des ententes sur les revendications territoriales, en 2003, nous plaidons en faveur de la création d’un poste de commissaire chargé de veiller à ce que le Canada remplisse ses obligations en matière de mise en œuvre des traités modernes.
Nous avons été heureux d’apprendre que la loi que nous avons co-rédigée et qui vise à créer le poste de commissaire chargé de la mise en œuvre des traités modernes devrait être présentée demain au Parlement. C’est une nouvelle très importante et réjouissante pour nous. Nous espérons que la loi sera adoptée rapidement, car il s’agit pour nous d’un mécanisme très important pour veiller à ce que le Canada remplisse ses obligations et rende des comptes. Le commissaire relèvera directement du Parlement. Nous sommes très heureux de constater que le ministre des Relations Couronne-Autochtones en a fait une priorité.
En ce qui concerne la formation des fonctionnaires, en vertu du plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le Canada doit adopter une approche globale de la mise en œuvre des traités modernes de manière à respecter l’esprit et l’intention de nos traités et à préserver l’honneur de la Couronne. Toutefois, si les fonctionnaires fédéraux ne savent même pas que les traités modernes existent ou n’en connaissent pas le contenu, cet objectif est très difficile à atteindre. Nous devons veiller à ce que les fonctionnaires de l’ensemble du gouvernement comprennent ce que sont les traités et ce qu’ils contiennent, et qu’ils connaissent leurs responsabilités par rapport à la mise en œuvre de ces traités et au respect de ces obligations.
Il reste encore beaucoup à faire. Nous savons que Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada s’efforce d’informer les fonctionnaires sur la politique canadienne de mise en œuvre des traités modernes, mais il reste encore beaucoup à faire pour garantir le respect et l’application des traités dans tous les ministères, et pas seulement au sein de ministères comme Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, avec lesquels nous collaborons régulièrement.
En ce qui concerne le processus collaboratif d’élaboration d’une politique financière, je ne saurais trop insister sur l’importance de ce processus et des ressources qui en découlent pour mon gouvernement. Nous l’avons créé. Il mobilise les gouvernements autonomes de tout le Canada. Nous collaborons donc, je pense, avec 26 autres gouvernements et avec le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord pour obtenir les ressources financières nécessaires à la mise en œuvre de nos accords d’autonomie gouvernementale.
Depuis quelques années, nous travaillons sur trois domaines prioritaires clés. En outre, le Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones comprenait des engagements précis assortis d’une échéance fixée à mars 2024 pour la mise en œuvre des propositions élaborées conjointement quant à la phase 2 du financement de l’infrastructure, aux terres, à la gestion des ressources et des traités, aux langues autochtones et à leur revitalisation. Nous avons évidemment dépassé cette échéance. Nous ne l’avons pas respectée. Nous avons effectué un travail technique considérable dans ces trois domaines prioritaires afin d’élaborer un modèle d’évaluation des besoins en matière de dépenses et un modèle de financement, et de soumettre une proposition au gouvernement. Nous attendons une réponse, et nous espérons recevoir des nouvelles importantes et positives.
En ce qui concerne ces trois domaines, la phase 2 du financement de l’infrastructure est un modèle fondé sur des données probantes. Il est le fruit d’une collaboration intensive entre tous les gouvernements autochtones présents autour de la table et des experts techniques et fiscaux. Nous travaillons en collaboration étroite avec un cabinet d’ingénieurs-conseils réputé, Kerr Wood Leidal. Ce modèle permettra de rompre le cycle des lacunes chroniques en matière d’infrastructure, et de construire et de gérer les actifs nécessaires pour préserver la santé des communautés et servir les générations futures. Il commencera à combler l’écart entre les communautés autochtones et non autochtones afin que nous disposions d’infrastructures comparables à celles de nos voisins non autochtones, et contribuera à remédier au sous-financement chronique et historique de l’infrastructure des communautés autochtones.
