Aller au contenu
NFFN - Comité permanent

Finances nationales


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 19 mars 2024

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 15 h 6 (HE), pour étudier le Budget supplémentaire des dépenses (C) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et aux téléspectateurs dans l’ensemble de notre merveilleux pays qui nous regardent sur sencanada.ca.

[Français]

Je m’appelle Percy Mockler, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je suis président du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter, en commençant par ma gauche.

Le sénateur Forest : Éric Forest, division sénatoriale du Golfe, au Québec. Nous vous souhaitons à tous la bienvenue.

Le sénateur Gignac : Clément Gignac, du Québec.

La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice MacAdam : Jane MacAdam, de l’Île-du-Prince-Édouard.

La sénatrice Pate : Bienvenue, et je vis ici sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.

La sénatrice Kingston : Bienvenue. Joan Kingston, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Ross : Bonjour. Krista Ross, du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le président : Merci, honorables sénateurs.

Aujourd’hui, nous commencerons notre étude des dépenses énoncées dans le Budget supplémentaire des dépenses (C) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024, qui a été renvoyé à ce comité par le Sénat du Canada le 26 février 2024.

[Français]

Nous avons encore aujourd’hui le plaisir d’accueillir Yves Giroux, directeur parlementaire du budget. Monsieur Giroux, merci de votre disponibilité et merci de prendre le temps d’aider notre comité.

[Traduction]

Il s’agit de la transparence, de la reddition de comptes ainsi que de la prévisibilité et de la fiabilité de nos budgets.

M. Giroux est accompagné de Jill Giswold, analyste principale, Bureau du directeur parlementaire du budget, et de Kaitlyn Vanderwees, analyste, Bureau du directeur parlementaire du budget. Merci également d’accompagner le directeur parlementaire du budget.

C’est toujours très instructif, monsieur Giroux, de vous accueillir. Votre témoignage aide toujours notre comité à se concentrer sur nos quatre principaux sujets : la transparence, la reddition de comptes, la fiabilité et la prévisibilité. Sur ce, je vous cède la parole pour vos commentaires, qui seront suivis des questions des sénateurs.

[Français]

Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Honorables sénateurs, je vous remercie de nous avoir invités à témoigner aujourd’hui. Je suis heureux d’être ici pour discuter de notre rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (C) de 2023-2024, qui a été publié le 22 février dernier.

Je suis accompagné aujourd’hui de nos analystes principales pour ce rapport, Jill Giswold et Kaitlyn Vanderwees. Le Budget supplémentaire des dépenses (C) de 2023-2024 du gouvernement présente des autorisations budgétaires supplémentaires de 13,2 milliards de dollars. Les autorisations votées, qui nécessitent l’approbation du Parlement, totalisent 8,9 milliards de dollars.

Les autorisations législatives, pour lesquelles le gouvernement a déjà reçu l’autorisation de dépenser du Parlement, totalisent 4,3 milliards de dollars. Cette augmentation est en grande partie attribuable à une hausse de 3,2 milliards de dollars des intérêts sur la dette non échue.

[Traduction]

Les principaux secteurs de dépenses prévues dans le dernier Budget supplémentaire des dépenses du gouvernement pour 2023-2024 comprennent le personnel, la défense nationale, l’exécution des programmes autochtones et l’aide financière aux étudiants.

Le Budget supplémentaire des dépenses (C) comprend un montant supplémentaire de 409 millions de dollars pour les mesures du budget de 2023, ce qui porte le total des dépenses prévues à ce jour dans le budget de 2023 à 10,4 milliards de dollars, à l’exclusion des mesures hors cycle. Afin d’aider les parlementaires à examiner le budget de 2023, mon bureau a préparé et publié des tableaux de suivi qui énumèrent toutes les initiatives budgétaires, les dépenses prévues et l’autorisation législative de financement correspondante.

Nous serons heureux de répondre à vos questions sur notre analyse du Budget supplémentaire des dépenses (C) de 2023-2024 ou sur tout autre travail de mon bureau. Merci.

Le président : Merci, monsieur Giroux.

Honorables sénateurs, nous commencerons la première série de questions avec cinq minutes chacun.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie, monsieur Giroux, d’être ici et je souhaite également la bienvenue à vos fonctionnaires.

J’ai lu la plupart de vos rapports et beaucoup de documents financiers du gouvernement, et j’en suis venu à la conclusion que le gouvernement n’est pas bon avec les chiffres. Il y a plusieurs raisons à cela.

Dans votre rapport sur les dépenses en immobilisations, que vous avez publié il y a quelque temps, ils continuent de pousser leurs dépenses en immobilisations plus loin dans l’avenir, et ils ne dépensent pas non plus ce pour quoi ils ont reçu des fonds. Le Budget principal des dépenses même est incomplet. Nous recevrons un budget à la mi-avril, de sorte que les chiffres vont augmenter, et nous venons de recevoir le Budget principal des dépenses. Les projections des coûts du service de la dette changent constamment selon chaque document financier. Selon votre rapport, les coûts liés au personnel, aux équivalents temps plein, ou ETP, devaient diminuer en 2023-2024, mais ils ont plutôt augmenté. Le budget des services professionnels devait diminuer, mais il a augmenté. En examinant leur stratégie d’endettement en avril dernier par rapport à novembre, ils ont emprunté progressivement 71 milliards de dollars de plus.

Les chiffres semblent changer constamment. Avez-vous des observations à faire à ce sujet? Qu’est-ce qui empêche le gouvernement de nous fournir des renseignements plus fiables?

M. Giroux : Sénatrice, je crois que vous avez résumé les derniers rapports en une courte phrase. Je vais peut-être l’emprunter pour référence future.

Je ne sais pas s’il y a un problème en soi — ou je devrais dire que c’est un problème pour beaucoup de gens, mais je ne dirais pas que c’est parce que le gouvernement n’est pas nécessairement bon avec les chiffres ou qu’il sait quel est le véritable plan, mais ne nous le dit pas. Il indique aux Canadiens et aux parlementaires, par exemple, que le nombre d’ETP diminuera. Ensuite, lorsque les plans de l’an prochain seront publiés, nous constaterons qu’il n’y aura pas de diminution. Il y a une augmentation. C’est ce que nous constatons constamment dans le cas des ETP. Nous le constatons dans le cas du plan général de dépenses. Par exemple, si vous examinez un budget, vous constaterez qu’il y a un suivi des dépenses. Dans l’énoncé de l’automne, il y a un suivi des dépenses qui est révisé à la hausse. Il continue de cette façon. Qu’il s’agisse d’une mauvaise planification ou d’un plan implicite qui vise à ne pas tout révéler, voilà la grande question. Je ne connais pas la réponse à cette question.

La sénatrice Marshall : Il semble toujours que la variation des chiffres soit nuisible en ce sens qu’ils n’atteignent pas leurs cibles de rendement. Ils n’arrivent pas mieux que prévu; ils arrivent toujours pires que prévu. Il me semble qu’il y a quelque chose qui cloche ici. Pouvez-vous penser à des cas où les résultats ont été meilleurs que prévu plutôt que pires que prévu? Cela équilibrerait les choses.

M. Giroux : Nous avons eu d’agréables surprises au sujet du déficit.

L’année dernière, je crois, et l’année d’avant, ou quelques années d’affilée, le plan devait afficher un déficit à un certain niveau, et le déficit final a été moins élevé que prévu, donc mieux que le déficit prévu. Cela s’est produit au moins deux fois, si ma mémoire est bonne. Cela s’explique en grande partie par le fait que les recours aux dépenses liées aux mesures d’aide liées à la COVID-19 ont été moins élevés que prévu ou que les recettes ont été supérieures aux prévisions. Cela s’est donc produit, mais, de façon générale, en ce qui concerne le suivi des dépenses, elles sont révisées à la hausse, comme vous l’avez souligné.

La sénatrice Marshall : Certains des chiffres qui font état du déficit sont assez proches de ce qu’ils pensaient, ou un peu meilleur. J’ai l’impression qu’ils limitent certaines de leurs initiatives budgétaires afin d’atteindre la cible. En voyez-vous des signes?

M. Giroux : Je ne sais pas si c’est conscient ou non. Nous voyons que les ministères ont beaucoup de fonds inutilisés, mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. En tant que contribuable, je préférerais que les ministères aient des fonds inutilisés plutôt que de dépenser à n’importe quel prix pour éviter ces fonds. Les fonds inutilisés peuvent être un signe de gestion prudente, mais aussi un signe de planification moins qu’optimale. C’est tout ce que j’ai à dire à ce sujet.

La sénatrice Marshall : Merci.

[Français]

Le sénateur Forest : Merci aux témoins d’être ici. C’est toujours très intéressant. Ma première question concerne l’approvisionnement militaire. Près de 17 % des sommes demandées concernent l’achat sans appel d’offres de 16 aéronefs Poseidon fabriqués par Boeing.

