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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)

 

Délibérations du comité spécial sur les
drogues illicites

Fascicule 6 - Témoignages du 17 septembre - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 17 septembre 2001

Le Comité spécial sénatorial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 13 h 32 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogue du Canada.

Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Avant de vous présenter nos distingués experts de l'après-midi, je vous informe que le Sénat a ordonné que les délibérations de notre comité de la 36e législature soient consignées dans leur intégralité. Je vous informe également que le comité à son propre site Internet qu'il met continuellement à jour et que vous pouvez visiter en passant par le site Web du Parlement à l'adresse www.parl.gc.ca.

Vous trouverez sur ce site toutes les délibérations du comité, ainsi que les mémoires et tous les documents de référence soumis par nos témoins experts. Vous y trouverez également plus de 150 liens à d'autres sites connexes.

[Français]

Cet après-midi, nous discuterons plus spécifiquement de santé publique. Nous recevons dans un premier temps le docteur Richard Mathias, médecin et professeur d'organisation sanitaire au Département de soins de santé et d'épidémiologie de l'Université de la Colombie-Britannique, qui nous présentera une nouvelle perspective en santé publique en ce qui concerne l'usage des drogues par les Canadiens. Dans un deuxième temps, le docteur Colin R. Mangham, Ph.D., directeur du Prevention Source B. C., nous interpellera au sujet du vrai débat sur la réduction des méfaits et de l'usage des drogues illicites.

[Traduction]

Richard G. Mathias, médecin et FRCPC, est natif de la Colombie-Britannique. Il a été formé à l'Université de l'Alberta à Edmonton, où il a reçu son diplôme en médecine en 1968. Après s'être installé à Winnipeg, il a eu une bourse de recherche pour faire de la médecine interne et étudier les maladies infectieuses en 1975. De 1975 à 1983, il a été nommé à la division de l'épidémiologie régionale de Terre-Neuve, puis à la division de l'épidémiologie provinciale en Saskatchewan, puis enfin à la division de l'épidémiologie provinciale de la Colombie-Britanni que, pour s'occuper des maladies infectieuses. En 1983, il est passé au département des soins de santé de l'épidémiologie à l'Université de la Colombie-Britannique, à titre de professeur à la division de la pratique de la santé publique.

En cours de route, il publiait plus de 70 articles ayant fait l'objet d'une évaluation impartiale et donnait de nombreux cours et conférences. En 1989-1990, il passait une année sabbatique à l'Institut de la recherche médicale en Malaysia. En 1995, il participait à un échange avec le laboratoire de lutte contre la maladie à Ottawa à titre de directeur du nouveau bureau de surveillance et de l'épidémiologie régionale.

Il est de retour à l'Université de la Colombie-Britannique depuis septembre 1997. Le Dr Mathias était également jusqu'en mai 1998 rédacteur-réviseur scientifique à la Revue canadienne de santé publique. En octobre et en novembre 1998, il faisait office de conseiller auprès de l'OPS/OMS. Il a comparu à la Commission Keever et à la Cour suprême de la Colombie-Britan nique et de l'Ontario à titre d'expert en santé publique.

Cette année, il présidait la division de la pratique en santé publique au département des soins de santé et de l'épidémiologie de la faculté de médecine à l'Université de la Colombie- Britannique. Il est également directeur du programme de résident en médecine communautaire. Pendant son année sabbatique, il projette de rédiger une monographie sur les politiques gouverne mentales en matière d'utilisation des drogues.

Docteur Mathias, la règle est simple: Nous vous accordons de 30 à 40 minutes pour présenter votre mémoire, après quoi mes collègues et moi-même voudrons sans doute vous poser des questions. Vous avez la parole.

Le Dr Richard Mathias, professeur au Département des soins de santé et de l'épidémiologie, Université de la Colombie-Britannique: Honorables sénateurs, c'est un plaisir pour moi de comparaître aujourd'hui et je vous remercie de m'avoir invité. Sachez que vous risquez de m'entendre plus longtemps que le temps imparti, car c'est toujours un défaut chez un professeur d'université.

Je suis reconnaissant à l'université de m'avoir titularisé, puisque la titularisation permet aux enseignants de la faculté de réfléchir à de grandes problématiques et de pousser certaines réflexions à ce qui est, je l'espère, leur conclusion logique. C'est ce que j'entends faire avec vous aujourd'hui. J'espère que cela pourra vous intéresser.

Je voudrais tout d'abord définir ce que j'entends par «santé publique». Il s'agit d'un effort organisé dans une collectivité pour protéger et pour promouvoir la santé de sa population ou pour remettre celle-ci en santé. La grande question, c'est aussi: Qu'entend-t-on par «collectivité»?

Il s'agit évidemment d'un groupe de gens, mais encore? En général, les efforts que déploie l'État en matière de santé publique se concentrent dans une région ou dans une ville - autrement dit, dans une grande collectivité. On peut définir néanmoins des groupes beaucoup plus petits: Ainsi, à Vancouver, il existe une association, la «Downtown East Side Association», qui considère ses efforts déployés en vue de protéger et de promouvoir la santé publique de ses citoyens comme étant des efforts de santé publique, et il nous faut le reconnaître.

Je suis sûr que vous avez vu à maintes reprises la définition des objectifs de la santé publique tels qu'énoncés par l'Organisation mondiale de la santé. Ces objectifs mettent l'accent sur la réalisation des aspirations personnelles et la capacité de s'adapter à son environnement. Ce sont là les objectifs de la santé publique et c'est ce sur quoi je me fonde pour vous faire des propositions.

Cette vision doit toutefois se fonder aussi sur des principes déontologiques. Il va de soi que la médecine se fonde sur des principes de bioéthique et de déontologie. Le principe déontologi que qui s'applique à l'individu, c'est le respect de l'autonomie; autrement dit, l'individu a le droit de prendre lui-même les décisions qui le concernent. Ce principe se fonde sur la non-malveillance, ce qui signifie qu'on ne doit pas nuire à autrui. Dans la mesure du possible, il faudrait aussi faire du bien à autrui.

Il faut également suivre les principes de la justice naturelle; par conséquent, les programmes doivent être instaurés en toute connaissance de cause de la part des individus concernés. C'est ce qu'on appelle ici la vision individuelle et bioéthique de la médecine.

Toutefois, étant donné que la santé publique s'adresse à des collectivités, on en est toujours à définir la vision déontologique à cette santé publique.

Ainsi, le Dr Mann qui dirigeait le programme du sida de l'Organisation mondiale de la santé jusqu'à il y a quelques années à peine, fonde sa vision de la déontologie de la santé publique sur les droits de la personne et la justice sociale. Par conséquent, toute vision de santé publique doit répondre aux normes de justice sociale et des droits de la personne.

Cette norme déontologique implique une responsabilité parta gée à l'égard de la collectivité. Autrement dit, ce principe veut que l'on ne fasse pas courir de risques à un segment de la collectivité parce que l'on perçoit un risque ailleurs. Dans mon mémoire, je donne l'exemple des coussins gonflables. De l'avis de tous, l'avènement des coussins gonflables a fait en sorte que beaucoup d'adultes ont évité des blessures lors d'accidents de la route. Malheureusement, cela nous a conduits à transférer ce risque aux enfants et nourrissons. En effet, les coussins gonflables en ont tué beaucoup de ces petits, ce qui est inadmissible du point de vue de la santé publique. C'est parce qu'on avait demandé aux petits d'assumer un risque qui pouvait présenter des avantages à d'autres. Attention de ne pas répéter l'erreur.

Pour revenir au fondement de ma vision, il faut comprendre que toute la problématique de la bioéthique tourne autour du consentement éclairé qui permet à l'individu de faire une hypothèse et de déterminer si une mesure donnée présente pour lui plus d'avantages que de risques. Sachons, au départ, que presque tout ce que nous faisons comporte un risque. Pour exiger une absence totale de risque, il faudrait inscrire un zéro comme dénominateur de cette équation. Or, c'est impossible, ce qui prouve que rien, absolument rien, n'est sans risque.

Il faut toutefois optimiser les avantages par rapport au risque, ce qui est fondamental et implique le consentement éclairé de l'individu. Dans le cas des drogues, il s'agit notamment de définir la clientèle dont nous parlons. La terminologie dont je me sers est celle qui est employée dans les rapports de l'Institute of Medicine. Il y a d'abord l'usager, c'est-à-dire celui qui a, un jour ou l'autre, consommé de la drogue. Il peut s'agir d'un usager actuel ou d'un usager passé. Ensuite, il y a celui qui fait un usage abusif de la drogue, au point où cette consommation abusive l'a rendu malade ou lui a causé des difficultés personnelles ou sociales. Je ne suis sans doute pas le seul a avoir fait cela, mais lorsque j'étais adolescent, tout particulièrement, je me rappelle avoir parfois abusé d'alcool. Enfin, il y a celui qui consomme régulièrement de la drogue et à une fréquence qui est déterminée par le besoin de maintenir un équilibre dans le centre de récompense du cerveau. Il s'agit d'une définition de type biologique, et elle implique que si la drogue n'est pas accessible dans l'immédiat, le toxicomane voudra en trouver, quels qu'en soient les coûts personnels, sociaux et financiers.

La première fois que j'ai présenté ces définitions, on m'a signalé que la définition de «dépendance», pour celui qui en consommait régulièrement, était inadéquate parce qu'il existait deux types d'individus ayant une dépendance. Dans un premier cas, il y a ceux qui assument bien leur dépendance: la drogue est disponible, elle ne leur coûte pas trop cher et elle ne les empêche pas de fonctionner normalement d'un point de vue personnel, social et, en général, financier. Ainsi, les utilisateurs de tabac, qui est facilement disponible au Canada, répondent à cette définition.

Dans la deuxième catégorie, on trouve les personnes qui souffrent de dépendance mais qui n'ont pas les moyens financiers de se l'offrir ou dont le fonctionnement est perturbé par l'action de la drogue, ce qui entraîne une dysfonction dans les tâches normales, par exemple comme dans l'emploi. C'est à ce deuxième type de personnes que l'on pense lorsque l'on parle de toxicomane.

Je vais maintenant aborder le cas de plusieurs différentes drogues dont il question dans le cadre de la santé publique, et il y en a plus que ce dont nous avons parlé jusqu'à maintenant. Il y a deux chiffres qui m'intéressent pour chacune de ces drogues. En premier lieu, il y a une estimation du pourcentage d'usagers dans la population. Dans le cas de la marijuana, il s'agit de 46 p. 100. Or, de ces 46 p. 100, on estime à 9 p. 100 le nombre de ceux qui en consomment régulièrement.

Je n'ai pas pu trouver de chiffres pour le khat ou le coca, qui est, dans ce dernier cas, le produit non transformé. Dans le groupe de produits transformés, on trouve notamment le hachisch, l'opium, la caféine, le tabac et l'alcool. Ce sont tous des produits transformés ou manufacturés ingérés ou fumés. Dans le cas du tabac, 76 p. 100 de la population en a déjà fumé, et ce sont donc des usagers; mais seulement 32 p. 100 de ces usagers en prennent régulièrement. Cela m'a quelque peu surpris, car j'avais cru que le pourcentage de consommateurs réguliers serait plus élevé.

Quant à l'alcool, 92 p. 100 de la population en a déjà consommé, et seulement 15 p. 100 d'entre eux en consomment régulièrement.