En ce qui concerne les ressources foncières et la gestion des traités, notre lien avec la terre est au cœur de notre identité en tant que peuple autochtone. Notre langue, notre histoire et notre culture sont toutes issues de la terre. Le fait de disposer des ressources nécessaires pour prendre soin de nos terres et les gérer est très important pour nous. Grâce à ces ressources, nous pouvons non seulement les protéger et les entretenir, mais aussi contribuer activement à l’économie canadienne. Elles nous permettent d’appuyer le développement économique de nos régions et de veiller à ce que des projets importants voient le jour. Les ressources minérales offrent de nombreuses possibilités dans ma région, et nous devons donc nous assurer que nous sommes en mesure de créer ces débouchés économiques pour notre population. Il est essentiel pour nous de disposer des ressources nécessaires pour mettre en œuvre nos traités relatifs aux ressources foncières et à la gestion des traités.
Ce modèle est également fondé sur des données probantes. L’élaboration du modèle a nécessité une quantité considérable de travail. Il s’appuie sur les modèles d’autres gouvernements, et sur des preuves et des données provenant de toutes nos communautés. Nous avons consacré plus de trois ans de travail acharné à la création de ce modèle.
Je dois également mentionner que le processus collaboratif de création d’une politique financière n’est pas financé. Notre participation à ces discussions n’est pas financée. Nous investissons nos propres ressources et, en tant que gouvernement autochtone, nous avons investi une énorme quantité de ressources parce que ce processus est très important pour nous et que les résultats auront des répercussions considérables sur notre gouvernement et nous permettront de générer des changements et de faire de bonnes choses au sein de nos communautés.
Le dernier domaine prioritaire est la revitalisation des langues autochtones. Je n’ai probablement pas besoin de vous en expliquer l’importance. C’est l’une des premières choses que nous ont enlevées les pensionnats indiens. Je suis la première génération de ma famille à ne pas parler couramment ma langue. Il est donc essentiel, pour l’identité du peuple tlicho, de disposer des ressources nécessaires à la survie de ses langues.
La langue de nombre des représentants des gouvernements autochtones présents autour de cette table est en péril. Certains de mes collègues viennent de communautés qui ne comptent plus que deux locuteurs parlant couramment leur langue. J’ai la chance que ma communauté compte beaucoup plus de locuteurs de ma langue. J’espère donc encore pouvoir l’apprendre. Les ressources que nous avons créées pour le modèle d’évaluation des besoins en matière de dépenses pour les langues autochtones sont basées sur les pratiques exemplaires des programmes de revitalisation des langues autochtones. Nous avons examiné ce qui se fait dans les communautés autochtones du monde entier, et nous nous en sommes inspirés pour créer un modèle qui nous permettrait de prendre des mesures immédiates dans nos communautés et de mettre en œuvre des programmes qui contribueraient à maintenir nos langues en vie.
Nous nous félicitons que le Canada ait reconnu, par l’entremise de la Loi sur les langues autochtones, que les droits des peuples autochtones, établis et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle, comprennent les droits relatifs aux langues autochtones. Le Canada doit toutefois maintenant faire le nécessaire pour financer la revitalisation de nos langues, conformément à l’article 13 de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui exige des États qu’ils prennent des mesures efficaces pour garantir la protection des droits linguistiques des peuples autochtones. Les langues autochtones ont toujours souffert d’un sous-financement chronique, et ce besoin est donc très urgent.
On a effectué des progrès dans la concrétisation des priorités des partenaires des traités modernes du Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, mais il reste encore beaucoup à faire. Nous ne pouvons donc pas encore vraiment parler de victoires, mais je dois dire que nous sommes très satisfaits de la loi relative au commissaire à la mise en œuvre des traités modernes, qui sera présentée demain. Les priorités financières auront des effets positifs considérables sur le terrain pour nos communautés, et cette loi est donc très importante pour nous.
J’espère que ces renseignements vous aideront à formuler vos recommandations au gouvernement du Canada.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos deux témoins. Puis-je poser une question à chacun d’entre eux? Je vais commencer par notre premier témoin, M. Irngaut de Nunavut Tunngavik Incorporated.