Je n’arrive pas à comprendre la logique pour ce qui est de faire de pareils investissements d’équipements sans faire un appel d’offres, surtout qu’il pourrait y avoir une compagnie canadienne, qui pourrait soumissionner après avoir présenté un devis bien élaboré. Comment peut-on expliquer ce genre de décision en ce qui concerne l’approvisionnement, l’ampleur du contrat et, surtout, l’origine du fabricant? Comment peut-on logiquement expliquer cela pour la saine gestion des fonds publics?

M. Giroux : C’est une question à laquelle le ministre de la Défense nationale pourrait répondre mieux que moi. Par contre, je peux vous donner mon impression en me basant sur les discussions et les travaux que nous avons effectués sur les questions de défense nationale.

En ce qui concerne le remplacement des CP-140 Aurora par les avions Poseidon, la question qui se posait — et qui se pose toujours, d’ailleurs, étant donné que la décision a été prise — est que si le gouvernement avait décidé de faire un appel d’offres, il y avait un risque que, le temps que l’appel d’offres soit conclu, la compagnie Boeing, qui fabrique les avions Poseidon, n’ait plus été en train de les fabriquer, ce qui aurait éliminé un des fournisseurs potentiels.

Donc, faire un appel d’offres aurait apparemment tellement retardé le processus que les avions Poseidon n’auraient plus été disponibles pour le gouvernement fédéral et que l’autre solution, selon ce que l’on comprend, était un appareil de Bombardier qui n’a pas encore fait ses preuves. C’est l’explication qu’on semble nous fournir pour expliquer l’absence d’appel d’offres pour le remplacement des appareils Aurora.

Le sénateur Forest : On semble percevoir que le fameux appareil Poseidon est une fin de ligne.

M. Giroux : Oui.

Le sénateur Forest : Donc, on achète du « vieux stock neuf » au lieu de demander une soumission sur un devis précis. Je dois avouer qu’il y a là une logique que j’arrive difficilement à saisir. Je sais que ça vole haut dans les nuages, les avions Poseidon, mais je n’arrive pas à comprendre cette rationalité administrative.

M. Giroux : Comme je ne suis pas un spécialiste des approvisionnements ni des approvisionnements militaires, je ne suis pas en mesure de dire si l’appareil Poseidon est un meilleur choix que le concurrent offert par Bombardier, ou vice versa.

On ne le sait pas. C’est une question à laquelle le ministre et les hauts fonctionnaires de la Défense nationale devraient être en mesure de fournir une réponse satisfaisante.

Le sénateur Forest : Le 5 mars dernier, vous avez affirmé dans votre mise à jour économique que l’inflation devrait revenir à sa cible de 2 % d’ici 2024. L’inflation est en bonne voie de se résorber. Selon votre analyse, cette réduction de l’inflation est‑elle le résultat de la politique monétaire de la Banque du Canada?

M. Giroux : C’est un ensemble de facteurs. La politique monétaire a joué un rôle en modérant la demande dans plusieurs secteurs de l’économie. Il y a aussi eu la résorption de problèmes dans les chaînes d’approvisionnement qui rendaient l’obtention de biens assez difficile. Tous ceux et celles qui ont essayé d’acheter des voitures en 2021-2022 et même 2023 trouvaient difficile de dénicher les modèles qu’ils recherchaient. Voilà un exemple de chaîne d’approvisionnement qui ne fonctionnait pas très bien et qui poussait plusieurs prix à la hausse. Ce phénomène s’est résorbé.

De plus, le prix des matières premières est à la baisse de façon générale. Cependant, la hausse du taux d’intérêt a évidemment contribué à apaiser la demande. Les deux facteurs ont joué dans la même direction et poussé dans la même direction : on baisse la demande et on améliore l’offre. C’est en bonne partie le résultat du travail de la Banque du Canada, mais aussi du secteur économique et des forces du marché qui se sont ajustées à la suite des perturbations de la pandémie.

Le sénateur Forest : Dans le même ordre d’idées, certains analystes estiment que la Banque du Canada est mal équipée pour combattre l’inflation lorsque celle-ci est liée à l’offre. D’ailleurs, ce matin, M. Claude Lavoie, dans un article du Globe and Mail, disait qu’il fallait faire des changements structurels à la Banque du Canada afin que celle-ci soit mieux équipée pour faire face à de telles situations. Êtes-vous d’accord avec cet énoncé?

M. Giroux : Donner un mandat à la Banque du Canada sur le plan de la stabilité des prix est probablement une très bonne idée. Plus on donne une variété de mandats, ou plus on ajoute des éléments au mandat d’une institution comme la Banque du Canada — dont les outils sont limités —, plus on risque de se retrouver avec une situation qui est sous-optimale. Le mandat de la banque sur le plan de la stabilité des prix, étant donné les outils qui sont à sa disposition, est une voie qui me semble appropriée. Si on voulait modifier ce mandat et y ajouter des éléments, il faudrait probablement lui donner plus d’outils, parce que ces outils sont limités actuellement au taux d’intérêt, aux liquidités et à la supervision du secteur bancaire, dans une certaine mesure. Quand la boîte à outils est limitée, on ne peut pas non plus donner de trop vastes mandats. Comme le dit le dicton, quand on a un marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous. La boîte à outils de la banque est quand même limitée.

Le sénateur Forest : On va continuer à dire que vos témoignages sont bons comme la Banque du Canada.

Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Giroux, ainsi qu’à votre équipe. Permettez-moi de parler au nom de plusieurs de mes collègues pour vous remercier du travail que vous faites comme directeur parlementaire du budget, à un tel point qu’au Québec, l’Assemblée nationale songe actuellement à créer un poste de directeur parlementaire du budget, parce qu’ils voient qu’ici, à Ottawa, il est vraiment utile aux parlementaires. Un projet de loi a été déposé au Québec à cet effet.

Je vais continuer sur la lancée de mon collègue le sénateur Forest sur la politique monétaire et le taux d’intérêt. Je remarque que, par rapport au consensus des économistes, vous voyez des baisses de taux plus rapides et aussi plus importantes : non seulement vous parlez du mois d’avril, peut-être même avec une baisse de taux — quoique les chiffres de ce matin vont dans votre sens —, mais vous parlez aussi de 2,5 % pour 2025. C’est quand même substantiel par rapport au consensus des économistes. Est-ce parce que vous travaillez avec des hypothèses différentes sur le taux neutre? La moyenne des économistes penche autour de 100 ou 150 points de base au lieu de 250 points de base de baisse de taux, à moins que je n’aie pas pris le bon tableau. J’aimerais avoir une réponse à cet effet.

M. Giroux : En effet, on semble plus optimiste que certains en matière d’inflation. Les chiffres de ce matin, comme vous le mentionniez, indiquent que l’inflation est dans la bonne direction. Selon nos projections, on croit que les conditions économiques seront réunies pour que la banque puisse commencer à réduire son taux d’intérêt en avril. Cela ne veut pas nécessairement dire que la banque va le faire, parce que c’est une opinion basée sur nos projections, et la banque pourrait avoir d’autres raisons de retarder quelque peu la baisse des taux d’intérêt.

Cela dit, dans notre modèle, même si la baisse de taux ne se produisait pas en avril, mais plutôt en mai ou en juin, cela n’affectera pas beaucoup la croissance économique dans nos prévisions. On estime que la banque va baisser son taux et qu’à la fin de l’année 2024, le taux pourrait se retrouver à 3,5 %, alors qu’il est actuellement à 5 %. Cette évaluation se base sur une série de facteurs, comme la bonne tenue de l’économie, mais aussi la baisse des taux d’intérêt et de l’inflation. L’économie qui ralentit, qui croît très peu et la baisse des pressions inflationnistes qui viennent, par exemple, des prix des matières premières — quoique le pétrole commence à remonter un peu —, tous ces facteurs suggèrent qu’une baisse du taux d’intérêt en avril est possible avec les conditions économiques actuelles.

Le sénateur Gignac : Sur un autre sujet, on va profiter de l’occasion de vous avoir parmi nous aujourd’hui pour vous questionner sur le budget qui s’en vient à la mi-avril. Pour ce qui est de vos hypothèses, vous disiez, dans votre document du début de mars, que vous révisiez à la hausse les déficits budgétaires de l’ordre de 7,9 milliards de dollars en moyenne par année pour les cinq prochaines années. En clair, cela voudrait même dire qu’on serait au-dessus de 40 milliards de dollars pour l’année qui se termine bientôt, ce qui serait davantage que ce que la ministre s’est engagée à faire sur le plan de ses ancrages budgétaires. Croyez-vous qu’il est possible que le gouvernement respecte ses engagements sans augmenter le fardeau fiscal des Canadiens? Si vous étiez consulté, comment orienteriez-vous Mme Freeland dans ses choix budgétaires?