J'attire votre attention sur le cas de l'héroïne. Nous avons souvent l'impression qu'il n'y a pas de véritables «usagers» d'héroïne, mais c'est à tort. En effet, même si ce n'est qu'une toute petite partie de la population - 2 p. 100 - qui a un jour ou l'autre consommé de l'héroïne, seulement 23 p. 100 d'entre eux en utilisent régulièrement. Il n'y a que 16 p. 100 de la population qui ait un jour ou l'autre consommé de la cocaïne, mais seulement 17 p. 100 d'entre eux ont développé une dépendance. Il s'agit partout de chiffres américains.

Ce qu'il faut bien comprendre dans un cadre de santé publique, c'est qu'il y a d'une part ceux qui ont un jour consommé de la drogue et, d'autre part, ceux qui en consomment régulièrement. Cela ne nous dit cependant pas chez combien d'entre ceux qui en consomment régulièrement il y a compensation ou décompensa tion.

Je me suis intéressé à un groupe de toxicomanes que M. Bruce Alexander avait réunis et qui faisaient de l'héroïnoma nie compensée. Il s'agit d'héroïnomanes de longue date qui travaillent et qui correspondent clairement au groupe de dépen dants dits compensés. Il faut au départ comprendre clairement quels sont les objectifs visés avant d'élaborer un cadre juridique ou avant de chercher des solutions dans une perspective de santé publique. Il faut tenir compte des différences d'utilisation.

Du point de vue de la santé publique, il est évident que celui des groupes qui nous intéresse le plus, c'est celui des dépendants décompensés, autrement dit ceux qui rencontrent des difficultés énormes d'ordre personnel, social et financier. Autrement dit, la drogue nuit à toutes les différentes facettes de leur vie. Il faut pouvoir traiter ces gens. Étant donné que les toxicomanies sont des maladies sporadiques et chroniques du cerveau, et je m'en tiendrai au modèle médical pour la définition; ce qui importe le plus dans le cas de la toxicomanie décompensée, c'est d'empê cher la rechute.

À mon avis, et vous entendrez certainement des témoins qui s'y connaissent plus que moi en matière de traitement, tout programme de traitement doit reconnaître qu'il s'agit d'une maladie chronique et récurrente et qu'il ne faut donc pas pénaliser ceux qui en souffrent. Par conséquent, nos programmes doivent être conçus en fonction de la récidive. On veut évidemment travailler à empêcher la rechute, mais il faut comprendre qu'elle existe.

Le deuxième sujet qui peut constituer un objectif de santé publique est la prévention et l'atténuation des effets directs de la drogue. Je les qualifie d'«effets toxiques» avec réticence, car le mot «toxique» signifie différentes choses dans notre société: on parle, par exemple, d'air toxique. Néanmoins, je veux parler des effets de la drogue qui sont préjudiciables à l'utilisateur. Évidemment, la prévention ou la réduction de ce préjudice lorsqu'elles sont possibles constituent un objectif de santé publique.

On peut procéder par la prévention de l'utilisation de la drogue. C'est la formule prohibitionniste qui consiste à dire: «Pour prévenir ou pour réduire les effets toxiques, il s'agit de dire non.» Cependant, la formule retenue en santé publique consiste à réduire la dose à un niveau sûr qui ne dépasse pas la capacité de l'organisme à se régénérer.

Dans ce contexte, on peut faire référence à l'alcool. Le Dr Kendall a signalé tout à l'heure que l'alcool présente une courbe en forme de «U» et qu'en quantité modérée, il réduit globalement la mortalité. Ainsi, ceux qui n'en consomment pas ont un taux de mortalité supérieur, de même que les gros consommateurs. En effet, en dose faible ou modérée, l'alcool a des effets bénéfiques pour l'organisme, aussi bien sur le plan physiologique que dans la gestion de nombreux problèmes, en particulier d'ordre psychologique.

Par conséquent, la réduction à des niveaux acceptables constitue un bon objectif de santé publique. L'organisme a une capacité réparatrice considérable. Il peut y avoir des niveaux acceptables. C'est également vrai pour la cigarette. On a tendance à diaboliser la cigarette. Il est difficile de parler du tabagisme comme d'une méthode de consommation de drogue, car en santé publique, on assimile le tabagisme et le tabac. Néanmoins, il existe des fumeurs qui fument de façon irrégulière ou de très petites quantités, et dont on peut s'attendre qu'ils ne présentent jamais les effets négatifs des maladies coronariennes, du cancer du poumon, des maladies pulmonaires chroniques et autres problèmes du même genre, car les doses qu'ils absorbent sont très faibles. Des doses inoffensives sont donc possibles.

Un autre objectif de santé publique est la prévention du préjudice pour les autres. C'est une question très importante pour nous. Ce dont je me préoccupe au premier chef, c'est la prévention des dommages neurologiques chez le foetus et chez les enfants. On ne peut tolérer que très peu de risques dans ce domaine. Cela étant dit, on tolère en réalité un risque énorme. L'alcool provoque le syndrome d'alcoolisme foetal. Même s'il n'est pas très fréquent dans certaines couches de notre société, il existe des communautés où le syndrome d'alcoolisme foetal et ses effets causent d'énormes problèmes de santé publique auxquels il faut absolument s'attaquer.

D'après les rapports de l'Institut de médecine, la marijuana, l'héroïne et la cocaïne n'auraient pas d'effets à long terme sur le développement des jeunes. Lorsque l'on suit des enfants dont la mère a été toxicomane pendant plus de cinq ans, on ne leur trouve pas de différences détectables par rapport à l'ensemble de la population. On parle ici pourtant d'un groupe de la population qui présente un risque spécifique particulier. C'est très intéressant du point de vue de la santé publique.

Évidemment, il faut également s'intéresser à la réduction du préjudice par rapport aux effets désirés d'une drogue. Nous avons vu que l'alcool provoque un comportement agressif et que c'est là l'un des effets souhaités de sa consommation. Les gens en consomment pour libérer leurs inhibitions. Il est donc normal d'essayer de réduire le préjudice découlant de cet effet souhaité. Il en va de même pour l'ecstasy. L'un des effets physiologiques de cette drogue est la difficulté d'évacuer la chaleur. Elle cause de l'hyperpyrexie, c'est-à-dire une forte élévation de la température corporelle, qui ne cause pas de problème à condition d'ingérer suffisamment de liquide. Qu'il s'agisse d'un effet souhaité ou d'un effet toxique, il faut de toute façon s'occuper des questions de ce genre.

On peut évoquer différents autres objectifs. L'un d'entre eux, dont il sera souvent question, est la prévention de l'exploitation des utilisateurs par les trafiquants, c'est-à-dire par ceux qui réalisent un profit à partir de la drogue. Vous avez certainement vu que le Journal de l'Association médicale canadienne refuse désormais de publier les rapports de recherche des compagnies pharmaceutiques parce que ceux dont la subsistance dépend de la consommation de ces médicaments ont des préjugés. Ils ont un point de vue particulier et voient la réalité d'un point de vue qui leur est avantageux.

Souvent, les médecins qui font ces recherches attribuent des vertus aux médicaments parce qu'ils ont un parti pris dont ils ne sont pas conscients. C'est la réalité. Nous devons y prêter attention. Évidemment, l'exploitation des usagers par les trafi quants est pour moi un sujet important. Il y a déjà eu de la publicité pour le tabac et l'alcool. Il ne doit plus y en avoir avec les autres drogues.

Nous avons également évoqué le fait que les trafiquants essaient de recruter de nouveaux toxicomanes. C'est leur marché. Dans le quartier est du centre-ville de Vancouver, des trafiquants essaient activement de recruter de nouveaux toxicomanes qui vont devenir dépendants, de façon à préserver leur marché. Cela n'a rien d'étonnant.

La fonction de l'application de la loi dans ce modèle de santé publique vise ceux qui exploitent les utilisateurs et donnent de fausses indications sur les inconvénients et les avantages de la consommation de leurs produits. Nous avons parlé de consente ment éclairé, en disant que ce consentement devait être véritablement éclairé. Cependant, ceux qui exploitent les consom mateurs donnent souvent une information qui annule ce consente ment éclairé parce que cette information est faussée. On a observé la même chose avec d'autres drogues. Il faut être très attentif sur ce point.

Voici maintenant l'affirmation sans doute la plus controversée de mon exposé: les gens prennent de la drogue pour des raisons précises. Toutes les drogues consommées comportent des effets positifs. Lorsqu'on parle de ceux qui consomment des drogues, on donne l'impression qu'ils n'ont pas de volonté. Cependant, si vous consultez des fumeurs, ils vous diront qu'ils trouvent un très bon goût à la première cigarette du matin. Ceux qui ont une dépendance à l'alcool vous diront qu'ils boivent parce qu'ils aiment cela. Il en va de même de la marijuana. Ceux qui en consomment le font parce que la marijuana leur procure un effet positif. Ainsi, ils évaluent le pour et le contre selon la perspective de quelqu'un qui obtient un effet positif de la drogue.

On aurait tort d'ignorer cette réalité. Si on s'adresse à eux en leur disant: «Voilà tous les effets négatifs de la drogue», sans évoquer les effets positifs, nous n'aurons aucune crédibilité à leurs yeux et nous ne pourrons pas contribuer à l'obtention d'un consentement éclairé.

L'un des objectifs de santé publique que je préconise consiste à faciliter la consommation de drogues lorsqu'elle présente des avantages physiques, psychologiques ou sociaux. À mon avis, si la consommation de drogues est beaucoup plus forte chez les adolescents et les jeunes adultes, c'est à cause du stress considérable auquel ils sont confrontés. Il y a différentes façons de remédier au stress, notamment par la consommation de drogues, que ce soit de l'alcool ou de la marijuana. Il existe aussi d'autres méthodes que les responsables de la santé publique aimeraient préconiser, comme les bons résultats scolaires et l'approbation des pairs. La pratique des sports s'avère une solution très efficace pour obtenir une diminution de la consommation de tabac chez les adolescents, notamment. Il faut impérativement reconnaître les aspects positifs de la consomma tion de drogues.

Il faut aussi aborder certains problèmes de société du point de vue de la santé publique. D'après le modèle des déterminants de la santé, nous savons que la pauvreté est un facteur de détérioration de la santé. Nous savons que les drogues illégales occasionnent une perte économique considérable. Pour la Colom bie- Britannique, on peut discuter des chiffres, mais le marché de la marijuana représente des milliards de dollars. Si l'on pouvait imposer ce marché, à raison de 10 p. 100 sur 4 milliards de dollars, on obtiendrait 400 millions de dollars qui pourraient être affectés à des programmes d'aide au développement de la petite enfance. On disposerait ainsi de ressources supplémentaires pour remédier aux problèmes dont nous avons parlé, ainsi qu'à d'autres.

Par ailleurs, l'un des objectifs essentiels de la santé publique est de remettre le citoyen sur le chemin d'une vie productive. Le dépendant compensé parvient souvent à travailler si la drogue qu'il consomme ne l'empêche pas directement de le faire. J'ai parlé d'un groupe d'héroïnomanes constitué en plusieurs années par Bruce Alexander. La majorité des consommateurs de cocaïne ont une consommation irrégulière et consomment pour améliorer leur rendement. Les champions sportifs n'utiliseraient pas la cocaïne si elle n'avait pas un effet stimulant leur permettant d'améliorer leur performance. Une bonne partie de la cocaïne consommée aux États-Unis est le fait de la classe moyenne. Elle concerne des gens qui sont parmi les plus productifs, car c'est un stimulant qui ne porte pas atteinte aux facultés mentales.