Je crois vous avoir entendu parler d’améliorations dans l’offre de services gouvernementaux en inuktitut. Il s’agit de services du gouvernement fédéral. Ce combat a été long et difficile. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, par exemple : De quels services s’agit-il? Quand et où commence-t-on à les offrir? Est-ce à Iqaluit ou ailleurs?
M. Irngaut : Je vous remercie de votre question. Comme l’a dit la deuxième témoin, la langue est en déclin au Nunavut aussi, surtout chez les jeunes. Bien que l’enseignement soit dispensé en inuktitut de la maternelle à la première ou à la deuxième année, la langue continue de régresser. C’est pourquoi l’une de nos priorités, la priorité 11, est l’offre des services fédéraux en inuktitut au Nunavut.
La création du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne est essentielle, car ce dernier doit se pencher sur ces questions, en particulier sur la langue des Inuits au Nunavut. C’est l’une des priorités établies par ce comité : la revitalisation, le maintien, la protection et la promotion de l’inuktitut. Nous devons travailler avec nos représentants régionaux pour promouvoir ces objectifs.
Les ministères fédéraux, en particulier la Direction générale des langues autochtones du ministère du Patrimoine canadien, doivent atteindre trois objectifs principaux. Le premier est l’accès équitable pour toutes les régions inuites aux ressources financières fédérales afin de soutenir l’inuktitut, de le renforcer, de le maintenir et, comme je l’ai dit, de le protéger et de le promouvoir.
Le deuxième est l’évaluation conjointe des besoins financiers pour répondre aux priorités et aux objectifs liés à la langue inuite.
Le troisième concerne la structure et le message des politiques et programmes fédéraux en inuktitut qui soutiennent les Inuits dans tous les domaines que j’ai mentionnés — renforcement, maintien et promotion de la langue — et qui appuient les priorités et les objectifs des Inuits. J’espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice Coyle : Vous avez beaucoup parlé de la préservation de la langue inuktitute, de l’éducation, etc. J’ai cru vous entendre dire que les services du gouvernement fédéral étaient eux-mêmes offerts en inuktitut. Ai-je bien entendu ou ai‑je mal compris? Je sais que certaines personnes font pression, car de nombreux témoins du Nunavut nous ont dit que les services étaient offerts en français et en anglais, alors qu’au Nunavut, l’inuktitut est une langue beaucoup plus parlée que le français, par exemple. Certains services fédéraux sont-ils désormais offerts en inuktitut?
M. Irngaut : C’est le cas de certains services, en particulier de services fédéraux comme ceux du ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, qui est basé à [difficultés techniques] et dont les services sont donc proposés en inuktitut.
Nous pensons davantage à notre avenir, à l’éducation de nos élèves et à l’offre de services de ce type en inuktitut. Certains services sont offerts par des ministères fédéraux, mais c’est pourquoi nous nous efforçons d’établir cette relation de travail avec le Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne afin de créer certains de ces services qui pourront être offerts aux Inuits.
La sénatrice Coyle : Madame Scott-Enns, vous nous avez présenté un rapport très complet. Je vous remercie. Les renseignements que vous nous avez fournis sont très utiles, de même que vos explications sur certains obstacles bureaucratiques et autres. Ce rapport nous a aidés à comprendre.
Vous ai-je bien entendu dire que vous aimeriez collaborer davantage avec le ministère des Finances? Pourriez-vous approfondir ce point si c’est bien ce que vous avez dit? Vous aimeriez collaborer directement avec ce ministère, est-ce exact?
Mme Scott-Enns : C’est exact, c’est ce que j’ai dit. Oui. Notre participation à l’élaboration des projets passe presque toujours par le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord ou d’autres ministères, en fonction du sujet traité. En ce qui concerne l’exercice des compétences en particulier, nous travaillons avec le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord, mais le ministère des Finances ne prend pas part à ces discussions. On nous dit que ce ministère interviendra lorsque nous aurons, je suppose, établi un modèle complet, et qu’ils pourront commencer leur analyse.