M. Giroux : Heureusement, ce n’est pas mon rôle de faire des suggestions sur la politique budgétaire et les choix qui sont difficiles à faire en matière de politique économique et budgétaire. Ce que l’on prévoit dans notre mise à jour est qu’en effet, le déficit pour l’année qui s’achève le 31 mars devrait être de 47 milliards de dollars environ. On se base sur l’information disponible en février. Il est donc possible que la ministre des Finances et vice-première ministre ait des renseignements plus à jour qui lui ont permis de suggérer que le déficit se situerait autour de 40 milliards de dollars cette année. On verra le 16 avril.

Le gouvernement s’est aussi engagé à ce que le déficit ne dépasse pas 1 % de l’économie en 2026-2027. Si l’on se base sur nos projections, ce sera difficile, parce que sans inclure la prestation pour invalidité, il y a un programme national d’assurance médicaments et une croissance importante des dépenses en matière de défense, et le déficit est déjà à 0,8 % de l’économie. Il ne reste pas beaucoup de marge de manœuvre si le gouvernement veut s’en tenir à 1 % ou faire un déficit moindre par rapport à la taille de l’économie en 2026-2027 et s’il veut aussi livrer la marchandise sur ces engagements sans hausser les taxes et les impôts. Il y a beaucoup de contraintes qui se pointent à l’horizon pour cette année budgétaire 2026-2027.

Le sénateur Gignac : Si je comprends bien, vos projections ne tiennent même pas compte des engagements que le Canada devrait prendre par rapport à l’OTAN, parce qu’on est le seul pays qui n’a pas de plan pour être à 2 % du PIB dans les prochaines années. L’entente entre le NPD et le gouvernement sur le programme national d’assurance médicaments ne fait pas partie de vos projections?

M. Giroux : L’entente sur le programme national d’assurance médicaments n’est pas incluse dans nos prévisions, ni une hausse potentielle du budget de la défense, ni la mise en place du programme d’invalidité en vertu du projet de loi C-25, je crois, qui a reçu la sanction royale il y a plusieurs mois.

[Traduction]

Le sénateur Smith : Bienvenue encore une fois, monsieur Giroux et les gens qui vous aident à produire cette information.

En ce qui concerne les affectations bloquées, qui sont des fonds que le Parlement a déjà approuvés, mais qui ont été bloqués par le Conseil du Trésor, ils ont jusqu’à présent augmenté de 4,1 milliards de dollars par rapport à l’année dernière, mais 1,4 milliard de dollars d’affectations bloquées parmi ces 4,1 milliards sont comptabilisés dans l’exercice de recentrage des dépenses précédemment annoncées du gouvernement, qui consiste essentiellement à réaffecter des fonds qui ne sont plus nécessaires ou à retarder le financement de programmes dont le déploiement est plus lent que prévu.

Question simple : est-ce que cela se résume à un manque de préparation ou d’organisation de la part de la fonction publique fédérale? Quelle en est la cause?

M. Giroux : Les affectations bloquées peuvent être bloquées pour diverses raisons. Les principales raisons sont habituellement que les propositions ne sont pas suffisamment élaborées pour que le Conseil du Trésor permette aux ministères d’avoir accès à ces fonds et d’attendre d’avoir des plans plus détaillés de la part des ministres et des ministères. Il se peut aussi, comme c’est le cas actuellement, que le Conseil du Trésor — le groupe de ministres — décide de bloquer ces fonds de façon à ce qu’ils ne puissent pas être dépensés par les ministères pour qu’ils deviennent enregistrés comme des économies. Je pense que les montants que vous avez mentionnés tombent dans cette catégorie. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise planification; c’est plutôt une gestion financière prudente la plupart du temps, lorsque les affectations sont bloquées.

Cela peut aussi indiquer que le Conseil du Trésor ne croit pas que les plans du ministère sont crédibles ou sensés. Dans ce cas, c’est une sorte de gifle pour certains ministères, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Cela ne semble pas être le cas.

Le sénateur Smith : Je suis un peu inquiet quand j’entends les mots « gifle » et « manque de préparation ».

M. Giroux : Désolé...

Le sénateur Smith : Non, je n’essaie pas d’être combatif. J’essaie simplement de comprendre les rouages internes du fonctionnement.

Avec les augmentations des affectations bloquées pendant la pandémie, vous avez compris que l’incertitude entourant la COVID-19 a créé beaucoup d’affectations bloquées. Mais quelles sont les raisons maintenant? Vous avez en quelque sorte balayé la question du revers de la main, mais y a-t-il des raisons précises, et avez-vous reçu quoi que ce soit des ministères qui vous permette de mieux comprendre ce qu’ils vous disent ou d’avoir une certaine confiance en ce qu’ils vous disent?

M. Giroux : Eh bien, une bonne partie des affectations bloquées vise à faire en sorte que les économies que le gouvernement a annoncées, qu’il a reportées ou qu’il a réaffectées se concrétisent effectivement en bloquant ces montants de sorte que les ministères ne puissent pas les devancer et les utiliser à d’autres fins ou les dépenser. C’est en grande partie pour cette raison que les 4,1 milliards de dollars dont vous avez parlé ont été bloqués, de sorte qu’ils ne peuvent pas être dépensés par les ministères, et ils seront alloués à d’autres priorités ou réaffectés.

Le sénateur Smith : En tant que personne chargée de comprendre les rouages internes du gouvernement, lorsque vous recevez ce genre de rétroaction, cela vous préoccupe-t-il ou vous aide-t-il à mieux comprendre la situation? Il semble qu’il s’agisse d’un jeu ou d’une jonglerie.

M. Giroux : Cela ne me préoccupe pas vraiment, mais quand j’entends dire que des fonds ont été bloqués et qu’il y a des affectations bloquées, cela laisse entendre que l’argent ne sera pas vraiment épargné. Il ne sera pas dépensé pour l’objectif initial prévu, mais pour d’autres choses qui n’ont pas encore été annoncées. Lorsque j’entends parler d’économies ou d’affectations bloquées de 4,1 milliards de dollars, cela donne à penser que les fonds ne serviront pas à réduire le déficit. Ils serviront plutôt à autre chose qu’il reste à définir.

Le sénateur Smith : Ces estimations incluent environ 2,2 milliards de dollars pour le ministère de la Défense nationale — je crois qu’on en a parlé plus tôt — ce qui porterait le total des autorisations proposées par le ministère cette année à un peu moins de 32 milliards de dollars. Selon mon expérience lorsque j’étais président du comité, il était un peu difficile de traiter avec la Défense nationale. Je ne sais pas si nos fonds étaient plus bloqués qu’ils l’étaient pour les projets qui ont été suspendus. D’après mon expérience, le ministère est bien connu pour ses reports de fonds et le blocage de fonds d’une année sur l’autre ainsi que pour son incapacité constante à dépenser ses budgets approuvés. Dans le cadre de votre examen du ministère, avez‑vous des préoccupations quant à la capacité du ministère d’atteindre ses cibles en vertu de la politique de défense du Canada? Est-ce que ces mesures sont bien harmonisées et coordonnées?

M. Giroux : Eh bien, nous avons examiné le profil des dépenses en capital du ministère de la Défense nationale à quelques reprises, et le profil des dépenses initiales montrait un certain profil. Quelques années plus tard, on a constaté que les dépenses ne voyaient pas le jour assez rapidement, ce qui a eu tendance à repousser les choses aux années suivantes. Le dernier rapport que nous avons publié à la fin de février montre que cela se produit encore. Au lieu d’avoir une répartition de 50-50 au cours de la première et de la deuxième décennies, on dirait plutôt une répartition de 38-62. Si vous parlez d’une enveloppe fixe, mais que vous retardez le moment où vous la dépensez, dans ce cas, pour l’achat d’équipements, cela signifie que le pouvoir d’achat avec cet argent au cours de la deuxième moitié de la période est moindre en raison de l’inflation.

Cela dit, le gouvernement a aussi augmenté le montant global en raison des engagements pris dans le cadre du NORAD. La taille globale de l’enveloppe a augmenté à cause du NORAD, mais les dépenses semblent être reportées et échappées au fil du temps, comme vous l’avez souligné, puisque le ministère n’est pas en mesure de mettre pleinement en œuvre ses plans de dépenses ou d’immobilisations.

Le sénateur Smith : Est-il réaliste de penser que nous pouvons atteindre 2 % de nos dépenses de défense nationale afin d’être alignés avec certaines des personnes qui atteignent réellement la cible?

M. Giroux : À court terme, je ne crois pas qu’il soit possible de le faire. À moyen terme, c’est certainement possible, pour diverses raisons. La capacité peut augmenter, de sorte que le ministère de la Défense nationale peut recruter davantage de membres des forces armées, mais la définition de 2 % dans le cadre de l’OTAN comprend les Anciens Combattants Canada et la Garde côtière. Aussi étrange que cela puisse paraître, si le Canada devait bonifier les prestations aux vétérans ou dépenser beaucoup plus pour la Garde côtière, cela contribuerait à atteindre 2 % de la défense selon la définition de l’OTAN. Mais si nous devions nous concentrer sur ce que les gens comprennent habituellement comme dépenses de défense, c’est difficile à faire à court terme.