En revanche, on constate une polytoxicomanie chez ceux qui essaient d'équilibrer les effets de diverses drogues. En santé publique, il faut se demander s'ils le font efficacement ou non.

Je voudrais maintenant parler des stratégies de santé publique. La première est la réglementation de l'offre et de la distribution. Je ne prendrai pas le temps d'évoquer tous les avantages de la culture du chanvre, mais ils sont nombreux. Le chanvre a déjà fait l'objet d'une culture importante dans diverses régions des États-Unis et du Canada; on s'en servait essentiellement pour faire de la corde. Il est très utile pour maintenir le sol et pour l'amender.

Je laisserai ce sujet aux agronomes, qui le connaissent beaucoup mieux que moi.

J'aimerais parler des éléments que l'on peut souhaiter intégrer à une stratégie de santé publique. La première question concerne le point de vente. On dispose déjà d'une législation concernant les médicaments oraux non concentrés. Vous avez récemment adopté un projet de loi sur les produits naturels. On peut y lire que ceux qui vendent ces produits ne sont pas tenus de faire des essais cliniques. Je ne vois pas en quoi la marijuana, le khat et les feuilles de coca peuvent être différents des autres produits naturels que l'on utilise parfois depuis très longtemps. Ce sont des produits naturels, ils ne sont pas concentrés et ils n'ont subi aucune transformation. J'estime qu'ils doivent être assujettis à la réglementation sur les produits naturels, pour ce qui est de la pureté, de l'absence de contamination et de la concentration, et qu'ils devraient pouvoir être vendus.

L'imposition d'une restriction selon l'âge devrait susciter un vif intérêt et un passionnant débat. Lorsque j'avais 12 ans et que je voulais des cigarettes, il n'était pas difficile de s'en procurer. Est-ce que vous souhaitez une réglementation si facile à contourner qu'elle jette le discrédit sur l'ensemble de la réglementation? C'est une question dont on peut débattre.

Nous aimerions tous que l'âge légal pour acheter de la drogue soit fixé en tenant compte de l'exigence du consentement. Une personne suffisamment mûre pour exprimer son consentement l'est également suffisamment pour acheter.

Pour les produits transformés ou concentrés, il faudrait appliquer le modèle mis au point pour l'alcool, qui a donné d'assez bons résultats. Ces produits sont vendus dans des établissements commerciaux licenciés. On peut évidemment situer le contrôle à différents niveaux.

Comme pour l'alcool, le permis ne devrait être délivré qu'à des personnes qualifiées qui ne vendront la drogue que si elles sont convaincues que l'acheteur a véritablement exprimé son consente ment, après avoir pu consulter de la documentation sur les avantages et les inconvénients du produit; le titulaire du permis aura la responsabilité de s'efforcer de prévenir tout abus.

Les drogues injectables posent un tout autre problème. Elles doivent être préparées en milieu stérile, correctement dosées et administrées par une seringue à usage unique.

Vous avez sans doute entendu dire que les surdoses par inadvertance causaient encore récemment environ 300 décès par an en Colombie-Britannique. On a réussi à réduire ce chiffre de moitié. Le rapprochement avec l'intérêt considérable suscité récemment par l'approvisionnement en eau est intéressant. Le nombre des personnes qui sont mortes parce qu'elles ne connaissaient pas exactement la dose de drogue injectable qu'elles prenaient est bien supérieur au nombre des victimes de l'eau contaminée. On pourrait régler ce problème du jour au lendemain en veillant à ce que les utilisateurs prennent la dose exacte et en leur fournissant des seringues à usage unique, en particulier dans les endroits ou 85 p. 100 d'entre eux ont l'hépatite C. Si l'on voit ce qui s'est passé dans le domaine des transfusions, on comprend pourquoi les perspectives de ces malades sont peu enviables. Quinze pour cent d'entre eux sont séropositifs. Ce n'est pas un effet de la drogue ou de l'héroïne. C'est un effet du mode d'injection, qui est directement imputable au fait que ces drogues sont illégales. Dans mon modèle de santé publique, si la drogue n'était pas illégale, je pourrais éliminer presque immédiatement de 90 à 95 p. 100 des partages de seringues. Quand on considère les préjudices causés par les drogues, il faut soigneusement distinguer les effets directement imputables à la drogue et ceux qui résultent de son caractère illicite.

Je considère que les drogues injectables ne devraient être disponibles qu'en pharmacie. Les pharmaciens sont des licenciés et peuvent parfaitement garantir des conditions stériles. Je ne suis pas d'accord avec M. Fisher. J'estime que si les drogues ne sont disponibles que sur ordonnance, on va laisser de côté l'individu qui veut en consommer à titre expérimental. L'important, c'est d'utiliser obligatoirement des seringues à dose unique. Il existe des seringues dont le piston se bloque une fois le contenu injecté, et qui ne peuvent pas être réutilisées. Si ces seringues sont disponibles, il n'est plus impératif de recourir à la prescription sur ordonnance.

Dans l'état actuel des choses, je considère que l'ordonnance n'est pas indispensable lorsque la drogue est destinée à une personne dépendante, mais qu'on pourrait l'imposer pour les traitements de la dépendance. Lorsqu'un médecin ou un profes sionnel de la santé diagnostique un cas de dépendance, il devrait pouvoir prescrire un médicament pour essayer de faire passer le toxicomane de la catégorie de la dépendance décompensée à celle de la dépendance compensée, de façon qu'on puisse traiter la dépendance proprement dite. L'essentiel est de faire passer le toxicomane de la catégorie décompensée à la catégorie compen sée.

La stratégie de santé publique doit manifestement viser la prévention du préjudice pour les autres. On parle ici de questions comme l'interdiction de la conduite avec facultés affaiblies. Ce devrait être l'une des responsabilités des établissements licenciés. Les personnes dont les facultés sont affaiblies ne devraient pas pouvoir conduire, et le fournisseur devrait être partiellement responsable, comme il l'est actuellement pour l'alcool. Il existe déjà des règlements en milieu de travail qui régissent le travail avec facultés affaiblies. Je rappelle ce que j'ai dit en matière de prévention des dommages pour le foetus et le nourrisson, cette prévention devant constituer une des premières priorités pour ceux qui s'efforcent de prévenir tout préjudice pour les autres.

Dans les toilettes des bars réservés aux hommes, on trouve des affiches indiquant que la consommation d'alcool peut être préjudiciable à l'enfant à naître. Je suppose qu'il en existe aussi dans les toilettes des femmes. C'est là qu'il faudrait les installer en priorité.

Il y a aussi des mises en garde sur les bouteilles d'alcool. Je ne sais pas si elles sont efficaces. Il faudrait faire mieux et aborder le problème selon une perspective beaucoup plus large, en considé rant que les drogues causent des préjudices et non pas en se contentant de décréter que certaines sont licites tandis que d'autres sont illicites. C'est un véritable problème. Les mères feraient bien mieux de prendre de la marijuana que de l'alcool, en particulier aux doses dont nous parlons, et dans certaines communautés.

Dans cette stratégie, il est essentiel d'interdire toute publicité. Par l'exemple du tabac, on sait que les sociétés qui réalisent des profits avec les produits de ce genre sont très habiles à persuader les consommateurs d'acheter leurs produits. Du point de vue de la santé publique, cela n'est pas souhaitable. Il faut donner de l'information sur les avantages et sur les inconvénients du produit, mais cette information ne doit pas être faussée par l'appât du gain.

J'espère que l'on peut faire confiance au gouvernement sur ce point. J'étais moins dubitatif avant d'avoir vu ce qui s'est passé en matière de jeu compulsif. Le jeu peut provoquer une accoutuman ce dans un nombre relativement peu élevé de cas. De cinq à 15 p. 100 des jeunes qui ont accès aux appareils de loterie vidéo développent une accoutumance au sens classique dont j'ai parlé. Pourtant, les gouvernements n'interviennent pratiquement pas parce que le jeu leur procure des recettes. J'aimerais pouvoir espérer en toute confiance que les gouvernements vont s'occuper de la santé des citoyens et refuseront de devenir des trafiquants auprès des prochaines générations. Je pense que c'est notre meilleure chance.

On ne peut sans doute pas interdire une publicité normale comme celle que l'on trouve à Amsterdam au point d'utilisation ou au point de vente, où le consommateur peut choisir sur une liste de différentes variétés de marijuana. Je crois qu'il en existe 141 variétés différentes actuellement. Elles ne sont sans doute pas toutes disponibles à tous les points de vente, mais elles existent néanmoins.

Quels avantages présentent une telle situation? On pourrait sauver immédiatement des vies, grâce à des seringues à usage unique et à une drogue disponible en dosages précis et en quantités suffisantes pour que les utilisateurs s'en prévalent. Un héroïnomane s'injecte de quatre à six fois par jour. Il a donc besoin d'une certaine quantité. Les surdoses par inadvertance, comme je l'ai dit, posent un grave problème de santé publique qui ne reçoit pas actuellement toute l'attention qu'il mérite. Les infections liées aux injections sont un grave problème de santé publique dans tous les grands centres urbains.

Je signale que la moitié des surdoses par inadvertance constatées en Colombie-Britannique surviennent ailleurs qu'à Vancouver, dans le reste de la province.

Ceux qui pensent qu'il s'agit là d'un problème localisé dans le quartier est du centre-ville de Vancouver se trompent. C'est un problème de santé publique, que l'on constate partout. On a observé des épidémies d'hépatite C et d'hépatite B dans des communautés relativement éloignées, qui connaissent parfois une forte consommation de drogue.

On peut envisager dans ce domaine des avantages économi ques. Une meilleure stratégie occasionnerait des gains économi ques directs dans le secteur de l'accueil. On réalisera des gains également dans le domaine fiscal. Il serait avantageux que cet argent serve à venir en aide aux personnes nécessiteuses. On pourrait aussi obtenir une réduction des coûts de l'application de la loi, à défaut de pouvoir les éliminer, car dans la situation actuelle, les préjudices causées aux autres, comme la conduite avec facultés affaiblies, comportent des coûts considérables. On devrait aussi constater une réduction rapide des coûts de soins de santé, en particulier dans les grands centres.

On pourrait aussi opter pour des drogues de substitution moins dangereuses et pour de meilleures méthodes de consommation. Autrefois, on fumait de l'héroïne. Il est très rare que l'on parvienne à une surdose en fumant. Si l'on peut apporter des changements au niveau des approvisionnements, on peut aussi en apporter en ce qui concerne les modalités de consommation.

La volonté des pouvoirs publics de dire aux gens comment ils devraient se comporter sans se renseigner sur leurs niveaux de stress et de difficultés, sans essayer de comprendre les avantages recherchés dans la consommation de drogue, pose un problème moral. La consommation de drogue ne répond pas à une motivation d'ordre magique. Les consommateurs considèrent souvent que la drogue aurait un effet bénéfique, notamment pour atténuer le stress. Je pense qu'il existe néanmoins un problème moral, qui mérite d'être approfondi.