Nous estimons que le ministère des Finances doit participer de manière plus proactive à ce travail, car, au bout du compte, c’est lui qui détermine ce qui est adopté. Nous devons comprendre le point de vue de ce ministère sur la façon dont nous pourrions créer ce modèle, afin qu’à mesure que nous élaborons ces projets, ceux-ci passent par le système. Nous devons nous assurer que ces projets sont également co-développés avec le ministère des Finances du Canada, que ce ministère est d’accord et comprend ce que nous essayons de faire, qu’il soutient notre projet et qu’il a son mot à dire dès le début.
La sénatrice Coyle : D’accord. C’est très utile. Je vous remercie. C’est logique.
La sénatrice Boniface : Je vous remercie tous les deux d’être présents.
Ma première question s’adresse à M. Irngaut, du Nunavut. Vous avez parlé de la réglementation de la pêche. J’aimerais obtenir un peu plus de renseignements à ce sujet, car cette question est controversée dans certaines régions du pays.
M. Irngaut : Oui, merci. Comme vous le savez, lorsque le Nunavut a été créé, tous les règlements sur les pêches provenaient de l’ancien gouvernement, c’est-à-dire de l’époque où nous relevions du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Nous avons de bonnes relations de travail avec le ministère des Pêches et des Océans et nous essayons d’élaborer petit à petit la réglementation sur les pêches du Nunavut.
Nous disposons d’un groupe de travail qui se penche depuis plusieurs années sur la mise en place du processus et sur l’élaboration de ces accords. Nous entretenons actuellement de bonnes relations de travail avec le ministère des Pêches et des Océans.
Comme vous le savez, nous avons des problèmes avec l’attribution des licences au Nunavut. C’est une question de contiguïté. Les pêcheurs du Sud obtiennent 100 % des permis parce qu’ils sont adjacents à leurs pêcheries, mais ici, la situation est différente. Les Inuits ne reçoivent pas 100 % des permis. Nous espérons qu’à l’avenir, les entreprises inuites du Nunavut recevront près de 100 % des permis, voire 100 %.
Nous travaillons à la réalisation de cet objectif. Nous devons l’atteindre, car c’est l’une des mesures qui pourraient réellement aider les Inuits à l’avenir dans les domaines de la pêche et des ressources de développement au Nunavut, lorsque nous pourrons avoir nos propres pêcheries et créer des emplois pour les Inuits dans l’industrie des pêches.
La sénatrice Boniface : J’aimerais revenir sur les commentaires que vous avez formulés au sujet de la sécurité nationale. Le Nord joue un rôle essentiel à cet égard. J’aimerais savoir comment les choses se déroulent. Existe-t-il un accord‑cadre avec le gouvernement ou avec les Forces armées canadiennes? Quelle est la nature de cette collaboration? Pouvez‑vous formuler des commentaires à ce sujet? Je vous remercie.
M. Irngaut : Comme vous le savez, la souveraineté est cruciale. Il y a deux communautés qui existent au Nunavut en raison de la souveraineté dans l’Arctique parce que le Canada voulait faire de l’Extrême-Arctique une partie du Canada. Nous aidons déjà le Canada à résoudre la question de la souveraineté en étant simplement ici et en concluant des traités modernes avec le gouvernement.
La sécurité et la défense sont très importantes pour nous. Comme vous le savez, c’est une question qui peut être très difficile. L’Arctique est en droite ligne avec la Russie. Il est essentiel que notre Arctique soit protégé, et nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement et la Défense nationale pour moderniser nos systèmes de défense dans le Nord. Les lignes ont été modernisées, mais il faut en faire plus. Les navires de la Garde côtière et de guerre modernisés qui viennent dans le Nord contribuent à instaurer notre souveraineté. Cela montre que le gouvernement travaille avec les Inuits pour assurer notre sécurité nationale. Il est impératif qu’il travaille en étroite collaboration avec nos Rangers canadiens. Comme vous le savez, ils sont les premiers à savoir tout ce qui se passe dans le Nord. Ils sont essentiels au soutien qu’ils fournissent à la défense nationale.