Le sénateur Smith : Merci, monsieur.

[Français]

La sénatrice Galvez : Monsieur Giroux, merci beaucoup à vous et à votre équipe de venir répondre à nos questions; c’est toujours un plaisir de vous avoir ici. Je voudrais comprendre les relations économiques et les transferts d’argent du gouvernement fédéral vers les provinces.

[Traduction]

Lorsque je vois les changements aux prévisions des dépenses législatives, l’un des plus importants changements est la somme de 576,5 millions de dollars que nous allons verser à l’Alberta en paiement de stabilisation. On dit que c’est pour les aider à faire face à la baisse annuelle des recettes de la province tirées du bitume par rapport à 2019. Nous parlons de la période avant la pandémie de COVID. Mais nous savons tous que les sociétés pétrolières dévoilent des données sur les profits depuis la pandémie de COVID. Je veux comprendre les critères qui permettent d’effectuer ces transferts importants et les conditions pour que cette somme de plus de 500 millions de dollars profite à la province. Va-t-on se tourner vers l’énergie renouvelable ou ne va-t-on pas le faire parce que la province a interdit le développement de l’énergie renouvelable?

M. Giroux : D’après ce que je comprends, le programme de stabilisation est un programme fédéral qui a été mis sur pied il y a longtemps pour veiller à ce que, lorsque les provinces subissent une baisse de leurs recettes autonomes d’une année à l’autre, le gouvernement fédéral les aide à ne pas avoir à réduire considérablement leurs services. À ma connaissance, il n’y a pas de clause qui empêche certaines provinces riches, comme l’Alberta, ou mieux nanties que la moyenne, de recevoir des fonds du programme de stabilisation. Pour ce qui est de ce que les provinces peuvent faire avec le financement, encore une fois, à ma connaissance, je ne pense pas qu’il y ait de conditions liées à la façon dont les provinces peuvent utiliser ces paiements inconditionnels qui sont transférés par le gouvernement fédéral aux provinces pour elles.

La sénatrice Galvez : Vous dites donc que c’est inconditionnel? Il n’y a pas de conditions?

M. Giroux : Pour autant que je sache, oui, mais je ne suis pas un spécialiste du programme de stabilisation.

La sénatrice Galvez : Vous ne savez pas exactement comment ce montant est calculé?

M. Giroux : Non. Il faudrait que je vous revienne là-dessus.

La sénatrice Galvez : J’aimerais le savoir. Je me souviens d’avoir lu que la limite de prix pour les profits tirés du pétrole de l’Alberta était de l’ordre de 60 $ le baril, et nous savons que nous n’en serons pas là. La dernière fois qu’un baril a été vendu à 100 $, c’était en 2005. Je pense que c’est très illogique.

Ma deuxième question fait suite à ce que disait le sénateur Smith, à savoir la promesse du gouvernement de réduire le nombre de professionnels et de services de consultation et les frais de déplacement. Dans le rapport, nous voyons que 94 % des organisations n’ont pas atteint cette réduction ni aucun type de réduction. Compte tenu de tous ces scandales concernant le recours à des sociétés d’experts-conseils externes et le fait qu’il est censé être réduit, on se demande ce qui se passe. Ces dépenses ne diminuent pas. Elles augmentent parfois en fait. Je crois que vous avez suivi ce dossier pendant un certain temps et que vous avez une idée de la mesure dans laquelle le gouvernement se débarrasse de sa propre expertise pour la donner à ces sociétés-conseils. S’agit-il d’un problème qui prend de l’ampleur au lieu d’être réduit?

M. Giroux : Dans le cadre des économies de 500 millions de dollars prévues pour l’exercice en cours, le gouvernement s’est engagé à réduire de 350 millions de dollars les services professionnels de consultation ou de consultation. Cela ne semble pas être une somme importante, et je ne pense pas qu’il s’agit d’une grosse somme.

En ce qui concerne les dépenses globales pour les consultants externes, nous avons constaté qu’elles augmentent encore. Cela pose-t-il un problème? J’ai dit à quelques reprises que, pour moi, quand on a une fonction publique en croissance et qu’on dépend davantage des experts-conseils, cela semble inquiétant.

Pour ce qui est de savoir s’il y a un exode de l’expertise de la fonction publique vers les experts-conseils, il y a des données empiriques qui donnent à penser qu’il en est ainsi, dans certains cas, mais je ne sais pas si c’est un problème généralisé ou si cela se produit seulement dans certains cas limités. Ce n’est pas quelque chose que je connais suffisamment et de façon détaillée pour pouvoir commenter à ce sujet.

La sénatrice Galvez : Si nous étions dans une économie où il n’y a pas de monopoles et d’oligopoles, je crois que j’accepterais la réponse, mais le fait est que, dans de nombreux secteurs au Canada, nous avons des oligopoles. Lorsque nous les engageons, il n’est donc pas rare que ces entreprises d’experts-conseils travaillent pour les deux parties. Elles sont en quelque sorte en conflit d’intérêts parce qu’elles conseillent des gens qui pourraient avoir des intérêts contraires. Je n’en citerai aucun, mais il y a beaucoup de petits scandales à cet égard.

Encore une fois, n’est-il pas inquiétant que, dans le cas du Canada, par exemple pour l’abordabilité des aliments, le fait est que nous avons un oligopole et que personne ne peut dire quel est vraiment le problème parce que, encore une fois, ces experts externes sont en conflit d’intérêts? Ne convenez-vous pas que, dans le cas du Canada, c’est un problème parce que nous traitons avec des oligopoles dans de nombreux secteurs?

M. Giroux : Il est vrai que, dans de nombreux secteurs, nous avons un nombre limité d’acteurs ou d’entreprises qui se font concurrence pour les consommateurs, ce qui peut mener à des situations d’oligopoles. Les compagnies aériennes sont un bon exemple : en raison de la taille du pays et de sa population, certaines destinations ne sont pas desservies par un grand nombre de compagnies aériennes. Cela peut affaiblir la concurrence et entraîner une hausse des prix. Oui, je suis d’accord avec vous.

La sénatrice Galvez : Merci.

La sénatrice MacAdam : Merci de votre présence aujourd’hui.

Le Budget supplémentaire des dépenses (C) prévoit 2,2 milliards de dollars pour le ministère de la Défense nationale. Pourtant, l’une des statistiques les plus accablantes dans ce secteur est qu’il manque actuellement 16 500 membres aux Forces armées canadiennes, 115 000 membres de la Force de réserve, ce qui représente un manque de personnel formé de près de 15 %. Pour souligner ce point, le 7 mars 2024, le ministre de la Défense a déclaré que les Forces canadiennes font face à une spirale descendante en ce qui concerne le recrutement, même si le gouvernement est limité dans ses dépenses accrues en défense. Seriez-vous d’accord pour dire que le Canada doit recentrer ses dépenses de défense sur des questions plus fondamentales comme le recrutement, par exemple? J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Giroux : Il est clair que la pénurie de membres des Forces armées canadiennes fait en sorte qu’il est difficile pour les Forces canadiennes de s’acquitter pleinement de leur mandat. On a également signalé qu’entre 50 % et 60 % des forces peuvent être déployées à n’importe quel moment. C’est inquiétant du point de vue de la politique étrangère et de la politique de défense. Cela dit, je ne suis pas un expert des questions militaires. Si le gouvernement décide d’avoir une armée de terre, une force aérienne et une marine capables d’être déployées à court préavis, il doit évidemment recruter davantage de membres et accélérer le rythme d’acquisition et de renouvellement des équipements, car nous avons constaté qu’il faut du temps pour acquérir des équipements militaires majeurs, tels que les navires de combat de surface ou les F-35, pour lesquels les décisions ont été reportées, ce qui fait que les CF-18 sont les seuls avions de combat disponibles.

La sénatrice MacAdam : Merci.

La sénatrice Kingston : Merci encore de votre présence.

Mes questions porteront sur le principe de Jordan et Services aux Autochtones Canada, ou SAC. D’après ce que je comprends, on n’a pas fait grand-chose au sujet du principe de Jordan pour ce qui est des services ou des fonds dépensés, si vous voulez, avant 2017, et le principe de Jordan portait sur un mandat très restreint quant à ce qu’on devrait faire. Toutefois, depuis l’expansion de 2019, SAC a approuvé en quelques mois au cours de cette année-là les demandes de 10 335 enfants uniques dans le cadre de ce programme. Combien d’enfants devraient bénéficier du principe de Jordan en 2023-2024?