Certains craignent une augmentation de la consommation, et en conséquence, un plus grand préjudice pour les utilisateurs et pour les autres. Ce problème mérite aussi qu'on s'y intéresse.

Il existe une question qui me préoccupe plus que les autres et qui, je le crains, risque de vous poser de sérieux problèmes. Ceux qui profitent de la drogue vont chercher à défendre leurs profits, et vous ne les connaîtrez pas. Ils vont se présenter à vous avec toutes sortes d'arguments qui vous seront soumis par des spécialistes très efficaces et fort bien rémunérés. Qu'il me suffise de vous rappeler la très grande efficacité des lobbyistes de l'industrie du tabac - mais eux, vous saviez qui ils étaient. Vous ne saurez pas qui sont les lobbyistes de ceux qui ont intérêt à ce que les drogues restent illicites. Je vous souhaite bonne chance sur ce point. Voilà un problème qu'il faudra régler. Vous allez subir des pressions de la part de ceux qui vivent de la consommation de drogues. Ils ont généralement un parti pris, conscients ou non. Je ne prétends pas qu'ils faussent délibérément la vérité. Ils vous présenteront la vérité, mais de leur point vue, qui peut être déformé par des partis pris dont ils ne sont pas conscients.

L'autre problème, c'est que ceux qui ne voient que des dépendants décompensés en viennent très rapidement à croire que le monde se compose entièrement de dépendants décompensés. Ils ne voient pas que d'autres utilisateurs, très nombreux, méritent aussi notre protection.

En résumé, nos objectifs de santé publique comprennent la réduction de l'effet direct des drogues, en particulier de leurs effets toxiques. Il faut soumettre les effets négatifs à une surveillance appropriée. Il faut traiter la dépendance décompen sée. Il faut donner suffisamment d'information pour que le consommateur puisse exprimer un consentement éclairé s'il veut avoir accès à des drogues plus sûres, qui seront soumises à une réglementation précise.

Le fait est que je crois que les drogues devraient être légalisées. Il faudrait le faire le plus tôt possible afin de sauver la vie de Canadiens.

À ma connaissance, toutes les conventions actuelles prévoient une disposition autorisant un pays à abroger ladite convention si c'est dans le but de sauver la vie de ces citoyens. À mon avis, la position morale du gouvernement du Canada devrait être d'essayer de sauver la vie de ses citoyens et d'améliorer la qualité de la vie de ceux qui sont le plus vulnérables. Le groupe de dépendants décompensés et le groupe de dépendants sont composés de personnes qui sont très vulnérables qui méritent la protection du gouvernement du Canada. Vous avez en fait le pouvoir d'accorder à ces personnes cette protection.

Le président: À la fin de la réunion, après le dernier témoin, nous passerons à une discussion générale. Vous êtes invité à rester des nôtres si vous le désirez.

Dr Mathias: Merci. C'est ce que je ferai, monsieur le président.

Le président: Le temps presse. Nous devrons peut-être réduire la période réservée.

Le sénateur Kenny: En sommes-nous arrivés à un point où la science n'entre plus en ligne de compte dans cette discussion sur la politique publique? S'agit-il simplement de discuter de la position morale ou des préjugés des gens?

Dr Mathias: J'ai deux réponses à cette question. Tout d'abord, la politique publique doit être fondée sur des preuves. Il serait trop hâtif de conclure que la preuve c'est la science. Je ne crois pas que ces deux choses soient les mêmes. «Preuve» et «science» ne sont pas des synonymes.

La preuve de préjudices est irréfutable. Nous cherchons maintenant la preuve des avantages. La preuve démontre que l'interdiction procure peu d'avantages mais beaucoup de désavan tages.

Vous comprendrez qu'à titre de scientifique je veux mettre les points sur les i. Cependant, la politique publique ne fonctionne pas de cette façon. Vous ne pouvez pas attendre de mettre tous les points sur les i si, en attendant, vous sacrifiez la vie de Canadiens.

La politique publique est l'art de faire converger les preuves dont nous disposons, les questions politiques et les questions internationales telles que vous les percevez. Je ne peux faire cela. Je ne peux que vous offrir des conseils sur la question qui m'occupe. La politique publique est un processus politique justement en raison de tous ces éléments importants qui doivent être conciliés. C'est en fait ce que vous ferez.

Pour ce qui est de la question morale, le Canada et les démocraties occidentales dans l'ensemble ont une optique morale fondée sur la tolérance; nous cherchons à démontrer de plus en plus de tolérance, tout au moins dans notre pays, qui est évidemment le pays que je connais le mieux. Nous devons également faire preuve de tolérance à l'égard de ceux qui dépendent des drogues et de ceux qui utilisent des drogues. N'oubliez pas qu'ils le font pour une raison. Ils le font parce que leur perception est qu'ils en tirent plus d'avantages que de désavantages.

Une des causes de la tragédie de la semaine dernière est l'intolérance. Un groupe de gens qui pensaient avoir raison se sont livrés à cet attentat; ils avaient leur propre position morale dans cette affaire. En fait, certains des membres du mouvement des chrétiens intégristes extrémistes ont convenu que ceux qui étaient morts lors des attentats étaient des personnes immorales, ou amorales, ou que ce geste avait été décidé par Dieu pour des raisons morales.

Ce genre de raisonnement est absolument répugnant aux yeux des Canadiens. Nous devons nous garder de présenter des arguments de moral quand ces arguments font la promotion d'intolérance.

Les Canadiens doivent poursuivre leurs efforts. Je crois que nous avons réalisé d'importants progrès et nous avons su défendre la tolérance comme fondement de notre société. Nous devons utiliser les preuves disponibles du mieux que nous pouvons. Lorsque les gens ne nuisent pas aux autres, nous devrions nous garder de juger leur comportement de peur que ces jugements ne mettent leur santé en danger. Ça c'est mon opinion de l'aspect moral de la question.

Le sénateur Kenny: Brièvement, sans trop s'écarter du sujet, voulez-vous m'aider à comprendre certaines de vos équations. Je n'ai jamais été très fort en algèbre. Je pensais que je comprenais l'équation avantages-coûts. Vous parliez de l'équation avantages- préjudices, et puis vous avez parlé de l'équation du risque. Si j'essayais d'évaluer le risque, je comparerais les préjudices causés aux risques que ces préjudices soient causés. Est-ce qu'il s'agit là d'une des comparaisons dont vous parlez?

Dr Mathias: Ces équations sont semblables mais je les présente dans l'ordre inverse. Je crois que recourir à l'analyse avantages-coûts n'est pas vraiment la façon de procéder. Tout d'abord, vous devez songer aux avantages. Vous voulez prendre le dénominateur et en faire le numérateur. Je parle personnellement de coûts-avantages. Nous avons les résultas que nous recherchons, soit les avantages, puis nous déterminons le coût, plutôt que de faire le contraire. La majorité d'entre nous préfèrent composer avec le premier terme, soit le dénominateur, plutôt que le deuxième, le numérateur. C'est pourquoi ici je parle de coûts-avantages puis là d'avantages-risques. Il faut d'abord déterminer les avantages et puis les risques. Les risques sont fonction de la sévérité multipliée par l'incidence. Ce rapport est également dans le dénominateur, et entre parenthèses dans les données algébriques du dénominateur.

Le sénateur Kenny: Vous nous avez enjoints d'étudier de très près la position de nos témoins pour savoir s'ils tirent profit de la situation. Vous avez dit qu'il serait très difficile pour nous d'identifier ceux qui profitent du trafic des drogues, et je ne crois pas que nous ayons sur la liste des témoins, pas encore en tout cas, des revendeurs. Certains de ceux qui se sont adressés à nous ont dit qu'ils avaient utilisé des drogues. Mais j'aimerais savoir comment nous pouvons identifier ceux qui profitent du trafic des drogues.

Certains de nos témoins font partie de ce que j'appellerais «l'industrie de production des consommateurs». Tout semble indiquer que cette industrie est très importante aux États-Unis, mais je ne sais pas si ça commence par la construction de nouveaux pénitenciers, l'embauche de nouveaux gardiens de prison et puis de policiers chargés de trouver des personnes pour remplir ces pénitenciers. Il y a certainement une industrie qui se dessine là-bas.

Pourriez-vous aider le comité à identifier les intérêts des témoins qu'il entend? Peut-être pourriez-vous nous faire part des vôtres?

Dr Mathias: Tout d'abord je devrais signaler que mon fils, Gordon Mathias, a brigué les suffrages lors des dernières élections provinciales pour le B.C. Marijuana Party. Il était d'avis que les lois interdisant les drogues étaient une mauvaise chose, et il jugeait qu'en passant par le processus démocratique il pourrait mieux exprimer son opinion. Puisque je suis son père, il y a peut-être là un conflit d'intérêts.

Personnellement, je ne consomme pas de drogue. Comme intervenant du secteur de la santé publique, je crois qu'il y a des façons beaucoup moins risquées d'obtenir les avantages qu'on associe aux drogues, tout particulièrement en vieillissant. Je crois que les stress de notre vie deviennent différents et nous pouvons composer de façon différente. C'est mon opinion.

Ce n'est pas parce que le revenu, l'emploi ou la sécurité de certaines personnes dépend de l'industrie que ce qu'ils disent n'est pas vrai. C'est à vous de tenir compte de leur situation.

Le sénateur Kenny: Dites-vous que nous devrions avoir un petit protocole pour chaque témoin? Une fois qu'on les invite à témoigner, devrions-nous leur demander quels sont leurs intérêts particuliers puis leur dire que c'est en fonction de ces intérêts que nous évaluerons leurs témoignages?

Dr Mathias: Certainement. Dans tous les documents médi caux étudiés par les pairs, aujourd'hui, à la fin des articles il doit y avoir une déclaration sur les conflits d'intérêts où l'auteur doit le déclarer s'il retire quelque avantage financier de ce document. Cela s'applique même aux personnes les plus honorables. Je ne crois pas que les gens cherchent à vous donner de faux renseignements, tout au moins pas dans ce groupe de témoins. Cependant, je crois qu'il faut interpréter leurs propos en fonction de leurs intérêts. Je ne crois pas que ce soit une façon déraisonnable de procéder.

Le sénateur Kenny: Passons maintenant aux services de police. Notre comité a accueilli des témoins représentant les corps de police. Les policiers ne jugent pas qu'ils représentent une industrie dont la responsabilité est d'arrêter les utilisateurs de drogue et de les envoyer derrière les barreaux. Ce n'est pas, à leurs dires, ce qui les inspire. Ils voient plutôt un problème social auquel ils sont confrontés tous les jours et cette situation les inquiète. Les inquiète beaucoup. Ils ont dit au comité: «Nos lois sont importantes. Elles communiquent un message aux gens leur disant que ce comportement n'est pas acceptable aux yeux de la société et qu'il faut donc respecter ces lois.» Tous les policiers ne disent pas ça, mais certainement un bon nombre d'entre eux tiennent de tels propos.

Dr Mathias: Oui, il y a des policiers qui ne sont pas de cet avis.

Le sénateur Kenny: C'est vrai.

Dr Mathias: La situation d'un policier se compare un peu à celle du médecin. Le policier est en contact avec des criminels. En raison de ces contacts, leur milieu est le monde criminel. Ils finissent par voir le monde de ce point de vue. Une des raisons, par exemple, pour laquelle on fait passer les policiers d'une escouade à une autre, c'est pour qu'ils ne pensent pas que tout le monde représente un groupe particulier, pour qu'ils ne voient pas les choses d'un seul point de vue. C'est très difficile pour eux de s'écarter de ce milieu.