La sénatrice Osler : Je poserai la même question aux deux témoins. Je commencerai peut-être par Mme Scott-Enns.
C’est la même question que j’ai posée au dernier témoin. Elle concerne l’article 24 et le droit à la santé, plus précisément le droit à la pharmacopée traditionnelle et le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible. J’aimerais entendre ce que vous avez à dire, à commencer par Mme Scott‑Enns, sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de l’article 24 et du droit à la santé.
Mme Scott-Enns : Merci de cette question. C’est un domaine très important parce que, comme vous le savez, il y a beaucoup de défis sociaux dans nos communautés, aux prises avec de nombreux problèmes de santé mentale et de toxicomanie.
À titre de gouvernement, nous travaillons fort pour combler les nombreuses lacunes qui existent afin d’apporter de l’aide à cet égard. Il existe beaucoup de lacunes en matière de services à l’heure actuelle. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest est responsable de la plupart des services de santé dans la région, mais comme les soins de suivi et de rétablissement sont lacunaires dans les établissements de traitement en santé mentale et de traitement pour les jeunes, nous nous efforçons de recueillir des fonds auprès de différentes sources et nous avons entrepris d’offrir nos propres programmes et services.
Nous sommes aussi plus efficaces dans ce domaine. Nous connaissons nos gens, nous savons comment travailler avec eux, nous savons ce dont ils ont besoin et ils nous font confiance. Notre ministère de la Guérison et du Bien-être communautaire accomplit un travail remarquable, mais il est terriblement sous‑financé et grappille des fonds venant de diverses ententes de contribution. Le financement bilatéral direct et durable du gouvernement du Canada aurait une incidence considérable.
Nous recevons également des ressources du Fonds d’équité en santé autochtone. Tout cet argent sera affecté aux programmes de santé mentale et de lutte contre les dépendances.
Nous n’en sommes même pas au point de pouvoir penser à la façon d’élaborer des programmes de bien-être qui tirent parti d’outils comme la pharmacopée traditionnelle. Nous mettons toute notre énergie à maintenir notre peuple en vie. L’une des meilleures façons de procéder consiste à établir un lien avec la terre. Nous envisageons donc vraiment d’instaurer de nombreux programmes de guérison sur la terre.
La sénatrice Osler : Je vous remercie.
M. Irngaut : Merci de cette question. Parmi nos priorités figurent l’amélioration de l’équité en santé pour les Inuits et la promotion de l’autodétermination des Inuits dans le domaine des services de santé. Nous avons travaillé avec les ministères par l’intermédiaire du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne.
NTI a préparé une demande de proposition en vue d’une étude de faisabilité sur la création d’un poste d’ombudsman de la santé des Inuits. Voilà ce que nous voulons créer. Cet ombudsman permettrait de résoudre les problèmes de santé des Inuits dans le système de soins de santé du Nord. Nous prévoyons financer cette initiative par l’entremise du fonds pour la lutte contre le racisme envers les Autochtones afin de mieux comprendre les problèmes de santé auxquels sont confrontés les Inuits. Nous avons reçu plus de 14 millions de dollars par année pour 10 ans au titre du Fonds d’équité en santé. Ce financement a commencé au cours du présent exercice financier, soit celui de 2023-2024. Nous avons proposé à notre conseil d’administration de déplacer des fonds dans l’avenir à cette fin.
Notre message clé serait de créer un poste d’ombudsman pour le Fonds d’équité en santé afin que nous puissions déterminer exactement ce qu’il est nécessaire de faire. Nous avons pris des mesures par le passé, surtout pendant la pandémie de COVID-19 ou à propos de la tuberculose. La tuberculose est un problème de taille ici. Comme vous le savez, il fait froid ici et la tuberculose court depuis longtemps. Vous avez probablement entendu des histoires d’horreur sur les gens amenés dans le Sud pour y être soignés. Nous avons des paramètres pour les patients atteints de tuberculose pendant la COVID et pendant le traitement de la tuberculose. Nous offrons un soutien aux familles à cet égard.