M. Giroux : Je ne crois pas que nous ayons reçu de SAC cette information précise. Nous ne l’avons pas demandée, alors c’est une question qui, selon moi, devrait être adressée à la ministre des Services aux Autochtones.

La sénatrice Kingston : Il y a beaucoup de fonds dans votre budget supplémentaire des dépenses à cette fin. Je me demande comment cet argent sera dépensé.

M. Giroux : Je tiens à préciser que ce n’est pas mon budget supplémentaire des dépenses. Il s’agit du Budget supplémentaire des dépenses du gouvernement.

La sénatrice Kingston : J’en prends bonne note.

M. Giroux : Nous fournissons des renseignements et des analyses à ce sujet, mais nous ne voulons pas être tenus responsables du contenu du Budget supplémentaire des dépenses (C).

La sénatrice Kingston : Il se peut que vous ne puissiez pas me dire non plus si les enfants sont maintenant desservis dans un délai raisonnable. Il y avait bien sûr un arriéré avant. Est-on sur le point de rattraper le retard? Est-ce à cela que sert cet argent?

M. Giroux : Encore une fois, c’est une très bonne question, et j’espère que vous obtiendrez une réponse satisfaisante de la part de la ministre des Services aux Autochtones.

La sénatrice Kingston : Merci.

La sénatrice Pate : Merci encore aux témoins.

Je parle aussi de SAC. Le Budget supplémentaire des dépenses prévoit plus de 818 millions de dollars pour les services à l’enfance et à la famille, notamment pour « […] améliorer les services offerts pour faire en sorte que les enfants puissent être pris en charge comme il se doit dans leur communauté, notamment en atténuant l’incidence de la pauvreté […] ». La prestation de ces ressources et de ces services est essentielle; toutefois, nous avons eu de la difficulté à trouver de l’information sur la façon dont ces fonds permettront réellement de lutter contre la pauvreté. En particulier, nous recherchons des renseignements pour nous aider à évaluer dans quelle mesure ce financement sera efficace pour atteindre et soutenir les personnes les plus marginalisées et les plus démunies, une question qui a été, bien sûr, d’une importance capitale pour des groupes tels que l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, qui ont recommandé des mesures telles qu’un revenu de subsistance garanti, et s’il existe une évaluation des mesures envisagées et de leur comparaison avec ce type d’approche pour sortir les gens de la pauvreté.

Je me demande si vous avez d’autres renseignements sur les services que SAC propose d’améliorer, sur la façon dont ces programmes pourraient se comparer à la recommandation de l’enquête nationale concernant un revenu de subsistance garanti et sur l’efficacité de ces programmes pour ce qui est de joindre les personnes dans le besoin, ainsi que sur leur potentiel d’économies en aval pour les organismes de protection de la jeunesse et d’innombrables autres systèmes, y compris les soins de santé, les systèmes de refuges d’urgence, et cetera.

M. Giroux : Nous n’avons pas ce niveau d’information sur les programmes d’après notre analyse du Budget supplémentaire des dépenses. C’est probablement la même réponse que j’ai donnée à votre collègue. Ce sont de bonnes questions intéressantes, et j’espère que la ministre des Services aux Autochtones pourra vous fournir une réponse satisfaisante.

La sénatrice Pate : Outre ces questions pour la ministre, y a‑t-il d’autres questions que vous nous suggérez de poser sur la façon dont ce financement pourrait se comparer aux autres options possibles pour lutter contre la pauvreté, pour joindre les personnes les plus à risque de façon significative et pour créer des possibilités d’économie en aval?

M. Giroux : Une bonne question serait de demander si le ministère en fait un suivi comme les indicateurs de rendement pour son propre ministère.

La sénatrice Pate : D’accord, merci.

M. Giroux : Et je ne suis pas certain qu’ils le fassent.

La sénatrice Pate : D’accord.

Je voudrais revenir un peu sur le principe de Jordan. J’ai entendu vos réponses à ma collègue, mais je me demande s’il y a des indicateurs concernant la part des montants qui ont été accordés qui ira directement aux enfants des Premières Nations par rapport à l’obligation de couvrir les coûts d’administration du programme ou d’autres coûts pour le gouvernement, étant donné que vous avez mentionné le fait qu’une bonne partie de l’argent du budget des dépenses semble aller à l’exécution du programme.

Mme Jill Giswold, analyste principale, Bureau du directeur parlementaire du budget : Nous croyons comprendre que l’ensemble de ces mesures est destiné à l’exécution des programmes. Nous n’avons malheureusement pas de détails sur ce que cela implique.

La sénatrice Pate : Une autre question pour le ministre. Il a beaucoup de questions.

Est-ce qu’il y a des questions au sujet de ce financement pour la programmation que vous suggéreriez que nous demandions également à quiconque comparaîtrait devant le comité en plus de Services aux Autochtones Canada en ce qui a trait aux interconnexions?

M. Giroux : Peut-être le ministre des Relations Couronne-Autochtones, car il y a souvent des programmes qui sont exécutés en partenariat avec les collectivités des Premières Nations ou des organisations externes.

La sénatrice Pate : Excellent. Merci beaucoup.

Le sénateur Loffreda : Merci encore d’être avec nous, et merci à votre équipe aussi.

Une partie des investissements dans la réussite économique future du Canada consiste à investir dans ses étudiants et à aider davantage de Canadiens à atteindre l’enseignement postsecondaire. C’est pourquoi il est important que le gouvernement accorde des bourses et des prêts à ceux qui n’ont pas les moyens de payer le coût de l’éducation.

Le présent Budget supplémentaire des dépenses (C) prévoit une augmentation de 499 millions de dollars des montants législatifs prévus pour les bourses d’études et de 1,3 milliard de dollars pour les prêts aux étudiants. Comme nous le savons, tous les prêts étudiants ne sont pas remboursés et le gouvernement doit demander l’approbation du Parlement chaque année pour annuler les prêts étudiants qui sont jugés irrécouvrables. Cette année, le Budget supplémentaire des dépenses (C) demande 260 millions de dollars pour annuler 20 201 dettes, une diminution par rapport aux 227 millions de dollars et aux 23 142 dettes de l’an dernier.

Au moment où vous écrivez votre rapport, il faut s’attendre à une certaine volatilité des montants réels radiés d’une année à l’autre, car les décisions sur lesquelles les prêts doivent être radiés constituent un processus en multiples étapes. Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur ces chiffres, ces nombres et le processus? Combien de temps faut-il au gouvernement pour déterminer si une dette est irrécouvrable, si vous pouvez fournir cette information? Nous savons que ce ne sont pas vos chiffres, mais nous apprécions vos commentaires et votre analyse perspicaces. Avez-vous des idées sur ce qui pourrait être fait pour réduire le nombre de radiations? Évidemment, nous ne réglerons pas cela en cinq minutes, mais vous avez peut-être quelques indicateurs que nous pourrions examiner en profondeur à l’avenir.

M. Giroux : Bien sûr. Comme vous l’avez souligné, divers facteurs entrent en jeu lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a lieu de radier une dette. C’est ultimement une décision des fonctionnaires. Ils étudient d’abord les prêts en retard. Il existe une variété de programmes d’aide pour ceux qui subissent des pressions financières, qui perdent leur emploi et qui font face à des difficultés financières. Il y a des allégements pour ceux qui ne peuvent pas rembourser ou qui ne peuvent pas faire leurs paiements réguliers.

Une fois ces mesures d’allégement épuisées, par exemple, si quelqu’un refuse de payer, mais a un emploi, le gouvernement essaie de récupérer l’argent par le biais, par exemple, de déductions d’impôt, pour récupérer certains remboursements d’impôt que les personnes seraient en mesure de recevoir. Si la dette ne peut être annulée parce que la personne est introuvable, qu’elle a quitté le pays ou qu’elle a fait faillite, c’est là que la décision d’annuler la dette est prise après que toutes ces étapes ont été épuisées. La radiation ne signifie pas que le gouvernement refuse de la récupérer. Si la personne qui est en défaut de paiement ne paie pas, la dette est radiée, bien sûr, mais si la personne revient et qu’elle est financièrement en mesure de rembourser, le gouvernement peut récupérer une partie de cet argent, et cela se produit. C’est, en bref, le processus.

Cela peut prendre un certain nombre d’années pour arriver au point d’annulation, dépendant qu’une personne se prévale ou non des mesures d’aide. Si elle a disparu et qu’elle ne donne pas signe de vie, cela peut se produire en l’espace de quelques années, mais si elle s’aide elle-même et si elle fait preuve d’une certaine volonté, cela peut prendre plusieurs années jusqu’à ce que la dette soit radiée.

Le sénateur Loffreda : Je sais que, historiquement, les chiffres sont là, mais en ce qui concerne le processus de réduction des pertes, que vous connaissez très bien, y a-t-il quelque chose qui pourrait être fait pour réduire ces pertes ou améliorer notre efficacité? Il s’agit d’impôts canadiens durement gagnés.