J'ai beaucoup de respect pour leur opinion, mais s'ils parlent d'un programme social, ils parlent de mon domaine. Ils parlent de santé publique. Ils parlent de quelque chose de complètement différent. Ils n'ont ni le mandat ni les compétences pour se pencher sur un problème social. Je crois que leur opinion que la loi est la façon de composer avec un problème social est caractéristique du milieu qu'ils représentent.

Le sénateur Kenny: Sauf le respect que je vous dois, monsieur, les policiers jugent qu'ils sont sur la première ligne, et que vous n'êtes que quelque part dans l'arrière-plan.

Dr Mathias: Mais ils ont parfaitement tort. Nous jugeons que nous sommes sur la première ligne parce que nous sommes dans les salles d'urgence où ces gens arrivent. Les mercredis où les gens reçoivent leur chèque d'aide sociale, où se retrouvent ces gens? Après leur surdose, ils sont ramenés au St. Paul's Hospital par les techniciens médicaux d'urgence. Les salles sont pleines de ces personnes que nous devons aider.

J'ai beaucoup de respect pour les policiers. Je ne voudrais pas avoir une société où il n'y aurait pas de policiers. Cependant, je crois qu'ils devraient s'occuper du mal causé à autrui. En fait, leur rôle comme protecteur de ceux qui sont décompensés et qui sont dépendantes est très important, mais ils ne devraient pas s'en prendre aux personnes dépendantes décompensées qui sont malades. Ils devraient plutôt s'en prendre à ceux qui les ont rendues dépendantes, ou qui les ont aidées à le devenir, ou qui les empêchent de recevoir les soins appropriés. Les policiers ont un rôle important à jouer, mais je ne suis pas convaincu que nous nous entendions sur la nature de ce rôle.

Le sénateur Banks: Merci d'être venu. J'ai beaucoup de respect pour ceux qui ont une opinion catégorique et qui n'hésite pas à l'exprimer.

C'est pousser un peu que de faire l'analogie qui suit, mais permettez-moi de la faire quand même. Supposons qu'il y a une falaise à partir de laquelle des gens font du saut en parachute, et nombre de ceux qui sautent s'en tirent. Cependant, on sait - en fait tout le monde le sait, c'est inévitable - qu'il y a des courants ascendants étranges à proximité de cette falaise. Il y a plus de gens qui meurent ou qui sont grièvement blessés après avoir sauté de cette falaise que de n'importe quelle autre falaise de la région, mais les gens sautent toujours de cette falaise. Ils connaissent les dangers.

Personne au monde, certainement pas en Amérique du Nord ou en Europe occidentale, peut dire qu'ils ne savent pas quels sont les dangers mais ils se rendent quand même sur cette falaise. Puis ils se retrouvent au sol, ils sont blessés, grièvement blessés ou même malheureusement tués. J'ai l'impression que vous présen tez ces gens comme étant des victimes ou comme étant malades. Mais s'ils sont malades, c'est parce qu'ils ont fait quelque chose qu'ils n'auraient pas dû faire! Est-ce qu'on en tient compte? Est-ce que ce n'est pas un peu comme s'élancer aveuglément dans la rue et se faire frapper par un autobus?

Dr Mathias: Vous posez votre question de façon à laisser entendre que ceux qui pratiquent la chute libre le font après avoir donné leur consentement éclairé.

Le sénateur Banks: Oui.

Dr Mathias: Selon mon modèle, allez-y, c'est parfait.

Le sénateur Banks: Excusez-moi, permettez-moi de vous interrompre. Est-ce que cela signifie que nous disons à ceux qui veulent prendre de l'héroïne par injection: «Essayez, vous verrez»?

Dr Mathias: Tout à fait, dans la mesure où il n'y a pas de risque.

Le sénateur Banks: Cependant ils savent qu'il y a des risques puisqu'il y a des gens qui meurent d'une surdose.

Dr Mathias: On peut rendre la chose sûre. Je peux donner une dose quantifiée. S'il n'est possible d'obtenir cette drogue qu'à la pharmacie, le pharmacien peut dire par exemple: «Avez-vous déjà fait cela? Si non, peut-être devriez-vous commencer par une demi-dose». L'héroïne est une drogue sans le moindre danger. Il n'y a pas d'effet toxique.

Le sénateur Banks: Quels sont ces avantages?

Dr Mathias: L'euphorie et le soulagement de la douleur. Il y a également des inconvénients. Cela peut entraîner la constipation et d'autres états. Toutefois, l'héroïne n'est pas toxique comme l'alcool. Dans le cas de l'alcool, on tue quelques cellules du foie. Il n'y a rien à faire, c'est ce que vous fait l'alcool. Toutefois, ces cellules sont nombreuses et il y a régénération. Si votre consommation est modérée, alors ce n'est pas vraiment un problème. Si vous prenez beaucoup d'alcool, vous allez détruire votre foie. L'héroïne ne vous fera pas cela. Toutefois, si la dose est trop élevée, l'héroïne supprimera votre respiration. Si vous cessez de respirer, vous êtes foutu. Le facteur de sécurité qu'il faut accentuer, c'est que l'on doit savoir exactement combien d'héroïne on prend et il ne faut pas partager la seringue avec quelqu'un d'autre. Rien n'est pire que d'expérimenter avec l'attirail de quelqu'un d'autre. On se trouve à vider le sang qui se trouve dans la seringue si l'attirail a déjà été utilisé. On s'injecte donc avec le sang de quelqu'un d'autre. C'est ainsi que l'on attrape l'hépatite C. C'est pourquoi le taux d'infection est de 85 p. 100 au centre-ville est. Il y a quelques années, ce taux était de 3 ou 4 p. 100.

Si vous voulez expérimenter, je veux que ce soit avec l'information nécessaire pour dire: «Oui, je vais essayer ça. Chouette. Allez-y.»

S'il s'agit d'utilisateurs occasionnels, ils ne se feront pas beaucoup de mal. Je préfère dire: «Il y a une meilleure façon de s'y prendre. La raison pour laquelle vous vous injectez, c'est pour obtenir le résultat maximum avant que la police ne vous arrête.» Ce produit est extrêmement coûteux. Voilà pourquoi on a de plus en plus recours à l'injection. Jadis, on fumait l'héroïne. Et si je disais à un jeune: «Écoutez, c'est très risqué ce que vous faites-là. Les injections ça demande beaucoup de travail. Vous pourriez rater votre coup. Il y a toutes sortes de problèmes associés à cela. Si vous voulez expérimenter, faites-le avec quelque chose de moins dangereux. Voici une cigarette; fumez-la. Vous allez avoir le même résultat même si c'est un peu plus long. Vous ne courrez pas les mêmes risques. Je ne sais pas si la dépendance sera plus grande ou non, mais voici ce à quoi il faut faire très attention.» Les pharmacies tiennent des données sur les produits qu'elles vendent et leurs acheteurs. S'il y a un nom qui revient dans les dossiers, nous pouvons tenter de convaincre la personne de se faire soigner. Vous ne pouvez soigner quelqu'un sans son consentement. C'est un aspect fondamental du régime de soins de santé. Il y a des choses qu'on peut faire pour empêcher des gens de se casser la gueule sur les rochers.

Le sénateur Banks: Il y a une question fondamentale que nous n'avons pas très bien réglée dans le cas de certains médicaments d'ordonnance, mais c'est une autre question.

J'en conclus donc que vous préconisez le contrôle des injections de sorte qu'une personne de 19 ans qui donne son consentement éclairé pour obtenir une demi-dose, par exemple, ne pourra pas - nous en serons raisonnablement assurés - sortir et remettre la dose à un jeune de 14 ans. Est-ce bien cela?

Dr Mathias: Oui. On peut élargir cette idée de salles sécuritaires d'injection, si les drogues sont illicites, pour inclure l'idée de les y vendre.

Le sénateur Banks: Proposez-vous d'avoir une salle d'injec tion dans chaque pharmacie?

Dr Mathias: Il pourrait y avoir une infirmière hygiéniste. Ce ne sera peut-être pas une petite salle à l'arrière de la boutique. Ce sera peut-être la salle principale. Vous pourriez y aller et parler à d'autres utilisateurs sur ce qui est bon ou mauvais au sujet des drogues. Nous serons là comme responsables de la santé publique pour dire: «Écoutez, ce que vous faites comporte des risques. Vous y voyez peut-être un élément d'exaltation, mais il y a des inconvénients à faire ce que vous faites.» Ainsi, nous pourrons nous assurer que le consentement est le plus éclairé possible. On peut les encourager à utiliser quelque chose de moins dangereux. Nous pouvons dire: «Si vous voulez essayer cela, essayez de fumer de l'opium. C'est beaucoup moins dangereux que l'héroïne.» Pourquoi utilisons-nous l'héroïne au Canada? Il ne faut pas oublier que de nombreuses personnes qui ont travaillé à la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique étaient des coolies chinois. Ils consommaient régulièrement de l'opium pendant la construction du chemin de fer. À chaque fois que vous roulez sur ce chemin de fer, vous roulez sur le sang de ces personnes. Elles ont pu continuer à travailler malgré tout. Nous dirons peut-être: «Écoutez, s'injecter de l'héroïne, ça ne vaut rien. C'est une mauvaise drogue, mais fumer de l'opium, c'est moins risqué.» Si les gens vont consommer ces choses, il faut que ce soit les drogues les plus sûres et qu'ils le fassent de la façon la moins risquée. C'est difficile de prendre une surdose en fumant.

Le sénateur Banks: Dans ce régime que vous venez tout juste de décrire, êtes-vous prêt à accepter le risque inconnu, mais qu'on peut anticiper, d'une augmentation considérable dans l'utilisation?

Dr Mathias: Un à-côté de ce régime c'est qu'il est possible que cela entraîne une utilisation considérablement accrue. Si nous permettons la publicité, et s'il en est question publiquement, nous aurons alors l'équivalent opium du coca-cola et nous serons en difficulté. Toutefois, si les jeunes, en discutant, décident qu'ils veulent essayer quelque chose, comme parent, je veux que ce soit le plus sûr possible. L'approche de santé publique c'est de rendre la consommation la plus sûre possible pour ceux qui veulent expérimenter, pour ceux qui ont leurs problèmes et leur stress.

Un de mes enfants fait de l'escalade et c'est dangereux. C'est comme le vol libre, bien que moins risqué, du moins je l'espère. Néanmoins, cela comporte des risques. Est-ce que je dis: «Ne le fais pas»? Non. Je dis: «Si tu veux faire ça, voici comment t'y prendre, utilise de l'équipement sécuritaire approprié, fait de l'escalade avec des personnes expérimentées.» Si je prive mes enfants d'une possibilité d'épanouissement, suis-je plus avancé?

Le sénateur Banks: Je ne suis pas convaincu que l'héroïne soit un moyen d'épanouissement.

Vous avez mentionné que ce nouveau régime pourrait avoir un certain intérêt pour l'industrie de l'hospitalité. Voulez-vous parler de voyageurs des quatre coins de la planète qui viendraient là où c'est légal?