Nous essayons lentement de comprendre les problèmes de santé auxquels sont confrontés les Inuits, et nous y arriverons si nous pouvons créer ce poste d’ombudsman. Merci.
Le sénateur McNair : Natan Obed a comparu devant le comité et a déclaré qu’au chapitre des langues autochtones, nous sommes encore largement en grande difficulté en raison de la faiblesse de la Loi sur les langues autochtones et qu’il espérait que l’inuktitut obtienne le statut de langue officielle. Nous avons entendu Terry Teegee, de l’Assemblée des Premières Nations, regretter essentiellement la même chose, déplorant qu’alors que nous célébrons les langues autochtones, elles ne soient pas suffisamment protégées.
Madame Scott-Enns, vous avez traité brièvement de certaines difficultés dans votre propre communauté. Vous avez parlé du modèle de pratiques exemplaires que vous avez adopté. Pourriez‑vous nous en dire un peu plus à ce sujet et nous indiquer si, selon vous, le gouvernement du Canada — et je pense que je sais quelle sera la réponse puisque Finances Canada n’est pas encore à la table — a à cœur de fournir du financement à long terme pour les initiatives relatives aux langues autochtones?
Mme Scott-Enns : Dans le cadre de notre approche de l’élaboration de nos modèles financiers, nous avons fait beaucoup de travail technique pour nous assurer que ces modèles sont fondés sur des données probantes pour que lorsque nous nous adressons au gouvernement du Canada pour lui dire que nous avons besoin de financement pour mettre en œuvre nos traités et nos accords d’autonomie gouvernementale dans ce domaine, nous n’arrivions pas avec des chiffres approximatifs. Nous avons fait beaucoup de travail pour élaborer le modèle afin qu’il soit fondé sur des données probantes et des facteurs concrets pour tenir compte du contexte très divers, puisque 26 gouvernements autonomes autochtones sont à la table. Lorsque nous élaborons ces modèles, nous étudions souvent d’autres régions où nous pouvons obtenir des données et des points de référence pour éclairer l’élaboration d’un modèle. Pour des questions comme les ressources foncières, la gestion des traités et les infrastructures, nous pouvons examiner directement les données des gouvernements provinciaux et territoriaux afin de déterminer comment nous pourrions élaborer ces modèles. Il existe des données ailleurs. Il y a de l’information sur les postes dont on a besoin pour remplir certaines fonctions au sein du gouvernement.
Mais c’est légèrement différent pour les langues autochtones parce qu’elles n’existent pas, parce que nos langues sont en grande difficulté dans toutes les communautés. Nous devons donc trouver une approche quelque peu différente pour élaborer ce modèle. Comme nous n’avions pas encore de système fructueux pour nous inspirer et dire que c’était ce dont nous avions besoin et que c’était ainsi que nous devions procéder, nous avons décidé que nous devions d’abord mettre l’accent sur la revitalisation des langues. Les besoins en matière de langues autochtones sont légion et vont au-delà de la revitalisation linguistique. L’autre témoin ici présent est entièrement bilingue. Mon gouvernement l’est également. L’Assemblée tlicho fonctionne entièrement dans notre langue. Pour fonctionner de façon bilingue, notre gouvernement a besoin de ressources financières. Nous n’avons même pas commencé à examiner cet aspect. Actuellement, nous cherchons à garder nos langues en vie. Le modèle est donc axé précisément sur la revitalisation.
Pour voir quels programmes nous devrions offrir dans nos communautés pour garder les langues vivantes, nous avons engagé un entrepreneur pour réaliser pour nous des recherches afin d’examiner ce qu’il s’est fait à Hawaï, en Nouvelle-Zélande et dans certaines communautés du Canada et qui fonctionne. Parmi les pratiques exemplaires figurent des initiatives comme les programmes de revitalisation de la langue au niveau préscolaire, les programmes d’immersion pour adultes et les programmes d’apprentissage avec mentor. Nous avons donc entrepris de calculer le coût exact de la prestation de ces programmes pour chacune de nos nations. Pour être honnête, je pense que le premier chiffre qui est sorti était presque de 1 milliard de dollars. Nous avons calculé combien il en coûterait à toutes les nations autour de la table de mettre ces programmes en œuvre, et c’était une somme substantielle. Les restrictions financières étaient sans cesse évoquées.