M. Giroux : Le gouvernement a annoncé que les taux d’intérêt seront effectivement nuls dans un avenir prévisible. C’est une très bonne façon de s’assurer que le nombre de radiations diminue, parce qu’un taux d’intérêt de 0 % signifie que la dette globale d’un étudiant individuel cessera d’augmenter au moment où il cessera d’aller à l’école. Ils n’auront pas à payer d’intérêts. L’ampleur de la dette cessera d’augmenter une fois qu’ils auront terminé leurs études ou qu’ils auront cessé d’aller à l’école. C’est une bonne façon.

Les mesures d’aide dont j’ai parlé ont également été un bon moyen de réduire le nombre de radiations parce que les étudiants qui éprouvent des difficultés financières voient que le gouvernement contribue pour les aider. Il y a probablement un élément de bonne foi en cela, lorsque les étudiants deviennent financièrement à l’aise, ils sont plus disposés à rembourser leurs prêts étudiants. Ce que nous mesurons s’améliore, comme nous le savons tous.

Le sénateur Loffreda : En ce qui concerne les recouvrements, que voyez-vous pour l’avenir? Avons-nous des statistiques? La situation s’améliore-t-elle? Est-ce qu’il y a un nombre durable de recouvrements? Nous constatons que le personnel augmente dans toute la fonction publique. Le personnel a-t-il augmenté pour tenter de recouvrer les créances irrécouvrables?

M. Giroux : Je n’ai pas ces chiffres de mémoire. Je n’ai pas examiné cela récemment. Il faudrait que je vous revienne sur cette mesure précise, ou si vous avez le plaisir d’avoir le ministre devant vous, vous pouvez lui poser la question.

Le sénateur Loffreda : Bien sûr. J’aimerais voir ces chiffres. L’augmentation du personnel serait un investissement formidable pour récupérer une partie de ces centaines de millions de dollars. Nous aimons tous nos étudiants, et je pense qu’il est très important de faire ces prêts, mais nous devons leur apprendre à être responsables aussi, n’est-ce pas?

Le président : Merci, sénateurs. Nous passons maintenant au deuxième tour.

La sénatrice Marshall : Monsieur Giroux, pourriez-vous revenir sur la question des services professionnels dont nous discutions tout à l’heure? Plusieurs sénateurs l’ont soulevée. Je sais que le gouvernement a dit qu’il allait réduire le financement de 350 millions de dollars, mais le budget, d’après les chiffres que j’ai vus, a en fait augmenté. Dans votre réponse à un de mes collègues, vous avez dit qu’ils auraient pu augmenter le budget, mais qu’ils auraient pu en geler une partie. Sauriez-vous s’ils ont gelé une partie du budget pour l’exercice financier qui se termine actuellement?

M. Giroux : Oui. Cela faisait partie de notre rapport lorsque nous avons parlé de réorienter ou de réutiliser les dépenses du gouvernement. En fait, ils ont gelé les montants dans les niveaux de référence ministériels, comme nous les appelons.

La sénatrice Marshall : Ils ont gelé les 350 millions de dollars, mais ils ont augmenté le budget de plus d’un milliard.

M. Giroux : Le montant net serait une augmentation qui serait légèrement inférieure qu’autrement.

La sénatrice Marshall : C’est ce que je voulais clarifier. Vous disiez que, à votre avis, vous ne voyez pas le gel du budget comme étant — je cherche vos mots — presque comme une véritable réduction. Pourriez-vous clarifier vos commentaires à ce sujet?

M. Giroux : Ce que je veux dire par là, c’est que le gel de 500 millions de dollars, par exemple, dans un secteur d’activités de 500 milliards de dollars, c’est comme vous et moi qui perdons un quart de notre financement ou quelque chose comme cela.

La sénatrice Marshall : Ce l’est.

M. Giroux : Geler 4 milliards de dollars, c’est comme donner 20 $ pour quelque chose. Ce n’est pas matériel.

La sénatrice Marshall : D’accord.

M. Giroux : Comme je l’ai dit, c’est une réorientation dans certains cas. Ce n’est pas dépenser l’argent pour quelque chose; c’est le dépenser pour autre chose.

La sénatrice Marshall : Cela ne semble pas sincère, et ce sont mes mots. D’accord, merci.

J’examinais votre rapport sur les perspectives économiques et financières. J’ai examiné l’annexe G, Perspectives concernant la dette fédérale. Je constate que pour la fin de cet exercice, votre chiffre est de 1,6 billion de dollars pour la dette, passant à 1,7 billion l’année prochaine, puis à 1,8 billion de dollars. Il semble que le nombre se rapproche maintenant du plafond. Le plafond est légèrement supérieur à 1,8 billion de dollars. Serait-il juste que je vous demande si vous vous attendez à une augmentation du plafond du budget qui diminuera le mois prochain?

M. Giroux : Oui. Je m’attendrais à une augmentation du plafond prévu par la Loi autorisant certains emprunts, ou certainement dans le cadre de la Loi d’exécution du budget ou cet automne. Le gouvernement serait probablement prudent d’augmenter le plafond.

La sénatrice Marshall : Il s’en approche. Merci.

Ma troisième question porte sur le personnel. J’ai lu votre rapport sur le personnel. Vous parliez des coûts et des équivalents temps plein. Lorsque vous examinez le Budget supplémentaire des dépenses (C), les coûts du personnel s’élèvent maintenant à 60 milliards de dollars. Il y aura un certain nombre de transactions qui seront comptabilisées comme des dépenses de personnel. Il s’agirait d’avantages sociaux et d’éléments de cette nature. Ce montant est assez important, ou il l’était l’an dernier. Êtes-vous en mesure de nous donner un chiffre sur ce que vous pensez que cet ajustement va être? Les dépenses de personnel s’élèvent actuellement à 60 milliards de dollars. Vous attendez-vous à ce qu’elles atteignent 70 milliards de dollars? J’essaie juste de comprendre les chiffres.

M. Giroux : C’est possible, mais il serait surprenant que le montant s’élève aussi rapidement. Nous pouvons voir si nous avons une prévision pour ce montant précis — l’ajustement, les autres paiements pour les services du personnel — et nous pouvons vous la donner.

La sénatrice Marshall : Avez-vous un chiffre que vous pouvez nous donner?

M. Giroux : Je ne sais pas si nous avons ce détail. Non, je ne pense pas. Nous avons des montants globaux, mais je ne sais pas si nous avons ventilé le personnel à l’avenir.

La sénatrice Marshall : Si vous pouviez fournir cela, ce serait formidable.

J’ai une question sur certains chiffres pour le personnel. Si l’on regarde le chiffre final du Budget supplémentaire des dépenses (C), ce n’est pas vraiment le chiffre final, car ces charges à payer seront versées.

Vous avez mentionné l’intérêt dans votre rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (C). Si l’on additionne les deux chiffres du ministère des Finances, on obtient en fait environ 42 milliards de dollars ou 43,5 milliards de dollars. La mise à jour financière dit que le montant atteindra 46,5 milliards de dollars. Le ministère a-t-il surestimé les coûts, ou prévoyons‑nous de voir un autre 3 milliards de dollars? Je sais que ce sont des dépenses législatives.

M. Giroux : Nous pourrions voir 3 milliards de dollars de plus pour les prestations de retraite et les prestations futures ou les autres passifs qui sont enregistrés, mais qui ne sont pas des dettes négociables, par exemple.

La sénatrice Marshall : Les charges à payer.

M. Giroux : Ou la dette contractée sur les marchés.

La sénatrice Marshall : Merci, monsieur Giroux.

M. Giroux : C’est toujours un plaisir de discuter de cette question avec vous, sénatrice.

[Français]

Le sénateur Forest : Dans votre rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (C), vous annoncez que, au cours des prochaines semaines, vous allez publier une analyse des dépenses d’immobilisation prévues dans le cadre de la politique de défense du Canada. Quels éléments seront couverts dans ce rapport? Va-t-on tenir compte des démarches en amont, soit de l’élaboration des devis et des appels d’offres? Ces éléments seront-ils inclus dans votre rapport?

M. Giroux : Merci pour votre question. On peut en parler au passé, car ce rapport a déjà été publié. Entre le moment où notre rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (C) a été publié et maintenant, nous avons publié un rapport sur les dépenses en immobilisation du ministère de la Défense nationale en vertu de son plan à long terme sur 20 ans pour ce qui est des dépenses d’immobilisation. Nous avons tenu compte du profil des dépenses. Nous avons aussi regardé la liste de tous les projets qui doivent être financés, pour voir si les choses se déroulent à la vitesse et au rythme prévus par le ministère. Nous en sommes arrivés à la conclusion que les dépenses sont, en général, retardées. Plutôt qu’une répartition sur 20 ans dans une proportion de 50/50 entre la première et la deuxième décennie, on en arrive à une répartition qui est plutôt de 38 % et de 62 % dans la deuxième décennie. On repousse donc une bonne partie des dépenses à l’avenir.