Dr Mathias: Tout d'abord, je veux dire que ceux qui dirigent actuellement des bars et des établissements semblables pourraient fort bien être ceux qui se lanceraient dans l'équivalent des cafés d'Amsterdam. C'est là une industrie que la santé publique comprend bien, surtout dans le cas des restaurants, de la gestion du risque, et cetera. Les gens d'affaires légitimes auront l'occasion de se lancer dans ce secteur. Aujourd'hui, on passe par d'autres moyens. Ces moyens sont très dangereux. Personne n'a la formation voulue pour surveiller ce qui arrive aux gens, et cetera. Nous savons à la lumière de notre expérience avec l'alcool qu'on est loin de la perfection. Toutefois, je pense que c'est le mieux que nous pouvons faire si nous légalisons les drogues.

Le président: Nous allons nous arrêter là, monsieur. J'ai quelques questions, mais je vous les ferai parvenir. Nous afficherons vos réponses à mes questions sur notre site Web. Merci beaucoup de votre exposé. Vous avez été très courageux et très franc.

Notre quatrième témoin aujourd'hui est le Dr Colin Mangham. Je ne lirai pas votre biographie en entier, car elle sera reproduite, comme celle des autres, sur notre site Internet. Dans le but de gagner du temps, nous passerons directement à votre exposé. Nous devrons mettre fin à nos travaux aujourd'hui à 15 h 30. Docteur Mangham, nous vous donnons jusqu'à 15 h 30, et nous vous ferons parvenir nos questions, auxquelles vous pourrez répondre par écrit. Comme les autres questions et réponses, tout cela sera affiché sur l'Internet.

Le Dr Colin R. Mangham, directeur, Prevention Source B.C.: Tout d'abord, je tiens à vous remercier de me permettre de présenter ce mémoire au comité. Depuis la création de ce comité, avant les élections, je m'intéresse à voir discuter de cette question et à entendre présenter tous les arguments. J'ai suivi avec intérêt les travaux du comité, les témoignages devant le comité, les questions à l'étude que nous considérons d'une importance réelle. Je sais que vous avez entendu de nombreux groupes jusqu'à présent.

Comme il s'agit aujourd'hui, je présume, d'une journée de santé publique, j'aimerais dire que la santé publique est un vaste sujet. Nous avons adopté une approche de santé publique aux drogues. Certains témoignages que j'ai lus laissent entendre que la réduction des méfaits est une approche de santé publique, ce qu'aucune autre approche n'est. Ce n'est pas du tout le cas. La santé publique est une approche globale où la loi joue un rôle très important. J'oeuvre dans le domaine de la prévention où la loi joue un rôle particulièrement important, un rôle de contrôle social, une des principales façons de réduire la disponibilité et le taux d'acceptation de ces substances.

Je me présente devant vous comme spécialiste qui oeuvre dans le milieu de la prévention au Canada, depuis plus de 20 ans en Colombie-Britannique, dans le cadre de divers projets d'envergure nationale et multinationale. La prévention est probablement le domaine le plus mal compris et souvent négligé et sans suivi, mais je pense que vous conviendrez que c'est l'aspect le plus important de toute lutte contre les drogues.

Les opinions dont je vais vous faire part aujourd'hui sont les miennes et je ne suis pas là pour représenter une organisation ou un gouvernement. En fait, je pense que tous ceux qui ont témoigné doivent parler en leur nom propre et permettent aux gouvernements et aux organisations de faire des choix plus raisonnés et plus démocratiques.

Je tiens beaucoup à ce que cette question soit discutée et débattue ouvertement. Après avoir examiné les témoignages, je dois reconnaître que mes opinions diffèrent de celles de nombre des témoins qui ont comparu jusqu'à présent. Le message fondamental que j'aimerais vous transmettre aujourd'hui, c'est que je crois que si nous changeons notre opinion sur les drogues, nous allons opter pour une voie moins noble pour le Canada et nous allons nous sacrifier.

J'ai essayé d'obtenir un aperçu de la situation. Je vais vous révéler mes préjugés. La joie dans mon travail, et je considère que nous devons tous trouver de la joie dans notre travail, c'est mon interaction avec les jeunes et les enfants. Pendant des années, à la fin de la journée, si j'avais l'impression d'avoir fait quelque chose pour aider un jeune à faire un choix plus sain et plus heureux de façon à ce que les familles et les collectivités s'en portent mieux, j'étais heureux de ce que j'avais fait.

Je pense que nous nous préoccupons tous de notre jeunesse. Tous ceux qui ont témoigné jusqu'à présent, j'en suis sûr, sont les membres aimés d'une famille, et s'intéressent aux autres; c'est simplement que nous avons des opinions divergentes. Oui, j'ai des préjugés. Chacun en a. Dans un article où on préconisait ce que j'appelle la réduction des méfaits avec un grand «M», quelqu'un a mentionné que la réduction des méfaits n'avait aucune incidence sur les valeurs.

Ce n'est pas le cas. C'est impossible de n'avoir «aucune incidence sur les valeurs». Il nous faut révéler nos valeurs, elles sont implicites dans tout ce que nous faisons comme nation. Nous ne pouvons pas les éliminer, nous ne pouvons pas déshumaniser ou médicaliser des questions au point où nous enlevons leurs valeurs à ceux que nous ne considérons pas des spécialistes dans un domaine particulier.

Il convient donc de protéger les personnes et non pas les drogues. Il n'y a aucune raison de protéger les drogues, d'en chanter les louanges ou même d'en parler. Nous sommes ici pour parler des gens. Le message que je veux vous transmettre est que nous ne devons jamais perdre la vérité de vue et cette vérité est incontestablement que les drogues à usage récréatif sont nocives. La consommation de drogues n'aide en rien les gens. Elle cause plutôt du tort aux familles qui constituent le coeur même de notre civilisation. La dépendance que créent les drogues chez les personnes qui en consomment les enferme dans un cercle vicieux et les empêche de mener des vies productives. Cette dépendance mène aussi à des actes antisociaux et incite au crime; les drogues attirent en particulier les plus vulnérables que nous, soit les jeunes à risque et ceux qui connaissent des problèmes émotifs ou sociaux.

La prépondérance des preuves et le bon sens lui-même nous disent que si nous relâchons notre vigilance et que nous prétendons que certaines drogues présentent suffisamment peu de risques pour en décriminaliser la consommation - ce qui revient de fait à les légaliser -, le simple fait que ces drogues deviennent plus acceptables et plus disponibles mènera à une augmentation de leur consommation et transmettra le mauvais message aux générations futures. Nous pouvons faire beaucoup mieux que cela.

Au lieu d'encourager l'adoption d'une politique sur les drogues qui décriminaliserait la consommation du cannabis et qui irait à l'encontre des traités internationaux auxquels nous sommes parties, je presse le comité d'invoquer la réduction des méfaits pour réclamer qu'on mette davantage l'accent sur la prévention primaire de la consommation des drogues; qu'on renforce les efforts en vue de réduire la consommation des drogues; qu'on continue de rejeter les drogues comme mode de vie acceptable, viable ou raisonnable; et pour qu'on améliore la disponibilité et l'efficacité des programmes de traitement pour toxicomanes dans ce pays.

J'aborderai maintenant les principales questions sur lesquels le comité se penche. La première a trait à la décriminalisation du cannabis. Quelle que soit la forme qu'il prend, on ne peut pas dire que le cannabis ou la marijuana soit inoffensif. Tout examen sérieux et représentatif des études menées sur le sujet fait ressortir le fait qu'il s'agit d'une substance intoxicante psychodyselptique qui comporte des risques et des conséquences particulières pour les jeunes. Je citerai quelques études facilement accessibles qui infirment la position voulant que le cannabis soit une drogue relativement inoffensive. Certains témoignages en ce sens que j'ai entendus m'ont surpris.

Je me limiterai aux études empiriques et je vous signale que ces recherches, lorsqu'elles sont convenablement menées, sont mo destes; les allégations qui sont faites ne se fondent pas sur quelques études seulement. Ces études ne visent pas à prouver des conclusions préétablies.

Des études récentes menées par le Center for Substance Abuse Prevention des États-Unis font ressortir certains des risques liés à la consommation du cannabis. Nous savons déjà que la consommation du cannabis a des effets nocifs sur de nombreux systèmes, dont le système respiratoire, le système moteur, la mémoire et le système immunitaire, et qu'elle crée la dépendance ainsi que la tension.

De nombreuses études démontrent maintenant l'existence d'un syndrome de sevrage chez les consommateurs chroniques de cannabis qui cessent de consommer cette drogue. L'existence d'un syndrome de sevrage est un indicateur de dépendance physique qui fait ressortir la nécessité pour la personne visée de participer à un programme de désintoxication puisqu'il est fort probable dans ce cas que la personne visée continue de consommer de la drogue pour éviter de ressentir les symptômes liés au sevrage. Cette constatation ne peut surprendre ceux qui ont lu le récit de l'expérience vécue par des jeunes qui cherchaient à cesser de consommer du cannabis. J'ai moi-même été à de nombreuses reprises témoin de la souffrance ressentie par des personnes qui voulaient cesser de consommer du cannabis. J'ai trouvé extrême ment pénible de constater cette souffrance.

Je vous répète que le cannabis est aujourd'hui beaucoup plus puissant que dans les années 60, ce qui est attribuable aux méthodes de propagation et de culture actuelles.

Des recherches indiquent que la consommation de cannabis nuit au développement du foetus. J'attire votre attention sur des études qui concluent en particulier que la consommation de cannabis pendant la grossesse peut avoir une incidence négative sur le développement intellectuel des enfants. Se fondant sur des études de neurotoxicité, l'American Academy of Pediatrics a exprimé cette année son inquiétude au sujet des dangers que présente la consommation de cette drogue tant pour les femmes enceintes que pour les jeunes en général.

Permettez-moi maintenant de vous parler d'un trouble de l'attention qui prend la forme d'une déficience du balayage visuel et des fonctions connexes. Le balayage visuel se développe en particulier au début de l'adolescence et l'on craint que la consommation de cannabis puisse déclencher une déficience à cet égard. Nous ignorons tous les effets possibles de la consommation de cette drogue sur la santé mentale. Nous devons étudier soigneusement cette question. Certaines études tendent à indiquer qu'il existe un lien entre les troubles mentaux et l'utilisation des drogues.

Nous constatons très rarement la présence chez une personne d'un problème exclusivement lié aux drogues. D'autres facteurs interviennent et nous ne savons pas toujours de façon certaine dans quelle mesure certains problèmes existaient au préalable et dans quelle mesure ils ont été aggravés notamment par l'effet dépressif des drogues elles-mêmes.

Malgré qu'on ait pu vous dire le contraire, il est bien évident que le cannabis est une drogue qui mène à la consommation d'autres drogues. La plupart des gens qui passent à d'autres drogues commencent par consommer de la marijuana. La consommation de drogues suit une progression chronologique et la première drogue consommée est souvent le cannabis.

Des études neurotoxicologiques très récentes dont les résultats restent à confirmer menées par le National Institute on Drug Abuse aux États-Unis indiquent que la marijuana peut entraîner certaines modifications dans le cerveau qui augmenteraient les risques de dépendance à l'égard d'autres drogues. De nombreuses questions continuent de se poser. Faut-il conclure que ce risque de dépendance accrue existe dans tous les cas? Ces conclusions sont-elles coulées dans le béton? Non, pas plus que les conclusions en sens inverse.