Pour essayer d’obtenir quelque chose, ce qui est mieux que rien, nous avons allégé le modèle pour nous concentrer sur l’immersion des adultes et, je pense, les programmes de revitalisation de la langue. Initialement, toutefois, le modèle comprenait tout un éventail de programmes.
C’est ainsi que nous avons conçu le modèle autour des programmes de revitalisation linguistique.
Le sénateur McNair : On attend toujours que Finances Canada se présente à la table.
Mme Scott-Enns : À ce stade-ci, dans le cadre du processus financier, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada intègre le modèle au système et je pense que les organismes centraux commencent leur analyse. Je ne sais pas exactement où cela bloquera, mais la langue est un problème que nous avions presque réglé il y a longtemps. Je ne saurais trop insister sur le sentiment d’urgence qui entoure cette question. Un des gouvernements autour de la table a perdu une des cinq personnes qui parlaient couramment la langue pendant que nous travaillions à ce modèle. Il est donc probablement plus important d’obtenir des ressources en temps opportun pour les langues que pour toute autre question. Les répercussions sont incommensurables.
Le sénateur McNair : Merci.
Le vice-président : Je vous remercie. La sénatrice Boniface veut faire une deuxième intervention.
La sénatrice Boniface : C’est correct. Le sénateur McNair a posé ma question.
Le vice-président : D’accord.
La sénatrice Greenwood : Je vous remercie tous les deux de témoigner ici ce soir. Je voulais simplement éclaircir un point avec vous, monsieur Irngaut. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que vous aviez un traité et que la DNUDPA a servi de base pour le Partenariat des traités inuits. Ai-je bien entendu, ou est-ce votre relation qui se base sur la DNUDPA? Vous avez également parlé des autres façons dont la DNUDPA a servi de base pour l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Vous avez ensuite dit que la DNUDPA était importante pour les pêches du Nunavut et pour l’utilisation des services linguistiques et gouvernementaux. Ai-je bien compris?
M. Irngaut : Merci de cette question. Comme je l’ai indiqué plus tôt, c’est une des questions dont nous avons commencé à discuter au sein du Comité de partenariat entre les Inuits et la Couronne. Vous n’ignorez pas que l’inuktitut n’est pas une langue reconnue par le Canada; seuls le français et l’anglais le sont. Il est donc très difficile de faire reconnaître l’inuktitut à l’échelle fédérale. Avec ce comité, nous œuvrons à la création et à la protection de l’inuktitut. Notre prochaine réunion avec ce comité aura lieu en novembre, et c’est l’un des sujets que nous aborderons à nouveau, bien entendu.
Les ministères doivent comprendre avec qui ils travaillent, surtout dans le Nord où la majorité des gens parlent l’inuktitut. Mais comme nos interlocuteurs ne parlent que l’anglais ou le français, il est parfois très difficile de les faire changer d’avis, surtout dans le cas des bureaucrates. Avec ce comité, nous y arrivons lentement, mais comme je l’ai indiqué plus tôt, il faut en faire beaucoup plus. Merci.
La sénatrice Greenwood : Merci. Je vous invite à nous en dire davantage sur deux priorités que vous avez mentionnées, soit l’éducation et la petite enfance. Je pense que je peux deviner pourquoi l’accent est mis là-dessus. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus ce que vous entendez par « petite enfance »? Qu’est-ce que cela signifie dans votre communauté, dans votre région? Et pourquoi en est-il ainsi?