Le sénateur Forest : Vous ne vous êtes donc pas penchés sur la conception des devis et le processus d’appels d’offres. D’un point de vue extérieur au Parlement, on voit ce qui s’est produit avec ArriveCAN et la politique d’approvisionnement maritime, avec des délais et des dépassements de coûts. On peut aussi penser à Phénix et à plusieurs autres exemples. Il me semble qu’on devrait véritablement se pencher sur la question. D’ailleurs, le ministre québécois Jonatan Julien a déclaré qu’il voulait faire une évaluation du processus en amont.

Comment définit-on les besoins, ce qu’on veut acquérir et le processus d’appel d’offres? Votre rapport se penche-t-il sur cette démarche en amont de l’acquisition?

M. Giroux : On a tendance à se concentrer sur les chiffres et sur les estimations de coûts des processus ou des équipements en tant que tels. On s’est penché, par exemple, sur le coût estimé des navires de combat et des F-35, mais on n’a pas analysé le processus d’appel d’offres en tant que tel. Je crois que ce pourrait être un bon sujet d’étude pour la vérificatrice générale, puisqu’il relève un peu plus de son mandat, qui est de considérer les façons d’améliorer la gestion et les processus d’acquisition de gros équipements.

Le sénateur Forest : Effectivement, ce pourrait être une bonne question. On constate souvent qu’on est vraiment dans des estimations qui sont dépassées de façon quasi permanente.

Ce qu’on nous dit, c’est qu’il y a de nouvelles exigences ou qu’il y a des extras. Donc, il y a là une forme de facilité à défendre les dépassements de coûts qui, à la limite, sont très importants dans des contrats comme celui-là.

M. Giroux : En effet, mais si on a des exigences qui changent après avoir lancé le processus d’appel d’offres, cela signale peut‑être que les exigences étaient mal définies au départ et qu’il y a moyen de réfléchir davantage en amont — comme vous le mentionnez — pour avoir un processus d’appel d’offres qui est plus facile à suivre pour les soumissionnaires.

Le sénateur Forest : D’autre part, il y a eu une fuite d’expertise dans beaucoup de secteurs du gouvernement; j’imagine que c’est ainsi pour le gouvernement du Canada, mais on a perdu beaucoup d’expertise, ce qui rend aujourd’hui difficile tout l’exercice visant à bien préciser nos besoins et à les évaluer.

M. Giroux : La rétention de l’expertise est souvent un problème, surtout en matière de processus d’acquisition majeurs sur les équipements spécialisés. C’est ce qu’on entend notamment au ministère de la Défense nationale et à Services publics et Approvisionnement Canada.

Le sénateur Forest : Merci; je vais y revenir avec la vérificatrice générale.

Le sénateur Gignac : J’aimerais continuer la discussion que vous avez eue avec ma collègue la sénatrice Marshall sur le plafonnement de la dette.

On sait qu’aux États-Unis, quand on approche du plafonnement de la dette, cela brasse pas mal les choses et il y a des négociations.

Pourriez-vous nous faire un parallèle entre le Canada et les États-Unis? À quand remonte la dernière fois où on a dû augmenter le plafond de la dette du Canada?

M. Giroux : À ma connaissance, la dernière augmentation de la dette, c’était durant la pandémie. On l’a peut-être fait depuis.

Ce n’est pas le même niveau de négociations lorsqu’on augmente le plafond de la dette au Canada, parce que c’est généralement fait par l’entremise d’un projet de loi ou d’une mise en œuvre du budget, donc au moyen de projets de loi souvent considérés omnibus dans lesquels il y a une série de mesures budgétaires — le relèvement du plafond de la dette étant l’une de plusieurs dizaines de mesures.

Enfin, ce n’est pas quelque chose qui se fait annuellement; cela se fait à intervalle de quelques années pour s’assurer que le gouvernement a une marge de manœuvre suffisante.

Le sénateur Gignac : Dans mon cas, ce sera la première fois que j’assisterai à cela, car cela ne fait que deux ans que je suis sénateur. Durant la pandémie, j’étais plutôt de l’autre côté, comme commentateur.

En clair, les sénateurs n’ont pas vraiment le même pouvoir qu’aux États-Unis, parce que quelque part, on ne peut pas forcer le gouvernement à présenter un plan ou forcer quoi que ce soit. Donc, c’est un peu comme le projet de loi d’exécution du budget, c’est-à-dire que oui, on peut poser des questions et tout cela, mais à la fin de la journée, on ne peut pas vraiment empêcher le gouvernement de gouverner. C’est bien ce que je comprends?

M. Giroux : Je ne suis pas un spécialiste de la séparation des pouvoirs entre les deux Chambres, mais évidemment, vous avez beaucoup de pouvoirs en matière de projets de loi de mise en œuvre du budget. Je ne connais pas la mesure dans laquelle le Sénat peut réduire le plafond de la dette, car cela est considéré comme une question de confiance envers le gouvernement — un projet de loi d’exécution du budget, évidemment. La mesure dans laquelle le gouvernement serait ouvert à réduire le plafond de la dette n’est pas de mon ressort.

Le sénateur Gignac : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Galvez : Monsieur Giroux, il y a quelque chose qui me semble contradictoire. D’une part, on nous promet de réduire les dépenses en services de conseil et en services professionnels, mais d’autre part, nous augmentons également les dépenses de personnel. D’un côté, nous disons : « Non, non, nous vous paierons 6,6 % de plus, mais au même moment, je dois donner plus de services de conseil. » Pour moi, quelqu’un ne fait pas son travail.

Alors que mes collègues ont parlé des suspects habituels, ArriveCAN et Phénix, j’ai suivi plus le cas de la banque de l’infrastructure, qui est, disons, beaucoup plus important que les deux autres scandales. La banque de l’infrastructure a été fondée pour donner suite à une recommandation d’une société d’experts-conseils, McKinsey. McKinsey est une société des États-Unis affiliée à BlackRock. En fait, beaucoup de gens pensent que le mandat de la banque de l’infrastructure, qui est censée être une banque de l’infrastructure publique, est allé plus vers la privatisation. Je suis tout à fait d’accord pour investir des fonds privés afin de pouvoir construire, mais cela devient difficile pour les municipalités, qui ont un déficit d’infrastructure énorme, et c’est amplifié par les phénomènes météorologiques extrêmes.

Vraiment, ce combat entre augmenter les dépenses liées au personnel et donner de l’argent pour consulter m’inquiète. Cela crée des conflits d’intérêts. D’une part, on obtient des conseils grâce aux deniers publics. D’autre part, nous augmentons encore les dépenses de personnel. Pensez-vous qu’un examen approfondi des méthodes, comme vous en discutiez avec le sénateur Forest, pourrait être utile? Je sais que vous dites que cela devrait être le travail de la vérificatrice générale, mais peut‑être pourriez-vous nous donner des pistes pour qu’il y ait des choses plus importantes à examiner de façon accélérée.

M. Giroux : Votre question a de nombreux angles.

Vous dites que vous vous inquiétez de la taille croissante de la fonction publique au moment même où nous constatons une dépendance accrue à l’égard des services professionnels, et j’ai exprimé la même inquiétude à maintes reprises. Pour moi, si nous augmentons la taille de la fonction publique, nous devrions recruter les gens dont nous avons besoin. Cela devrait normalement réduire le besoin de services professionnels. Si nous augmentons les deux, peut-être cela suggère-t-il que nous n’augmentons pas suffisamment la taille de la fonction publique ou que nous ne recrutons pas les bonnes personnes pour faire le travail.

La sénatrice Galvez : Oui.

M. Giroux : Il se pourrait aussi que le gouvernement ait besoin d’obtenir des conseils de l’extérieur parce qu’il ne fait pas confiance aux conseils de la fonction publique ou qu’il n’obtient pas les services qu’il attend de la fonction publique. Cela soulève de nombreuses questions.

Par exemple, devrait-il y avoir un examen externe des marchés publics, et je pense que vous y faisiez allusion... ou pas particulièrement des marchés publics?

La sénatrice Galvez : Plus globalement, un examen des méthodes et des procédures.

M. Giroux : Oui. Je pense qu’il y a suffisamment d’expertise au sein de la fonction publique pour pouvoir examiner cette question. Il y a des gens brillants qui dirigent la fonction publique et qui devraient être en mesure d’examiner les moyens d’améliorer la fonction publique elle-même. S’il y a un besoin pour un examen externe, la vérificatrice générale dispose d’une équipe d’experts qui pourrait aider les ministères à améliorer leurs propres activités. En fait, la plupart des ministères ont une fonction d’audit interne, d’audit et d’évaluation. Je suis sûr qu’il y a des pépites de connaissances et une mine d’information sur la façon d’améliorer les processus et les activités des ministères dans ces évaluations internes dispersées dans les audits.