Nous discutons d'une substance dont la consommation compor te de graves risques et au sujet de laquelle les points de vue sont bien marqués. Je suis convaincu que vous avez du mal à trouver quelqu'un qui présenterait ces faits comme un pur automate sans émotivité. Je suis surpris de voir combien de personnes intelligentes et bien instruites défendent cette drogue comme s'il s'agissait d'une drogue mal comprise sur laquelle on aurait répandu des faussetés comme s'il s'agissait d'une personne à l'endroit de laquelle on aurait commis une injustice.

Je ne comprends vraiment pas ce qui explique ce point de vue. Peut-être que ces personnes sont elles-mêmes des utilisateurs ou qu'elles sont des partisans des libertés civiles. Je ne sais pas ce qu'il faut en penser. J'ai moi-même un certain parti pris dont je vous parlerai. Je crois cependant qu'il nous faut psychologiques examiner quelles sont les conséquences sociales, émotives, physiques et spirituelles de la consommation des drogues.

Certains font remarquer que l'alcool et le tabac sont des substances plus nocives que le cannabis. Les partisans de la réduction des méfaits insistent beaucoup sur cela. Le fait est - et le bon sens le confirme - qu'étant donné que ces drogues sont légales et donc davantage disponibles et socialement acceptables que le cannabis, le taux de consommation du tabac et de l'alcool sont respectivement cinq fois et 10 fois plus élevés que le taux de consommation du cannabis malgré tous les efforts déployés pour mettre en garde les gens contre les effets de ces substances.

Il ne fait donc aucun doute que la consommation de ces deux substances entraînent des coûts très élevés. Elle entraîne également des coûts que nous ne pouvons pas facilement mesurer, mais dont il faut aussi tenir compte.

Comte tenu de cette situation, il semble illogique de vouloir ajouter le cannabis à la liste des substances légales qui sont cependant nocives en en décriminalisant la consommation.

Le principal facteur qui explique que la consommation du tabac et de l'alcool soit plus élevée que celle du cannabis est le fait qu'étant légales, ces substances sont plus acceptées et plus disponibles. Cela m'amène à vous parler d'un autre point. Lorsque je parle de «politique de réduction des méfaits des drogues», je ne pense pas à la politique que nous avons mise en oeuvre jusqu'ici. Nous avons tenté de nombreuses expériences comme celle de l'échange des seringues et nous avons mis à l'essai l'approche de réduction des méfaits pour ce qui est de la conduite en état d'ivresse. J'ai conçu de nombreux programmes destinés aux jeunes parce que c'est ma spécialité. Si on me demandait d'élaborer un programme en vue d'enseigner aux jeunes comment utiliser de façon modérée et sans risque les drogues qui sont illicites aujourd'hui, je ne pense pas que je saurais comment le faire. La consommation de drogues entraîne toujours des effets. L'héroïne peut être la plus pure au monde, mais la personne qui la consomme peut-elle fonctionner au sein de sa famille et dans la société et a-t-elle les moyens de payer pour la drogue qu'elle s'habituera à consommer? Voilà les questions auxquelles il nous faut répondre.

Lorsque j'utilise la terme «réduction des méfaits», je l'utilise dans son sens originel. Le terme a malheureusement pris une autre connotation. À l'origine, l'objectif visé était noble, mais le terme signifie maintenant décriminilisation ou légalisation des substan ces. Je vous mets en garde contre l'utilisation de ce terme tel qu'il est maintenant compris. Il a perdu son sens originel.

Cette approche ne donne pas de meilleurs résultats que les autres. Ainsi, dans les pays européens qui l'ont adoptée, on semble constater une augmentation de la disponibilité de la drogue. Il est tout à fait logique qu'aux Pays-Bas, où le cannabis est maintenant vu comme une drogue douce par opposition à d'autres drogues, on a constaté une grande augmentation dans la disponibilité et la consommation de cette drogue.

Permettez-moi maintenant de vous parler plus particulièrement du cas des Pays-Bas et de la Suède qui ont des politiques tout à fait opposées en matière de drogue. Pendant un certain nombre d'années, la Suède a ouvertement mis en oeuvre une politique de réduction des méfaits et compte tenu des résultats négatifs obtenus avec cette approche, le pays a décidé, d'après le ministère de la Santé, de revenir à une politique très stricte en matière de drogue dont l'objectif idéaliste est de débarrasser la société des drogues. Je ne pense pas que la Suède soit convaincue de pouvoir atteindre cet objectif, mais c'est cependant celui qu'elle s'est fixé. Pour poursuivre la comparaison entre ces deux pays, d'après les statistiques qui ont été publiées au cours de l'année, l'approche suivie par les Pays-Bas n'a pas permis de réduire davantage qu'en Suède le nombre de cas de VIH. La Suède est parvenue au même résultat que les Pays-Bas à cet égard en mettant l'accent sur les programmes de traitement. La principale façon de réduire les cas de VIH semble les programmes de traitement.

L'approche privilégiée par les Pays-Bas augmente aussi la disponibilité et l'acceptabilité du cannabis. Permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet des principes que cela soulève. Si nous estimons que les drogues sont nocives, nous ne voudrons pas en accroître la disponibilité et l'acceptabilité. Si nous pensons qu'elles représentent simplement un autre mode de vie, nous ne nous préoccuperons pas de ce fait. Nous penserons alors que nous pouvons permettre qu'elles soient utilisées de façon récréative et que nous pourrons contrôler leur consommation. Or, la disponibi lité et l'acceptabilité des drogues influent beaucoup sur leur consommation. Les drogues qui sont les plus consommées sont celles qui sont les plus disponibles et les plus socialement acceptables. L'inverse vaut également.

Moins de 2 p. 100 des Canadiens âgés de 50 ans et plus ont consommé de l'héroïne au cours de la dernière année; 7,5 p. 100 de tous les Canadiens âgés de 15 ans et plus ont consommé de la marijuana au cours de l'année; un peu plus de 80 p. 100 des Canadiens ont consommé de l'alcool au cours de la dernière année et, selon la province, de 28 à 35 p. 100 des Canadiens ont fumé du tabac pendant la même période. Dans le cas de l'alcool, la consommation diminue lorsqu'on augmente l'âge à partir duquel on peut légalement en consommer, comme cela s'est produit aux États-Unis.

Il importe aussi d'attacher de l'importance à la façon dont la consommation de drogue est perçue. L'existence de sanctions juridiques influe davantage sur l'acceptabilité d'une substance que sur sa disponibilité. L'acceptabilité sociale des drogues diminue lorsque leur consommation donne lieu à des sanctions, ce qui à son tour réduit la consommation. L'acceptabilité d'une substance est liée au risque qu'elle présente ainsi qu'à la mesure dans laquelle elle est acceptée par la société. Voilà les deux outils dont nous disposons pour limiter la consommation des drogues. Les statistiques démontrent que ces outils ont été efficaces au Canada.

Les sanctions qui visent la consommation des drogues influent donc de façon déterminante tant sur la disponibilité que sur l'acceptabilité sociale des drogues. Je répète que les Pays-Bas font une distinction entre drogues dures et drogues douces et que la consommation des drogues douces a augmenté, en particulier chez les jeunes. Le taux de consommation du cannabis, qui était autrefois faible aux Pays-Bas, a quadruplé. Ce taux est encore inférieur à ce qu'il est au Canada, mais il fait bien ressortir les différences culturelles entre le Canada et l'Europe.

J'attire aussi votre attention sur des répercussions de la disponibilité des drogues comme le tourisme lié aux drogues. Je vous renvoie au site Web du Hassela Nordic Network qui suit cette question dans les documents gouvernementaux, les témoi gnages et les reportages des journaux et qui permet de se faire une bonne idée du dialogue qui existe sur cette question en Europe où tous ne sont pas convaincus de l'efficacité de l'approche fondée sur la réduction des méfaits. Je répète que la Suède a réduit son taux de VIH en adoptant une toute autre politique.

Il serait beaucoup plus valable de comparer la situation en ce qui touche à la consommation du cannabis au Canada et aux États-Unis au cours des années 90. À la fin des années 70 et durant les années 80 - et je l'ai personnellement constaté sur le terrain -, nous avons vu la consommation de cannabis progressivement diminuer chez les jeunes, à tel point qu'en 1992, la consommation chez les élèves du secondaire avait atteint le point plancher aux États-Unis de 27 p. 100, et de 25 p. 100 en Colombie-Britannique.

En 1998, le taux de consommation se situait à 40 p. 100 en Colombie-Britannique, d'après l'étude McCreary, et à 37 p. 100 aux États-Unis, selon l'étude longitudinale intitulée «Monitoring the Future». Depuis 1988 et 1989, date de la fin de la campagne Drogues, pas besoin, on n'a plus mis en oeuvre de campagnes de lutte fédérale contre les drogues ou de campagnes provinciales dans le cas de la Colombie-Britannique. Nous avons cependant adopté une approche cohérente et globale de lutte contre le tabagisme et la conduite en état d'ivresse, à tel point que les deux comportements ont diminué de 50 p. 100 depuis les années 70 dans le cas du tabagisme et depuis environ 1980 dans le cas de la conduite en état d'ivresse.

Lorsqu'on a cessé de mettre l'accent sur la prévention, et à l'expiration de la Stratégie canadienne antidrogue, j'ai constaté que de nombreuses coalitions et de nombreux groupes de travail communautaires de lutte contre les drogues ont cessé leurs activités faute de fonds. J'ai constaté ce phénomène à Nakusp, à Penticton, le long de la Sunshine Coast, à Whistler et dans de nombreux autres endroits à mesure que les intervenants sur le terrain devaient cesser leur action parce que toute l'attention du pays était maintenant tournée vers la santé des populations. On a cessé de s'intéresser à la prévention et de financer des initiatives dans ce domaine pendant qu'on commençait à parler du chanvre, de la «marijuana médicinale» et de questions connexes. Je suis récemment allé au Vancouver Sun pour discuter avec le rédacteur en chef de la section des affaires internationales de l'importante série d'articles que le journal avait fait paraître sur la légalisation des drogues, sur la lutte contre les drogues aux États-Unis et sur les méfaits des drogues aux États-Unis. J'étais accompagné de deux autres personnes crédibles, un membre de la GRC et le chef du service de traitement des toxicomanes à Maple Ridge, et on nous a dit que le journal ne s'intéressait pas à notre point de vue et qu'il ne publierait pas de points de vue contraires à celui exprimé dans cette série d'articles. Compte tenu du fait que cette situation existe depuis des années, comment s'étonner que la consommation du cannabis ait augmenté. Comment s'en étonner en effet quand on ajoute à cela l'imposition de sentences plus clémentes dans le cas des crimes liés au trafic des drogues et à l'énorme augmentation dans la disponibilité du cannabis.

Cette situation va à l'encontre de traités et s'inspire de mauvais exemples. Je pense que nous devons nous abstenir d'enfreindre les traités. Ils existent pour de bonnes raisons. L'Organe international de contrôle des stupéfiants des Nations Unies critiquait pour la troisième fois d'affilée le Canada à cause de l'apathie qu'il démontre dans le domaine de la lutte contre les drogues. La réduction de la disponibilité des drogues doit être un effort international. J'ai été élevé aux États-Unis. Avant de me joindre à la marine en 1968-1969, je vivais au Texas. À cette époque, une personne trouvée en possession d'une semence de marijuana aurait pu en théorie être condamnée à l'emprisonne ment à perpétuité. Je suis donc conscient du fait qu'on peut aller trop loin dans l'application des lois visant à lutter contre les drogues. Le Canada ne se trouve pas dans cette situation. Il est injuste de dire que le Canada agit comme les États-Unis, mais nous devons faire preuve de collaboration. Nous devons faire notre part pour réduire la disponibilité et l'acceptabilité des drogues.