Mme Scott-Enns : C’est drôle, parce que nous avons nous-mêmes beaucoup parlé de la distinction entre la petite enfance et l’éducation, comme s’il s’agissait de deux choses différentes. Vous savez, pour être honnête, ces deux sujets sont mentionnés séparément dans notre traité, mais en réalité, les Tlichos considèrent qu’il s’agit d’une seule et même chose. Lorsque nous avons commencé à parler de la mise en œuvre de ces compétences, nous avons considéré qu’elles vont ensemble.
Pour nous, l’éducation englobe tous les programmes de la petite enfance que vous offrez, à partir de la grossesse, dans le ventre de la mère. Cela inclut des démarches comme les programmes de santé, le travail sur la santé maternelle, les programmes de préparation à l’accouchement, les programmes pour une famille en santé qui offrent aux mères, aux parents et à leurs enfants des occasions d’adopter un mode de vie sain, les services de garderie, les programmes préscolaires et les centres d’apprentissage pour les jeunes enfants. Dans les Territoires du Nord-Ouest, les Occidentaux, avec leur compréhension de l’éducation, ont mis l’accent sur l’éducation de la maternelle à la 12e année, mais pour nous, l’éducation commence dans le ventre de la mère, alors la petite enfance et l’éducation sont des domaines que nous traitons ensemble. Parmi les programmes concrets dont nous voulons assumer immédiatement la responsabilité figurent les garderies et les programmes pour une famille en santé.
Pour certaines de ces compétences, il ne faut pas nécessairement adopter de loi pour les mettre en œuvre. Pour certaines d’entre elles, on procède par transfert de programmes. Nous voulons assumer la responsabilité des programmes qui existent déjà. C’est un autre domaine où le Canada a beaucoup de travail à faire pour créer le cadre stratégique qui nous aidera à prendre en charge ces programmes et à avoir accès au financement dont nous avons besoin pour le faire, car ces programmes stratégiques n’existent pas actuellement.
La sénatrice Greenwood : À cet égard, je ne connais pas votre accord d’autonomie gouvernementale et je vais parler de la petite enfance. C’est ce que je connais le mieux. Il existe des programmes Grandir ensemble, l’Association canadienne des écoles publiques – International, ou ACEP-I, des programmes de santé maternelle et infantile, d’apprentissage préscolaire et de garde d’enfants, des programmes autochtones et non autochtones. Est-ce de ce genre de programmes que vous parlez en disant que votre nation les gérerait elle-même?
Mme Scott-Enns : Actuellement, de nombreux programmes destinés à la petite enfance sont offerts par le gouvernement territorial des Territoires du Nord-Ouest. Par exemple, le financement des garderies est versé au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest qui nous transfère ensuite les fonds. Nous voulons plutôt recevoir ces fonds directement. Nous avons des accords bilatéraux pour le financement de l’Initiative sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants autochtones, ou AGJEA. Mais nous avons aussi constaté que bon nombre de ces programmes de financement sont élaborés selon la façon de penser occidentale. Dans le domaine de la petite enfance, la nation tlicho a une vision holistique des choses.
Il ne suffit pas de nous remettre le financement actuellement versé au gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, car nous ne cherchons pas à mettre en œuvre les mêmes programmes que ceux qu’offre le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, puisqu’ils ne fonctionnent pas pour nous. Nous essayons de bâtir notre propre vision et de créer nos propres programmes et services fondés sur notre langue, notre culture et notre mode de vie. Pour ce faire, il faut que tous les gouvernements concernés aient une vision totalement nouvelle de la façon dont ils financent les programmes parce que les programmes et les cadres de financement sont conçus selon une approche occidentale et non pas selon une approche holistique autochtone à la prestation des services.
La sénatrice Greenwood : Je vous remercie.
Le vice-président : Le temps prévu pour ce groupe de témoins est maintenant écoulé. Je tiens à remercier les deux témoins d’être venus aujourd’hui et de nous avoir aidés. Notre rencontre a été fort instructive. Merci d’avoir comparu. Je dis à chaque témoin que s’il a quelque chose à ajouter dans un mémoire ultérieur, qu’il l’envoie au greffier par courriel.
(La séance est levée.)