La sénatrice Galvez : Merci.

Je lis beaucoup une bonne partie du travail de Mariana Mazzucato. Est-ce que ce qu’elle propose vous rappelle quelque chose par hasard?

M. Giroux : C’est le cas, mais je ne suis pas assez informé pour être en mesure d’avoir une conversation intelligente qui est enregistrée et diffusée sur ce sujet.

La sénatrice Galvez : Je vais vous chercher un café.

La sénatrice MacAdam : Le Budget supplémentaire des dépenses (C) comprend une augmentation des dépenses en personnel de 2,4 milliards de dollars. Votre rapport indique qu’environ la moitié de cette somme est consacrée aux négociations salariales. Je me demande ce qui constitue le 1,2 milliard de dollars restants. Est-ce certains ministères qui en constituent la majorité? Comment est-ce distribué? S’agit-il d’augmentations salariales ou bien d’une augmentation du personnel? Toute information que vous possédez à ce sujet serait utile.

Mme Giswold : Merci de la question.

Mis à part l’important poste pour le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, il n’y a pas de postes précis pour le reste du financement. Les dépenses en personnel comprennent les salaires et traitements, comme vous l’avez mentionné, ainsi que les régimes d’avantages sociaux des employés pour le secteur public. Le reste du financement serait distribué à tous les ministères pour ces raisons, de sorte qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un poste précis.

La sénatrice MacAdam : C’est dans l’ensemble des ministères?

Mme Giswold : Oui, exactement.

La sénatrice Kingston : Ensuite, j’arrive aux postes liés à la protection de l’enfance et aux Services aux Autochtones. Dans un de vos documents, il est dit qu’une partie de ce financement, soit 818 millions de dollars :

[...] permettra d’améliorer les services offerts pour faire en sorte que les enfants puissent être pris en charge comme il se doit dans leur communauté, notamment en atténuant l’incidence de la pauvreté et de l’éloignement et en améliorant la disponibilité de logements sûrs et adéquats pour les enfants vivant dans les réserves.

Avez-vous d’autres informations à ce sujet? La vérificatrice générale, par exemple, a parlé aujourd’hui du problème que pose la moisissure dans les logements dans les réserves. Est-ce là une partie de cela? Est-ce qu’il y a d’autres détails à ce sujet?

Mme Giswold : Malheureusement, nous n’avons pas de détails. Services aux Autochtones Canada serait mieux placé pour fournir ces détails.

La sénatrice Kingston : Je vais poser une autre question qui concerne les 260 millions de dollars consacrés à la gestion des urgences. C’est sous cette grosse tranche de 2 milliards de dollars. Avez-vous d’autres informations à ce sujet?

M. Giroux : Oui. Il s’agit généralement d’argent pour aider les collectivités des Premières Nations qui subissent des urgences. On peut penser aux incendies de forêt ou aux inondations. C’est de l’argent pour dédommager le ministère. À ce stade de l’exercice financier, c’est de l’argent qu’il a probablement déjà dépensé dans ces domaines et dont il a besoin pour s’assurer de ne pas faire exploser son crédit.

Le sénateur Loffreda : Monsieur Giroux, bien qu’il soit important que le gouvernement fournisse des services essentiels à tous les Canadiens, il est tout aussi important que le gouvernement dépense de façon responsable pour assurer la santé globale de l’économie canadienne à l’avenir. Je pense que nous sommes tous d’accord.

Le présent Budget supplémentaire des dépenses (C) indique que le Conseil du Trésor a gelé administrativement 11,9 milliards de dollars en fonds déjà approuvés par le Parlement. Bien qu’il s’agisse d’une augmentation de 4,1 milliards de dollars par rapport au Budget supplémentaire des dépenses de l’an dernier, seulement 2,9 milliards de dollars sont des réductions, dont 500 millions de dollars qui sont liés à la réorientation des dépenses gouvernementales pour fournir des services aux Canadiens et à l’application d’un plan qui, comme vous l’avez décrit dans votre rapport, vise à réduire le rythme et l’ampleur de la croissance des dépenses gouvernementales et à revenir à un niveau prépandémique.

Je sais que vous avez également publié un rapport distinct sur cet exercice de réduction des coûts à la mi-février. Vos rapports sont toujours très perspicaces. Comme je le dis toujours, j’aime les lire. Pouvez-vous nous expliquer et nous faire part de vos conclusions? Dans quelle mesure êtes-vous sûr que le gouvernement atteindra son objectif de réduire les dépenses consacrées à la consultation, aux services professionnels et aux déplacements? Dans votre évaluation, quelle est la probabilité que nous ramenions les dépenses aux niveaux prépandémiques?

M. Giroux : Le montant gelé était lié à la réorientation des dépenses publiques. Je pense que c’est le montant auquel vous faites allusion, les 500 millions de dollars?

Le sénateur Loffreda : Oui.

M. Giroux : Étant donné que les montants ont été gelés, je suis tout à fait convaincu que ces montants ne seront pas dépensés. Il y a eu 150 millions de dollars pour les déplacements et 350 millions de dollars pour les services professionnels. Parce que les montants ont été gelés, il est clair qu’ils ne seront pas dépensés. Même si cela ne sera pas dépensé, si le gouvernement augmente ses crédits ou que les crédits sont majorés pour augmenter les dépenses dans ces deux catégories dans d’autres véhicules, il est possible que les dépenses globales en déplacements augmentent ou que les dépenses en services professionnels augmentent. En réponse à une question de l’un de vos collègues, même si c’était le cas, elles augmenteraient moins qu’elles ne l’auraient fait sans les crédits gelés.

Je suis désolé, mais quelle était l’autre partie de votre question?

Le sénateur Loffreda : Quelle est la probabilité de ramener les dépenses aux niveaux prépandémiques?

M. Giroux : Je ne pense pas que cela soit possible en raison de la structure actuelle des dépenses globales. Nous avons indiqué dans nos perspectives économiques et financières que le niveau global des dépenses devrait augmenter régulièrement au cours des prochaines années. Il est très peu probable que nous assistions à un retour aux niveaux de dépenses prépandémiques.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La sénatrice Pate : Monsieur Giroux, mesdames les fonctionnaires, je veux revenir aux prêts étudiants. Dans votre rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses, vous avez dit qu’il est prévu que le montant radié des prêts étudiants continuera de diminuer en raison de la décision du gouvernement de renoncer définitivement à l’intérêt sur les prêts étudiants. Pouvez-vous donner une estimation générale du montant que le gouvernement peut prévoir pour économiser dans ce domaine? Que peut-on économiser sur les prêts étudiants qui auraient autrement été radiés au cours du prochain exercice? De combien prévoyez-vous que ce montant en prêts aux étudiants radiés continuera de diminuer au cours des prochaines années?

On dirait que vous avez un graphique juste là.

M. Giroux : Je suis très bien appuyé.

Les intérêts des radiations varient entre 35 et 40 millions de dollars par année. À mesure que le taux d’intérêt diminue à zéro, on s’attend à ce que ce chiffre baisse également progressivement jusqu’à zéro. La dernière année dans notre graphique est 2027-2028. Au cours de cette année, on s’attend à ce que les intérêts des radiations s’élèvent à 8 millions de dollars. Ils seront proches de zéro d’ici la fin de la décennie. Les radiations elles‑mêmes augmentent et elles devraient rester relativement élevées au cours du prochain exercice, celui qui débutera en 2024‑2025, le 1er avril, à 17,7 millions de dollars. À mesure que le taux d’intérêt descend à zéro et que les mesures d’aide prises pendant la pandémie entrent dans le système, les radiations sur le capital devraient commencer à diminuer l’année suivante et atteindre 159 millions de dollars en 2027-2028. Il s’agit d’un léger déclin, mais d’un déclin beaucoup plus marqué des intérêts des radiations.

La sénatrice Pate : Merci.

Le président : C’est ainsi, honorables sénateurs, que se termine notre réunion d’aujourd’hui.

Monsieur Giroux, encore une fois, merci. J’aimerais rappeler aux témoins de bien vouloir soumettre les réponses écrites — je sais qu’il y a quelques questions auxquelles vous voudrez répondre — d’ici la fin de la journée du mercredi 3 avril 2024, par l’entremise de la greffière de notre comité, le Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Honorables sénateurs, je tiens à vous rappeler que notre prochaine réunion aura lieu demain soir, le 20 mars 2024, à 18 h 45, au sujet du projet de loi C-59.

Au nom de tous les sénateurs, je tiens à remercier toute l’équipe d’appui de ce comité, les personnes dans la salle ainsi que celles qui sont en coulisses et qui ne sont pas visibles. Merci à tous pour votre travail acharné qui contribue énormément au succès de notre travail en tant que sénateurs. Comme nous disons d’où je viens, un beau travail.

(La séance est levée.)

Haut de page