Les Pays-Bas sont maintenant isolés des autres pays en raison de leur politique sur les drogues. Le regroupement des villes européennes pour une politique responsable en matière de drogue, villes signataires de l'Accord de Francfort - dont on vante beaucoup les mérites -, qui réclame la décriminalisation du cannabis et la distribution contrôlée de l'héroïne, bat de l'aile. Lors d'une réunion tenue en 2000 dans une ville des Pays-Bas, une conseillère municipale qui présidait la réunion a fait valoir que les Pays-Bas connaissaient un recul dans leur lutte contre les drogues et que c'est le rejet sans équivoque des drogues préconisé par le Regroupement des villes européennes contre les drogues, dont font partie un bon nombre des principales villes du continent signataires de l'accord de Stockholm, qui gagne de plus en plus de terrain.

L'Alaska, la Suède et d'autres pays européens ont mis à l'essai l'approche fondée sur la réduction des méfaits et l'ont abandon née. Le comité doit vraiment se demander si cette approche, comme beaucoup de modes, n'a pas fait son temps.

Je vous recommande de tenir compte des points de vue divergents qui existent sur la question en Europe et de ne pas faire l'erreur de croire que tous ceux qui oeuvrent dans le domaine de la santé publique au Canada appuient cette politique.

Lorsque j'étais à l'université Dalhousie, j'ai participé à un important projet de recherche dans le domaine de la promotion de la santé qui portait sur la capacité d'adaptation. Nous avons consacré beaucoup de temps, d'effort et d'argent à cette étude. Grâce à une autre subvention, nous avons ensuite étudié la capacité d'adaptation des collectivités de pêche de l'Atlantique comme Île Madame, Chéticamp et une petite localité de Terre-Neuve et nous nous sommes rendu compte qu'on avait déjà étudié cette question. Nous ne faisions pas oeuvre de pionnier. Cette question avait déjà été étudiée un certain nombre d'années auparavant et on avait conçu des programmes s'y rapportant. Il s'agit d'un concept utile et, à une certaine époque, il n'y en avait pas d'autres. De la même façon, je me demande si l'idée de modifier la politique sur les drogues n'est pas vue comme une panacée. J'ai pu constater, et j'espère que certains d'entre vous partagent cet avis, qu'en bout de ligne, ce que nous devons faire, c'est de mettre en oeuvre de façon plus efficace la politique actuelle en matière de drogue.

Je me permettrai de formuler trois recommandations au comité. Premièrement, il faut mettre l'accent sur la prévention. Je parle en particulier de la prévention primaire qui vise à prévenir la consommation des drogues ou à tout le moins à la retarder. C'est un domaine qui n'a pas été pleinement exploré par comparaison à d'autres domaines. Nous savons que la prévention primaire peut être efficace. Nous l'avons constaté dans le cas du tabagisme, de la conduite en état d'ivresse et d'autres comportements posant des risques de santé. Nous savons également que nous n'avons pas accordé l'attention voulue à cette approche. Nous avons trop attendu de certains programmes comme ceux dont je vous ai parlé qui visent les élèves de sixième et de septième années. Nous mettons actuellement au point un programme à l'intention des élèves de huitième année. On s'attend à ce que ces programmes réduisent d'eux-mêmes la consommation de drogue. À moins qu'un enfant connaisse un moment fort lorsqu'il participe à ce programme, nous savons que le simple fait d'y participer n'aura pas une influence décisive sur sa vie. Nous savons cependant que le fait de répéter le même message sous diverses formes non contradictoires peut à la longue influer sur la façon dont les drogues sont perçues et utilisées. Voilà ce qui peut intervenir pour réduire la consommation des drogues. Par notre silence, nous approuvons tacitement la consommation des drogues.

J'estime donc que notre politique devrait reposer sur la prévention et non pas sur la réduction des méfaits.

Pour ce qui est des intérêts en cause, je me permets de faire remarquer que je gagne sans doute moins d'argent que la plupart des autres témoins qui ont comparu devant le comité. Je me suis lancé dans le mauvais domaine si je voulais faire de l'argent. Compte tenu de mon domaine de spécialisation et de mes compétences, je pourrais travailler dans bien d'autres domaines si je voulais faire plus d'argent. Je pourrais devenir un représentant pharmaceutique et ainsi doubler ou tripler mon revenu. Je ne le fais pas, et je m'oppose à ce qu'on laisse entendre que mes collaborateurs et moi-même avons intérêt à ce que le problème continue d'exister. C'est comme si on disait que les policiers aiment le crime parce que cela leur donne un emploi. Il s'agit d'une hypothèse dangereuse.

En deuxième lieu, je suis d'avis que nous devons grandement améliorer les programmes de traitement pour toxicomanes. En Europe, et je songe en particulier à la Suède, les programmes de traitement pour les jeunes sont de durée illimitée et s'accompa gnent de programmes d'études et de formation. Le programme de traitement ne s'étend pas seulement sur 30 jours, mais sur plus d'une année. L'idée d'un programme de traitement de 30 jours a été mise de l'avant par des sociétés d'assurance américaines. Quiconque a visité la partie est du centre-ville rirait si vous lui demandiez: «Est-il possible, en 30 jours, de faire de cette personne quelqu'un qui participera pleinement à la vie de la société et renoncera aux drogues?» C'est impossible.

En ce qui concerne l'accès au traitement, nous manquons de lits. Il y a plus de lits par habitant en Europe.

En Suède, on dit que l'usage de la drogue doit être rendu difficile. De notre côté, nous parlons de tolérance. La tolérance vient de la compassion et de la charité. La compassion et la charité peuvent tout aussi bien dire la sévérité et la fermeté que la tolérance. Tous les parents le savent. J'aime mes enfants de tout mon coeur, mais ma compassion ne me permet pas d'être si tolérant envers eux que je ne ferai rien s'ils veulent se détruire eux-mêmes. Nous devons améliorer les traitements pour les jeunes.

À la recommandation no 3, je pense qu'il faut être prudent quand on utilise l'expression «réduction des méfaits». On s'en sert maintenant surtout pour parler de changements de politiques beaucoup plus vastes que les simples actions particulières qu'elle devait désigner au départ. On insiste moins qu'auparavant sur la prévention de l'usage ou d'un usage continu. C'était le cas dans un document imprimé par le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies, qui ne reflétait pas, je pense, la politique du centre, mais qui avait été rédigé par l'un des principaux auteurs dont les articles sont cités sur votre site Web. Ce document disait que la prévention primaire stigmatise les toxicomanes et les traite comme des déficients. J'ai travaillé dans le domaine de la prévention probablement aussi longtemps que n'importe qui au Canada et cette affirmation est tout à fait fausse. La prévention dit qu'il vaut mieux ne pas utiliser la drogue et que, si on l'utilise déjà, il est préférable d'arrêter. Elle ne dit rien à propos des toxicomanes eux-mêmes.

Nous devons nous efforcer de réduire le caractère acceptable et la disponibilité des drogues illicites. Si nous modifions la loi pour refléter notre désir d'être sensibles et tolérants, nous devons nous concentrer sur ceux qui commettent une première infraction et sur les jeunes qui se sont égarés en nous efforçant de ne pas détruire leur vie. Je ne pense pas que nous ruinions leur vie maintenant. Il existe déjà un système où nous faisons preuve de prudence et où nous pouvons offrir des solutions qui aident les toxicomanes à changer au lieu de nous contenter de mettre les gens en prison comme le font les États-Unis. Nous pouvons faire autre chose.

J'ai immigré au Canada et je dois dire que je suis extrêmement fier d'habiter le Canada. Je suis très fier du Canada à l'heure actuelle. Ma femme est une Canadienne de la troisième génération. Mes enfants sont nés à Vancouver. C'est un privilège pour nous d'habiter ce que je considère comme le meilleur pays du monde. Nous devons cependant nous attaquer à bien des problèmes. Bon nombre de nos enfants et de nos petits-enfants cherchent des récompenses qu'ils supposaient en toute innocence obtenir à l'école et dans le système. Ils pensaient: «Si je fais telle ou telle chose, je serai récompensé.» Bon nombre d'entre eux ont beaucoup de mal à obtenir ces récompenses. Il existe des divisions internes à l'échelon provincial et fédéral qui nous font du tort et qui poussent les habitants d'autres pays à se demander ce que nous faisons sur ce point parce que le Canada est tellement un bon pays. Les familles sont soumises à beaucoup de stress. Il est essentiel d'améliorer le développement de l'enfance et de réduire les effets de la pauvreté.

Le nombre de personnes âgées augmente et il faudra une assiette fiscale solide et productive pour leur fournir les soins auxquels ils ont droit dans leur vieillesse pour les services qu'ils ont rendus au pays.

Compte tenu de tout ce que je sais et de tout ce que j'ai vécu, je suis convaincu que, en ce qui concerne cette question sur laquelle j'ai beaucoup lu et réfléchi, ce n'est pas nécessaire d'apporter d'énormes changements à notre politique nationale sur les drogues. Je crois que, dans l'intérêt de nos enfants, nous devons prendre position et nous efforcer de réduire la consommation de la drogue en nous concentrant de façon déterminée sur la préven tion, le traitement et la réduction des sources d'approvisionne ment.

Si ce que j'ai dit reflète certaines valeurs, c'est parce que, si nous aimons notre travail, si nous aimons les gens, nous ne pouvons pas nous comporter comme des ordinateurs. Nous devrions tous l'accepter et ne pas essayer de prétendre que nous pouvons fonctionner sans la moindre émotion. Tous ceux qui ressentent de la compassion ont des opinions et c'est impossible de discuter de ces opinions de façon machinale.

Je félicite le comité du temps qu'il consacre à cette question. Je respecte les opinions de tout le monde à ce sujet. Je vous fais part de mes propres idées avec compassion, mais je respecte chacun d'entre vous et je respecte votre travail.

Le président: Comme je l'ai dit déjà, pour gagner du temps, nous vous enverrons des questions et nous attendrons vos réponses. Nous publierons les questions et les réponses sur notre site Web comme pour tous nos autres témoins.

Merci de votre temps et d'avoir accepté notre invitation.

[Français]

Avant de clore les travaux de cette séance du comité, je tiens à rappeler à tous ceux et celles qui s'intéressent aux travaux du comité qu'ils peuvent lire et s'informer au sujet des drogues illicites en consultant notre site Internet à l'adresse suivante: www.parl.gc.ca. Vous y trouverez les exposés de tous nos témoins ainsi que leur biographie et toute la documentation argumentaire qu'ils auront jugé nécessaire de nous offrir. Vous trouverez aussi plus de 150 liens Internet relatifs aux drogues illicites. Vous pouvez utiliser cette adresse pour nous transmettre vos courriels.

Au nom du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, je désire vous remercier pour l'intérêt que vous portez à notre importante recherche.

La séance est levée.


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